Intervention de Olivier Dussopt

Séance en hémicycle du 18 décembre 2014 à 9h30
Représentation des communes membres d'une communauté de communes ou d'agglomération — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Dussopt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État chargé de la réforme territoriale, mes chers collègues, en 2010, le législateur avait prévu que la composition des conseils de communautés de communes et de communautés d’agglomération, ainsi que la répartition des sièges en leur sein, pourraient être déterminées de deux manières : soit par l’application d’un tableau précisant le nombre de sièges au sein de l’organe délibérant de l’établissement public de coopération intercommunale selon sa population, et les répartissant entre les communes avec un mode de représentation proportionnelle aménagée ; soit par la conclusion, à la majorité qualifiée des communes membres, d’un accord local de répartition des sièges.

Par ailleurs, la loi du 17 mai 2013 a organisé l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel direct par fléchage dans les communes de plus de 1 000 habitants.

Cette évolution des règles de représentation et cette démocratisation de l’intercommunalité constituent en réalité l’aboutissement d’un long processus. La loi d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, qui a créé les communautés de communes, prévoyait déjà que la répartition des sièges au sein de leur organe délibérant soit assurée en fonction de leur population. Dans le même temps, déjà, ce principe était nuancé par l’application de deux règles jamais remises en cause depuis lors : l’attribution d’un siège de droit à chaque commune, quelle que soit sa population, afin que toutes les communes soient représentées, et l’interdiction pour l’une d’entre elles de disposer de plus de la moitié des sièges, ce qui lui aurait permis de régir le conseil communautaire et d’exercer ainsi une forme de contrôle sur l’EPCI.

La loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010 maintenait elle aussi cet encadrement. Toutefois, sur l’initiative du Sénat, la possibilité de procéder à une répartition par accord local à la majorité qualifiée des communes avait été conservée aux communautés de communes et d’agglomération.

Par la suite, la loi du 31 décembre 2012 relative à la représentation communale dans les communautés de communes et d’agglomération a rendu plus attractive encore la conclusion d’un tel accord, en portant la proportion de sièges supplémentaires pouvant être répartis dans ce cadre à 25 % du total résultant de l’application des règles légales. On estime ainsi que 90 % des organes délibérants de communautés de communes et de communautés d’agglomération installés à l’issue des élections municipales de mars 2014 ont été constitués sur le fondement d’un tel accord local.

La décision du Conseil constitutionnel a donc mis en cause un dispositif qui, en encadrant uniquement, de manière marginale, la libre répartition des sièges de conseillers communautaires par les élus municipaux, méconnaissait le principe d’égalité devant le suffrage, en tant qu’il permettait de déroger de manière excessive au principe général de proportionnalité démographique.

Le Conseil constitutionnel n’a toutefois contesté ni le principe même qui permettait aux conseils municipaux de conclure un accord local de répartition des sièges au sein de l’organe délibérant, ni le fait que cet accord procède d’une majorité qualifiée des communes, à condition que les écarts de représentation qu’il prévoirait soient fondés sur des considérations d’intérêt général et encadrés par le législateur.

Par ailleurs, en vertu de cette décision, toute annulation d’une élection municipale dans une seule des communes membres d’une communauté de communes ou d’agglomération, ainsi que toute modification du périmètre de l’un de ces EPCI, obligent à recomposer un organe délibérant selon la règle de stricte représentation démographique et sans possibilité de recourir à un accord local.

C’est la raison pour laquelle les sénateurs Alain Richard et Jean-Pierre Sueur, membres de la commission des lois du Sénat, ont déposé le 24 juillet dernier cette proposition de loi, adoptée à l’unanimité par la Haute assemblée le 22 octobre. Cependant, le dispositif retenu ne semble que partiellement conforme à la jurisprudence constitutionnelle, qui restreint les marges de manoeuvre que le législateur peut laisser aux élus municipaux pour fixer la composition de l’organe délibérant d’un EPCI en exigeant que les écarts de représentation par rapport à la répartition sur des fondements démographiques soient limités et justifiés par des motifs d’intérêt général.

La version initiale de la proposition de loi adoptée au Sénat encadrait doublement ces écarts. Ainsi, aucune commune ne pouvait voir sa représentation augmenter de plus d’un siège, et aucune délégation de commune ne pouvait voir son nombre de sièges au sein de l’organe délibérant diminuer de plus de 20 %. Cependant, ces règles ne garantissent en rien que la répartition soit conforme au principe d’égalité démographique.

D’abord, dans la mesure où le gain potentiel ne pouvait dépasser un siège par commune, les communes les plus peuplées, dont la représentation est déjà limitée à la moitié des sièges au maximum, voient nécessairement leur part reculer : un gain d’un siège correspond à une augmentation de 5 % pour la commune qui dispose déjà de 20 sièges, mais à une hausse de 100 % pour celle qui n’en a qu’un.

