Intervention de Marie-George Buffet

Séance en hémicycle du 17 décembre 2014 à 15h00
Habilitation du gouvernement à prendre les mesures législatives nécessaires au respect du code mondial antidopage — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-George Buffet :

…a, lors des auditions, réaffirmé son souhait d’être pleinement acteur de la mise en oeuvre du code mondial antidopage, et a exprimé son accord aux modifications apportées. Le Gouvernement le soutient également.

Signalons également l’interdiction de s’associer à une personne qui fait l’objet d’une sanction. Cette mesure permettra d’assainir l’encadrement sportif. Un récent reportage télévisé a montré que des ex-docteurs sont toujours présents auprès de certains athlètes.

C’est par rapport à ces objectifs que nous nous penchons sur ce projet de loi qui nous demande, hélas, une nouvelle fois, au nom d’un calendrier contraint, de légiférer par ordonnance sur un sujet aussi complexe, touchant aux droits et devoirs de la personne. Je ne peux que profondément le déplorer.

Citons aussi l’incitation à une meilleure coopération entre les fédérations et les organisations nationales de lutte contre le dopage. C’est, en effet, par la coopération que le combat pourra être pleinement efficace.

Enfin, des pouvoirs supplémentaires ont été accordés à l’Agence française de lutte contre le dopage. J’en profite pour saluer l’excellence de son travail.

En revanche, deux mesures me semblent devoir faire l’objet d’un questionnement rigoureux. La première concerne l’utilisation de modes de preuves non analytiques.

Je ne vais pas revenir sur toutes des mesures positives. Notons cependant l’allongement du délai de prescription des actions disciplinaires : il permettra de bénéficier des progrès scientifiques en matière de lutte antidopage et de gagner la course de vitesse avec des tricheurs de plus en plus armés.

Les États-Unis, eux – l’affaire Armstrong en est l’exemple médiatique – ne s’inscrivent pas dans cette ligne spécifique et appliquent les règles d’investigation communes. L’esprit de la lutte antidopage, chez eux, s’est longtemps confondu avec la lutte contre les stupéfiants. Ainsi, les échanges d’informations, la délation, les témoignages occupent une place centrale dans la poursuite judiciaire des faits de dopage.

Le nouveau code nous pousse dans cette logique. C’est un choix. Faut-il en rester à la sanction sportive ? Je le pense, mais cette question nous sera posée, elle l’a déjà été en commission.

La loi française repose principalement sur le « contrôle positif » et sur le caractère spécifique de la lutte contre le dopage. Cela nous conduit à considérer que les sanctions pour le sportif convaincu de dopage, victime d’un système, devaient être d’ordre sportif sauf, s’il se révèle lui-même auteur de trafics.

Actuellement, l’AFLD peut prononcer une interdiction temporaire ou définitive de participation aux compétitions, entraînements et manifestations. Ces sanctions justifiées sont durcies et élargies par les modifications du code. C’est un arrêt de la carrière sportive qui sera de fait prononcé dans beaucoup de cas. Nous assistons également au développement du passeport biologique. Les outils dissuasifs sont donc disponibles.

Le rapporteur nous dit que le Gouvernement entend encadrer très strictement cette disposition du nouveau code. Mais comment ? Le ministère me répond que l’ordonnance précisera que le contrôle après 21 heures ne peut avoir lieu qu’avec le consentement du sportif, qu’il se limitera à un prélèvement d’échantillon, qu’il visera un public très ciblé.

En commission, notre rapporteur nous a dit que l’AFLD ne sera pas encline à pratiquer ces contrôles. J’entends toutes ces précautions, mais, cela ne répond pas pleinement à mon interrogation quant au respect ou non d’un principe constitutionnel envers ces citoyens que sont les sportifs.

Les dérogations à l’inviolabilité du domicile, que ce soit pour le terrorisme ou le grand banditisme, sont le fait de la décision d’un juge, excepté pour les flagrants délits. Nous observons là les limites à légiférer par ordonnances, ce qui nous ce qui nous prive du droit d’amendement et de la construction commune de la loi.

Autre question : dans une activité fondée sur la compétition, encourager le sportif à dévoiler des informations sur des pratiques illicites et à coopérer pour obtenir un sursis ne peut-il entraîner des dérives ? Je pose ces questions sans trancher entre les deux démarches. Je me demande juste si elles pourront cohabiter dans la durée. Je souhaite que l’option choisie par l’Agence mondiale antidopage soit pleinement efficace.

On nous dit que la France se doit d’appliquer les dispositions du code mondial antidopage, qu’elle doit être exemplaire. Néanmoins, je demande, pour mon pays, le droit de discuter toute transposition d’une décision d’un organisme international en restant fidèles à nos propres principes, précisément pour être exemplaire !

Une seconde mesure me pose un problème plus important.

Le droit français se veut protecteur ; les pouvoirs de contrôle reconnus de l’AFLD sont en effet encadrés. Le nouveau code mondial prévoit que « tout sportif peut être tenu de fournir un échantillon à tout moment, en tout lieu. » « En tout lieu » : il y a là le principe de la localisation. « À tout moment », cela signifie y compris entre 21 heures et 6 heures du matin, hors les compétitions sportives de nuit. Comment allons-nous faire évoluer le code du sport dans le respect du principe constitutionnel de l’inviolabilité du domicile ?

Quelle sera l’application de l’article 59 du code de procédure pénale disposant que « les visites domiciliaires ne peuvent être commencées avant 6 heures et après 21 heures », de l’article 9 du code civil affirmant que « chacun a droit au respect de sa vie privée » ? M. le rapporteur souligne que ces contrôles doivent respecter une proportionnalité entre les atteintes portées aux droits des sportifs et sportives et les enjeux liés à la lutte contre le dopage ! Se poser ces questions nous semble légitime.

Considérer, le sportif, la sportive comme un citoyen, une citoyenne : c’est ainsi que les politiques de prévention et de sanctions seront les plus efficaces.

Je conclurai en évoquant cette notion de prévention – prévention par l’information donnée aux athlètes, par la qualification des encadrements et en nous attaquant aux causes profondes des dérives qui traversent le sport comme la société et que j’ai rappelées au début de mon intervention. Le code du sport comporte des outils pour cela, mais n’est-il pas temps de les actualiser et de les renforcer par une nouvelle loi-cadre ? Je sais que M. Kanner y réfléchit.

Personne ici ne peut contester mon engagement dans le combat pour l’éthique dans le sport, mais je considère en toute conscience que le passage par les ordonnances ne permet pas de répondre avec la précision nécessaire au questionnement que je viens d’exposer. Nous aurons prochainement le projet d’ordonnances, et je vous remercie, monsieur le ministre, de cette rapidité, mais lorsque nous aurons ce projet, nous aurons déjà voté. À leur grand regret, les députés du Front de gauche s’abstiendront donc.

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