Intervention de Fleur Pellerin

Séance en hémicycle du 17 décembre 2014 à 21h30
Modernisation du secteur de la presse — Présentation

Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je me félicite que nous puissions examiner aujourd’hui cette proposition de loi portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.

Je tiens à remercier tout particulièrement Michel Françaix, rapporteur du texte, avec qui nous avons travaillé en très bonne intelligence, et qui s’est personnellement investi dans cette proposition de loi. Votre travail patient et déterminé en faveur de l’avenir de la presse de notre pays mérite d’être salué, monsieur le député. C’est grâce à vous et au travail très constructif qui a eu lieu en commission des affaires culturelles, dont je salue le président Patrick Bloche, que le texte a pu être étoffé et amélioré par l’adoption d’amendements issus de tous les groupes politiques.

Ce travail collectif, dont le résultat est l’adoption du texte à la quasi-unanimité de la commission des affaires culturelles, montre que l’avenir du secteur de la presse est un enjeu démocratique avant que d’être un enjeu économique. Cet enjeu doit nous rassembler, au-delà des clivages traditionnels.

Il faut le rappeler : la liberté d’expression et d’information dérange. Elle n’a rien d’une évidence, et en cela elle est fragile. La liberté de la presse n’est jamais un acquis, elle est au contraire un combat perpétuel. Un combat pour la liberté des journalistes, en France et dans le monde – et je veux rendre ici hommage aux reporters qui font parfois leur métier au péril de leur vie. Un combat pour l’exigence, la qualité et l’éthique, qui suppose, pour reprendre le célèbre reproche d’Armand Carrel à Émile de Girardin, de ne pas réduire « la noble mission du journalisme à la simple fonction de marchand de nouvelles ». Enfin c’est un combat contre toutes les tentations plus ou moins avouées de ceux qui, à travers les âges, ont voulu mettre l’information sous leur coupe.

Vous le savez, la liberté de la presse ne s’est pas faite en un jour. Elle est le fruit de conquêtes successives qui se confondent souvent avec l’histoire de notre démocratie. En 1789, c’est à travers l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen qu’a été affirmé « l’un des droits les plus précieux de l’homme » : « la libre communication des pensées et des opinions », en vertu de la laquelle « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

Mais cette liberté, il ne suffisait pas de la proclamer, il a fallu aussi lui apporter les garanties et les moyens indispensables à son accomplissement, et d’abord un cadre juridique sécurisé. C’est la loi de 1881 qui a défini les règles essentielles sur lesquelles repose encore aujourd’hui le fonctionnement de la presse. En garantissant la double liberté, de gestion des entreprises de presse, d’une part, et d’expression des journalistes, d’autre part, la loi de 1881 s’est affirmée comme un fondement de la République. La presse, ce sont également des enjeux très concrets auxquels plusieurs mesures adoptées en 1944 et la loi Bichet de 1947 sont venues, au sortir de la guerre et de l’occupation, apporter, là aussi, des réponses fortes en termes de moyens matériels, d’impression et de distribution.

Le texte que nous examinons aujourd’hui s’inscrit pleinement dans la continuité de cet héritage, en apportant à la presse de nouvelles garanties et de nouveaux moyens adaptés aux enjeux actuels.

Ces enjeux sont considérables, car la presse doit relever aujourd’hui d’immenses défis si elle veut sauver son avenir. Ces défis, vous les connaissez : ils sont de deux ordres. Il s’agit d’abord d’un défi démocratique, eu égard à la défiance sans cesse accrue de nos concitoyens à l’égard des médias et des journalistes. Il s’agit aussi d’un défi économique et social, celui du bouleversement inédit du secteur et des métiers de la presse du fait de la révolution numérique.

Beaucoup parlent de crise de la presse. Je préfère parler de défis, car nous ne devons pas céder à la sinistrose et au fatalisme. Je regrette, comme vous, de voir certains titres de presse en difficulté, et le Gouvernement est mobilisé pour accompagner ces évolutions. Je déplore aussi un certain appauvrissement de l’information, accentué par les réseaux sociaux et les chaînes d’information en continu. Mais je vois aussi éclore une presse nouvelle, audacieuse, vivace, pointue, inventive, entrepreneuriale, et pas seulement sur internet car elle sait aussi réinventer le papier. Il ne faut pas oublier non plus que nos concitoyens disposent aujourd’hui d’un accès très large à une information d’une extraordinaire diversité.