Ensuite, en permettant de diluer la part de chaque commune, dans la limite de 20 %, le texte ne tenait pas compte des éventuelles sous-représentations, notamment dans le cas où plusieurs communes se sont vu attribuer des sièges supplémentaires à l’issue de la répartition proportionnelle à la plus forte moyenne.

La commission des lois du Sénat a d’ailleurs bien observé que l’écart en surreprésentation pourrait, dans certains cas, excéder les limites posées par la jurisprudence constitutionnelle, tout en se demandant si cette tolérance ne pourrait pas être admise en tant que motif d’intérêt général. C’est pour cela qu’elle a renforcé l’encadrement de l’accord local prévu à l’article 1er en adoptant plusieurs amendements de sa rapporteure, Mme Troendlé, et de M. Richard, co-auteur de la proposition de loi.

Malgré ces efforts, le dispositif ne correspond toujours pas à l’encadrement dit du tunnel, habituellement pratiqué par le Conseil constitutionnel, pour lequel une représentation est fondée sur des critères essentiellement démographiques lorsque l’écart à la moyenne de présentation ne dépasse pas plus ou moins 20 %.

Aussi, sur ma proposition, la commission des lois a adopté un dispositif respectant plus strictement les deux principes d’encadrement des marges de manoeuvre laissées aux élus municipaux.

Pour commencer, la marge de 20 % s’appréciera, en l’absence d’accord des communes sur la répartition des sièges, par rapport au nombre de sièges qui résultera, pour la commune concernée, de l’application des règles légales. L’attribution de sièges supplémentaires devra maintenir dans cette limite toutes les communes qui s’y trouvent déjà soumises. À l’égard des autres communes, elle devra avoir pour effet de réduire l’écart à la moyenne, sans nécessairement ramener cet écart en deçà de 20 %.

Enfin, un dernier amendement m’a été suggéré par Alain Richard, que j’ai rencontré pour tenter de parvenir à une rédaction consensuelle, dans la perspective d’un éventuel vote conforme au Sénat. Il dispose, dans le cas où la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne ne permet d’attribuer qu’un seul siège à une commune – situation différente de celle des communes qui ne pourraient bénéficier de l’attribution d’un siège en application de la règle résultant de la loi de 2010 – que l’accord pourra lui en conférer un second, afin de favoriser une représentation plurielle et paritaire de chacune des communes.

Notre commission a travaillé sur un autre point. Le VI de l’article L. 5211-6-1 du code général des collectivités territoriales prévoit que, dans les métropoles et les communautés urbaines, à l’exception de la métropole d’Aix-Marseille, et, à défaut d’accord global, dans les communautés de communes et les communautés d’agglomération, les communes peuvent créer et répartir des sièges supplémentaires en nombre inférieur ou égal à 10 % du total issu de la répartition légale. Toutefois, cette répartition, parfois appelée mini-accord local, n’était encadrée par aucune règle visant à garantir le principe général de proportionnalité par rapport à la population. Aussi, nous avons choisi d’appliquer les règles d’encadrement susdites à cette répartition de sièges supplémentaires.

Enfin, le cas d’espèce de la commune de Salbris, soumis au Conseil constitutionnel en juin dernier, a montré que les conditions de majorité qualifiée pouvaient conduire à ce que l’accord local soit au détriment des communes les plus peuplées, au risque de déséquilibrer la gouvernance des EPCI. J’ai donc proposé que l’accord local de répartition des sièges soit adopté dans les conditions de majorité qualifiée qui s’appliquent à la création d’un EPCI à fiscalité propre : soit à la majorité des deux tiers au moins des conseils municipaux des communes membres représentant plus de la moitié de la population, soit par la moitié au moins des conseils municipaux des communes membres représentant plus des deux tiers de la population totale, moyennant l’accord obligatoire du conseil municipal de la commune dont la population est la plus nombreuse, dès lors que celle-ci est supérieure au quart de la population totale.

Comme prévu par le Sénat, l’article 2 de la proposition de loi permet aux communes qui n’auraient pu négocier un accord local de le faire dans les six mois suivant la promulgation du présent texte.

Dans la rédaction adoptée par la commission des lois, il est également permis de procéder à cette recomposition de l’organe délibérant par accord local, comme l’exige la décision du Conseil constitutionnel, avant qu’ait lieu une élection partielle au sein d’une des communes membres de l’EPCI.

La liberté que nous souhaitons naturellement laisser aux élus locaux doit être encadrée, dans le respect des principes constitutionnels, d’où la nécessité de limiter les marges de manoeuvre dont les élus disposent pour conclure un accord local de répartition des sièges.

J’espère toutefois que le texte adopté par la commission des lois pourra rapidement faire l’objet d’une adoption conforme par le Sénat et, comme vous l’avez indiqué, monsieur le secrétaire d’État, être éventuellement soumis au Conseil constitutionnel avant sa promulgation afin de sécuriser les accords qui en découleront et la situation des communes concernées.

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