Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, je veux tout d’abord exprimer des sentiments contradictoires : à la fois une grande satisfaction de voir aborder la question de la presse au sein de notre assemblée et le regret de ne pas avoir à débattre d’une loi-cadre mais seulement de « diverses mesures de modernisation ». Nous avions pourtant matière, grâce à votre travail, monsieur le rapporteur, et votre intervention en a témoigné. J’ai également déposé une proposition de loi, élaborée en lien avec les salariés du secteur et leurs syndicats, à laquelle vous avez bien voulu apporter votre contribution, ce dont je vous remercie.
Avec la presse, en effet, nous touchons à un élément essentiel de notre vie démocratique. L’exercice de la liberté de la presse ou sa répression jalonne l’histoire de notre pays et participe de ses avancées démocratiques et populaires, ou a contrario de ses reculs.
Certes, à l’ère du numérique, nul ne souhaite remonter le temps, mais je veux simplement redire ici combien la presse a pu être un des ressorts essentiels de grands moments de notre histoire, combien les affrontements au sein d’une presse pluraliste ont pu nourrir au sein de notre nation de beaux et toniques débats idéologiques qui nous font parfois défaut aujourd’hui.
Aussi, nous ne pouvons regarder sans rien faire la presse d’information générale et politique s’enfoncer dans la crise. On le sait, cette crise a des causes multiples : baisse du lectorat, concentration, uniformisation et importance croissante du numérique. Cependant, comme le rapporteur, s’appuyant sur ce qui se passe aux États-Unis, l’a souligné en commission, l’existence du journal papier conditionne l’existence du journal numérique. Le dossier publié ce matin par le journal L’Humanité montre que les utilisateurs des réseaux sociaux sont de plus grands lecteurs que la moyenne, et que la lecture d’informations au format papier représente 61 % des lectures d’une même agence de presse.
Bénéficier d’une information en temps réel aux quatre coins de la planète est aujourd’hui possible, et c’est une immense avancée. Mais mesurons aussi que le diktat de l’instantané n’est pas forcément synonyme de connaissance véritable du monde réel, que le credo du tweet ne peut remplacer le travail journalistique de recherche de l’information, le contrôle des sources ni la mise à disposition de décryptages d’un événement. D’où l’importance de légiférer sur toutes ces questions !
La proposition de loi qui nous est soumise comporte des avancées qu’il faut saluer. Je pense notamment au renforcement du rôle de la Haute Autorité de régulation, à l’homologation des barèmes fixés dans le respect du principe de solidarité, mais également aux avancées en matière de représentation des personnels et de parité, introduites par la voie d’amendements votés en commission. Je me félicite évidemment de la création, à l’article 14, des sociétés de presse solidaires ; cependant, nous aurions pu aller un peu plus loin en les dotant d’un statut de société coopérative qui aurait permis une réelle participation des salariés à leur gestion.
Mais tout cela ne fait pas encore le compte. Je souhaite donc que notre débat se solde par de nouvelles avancées et qu’il permette d’apaiser les inquiétudes nées des dispositions relatives à l’AFP.
La loi Bichet, voté à la Libération, avait pour objectif de garantir le pluralisme de la presse en la libérant de la pression du marché. En 2011, la précédente majorité a remis en cause cet objectif, au point que l’existence de l’entreprise Presstalis fut alors menacée. Si la lutte de ses salariés a permis de déboucher sur un plan de survie, sa situation reste très fragile.
Notre assemblée s’honorerait de revenir sur ce détricotage et de reprendre le flambeau du système coopératif de la distribution de la presse en favorisant par la loi la mise en place d’une coopérative unique. En effet, si le paysage a évolué depuis la loi Bichet, les principes de solidarité et de coopération au service du bien commun et de la démocratie, qui sont au fondement de cette loi, restent d’actualité.
La coexistence de deux messageries, dont une seule est soumise à des obligations concernant la presse quotidienne, a conduit à ce que des magazines disposant de rentrées publicitaires importantes ne participent pas à l’effort de distribution d’une presse à faibles ressources.