Tout l’enjeu est aujourd’hui de maintenir et d’amplifier cette vivacité, tout en maintenant fermement une exigence de fiabilité, de qualité et d’éthique. C’est en effet cette exigence qui permet au journalisme et à l’information de ne pas devenir des activités comme les autres et de tisser un lien de confiance durable avec nos concitoyens. Voilà le défi que nous devons relever.

Cette proposition de loi apporte, comme je vous l’indiquais, de nouvelles garanties et de nouveaux moyens pour répondre à ces enjeux.

Le texte se décline en trois volets : le premier définit de nouvelles garanties pour la libre distribution de la presse sur le territoire ; le second donne de nouveaux moyens à l’Agence France-Presse pour s’affirmer comme un champion, un fleuron de l’information à l’échelle mondiale ; le troisième crée un nouveau statut d’entreprise solidaire de presse d’information.

Le titre premier de la proposition de loi apporte de nouvelles garanties pour la libre distribution de la presse sur le territoire. Le système coopératif de distribution de la presse est un principe fort du pluralisme de l’information dans notre pays. Il garantit à tout éditeur le droit d’être distribué et permet ainsi la mise en oeuvre effective de l’objectif constitutionnel de préservation du caractère pluraliste des courants d’expression.

Cependant ce système est confronté aujourd’hui, à tous ses niveaux, à une équation inexorable, du fait du déclin de la diffusion physique de la presse, qui fragilise les messageries – particulièrement Presstalis, qui est engagée dans une restructuration profonde, indispensable à sa pérennité – mais aussi les dépositaires, les diffuseurs et les éditeurs de presse.

Aussi, dans le respect des principes fondateurs hérités de la loi Bichet – égalité de traitement des titres, caractère coopératif du système, gouvernance paritaire –, le texte propose de compléter les avancées significatives apportées par la loi du 20 juillet 2011 relative à la régulation du système de distribution de la presse, par trois évolutions.

Premièrement, il renforce les logiques de solidarité coopérative au sein de la distribution de presse, en affirmant dans la loi les principes de coopération et d’équilibre financier général et en renforçant l’objectivité des modalités et des critères de solidarité, notamment à travers les barèmes des messageries.

Deuxièmement, le texte propose de conférer à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse un pouvoir renforcé, propre à assurer une mise en place rapide des réformes indispensables au secteur, tout en maintenant le rôle représentatif et décisionnel du Conseil supérieur des messageries de presse. Je veux saluer à ce propos le travail remarquable accompli par ces deux institutions.

Troisièmement, le texte propose d’ouvrir de façon encadrée le dernier kilomètre de distribution de la presse aux éditeurs de presse, ce qui permettra la mise en oeuvre de mutualisations utiles entre réseaux de distribution.

Le titre II de la proposition de loi offre de nouveaux moyens à l’Agence France-Presse pour s’affirmer comme un champion de l’information à l’échelle mondiale.

L’Agence France-Presse est la seule agence de presse internationale non anglophone. Elle participe pleinement au rayonnement de la France et diffuse une information exacte, impartiale et digne de confiance, conformément à l’article 2 de son statut. Dans un contexte de mutation numérique et de concurrence internationale accrue, qui a vu récemment la création d’une agence chinoise, il faut donner à cette agence les moyens de s’affirmer pleinement.

C’est dans cette perspective que le Gouvernement avait chargé le député Michel Françaix d’une mission sur l’avenir de l’AFP. Le rapport rendu à l’issue de cette mission propose de renforcer la capacité d’investissement de l’Agence pour qu’elle puisse consolider son modèle et développer des produits innovants, à travers notamment la création d’une filiale de moyens. Je sais les craintes que la création de cette filiale a pu susciter. Pourtant une telle option ne comporte aucun danger pour l’Agence ; elle permettra bien au contraire de répondre efficacement à son besoin de financement.

Parallèlement, l’État accompagne le développement de l’AFP d’un traitement budgétaire particulièrement favorable dans le projet de loi de finances pour 2015, en finalisant la négociation d’un contrat d’objectifs et de moyens ambitieux et en achevant la refonte de la convention d’abonnement des services de l’État à l’AFP, ce qui n’avait pas été fait depuis 1958.

Les dispositions législatives que votre assemblée examine aujourd’hui ont pour objectif la modernisation de la gouvernance de l’Agence et sa mise en conformité avec le cadre communautaire. Elles parachèvent ainsi la consolidation du modèle original de l’AFP et sa sécurisation dans un cadre économique de plus en plus concurrentiel. Les évolutions de gouvernance proposées visent à offrir davantage d’ouverture, de parité, d’impartialité et de stabilité dans la conduite de l’Agence.

