La séance est ouverte à neuf heures.
Nous allons entendre Mme Nathalie Chabanne et M. Yves Foulon, rapporteurs de la mission d'information sur le dispositif de soutien aux exportations d'armement. Nous suivons en effet tous avec attention ces questions relatives aux exportations d'armement, d'une part car certaines d'entre elles font partie de conditions de réussite de la LPM, d'autre part parce que l'avenir de notre base industrielle et technologique de défense en dépend largement, et donc notre autonomie stratégique. Aussi un rapport d'information sur la manière dont sont soutenues ces exportations paraissait-il utile, d'autant que notre commission s'est penchée sur la question des exportations d'armement dans le passé avant tout sous l'angle du dispositif de contrôle.
Mes chers collègues, je souhaiterais tout d'abord remercier notre collègue Guy Chambefort qui a suivi assidûment les auditions en notre compagnie.
Le dernier rapport que notre commission a consacré aux exportations d'armement remonte à la XIe législature. Encore faut-il préciser que le travail rendu en 2000 par nos anciens collègues Sandrier, Martin et Veyret avait pour champ d'analyse exclusif le contrôle des exportations, ainsi que M. le président vient de le rappeler.
Tout le monde ici s'en souvient, notre collègue Yves Fromion a remis, en 2006, un rapport remarqué sur « Les exportations de défense et de sécurité de la France ». Toutefois, il avait effectué ce travail en tant que parlementaire en mission, pour le compte du gouvernement.
Suite à l'adoption de la loi de programmation militaire 2014-2019, il était légitime que notre commission se saisisse à nouveau de cette question, compte tenu de l'importance que revêtent les exportations d'armement pour l'équilibre financier de la programmation.
Dans ce cadre, la mission que nous avons menée poursuivait un double objectif. Premièrement, il s'agissait de dresser un état des lieux des différentes formes de soutien. Deuxièmement, la mission avait vocation à évaluer ces différents soutiens et, le cas échéant, à proposer des pistes d'amélioration, y compris en s'appuyant sur les expériences étrangères. À cet effet, nous avons adressé un questionnaire à un certain nombre de nos représentations diplomatiques : aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Israël et en Russie, soit les principaux exportateurs mondiaux d'armement. Leurs réponses nous ont permis de disposer d'éléments de comparaison utiles.
Il ressort de notre cycle d'auditions le sentiment général suivant : ceux qui en bénéficient – les industriels – comme ceux qui le « font vivre » – les administrations au sens large, jugent le dispositif français globalement efficace. L'adverbe a son importance. Toute oeuvre humaine est perfectible et notre régime de soutien peut sans doute encore être amélioré. En outre, toutes les personnes auditionnées s'accordent sur un point et louent l'implication du gouvernement, en particulier du ministre de la Défense, et des services concernés.
Certains pourraient, à juste titre, s'interroger. Quel intérêt y a-t-il, pour notre pays, à disposer d'un système spécifique de soutien à notre industrie de défense ? Et pourquoi chercher à rendre ce dispositif plus efficace ? Ces interrogations sont pertinentes au regard du rôle moteur joué par la France pour soutenir les efforts de la communauté internationale en matière de désarmement et de maîtrise des armements. Le ministre de la Défense rappelle d'ailleurs ces engagements dans le rapport qu'il a remis au Parlement en août dernier.
Mais nous sommes ici pour évoquer l'intérêt qu'à la France à soutenir son industrie d'armement au travers de ses exportations. L'intérêt est d'abord politique et stratégique. Une base industrielle et technologique de défense (BITD) solide, capable de produire des équipements répondant au fort degré d'exigence de nos armées, est indispensable. Elle permet d'assurer l'approvisionnement de nos forces en matériels performants, nécessaires à la mise en oeuvre des priorités stratégiques décidées par l'autorité politique. Elle est une condition essentielle du succès des opérations menées par nos armées. Elle participe aussi directement de notre souveraineté, puisqu'elle confère un degré d'autonomie politique et stratégique inestimable en évitant, autant que possible, le recours à des productions étrangères. Enfin, les exportations d'armement constituent l'un des volets – qui n'est pas le plus négligeable – de notre politique extérieure.
L'intérêt est également économique et industriel. Les technologies et savoir-faire développés dans le secteur de la défense sont susceptibles de se diffuser dans le domaine civil, et d'irriguer toute l'économie nationale, en particulier les secteurs les plus porteurs en termes de croissance. On peut songer à l'aéronautique, ou encore aux NTIC. Avec près de 160 000 emplois directs, une dizaine de grands groupes, 4 000 PMEETI et un effort d'investissement important en matière de R&D, la défense est un secteur-clé de l'économie nationale. Par ailleurs, en exportant près d'un tiers d'un chiffre d'affaires consolidé qui s'élève à environ 16 milliards d'euros, ce secteur contribue de façon positive au commerce extérieur de la France.
