Mes chers collègues, je souhaiterais tout d'abord remercier notre collègue Guy Chambefort qui a suivi assidûment les auditions en notre compagnie.
Le dernier rapport que notre commission a consacré aux exportations d'armement remonte à la XIe législature. Encore faut-il préciser que le travail rendu en 2000 par nos anciens collègues Sandrier, Martin et Veyret avait pour champ d'analyse exclusif le contrôle des exportations, ainsi que M. le président vient de le rappeler.
Tout le monde ici s'en souvient, notre collègue Yves Fromion a remis, en 2006, un rapport remarqué sur « Les exportations de défense et de sécurité de la France ». Toutefois, il avait effectué ce travail en tant que parlementaire en mission, pour le compte du gouvernement.
Suite à l'adoption de la loi de programmation militaire 2014-2019, il était légitime que notre commission se saisisse à nouveau de cette question, compte tenu de l'importance que revêtent les exportations d'armement pour l'équilibre financier de la programmation.
Dans ce cadre, la mission que nous avons menée poursuivait un double objectif. Premièrement, il s'agissait de dresser un état des lieux des différentes formes de soutien. Deuxièmement, la mission avait vocation à évaluer ces différents soutiens et, le cas échéant, à proposer des pistes d'amélioration, y compris en s'appuyant sur les expériences étrangères. À cet effet, nous avons adressé un questionnaire à un certain nombre de nos représentations diplomatiques : aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Israël et en Russie, soit les principaux exportateurs mondiaux d'armement. Leurs réponses nous ont permis de disposer d'éléments de comparaison utiles.
Il ressort de notre cycle d'auditions le sentiment général suivant : ceux qui en bénéficient – les industriels – comme ceux qui le « font vivre » – les administrations au sens large, jugent le dispositif français globalement efficace. L'adverbe a son importance. Toute oeuvre humaine est perfectible et notre régime de soutien peut sans doute encore être amélioré. En outre, toutes les personnes auditionnées s'accordent sur un point et louent l'implication du gouvernement, en particulier du ministre de la Défense, et des services concernés.
Certains pourraient, à juste titre, s'interroger. Quel intérêt y a-t-il, pour notre pays, à disposer d'un système spécifique de soutien à notre industrie de défense ? Et pourquoi chercher à rendre ce dispositif plus efficace ? Ces interrogations sont pertinentes au regard du rôle moteur joué par la France pour soutenir les efforts de la communauté internationale en matière de désarmement et de maîtrise des armements. Le ministre de la Défense rappelle d'ailleurs ces engagements dans le rapport qu'il a remis au Parlement en août dernier.
Mais nous sommes ici pour évoquer l'intérêt qu'à la France à soutenir son industrie d'armement au travers de ses exportations. L'intérêt est d'abord politique et stratégique. Une base industrielle et technologique de défense (BITD) solide, capable de produire des équipements répondant au fort degré d'exigence de nos armées, est indispensable. Elle permet d'assurer l'approvisionnement de nos forces en matériels performants, nécessaires à la mise en oeuvre des priorités stratégiques décidées par l'autorité politique. Elle est une condition essentielle du succès des opérations menées par nos armées. Elle participe aussi directement de notre souveraineté, puisqu'elle confère un degré d'autonomie politique et stratégique inestimable en évitant, autant que possible, le recours à des productions étrangères. Enfin, les exportations d'armement constituent l'un des volets – qui n'est pas le plus négligeable – de notre politique extérieure.
L'intérêt est également économique et industriel. Les technologies et savoir-faire développés dans le secteur de la défense sont susceptibles de se diffuser dans le domaine civil, et d'irriguer toute l'économie nationale, en particulier les secteurs les plus porteurs en termes de croissance. On peut songer à l'aéronautique, ou encore aux NTIC. Avec près de 160 000 emplois directs, une dizaine de grands groupes, 4 000 PMEETI et un effort d'investissement important en matière de R&D, la défense est un secteur-clé de l'économie nationale. Par ailleurs, en exportant près d'un tiers d'un chiffre d'affaires consolidé qui s'élève à environ 16 milliards d'euros, ce secteur contribue de façon positive au commerce extérieur de la France.
Pour reprendre l'expression de certains industriels, les exportations seraient « vitales » pour la BITD. Pour les grandes entreprises et certaines PME, le chiffre d'affaires réalisé à l'export représente entre un quart et la moitié du chiffre d'affaires total. Au-delà de cette « photographie » de l'existant, la dynamique sur moyen terme est révélatrice : depuis 2005, la part à l'export de certaines entreprises a pu doubler, voire plus. Le marché mondial est donc un marché majeur – et même peut-être le marché majeur à l'avenir. La contraction des budgets de défense nationaux en Europe vient donner encore davantage de poids à cette réalité.
Les exportations constituent donc une nécessité absolue pour l'ensemble de la communauté de défense, et pas uniquement pour les industriels, nécessité qui appelle néanmoins notre vigilance.
Pour la BITD et pour l'ensemble de l'économie, les exportations constituent un relais de croissance indispensable, en compensant un certain désengagement du client national. Elles permettent le maintien voire le renforcement des chaînes de production, donc de l'emploi. Elles assurent la poursuite d'un effort substantiel en R&D et R&T ; elles permettent aussi de contenir la dégradation de la balance commerciale ; elles soutiennent la diffusion, à l'ensemble de l'économie, de nombre de produits et de technologies. Enfin, elles sont indispensables au maintien des bureaux d'études et des capacités industrielles. Le secteur de la défense est en mouvement perpétuel et il est sujet à des avancées ou des ruptures technologiques constantes. La perte de compétences et de savoir-faire critiques peut donc survenir très rapidement. Le maintien d'un effort financier et industriel « au fil de l'eau » est donc une absolue nécessité, tant la reconstitution de capacités perdues est compliquée et coûteuse.
Les exportations jouent aussi un rôle majeur pour nos armées et notre posture stratégique. Elles permettent un « effet de série » qui peut se traduire par une baisse du coût de production unitaire des matériels et, par conséquent, par une diminution du coût d'acquisition pour l'État. La vente à l'étranger oblige également à maintenir plus longtemps les chaînes de montage et d'approvisionnement en rechanges qui peuvent être nécessaires au maintien en condition opérationnelle (MCO) des forces françaises. Enfin, les développements réalisés pour les versions export des matériels peuvent bénéficier à nos armées lors des opérations de rénovation de leurs équipements.
Dernier argument, et non des moindres : le succès à l'export de certains matériels et équipements conditionne en partie l'équilibre de la LPM. Une éventuelle non-réalisation des contrats d'exportation du Rafale affecterait la logique de production de l'appareil et, par conséquent, l'équilibre financier de la programmation. Nous avons d'ailleurs collectivement identifié cette fragilité et prévu, le cas échéant, d'y parer. Ainsi, la « clause de revoyure » prévue à l'article 6 de la LPM et devant être mise en oeuvre avant la fin 2015 sera notamment l'occasion de réexaminer cette problématique. Toutefois, soyons positifs : si l'on en croit les dernières annonces effectuées par voie de presse, nous pouvons nous montrer raisonnablement optimistes.
Rappelons enfin qu'une exportation d'armement est un acte politique avant d'être un acte commercial. Les exportations sont un élément clé au service des partenariats stratégiques et des relations de défense que notre pays noue avec les puissances étrangères.