Par ailleurs, la clôture de la plainte pour aide d’État déposée par un concurrent de l’AFP auprès de la Commission européenne nous invite à aménager le statut de l’Agence dans le strict respect de l’esprit de 1957, notamment au niveau tarifaire et comptable.

Je sais la sensibilité de certaines de ces dispositions, qui ne sont cependant que des modalités de pérennisation de l’Agence. En effet, la mise en place d’une comptabilité séparée et la réforme du régime de faillite sont nécessaires pour respecter le cadre européen. La pleine conformité de l’Agence au droit communautaire constitue une sécurisation indispensable à son bon fonctionnement et à son expansion sur le marché européen, et je crois qu’il faut nous en réjouir. En effet, non seulement nous consolidons ainsi le modèle spécifique d’indépendance et de qualité éditoriale de l’Agence, mais nous lui permettons de se projeter dans le XXIe siècle en la dotant de tous les outils de développement et d’innovation qui lui seront nécessaires.

Enfin, le titre III de la proposition de loi crée un nouveau statut d’entreprise solidaire de presse d’information.

La création d’un nouveau modèle d’entreprise de presse est une formidable motivation pour les entrepreneurs de la presse d’aujourd’hui. Elle permettra d’apporter une solution à toutes celles et ceux qui ont des projets innovants dont la viabilité est compromise par la difficulté de lever les fonds nécessaires au démarrage et à la pérennisation de leur activité. Conquérir un public nouveau de lecteurs devenus plus exigeants, convaincre de la pertinence de son projet, développer un nouveau contrat de lecture sur des sujets d’information politique et générale, c’est cela le pluralisme de l’information aujourd’hui. C’est pourquoi il est plus que jamais indispensable de donner leur chance à de nouveaux acteurs dans le domaine de l’information des citoyens, notamment des jeunes.

Je sais que l’examen du texte par la commission des affaires culturelles a été l’occasion d’un débat nourri autour de la notion de presse d’information politique et générale, qui est au coeur de ce dispositif comme elle est au coeur du pluralisme des médias. Sa définition fait débat aujourd’hui au sein même de la profession, qui souhaiterait notamment l’adapter à la presse numérique. Le président de la Commission paritaire des publications et agences de presse, M. Jean-François Mary, a réfléchi à cette question après avoir consulté largement les professionnels. Il nous a indiqué quelques pistes de réflexion qui devront être intégrées à une réforme de plus grande ampleur des aides à la presse à laquelle je travaille. Mais à ce stade, la définition retenue par la proposition de loi est celle qui figure à l’article 39 bis A du code général des impôts, afin d’ouvrir ce nouveau statut à l’éventail le plus large des publications et sites de presse d’information politique et générale.

L’entreprise citoyenne de presse d’information, que la commission des affaires culturelles a souhaité rebaptiser « entreprise solidaire de presse d’information », sera le lieu des expériences nouvelles, des défis de l’imagination et de l’information pluraliste. Le choix de ce statut, qui s’inspire de l’économie sociale et solidaire, vise à permettre aux actionnaires de renoncer à une partie des bénéfices pour les réinvestir dans l’activité de la société. Ces entreprises demeureront néanmoins des entreprises commerciales. Elles opteront simplement pour un modèle qui renforce leur obligation de mise en réserve des sommes nécessaires à la pérennité de l’activité.

Le Gouvernement accompagnera ce nouveau statut par des mesures incitatives, de façon à le rendre aussi attractif que possible. Je souhaite que les particuliers comme les entreprises puissent apporter un soutien durable à ces acteurs émergents de l’information.

Enfin vos débats en commission ont permis l’introduction d’un quatrième volet, ce dont je me félicite. Vous avez en effet décidé de reconnaître de nouveaux droits aux journalistes.

Mesdames et messieurs les députés, depuis que j’ai été nommé ministre en charge du secteur de la presse, je dois vous avouer qu’il est un chiffre que je n’oublie pas : trente-neuvième, tel est le rang de la France en matière de liberté de la presse dans le classement mondial établi par Reporters sans frontières. Si on peut toujours contester sa méthodologie, il fait cependant apparaître depuis une décennie un recul que je crois dangereux et dont ne peut se satisfaire la patrie des droits de l’Homme.

C’est pourquoi je me félicite que vos débats en commission aient permis d’introduire la possibilité pour les journalistes d’accompagner des parlementaires se rendant dans des lieux de privation de liberté. Je ne peux que saluer cette avancée vers une plus grande liberté de la presse et, à travers elle, vers une transparence accrue quant aux conditions de détention dans notre pays.

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