Pour reprendre l'expression de certains industriels, les exportations seraient « vitales » pour la BITD. Pour les grandes entreprises et certaines PME, le chiffre d'affaires réalisé à l'export représente entre un quart et la moitié du chiffre d'affaires total. Au-delà de cette « photographie » de l'existant, la dynamique sur moyen terme est révélatrice : depuis 2005, la part à l'export de certaines entreprises a pu doubler, voire plus. Le marché mondial est donc un marché majeur – et même peut-être le marché majeur à l'avenir. La contraction des budgets de défense nationaux en Europe vient donner encore davantage de poids à cette réalité.
Les exportations constituent donc une nécessité absolue pour l'ensemble de la communauté de défense, et pas uniquement pour les industriels, nécessité qui appelle néanmoins notre vigilance.
Pour la BITD et pour l'ensemble de l'économie, les exportations constituent un relais de croissance indispensable, en compensant un certain désengagement du client national. Elles permettent le maintien voire le renforcement des chaînes de production, donc de l'emploi. Elles assurent la poursuite d'un effort substantiel en R&D et R&T ; elles permettent aussi de contenir la dégradation de la balance commerciale ; elles soutiennent la diffusion, à l'ensemble de l'économie, de nombre de produits et de technologies. Enfin, elles sont indispensables au maintien des bureaux d'études et des capacités industrielles. Le secteur de la défense est en mouvement perpétuel et il est sujet à des avancées ou des ruptures technologiques constantes. La perte de compétences et de savoir-faire critiques peut donc survenir très rapidement. Le maintien d'un effort financier et industriel « au fil de l'eau » est donc une absolue nécessité, tant la reconstitution de capacités perdues est compliquée et coûteuse.
Les exportations jouent aussi un rôle majeur pour nos armées et notre posture stratégique. Elles permettent un « effet de série » qui peut se traduire par une baisse du coût de production unitaire des matériels et, par conséquent, par une diminution du coût d'acquisition pour l'État. La vente à l'étranger oblige également à maintenir plus longtemps les chaînes de montage et d'approvisionnement en rechanges qui peuvent être nécessaires au maintien en condition opérationnelle (MCO) des forces françaises. Enfin, les développements réalisés pour les versions export des matériels peuvent bénéficier à nos armées lors des opérations de rénovation de leurs équipements.
Dernier argument, et non des moindres : le succès à l'export de certains matériels et équipements conditionne en partie l'équilibre de la LPM. Une éventuelle non-réalisation des contrats d'exportation du Rafale affecterait la logique de production de l'appareil et, par conséquent, l'équilibre financier de la programmation. Nous avons d'ailleurs collectivement identifié cette fragilité et prévu, le cas échéant, d'y parer. Ainsi, la « clause de revoyure » prévue à l'article 6 de la LPM et devant être mise en oeuvre avant la fin 2015 sera notamment l'occasion de réexaminer cette problématique. Toutefois, soyons positifs : si l'on en croit les dernières annonces effectuées par voie de presse, nous pouvons nous montrer raisonnablement optimistes.
Rappelons enfin qu'une exportation d'armement est un acte politique avant d'être un acte commercial. Les exportations sont un élément clé au service des partenariats stratégiques et des relations de défense que notre pays noue avec les puissances étrangères.
Pour l'ensemble de ces raisons, l'existence d'un dispositif de soutien public aux exportations d'armement est parfaitement légitime.
Nous n'allons pas abuser de votre patience en formulant des constats que vous connaissez déjà sur l'état du marché et de la concurrence, et sur le fait que le commerce des armes n'est pas une activité ordinaire et que, à ce titre, elle est strictement et très légitimement encadrée. Nous n'allons pas non plus vous assommer de considérations purement descriptives sur le dispositif français de soutien. Vous trouverez de longs développements consacrés à ces différents sujets dans le rapport.
Nous nous contenterons de dire que plus que de « soutien » au singulier, il convient de parler « des soutiens » au pluriel, tant le dispositif français est multiforme : soutien politique et diplomatique ; technique et administratif avec la DGA ; financier avec Coface ; fiscal ; opérationnel, grâce aux actions de nos armées ; procédural avec la douane.
Nous allons en revanche vous présenter nos principales observations et recommandations parmi les 23 que nous avons formulées, en commençant par un rapide panorama des points forts et des points faibles de l'industrie française. Certains ne seront pas abordés dès lors qu'ils échappent à la portée de l'action publique et industrielle nationales –nous pensons à la question du cours eurodollar –, ou parce qu'ils étaient beaucoup trop complexes et spécifiques pour être traités dans le cadre de notre mission et relevaient, en réalité, de la compétence d'autres commissions – nous pensons par exemple à la notion de coût du travail.
