Intervention de Christian Kert

Séance en hémicycle du 17 décembre 2014 à 21h30
Modernisation du secteur de la presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert :

Vous ne m’en voudrez certainement pas, monsieur le rapporteur, de dire que votre proposition de loi est le plus petit dénominateur commun à tous les problèmes de la presse. C’est néanmoins un texte nécessaire en ce qu’ il répond à l’une des préoccupations des éditeurs : la distribution, jadis secondaire et désormais prioritaire.

Il est nécessaire pour plusieurs raisons, dont la plus évidente est la véritable révolution structurelle qui bouleverse ce secteur et dont les effets sont ravageurs – je pense notamment à la disparition de nombreux points de vente, que des dispositions récentes tentent d’enrayer. Il ne s’agit pas de céder à un catastrophisme que vous avez raison de refuser, madame la ministre, mais il y a tout de même des éléments très préoccupants.

De nombreux rapports ont mis l’accent sur ce mal-être de la presse, le plus récent étant issue de la réflexion de M. Jevakhoff, dont vous vous êtes peut-être inspiré, monsieur le rapporteur, car nous croyons reconnaître quelques pistes.

Vous-même, madame la ministre, avez récemment fait part de votre souhait que la presse soit capable de définir un nouveau système de distribution solidaire et solide. Selon vous, si nous vous avons bien compris, ce système passerait par la poursuite de la réforme des messageries, La Poste continuant à faire face à ses obligations de service public en matière de transport de presse. Que penser alors de l’hypothèse, avancée par ce rapport, de la fusion des deux messageries, hypothèse que vous aviez déjà avancée en 2012, monsieur le rapporteur, dans votre avis sur le projet de loi de finances pour 2013 ?

D’autres estiment que la concurrence entre messageries aux missions différenciées – quotidiens et magazines –, demeure nécessaire. Le débat reste ouvert. La signature récente par les deux messageries d’un mémorandum sur le système d’information de la filière pourrait apparaître comme un engagement fort de part et d’autre, et une sorte d’encouragement à notre réflexion.

Restera à traiter la question du rôle exact de La Poste dans la filière, ainsi, bien sûr, que la fameuse question des coûts postaux. Cela nous renvoie au problème global des aides générales à la presse.

La diversité de ces questions, monsieur le rapporteur, laisse à penser qu’il faudra un jour revoir l’ensemble du dispositif. Dans cette proposition de loi, vous vous contentez d’exprimer la volonté de mieux réguler le système coopératif de distribution de la presse. Il est vrai que c’est lui qui a le plus besoin d’être réformé, en raison du manque de cohérence entre les différents acteurs oeuvrant dans ce secteur, éditeurs, associés, clients des messageries.

On pourrait par exemple envisager la possibilité pour la presse quotidienne nationale de bénéficier du réseau de distribution de la presse quotidienne régionale. En renforçant le rôle et les missions du Conseil supérieur des messageries des messageries, le CSMP, et en les articulant avec l’action de l’ARDP, qui devient une autorité indépendante, nous pouvons espérer sécuriser par cette gouvernance bicéphale les équilibres à respecter sans ajouter de contraintes supplémentaires en termes de délai.

Dans cet esprit, nous avons proposé des amendements, qui ont été acceptés par la commission à votre instigation, tendant à réduire les délais d’homologation des barèmes, votre proposition de loi créant une procédure d’homologation par le CSMP, rendue ensuite exécutoire par l’ARDP.

Nous sommes d’accord sur un point essentiel : la loi Bichet doit rester la véritable constitution du système coopératif, qui consacre le principe de la liberté de distribution des titres par leurs propres moyens, en imposant, dans le cas contraire, la solidarité des éditeurs dans la distribution ainsi que l’égalité et l’impartialité de traitement entre les différents titres.

Le CSMP se voit également doter de la capacité de rationaliser la distribution sur « le dernier kilomètre », appellation quasi poétique du point final de distribution. L’expérience montre qu’il est nécessaire d’utiliser le réseau de la presse quotidienne régionale dans les zones peu denses et là où les réseaux de distribution existent déjà. Agglomérer les synergies économiques au lieu de les superposer : sur ce point nous sommes tous d’accord.