Au titre des points positifs, on peut relever :
– le choix historique d'autonomie industrielle en matière de défense qui, au fil du temps, a permis aux industries françaises de couvrir une large part du spectre des matériels ;
– une réputation d'acteur majeur et indépendant sur la scène internationale, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies ;
– la qualité des prestations proposées, avec une palette large de produits, du matériel fiable, efficace et éprouvé en opérations ;
– l'excellence opérationnelle de nos armées qui rejaillit sur les matériels et permet d'associer un concept d'emploi à la « simple » fourniture d'équipements ;
– le caractère sophistiqué des productions – encore que cet argument soit à double tranchant. Il est un possible facteur d'économies à long terme, avec de moindres obsolescences ou encore une meilleure adaptabilité. Il est également garant de l'efficacité des produits et de la sécurité de ceux qui les opèrent.
Quant aux points négatifs, sont fréquemment cités :
– une possible ultrasophistication des matériels, qui a conduit à « oublier la rusticité » et qui entraîne des matériels coûteux à l'achat, même pour nos armées, et hors de portée budgétaire pour certains États à l'exportation ;
– une prise en considération parfois imparfaite des besoins du client, couplée à une certaine arrogance dès lors que l'on cherche à « forcer la main » du client ou à définir ses besoins à sa place ;
– un défaut de solidarité entre industriels et une capacité limitée à coordonner leurs actions et leurs stratégies, pouvant conduire à une compétition fratricide, au risque de perdre des marchés au profit de la concurrence ;
– une priorité politique souvent donnée aux « gros » contrats symboliques, parfois au détriment de prospects peut-être plus modestes mais plus facile à concrétiser ;
– une taille critique des entreprises qui n'était pas toujours atteinte ;
– une propension aux « effets d'annonce » parfois prématurés, tant au niveau du politique que de l'industriel.
Ce panorama général étant dressé, nous en venons à nos principales observations. Elles peuvent être regroupées en neuf thèmes.
Le premier a trait au développement du soutien politique.
L'un de nos sujets d'attention a été le rôle du Parlement dans le dispositif de soutien.
Si l'information du Parlement a progressé, avec la présentation annuelle du rapport sur les exportations d'armement, l'implication concrète et le rôle des parlementaires dans le dispositif restent manifestement marginaux.
Nous estimons que la « diplomatie parlementaire » pourrait, lorsque cela est envisageable, venir en appui de nos entreprises et de notre gouvernement, dès lors que les parlementaires disposeraient des informations utiles.
Les négociations relatives aux exportations sont certes un art délicat et difficile, et il n'est pas nécessairement avisé de multiplier les acteurs concernés. Toutefois, les relations bilatérales entre parlements nationaux, l'existence de groupes d'amitié, les liens personnels qui peuvent unir tel parlementaire à tel pays pourraient utilement et plus régulièrement être mobilisés à cet effet. C'est pourquoi nous préconisons de recourir davantage à cette forme de diplomatie.
Nous proposons également que le Parlement soit associé au dispositif de contrôle des exportations. Une réelle demande s'exprime à ce sujet, ainsi qu'en témoignent les amendements que nos collègues Écologistes avaient présentés en LPM et qui visaient à la création d'une délégation parlementaire aux exportations de matériels de guerre. Sans aller jusque-là, nous préconisons de nommer des parlementaires au sein de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Celle-ci perdrait alors de fait son caractère « interministériel ».
Ce domaine relevant, par nature, de la compétence du pouvoir exécutif, les représentants du Parlement pourraient se voir reconnaître un rôle de membre observateur susceptible de formuler des observations. Mais, au moins, le Parlement deviendrait partie prenante au dispositif.
En matière d'exportations d'armement, la réactivité politique, la profondeur et le suivi au long cours de relations à haut niveau sont indispensables. C'est pourquoi la création d'un secrétariat d'État en charge des exportations d'armement pourrait être envisagée. Rattaché au ministère de la Défense, l'action de celui-ci serait exclusivement consacrée à cette mission. Il deviendrait ainsi l'interlocuteur unique, permanent et à temps plein vis-à-vis de nos clients étrangers. Il serait en mesure de suivre l'ensemble des prospects y compris les plus modestes, et permettrait le développement de relations privilégiées dans la durée.
Compte tenu des autres priorités du ministre de la Défense, il est en effet parfois malaisé d'assurer une présence politique suivie sur l'ensemble des prospects et des zones, notamment ceux qui ne sont pas jugés immédiatement prioritaires. En outre, la création d'un tel poste revêtirait une importance symbolique forte à l'égard de nos partenaires et potentiels clients, en démontrant toute l'importance que notre pays attache à cette question et à la satisfaction de leurs demandes.
Nous estimons par ailleurs, et c'est notre deuxième axe d'analyse, qu'il convient de mettre l'accent sur les PME
Il ne s'agit pas de jouer « David contre Goliath ». Mais le fait est que les petites entreprises ont, par construction, davantage besoin du soutien des pouvoirs publics que les grands groupes. À cet égard, différentes recommandations peuvent être formulées.
La première est très simple et concerne la connaissance – ou l'absence de connaissance – qu'ont les PME des mécanismes de soutien. L'action de la direction générale de l'armement (DGA) en particulier est déterminante, mais elle demeure souvent méconnue des PME. Ainsi, les représentants du Comité Richelieu nous ont affirmé que 75 % des entreprises interrogées affirment ne pas être suffisamment informées des dispositifs de soutien existants.
La DGA a mis en place un certain nombre de mesures qui sont très appréciées : les Journées PME Export, qui sont souvent menées en partenariat avec les chambres de commerce et d'industrie locales ; ou encore la création d'un guichet et d'un numéro Vert PME-Export. Nous saluons les efforts constants et positifs entrepris, mais nous plaidons également pour un renforcement des actions en la matière.
Le Pacte Défense PME commence à porter ses fruits et bénéficie de premiers retours très positifs. Certaines améliorations peuvent toutefois lui être apportées.
La première est purement formelle. Il s'agit, dans une volonté de transparence et d'équité, de porter à la connaissance des PME le contenu de conventions que l'État conclut avec les grands groupes dans le cadre du Pacte. Les PME en sont demandeuses et les grandes entreprises n'y sont pas opposées.
Sur le fond maintenant. Il semble que le label « DGA testé » ne rencontre pas le succès escompté. Comme son nom l'indique, il permet aux PME de faire tester leurs produits par les équipes de la DGA. Ce label se limite à attester que le produit a été testé selon les processus en vigueur à la DGA ; il n'a pas de valeur de certification de performance. En d'autres termes, il ne confère en aucun cas un certificat de bon fonctionnement du matériel, mais prouve uniquement que celui-ci est conforme à une liste de spécifications techniques.
De fait il ne porte ni ne fournit au futur client aucun jugement qualitatif sur le produit testé. Or, c'est bien le caractère opérationnel d'un matériel qui importe au client. Aussi, nous recommandons de changer la philosophie du label et de le transformer en label « Testé en conditions opérationnelles », bien plus utile et plus à même d'emporter la conviction de l'acheteur potentiel. Il est probable que la mise en oeuvre d'un tel label serait plus onéreuse pour la DGA, et donc pour les PME. Nous estimons cependant qu'il pourrait être expérimenté.
Nous préconisons également de renforcer le dispositif dit « article 90 » au bénéfice des PME. Sans rentrer dans des détails techniques que vous trouverez dans le rapport, je rappelle qu'il s'agit d'un mécanisme d'avances remboursables qui a vocation à favoriser l'exportation de certains matériels d'armement, en réduisant le risque supporté par les industriels au cours de l'industrialisation. Il est ouvert à tout type d'entreprises, les PME comptant pour un tiers des bénéficiaires selon les dernières statistiques. Ce mécanisme a par exemple permis d'aider au développement du moteur de l'A400M, l'industrialisation d'équipements destinés au canon d'artillerie CAESAR, ou encore des adaptations de blindés VAB et Sherpa.
L'avance porte aujourd'hui sur 50 % de l'assiette des dépenses éligibles. Nous recommandons, pour les PME, d'augmenter cette quotité au-delà des 50 % actuels.
Les relations entre grands groupes et PME pourraient également être améliorées. Rappelons d'abord que les deux types d'entreprises sont en symbiose. Les grands groupes n'étant pas en mesure de produire en interne l'ensemble des composants et matériaux nécessaires à la conception de leurs produits, ils s'approvisionnent auprès des PME, assurant ainsi le plan de charge de celles-ci.
Les PME sont, structurellement, moins bien armées que les grandes entreprises pour réussir à l'export. Au-delà de possibles blocages « culturels » – maîtrise des langues étrangères par exemple, même si les progrès sont là aussi réels –, ce sont souvent les ressources humaines, techniques et financières qui, du fait de leur taille réduite, leur font défaut. Par ailleurs, le retour sur investissement d'un projet export au regard des coûts amont induits est rarement immédiat, ce qui ne favorise pas la prise de risque de certaines petites entreprises qui, parfois, hésitent à tenter un tel pari.