Enfin, ce texte vise à favoriser la mise en commun des moyens des messageries, au point que l’article 7 évoque la création d’une société commune. Doit-on y voir là un moyen de faire pression sur Presstalis et les MLP pour qu’elles renforcent la mutualisation de leurs moyens, conformément aux préconisations supposées du rapport Jevakhoff ?Si oui, jusqu’à quel point ? J’ai noté votre prudence sur le sujet, et nous partageons cette réticence.

Votre proposition s’attarde enfin sur le destin de l’AFP. Avec cette agence, qui vient de fêter ces soixante-dix ans, la France dispose de l’un des rares géants de l’information au niveau mondial.

Nous nous devons donc d’accompagner son développement et sa volonté d’innovation. Vous modifiez dans ce but son mode de gouvernance, en augmentant le nombre des membres de son conseil d’administration, dont la composition est élargie à cinq personnalités qualifiées. L’objectif est de lui permettre de prendre en compte les nouvelles sources d’information, ainsi que de supprimer tout risque de conflits d’intérêts dû à la présence d’administrateurs qui sont aussi clients de l’agence en réduisant la représentation de la presse quotidienne au sein du conseil d’administration. Nous ne trouvons rien à redire à ce dispositif, pas plus qu’aux mesures visant à assurer la conformité de son statut avec le droit européen de la concurrence. La mission d’intérêt général de l’Agence est préservée, contrairement à ce que certains craignaient.

En revanche, l’ultime volet de votre proposition de loi paraît faire cavalier seul. Vous y proposez de reconnaître un nouveau type d’entreprise de presse, qualifié initialement d’« entreprise citoyenne de presse d’information ». Ce nouveau statut est destiné aux entreprises de presse d’information politique générale, les IPG, affectant leur bénéfice à une réserve statutaire qui doit leur permettre d’assurer leur pérennité. Nous avons bien compris que ce statut, inspiré par la presse en ligne, sera destiné au secteur numérique, tout en étant également ouvert à de petites entreprises de presse papier, telles celles éditant des hebdomadaires régionaux. L’intention est louable. Toutefois, si la qualification d’entreprise citoyenne, que nous avons modifiée depuis, sonnait bien, elle avait de quoi heurter les autres publications, qui ne se sentent pas moins citoyennes. Monsieur le président de la commission des affaires culturelles, sans vouloir me lancer dans une analyse sémantique, la citoyenneté est une notion trop vaste pour être enfermée dans une telle définition. La citoyenneté, c’est une attitude, un état d’esprit, une conviction, et nombreux sont ceux qui peuvent s’en prévaloir.

Notre commission a donc fait preuve d’une grande sagesse en décidant de modifier cette qualification. Certes l’appellation qui a finalement été retenue n’est pas celle que nous avons proposée, mais foin de coquetterie : nous ferons nôtre la proposition qui obtiendra la majorité des voix de l’Assemblée. II ne nous est pas interdit d’être créatifs, même s’il semble étrange de créer un nouveau statut alors que l’avantage fiscal qui le justifie n’existe pas encore. En attendant, les entreprises concernées auront l’obligation de constituer une réserve statutaire dont le montant sera fixé par la loi.

Le débat sur la notion d’information politique générale ne sera pas sans incidence sur la redéfinition des modalités des aides de l’État à la presse, qui devrait intervenir dans quelques mois afin de les rendre plus cohérentes et surtout plus lisibles. Le sujet est d’autant plus crucial depuis le décret du 23 juin dernier, qui réserve à partir du 1er janvier 2016 le soutien du fonds stratégique pour le développement de la presse aux publications de presse et services de presse en ligne d’information politique et générale. Je ne le crois pas qu’on tranchera ce débat ce soir et je regrette l’imprécision avec laquelle l’article 14 définit la notion d’IPG. Ce troisième volet ne serait-il pas au fond, madame la ministre, une pure opération de communication ? Cette troisième voie, comme la qualifie Michel Françaix dans son rapport, est-elle vraiment nécessaire ?

En dépit de cette interrogation, le groupe UMP ne s’opposera pas pour autant à la proposition de loi.

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