Aussi, les actions de portage peuvent-elles s'avérer particulièrement bénéfiques. Le portage consiste, pour une grande entreprise, à faire profiter une PME de son expérience et de ses moyens afin de l'aider à s'implanter commercialement ou physiquement sur un marché étranger.
Il semble qu'en la matière des marges de progression existent. Afin d'inciter davantage nos grands groupes dans ce domaine, nous préconisons l'octroi de garanties Coface bonifiées aux grandes entreprises qui s'engageraient à mettre en oeuvre d'un plan de portage des PME.
La troisième piste consiste à rénover le SOUTEX. Le SOUTEX regroupe les concours apportés par les armées en soutien des actions commerciales à l'exportation. Dans ce cadre, les armées répondent aux sollicitations des industriels. Ne faisant pas partie du « coeur de métier » des armées, ces actions sont réalisées à titre onéreux. Il s'agit principalement de mise à disposition de matériels et de personnels.
Notre première recommandation a trait aux modalités de « retour » des recettes de SOUTEX aux armées. En effet, une partie leur échappe et se trouve reversée au budget général de l'État. Une telle situation nous semble incompréhensible et nous plaidons par conséquent pour un retour intégral des recettes au profit des armées.
La deuxième recommandation a trait aux modalités de rémunération des armées au titre du service rendu. Si le principe est bien celui d'un paiement par l'industriel bénéficiaire, celui-ci peut demander au ministre de la Défense une gratuité totale ou partielle des prestations. Nous estimons que les armées n'ont pas à supporter le coût d'actions commerciales effectuées au profit de tiers, pour nécessaires qu'elles soient.
Certains pourront objecter qu'un coût de quelques millions d'euros est marginal au regard d'un budget global de Défense de 31,4 milliards d'euros. Nous objectons en retour que, d'une part, la fourniture de prestations à visée commerciale ne relève pas de la vocation naturelle des armées et que, d'autre part, un tel coût est tout aussi marginal pour les industriels, du moins pour les grandes entreprises. A minima, il conviendrait donc de réserver cette facilité aux seules PME.
Enfin, pour éviter que les mises à disposition ne perturbent trop les armées en rendant indisponibles certains matériels et hommes pour un certain temps, nous estimons que la mise à disposition plus systématique de vidéos de démonstration au profit des industriels, et conçues en collaboration avec eux, pourrait être utilement développée.
Notre quatrième grande recommandation est d'investir davantage le marché de l'occasion. Les missions que doit remplir l'armée française et la mise en oeuvre de nos priorités stratégiques supposent que nos forces disposent d'équipements et de matériels de pointe, nécessitant des savoir-faire complexes. Or, toutes les armées potentiellement clientes n'ont pas forcément l'utilité de tels matériels.
Il pourrait donc être intéressant de renforcer la place de la France sur le marché de l'occasion. Cela permettrait d'enregistrer des recettes ; d'amoindrir le coût de stockage des matériels retirés du parc opérationnel ; de réduire les coûts de démantèlement ; et enfin de conquérir ou de renforcer des positions sur certains marchés et pays qui pourraient en outre, s'ils étaient satisfaits de la « marque France », acquérir par la suite des produits plus complexes.
Le marché de l'occasion ne constitue certes pas une solution miracle. Contraintes budgétairement, nos armées « tirent » au maximum leurs matériels et les « cannibalisent » pour disposer de pièces de rechange dans le cadre du MCO.
Toutefois les données semblent encore parcellaires en la matière. Nous manquons de vision et d'anticipation. Nous proposons donc d'élaborer un plan stratégique de la valorisation de la fin de vie des matériels et de l'occasion. Il conviendrait également de procéder à un audit de l'état du parc existant et des stocks, comprenant une évaluation du coût minimal de leur remise à niveau, et une étude de ciblage des potentiels clients export.
Il est également nécessaire de maîtriser davantage les offsets et notamment les transferts de technologie.
Les offsets ou, en bon français, les compensations, regroupent les différentes demandes exprimées par le client vis-à-vis de l'exportateur. Elles sont très variées et peuvent aller de l'exigence d'une part de production locale aux transferts de technologie, en passant par des actions de formation ou la participation à la R&D.
En la matière, et particulièrement en ce qui concerne les transferts de technologie, nous devons être particulièrement vigilants et nous prémunir contre ce qui nous avons dénommé le « syndrome Frankenstein ». Il est nécessaire de limiter de tels transferts à des technologies non critiques. Au-delà de la nécessité de protéger des technologies potentiellement sensibles, il s'agit de conserver un temps d'avance sur nos concurrents. Il convient de maintenir l'avantage compétitif de notre industrie et de ne pas le sacrifier sur l'autel de préoccupations de court terme, au risque de contribuer à créer ou à renforcer des concurrents, en les faisant bénéficier de technologies de premier ordre.
Aussi préconisons-nous d'affiner le travail de recensement et de cartographie des entreprises – TPE, PME et ETI en particulier –, compétences et technologies critiques afin de savoir à quels niveaux se situent les risques potentiels, y compris en matière de rachat d'entreprises par des sociétés étrangères.
Nous estimons également qu'il faut encourager la création de cellules de suivi des offsets au sein des entreprises. Si elles existent au sein des grandes entreprises, tel n'est pas forcément le cas dans les PME. De telles cellules pourraient être individuelles ou communes, par mise en commun des moyens dès lors que cela s'avère possible eu égard aux exigences relatives au secret des affaires et à la propriété intellectuelle. Les services de l'État – notamment la DGA –, de même que les grandes entreprises pourraient utilement apporter leur concours aux PME dans ce sens. Au final, tous ont intérêt à une protection efficace des technologies critiques et à un transfert maîtrisé des autres technologies.
Nous allons maintenant évoquer la question du régime américain de Foreign Military Sales (FMS). Le FMS constitue un sujet de débat récurrent, abordé par l'ensemble des acteurs de la communauté de défense et présenté parfois comme la référence ultime, voire la solution miracle en matière de politique d'exportations d'armement.
En réalité, l'analyse du dispositif tend à démontrer que l'argument un peu facile consistant à réclamer la mise en place d'un « FMS à la française » calqué sur le régime américain est parfaitement illusoire.
Quelques rappels. Institué en 1968, le dispositif FMS voit le gouvernement des États-Unis se substituer à l'industriel exportateur et négocier directement avec l'État client pour transférer produits et services de défense. En substance, cette négociation entre les plus hautes autorités des deux États concernés permet à l'industrie américaine de contourner la mise en concurrence pour exporter ses matériels dans les pays alliés.
Son corollaire traditionnel est le dispositif Foreign Military Financing (FMF). Il s'analyse comme un programme d'assistance financière à destination des clients de l'industrie américaine. Par ce biais, le gouvernement américain accorde à certains pays acheteurs des financements ou des prêts théoriquement remboursables. Schématiquement, les États-Unis rendent une partie de leurs clients artificiellement solvables et subventionnent indirectement leur industrie de défense, lui permettant alors de prendre pied ou de consolider ses positions sur les marchés concernés.
Le dispositif bicéphale FMSFMF repose en dernière analyse sur la puissance sans pareille de l'industrie de défense et de l'administration américaines, sur l'effet de masse de sa production à destination de la première armée du monde, et sur la puissance financière et monétaire des États-Unis. Si l'on ajoute à ce dispositif unique la réglementation ITAR (International Traffic in Arms Regulations) et ses effets sur la concurrence, les États-Unis disposent sans aucun doute du mécanisme de soutien aux exportations d'armement le plus efficace – ou le plus agressif – au monde.
Le dispositif FMSFMF repose donc sur deux piliers majeurs : des stocks de matériels conséquents ; des liquidités mobilisables pour accorder des prêts publics ou actionner la garantie de l'État.
Or, nous le savons : la France ne dispose pas de tels leviers d'action. Les industriels français ne « surproduisent » pas, et l'octroi massif de prêts ou la création d'une « garantie FMS » consolidée au niveau de la dette publique et potentiellement mobilisable ne semble pas une perspective réaliste.
En outre, il faut souligner que, dans le cadre du dispositif FMS, c'est l'administration qui « tient les rênes » du système et non l'industrie, qui reste largement exclue de la procédure. Or, il n'est pas certain que les industriels français seraient favorables à la perspective d'abdiquer leurs prérogatives au profit de l'État, et de rester cantonnés à un rôle relativement passif quant à la conclusion de contrats majeurs, en acceptant de n'avoir qu'une relation très indirecte et épisodique avec le client.
Pour l'ensemble de ces raisons, un décalque intégral du dispositif américain est inenvisageable.
Reste le volet politique. Il peut s'incarner soit dans un recours plus régulier aux services de la société ODAS, dès lors que le client est demandeur, soit dans la création de contrat « mixtes » avec des contrats commerciaux entre entreprises « chapeautés » par un accord intergouvernemental. Ils permettraient d'offrir au client un élément de sécurisation supplémentaire, notamment dans l'hypothèse où l'État français s'engagerait à assurer un certain nombre de services.
Autre thème d'analyse : l'adaptation du contrôle. Nous ne reviendrons pas sur les procédures de contrôle à l'exportation par la CIEEMG et sur la réforme de ce contrôle. Elles avaient fait l'objet d'un rapport très complet de notre collègue Yves Fromion, alors rapporteur du projet de loi de 2011 portant transposition du « paquet Défense ». Notre rapport les présente de manière détaillée.
De l'avis pour ainsi dire unanime des industriels, la réforme est positive et devrait notamment permettre de fluidifier les échanges et d'améliorer les délais de traitement.
Toutefois, les procédures de contrôle a posteriori pourraient évoluer afin de les rapprocher davantage de la vie et des contraintes des entreprises. On pourrait par exemple inciter au développement du contrôle interne des sociétés dans le domaine du « contrôle export ». L'administration pourrait auditer et labelliser les processus mis en oeuvre au regard de standards minimum qui attesteraient de la qualité du contrôle interne.
Le huitième axe a trait au développement de notre influence normative.
Le soutien aux exportations ne relève pas uniquement du niveau national et de l'implication des pouvoirs publics de chaque pays. Il relève, par nature, d'un « écosystème » et d'un ensemble de normes globaux. Or, ces normes, parce qu'elles sont le résultat de rapports de force, ou parce qu'elles ne sont pas appliquées de la même manière par tous les États concernés, peuvent créer des distorsions de concurrence préjudiciables aux industriels.
Sans prétendre à l'exhaustivité, on peut évoquer à titre d'exemple trois domaines dans lesquels la France ou l'Europe pourraient agir.
Le premier concerne la Convention OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, que tous les pays ne semblent pas respecter avec le même degré d'exigence que le nôtre. Il est évidemment hors de question que la France renonce aux efforts accomplis. En revanche, et avec l'aide d'autres États respectueux de cette convention, elle doit peser au sein de l'OCDE afin que les États moins avancés en la matière se conforment réellement à ces stipulations.
Le deuxième a trait aux règles américaines dites ITAR qui peuvent s'avérer particulièrement contraignantes pour l'activité export des entreprises non-américaines.
Beaucoup de sociétés françaises et européennes intègrent des composants américains dans de nombreux matériels. Or, dès lors que ces composants sont soumis à la réglementation ITAR, et que l'entreprise les a intégrés dans un produit qu'elle destine à l'export, elle doit obtenir l'accord préalable des autorités américaines avant de pouvoir procéder à toute opération commerciale.
À cet égard, la France devrait faire front commun avec ses partenaires européens et mettre en avant la qualité des systèmes nationaux de contrôle des exportations au sein de l'Union européenne, afin de rassurer les autorités américaines.
Dans l'idéal et compte tenu des questions de maîtrise technologique et de souveraineté sous-jacentes – parfaitement compréhensibles au demeurant –, on pourrait imaginer la mise en place d'un système de reconnaissance mutuelle a minima entre pays alliés sûrs concernant un certain nombre de matériels, équipements et composants.
Le troisième domaine relève de la seule compétence de l'Union européenne puisqu'il concerne l'harmonisation, encore limitée, des régimes nationaux de contrôle des exportations. Pour des raisons évidentes – souveraineté, autonomie stratégique et diplomatique, responsabilité des gouvernements –, ces systèmes doivent demeurer de la compétence des États. Toutefois, et sans sacrifier pour autant leur cohérence et leur solidité, il est sans doute possible d'harmoniser davantage certaines procédures. Cela permettrait de rendre encore plus fluides les échanges et de sécuriser davantage les industriels. Je rappelle que la directive relative aux transferts intracommunautaires, dite directive TIC, pourrait faire l'objet d'une révision en 2016.
Au-delà, l'actualité démontre qu'il convient également de prévenir la mise en place d'une sorte d'ITAR au sein même de l'Union européenne.
Nous l'avons rappelé : l'exportation d'armement est avant tout un acte politique, de souveraineté, qui engage la responsabilité de chaque gouvernement. Toutefois, il ne faudrait pas que certaines décisions ou prises de positions politiques dans tel pays de l'Union européenne affectent, par ricochet, les autres États membres et leurs entreprises. M. Sigmar Gabriel, ministre allemand de l'Économie et vice-chancelier, a récemment affirmé souhaiter conduire une politique restrictive en matière d'exportations d'armement. Une telle volonté n'appelle pas d'observations particulières, dès lors qu'il s'agit d'une politique déterminée souverainement par le gouvernement allemand et qui a naturellement vocation à s'appliquer aux entreprises allemandes. En revanche, elle ne doit pas produire d'effets collatéraux sur les autres États membres en empêchant les opérations export d'autres entreprises européennes, au motif que les produits qu'elles proposent comprendraient des composants allemands.
Pour ce qui concerne la France, il n'est sans doute pas inutile de rappeler les stipulations de l'article 2 de l'accord dit Debré-Schmidt de 1971-1972 : « Aucun des deux gouvernements n'empêchera l'autre gouvernement d'exporter ou de laisser exporter dans des pays tiers des matériels d'armement issus de développement ou de production menés en coopération. »
Le même article prévoit qu'un gouvernement peut opposer un refus à l'exportation de composants d'un projet commun. Mais de tels refus doivent demeurer exceptionnels et, le cas échéant, ils doivent au préalable faire l'objet d'une consultation approfondie entre les deux parties. Il n'est pas tout à fait certain que la seconde condition ait été remplie en ce qui concerne les récents contrats impliquant des entreprises françaises. En outre, les déclarations du ministre allemand de l'Économie laissent à penser que l'exceptionnel a vocation à devenir permanent.
Le rapport publié en 2000 par notre commission avait souligné que ces accords avaient déjà fait l'objet par le passé de quelques « accrocs » dans leur mise en oeuvre. Il reste que, compte tenu des liens toujours plus étroits unissant nos deux pays, toute forme d'unilatéralisme prononcé poserait des difficultés considérables pour la poursuite des coopérations industrielles, essentielles pour l'avenir de l'Europe de la défense.
Un dernier point, qui ne relève pas du dispositif de soutien à proprement parler ou de l'action des pouvoirs publics, consiste à construire « l'équipe de France » de l'export. Le succès de nos entreprises à l'exportation dépend sans doute, avant tout, des industriels eux-mêmes et, au-delà des produits qu'ils proposent, de leur « mentalité » et des stratégies qu'ils adoptent.
Nous l'avons entendu à plusieurs reprises : contrairement à d'autres pays qui « chassent en meute », comme l'Allemagne, « l'équipe de France » semble parfois agir en ordre dispersé.
Il convient d'éviter à tout prix les luttes fratricides qui peuvent entraîner, notamment, des surenchères en termes de spécifications et des stratégies de « dénigrement croisé » au risque de perdre les marchés.
Compte tenu de la sensibilité du domaine et de ses implications, y compris en termes politiques et stratégiques, et si les industriels eux-mêmes s'avèrent incapables d'aplanir leurs différends et de présenter un front uni, il appartient à l'État d'encourager la coopération entre eux et de jouer un rôle d'arbitrage. La concurrence est nécessaire, mais il faut parfois la tempérer afin qu'elle n'aboutisse pas à un échec collectif.
Au-delà des problématiques industrielles et actionnariales objectives, la question de la solidarité est avant tout culturelle. Pour reprendre une image populaire, notre BITD doit s'affranchir de quelques cas persistants d'un autre syndrome, celui du « village d'Astérix ».
Il ne s'agit évidemment pas de généraliser, mais peut-être existe-t-il aussi dans ce domaine des pistes d'amélioration qui, celles-là, ne relèvent pas des pouvoirs publics.
Nous vous remercions.
Merci pour ce rapport qui porte sur des sujets parfois arides et compliqués mais qui ont des implications majeures pour notre politique de défense et nos armées.
Je souhaitais féliciter nos collègues pour cet excellent rapport ; ils ont déjà quasiment répondu aux questions que je me posais. Vous avez évoqué à juste titre le « refitage industriel » et le marché des véhicules d'occasion. Il convient en effet d'insister sur la nécessité de mettre en place une véritable filière industrielle dans ce domaine. Dans la région PACA, nous avons par exemple développé un pôle de compétitivité – dit PEGASE – concernant les hélicoptères. Nous éprouvons beaucoup de difficultés à faire comprendre aux décideurs la nécessité d'investir dans ce domaine. Par ailleurs, vous avez souligné le grand nombre d'acteurs intervenant en matière d'exportation d'armement, ce qui rend le système peu lisible. Je suis pour ma part persuadé que la clef du succès consiste à se tourner vers les PME. Cent cinquante PME de la région PACA, qui ne disposaient pas de l'information nécessaire, sont ainsi venues récemment examiner les voies et moyens de se tourner vers l'exportation. Je suis en revanche dubitatif sur votre proposition de créer un secrétariat d'État dédié aux exportations d'armement qui serait rattaché au ministère de la Défense. C'est à mon sens une fausse bonne idée dans la mesure où c'est la transversalité – ministère de la Défense, de l'Économie et des finances – qui compte en la matière. Là où le bât blesse, c'est que des organismes comme la Compagnie française d'assurance pour le commerce extérieur (Coface) ou l'Agence française pour le développement international des entreprises (Ubifrance), qui accompagnent les entreprises à l'export, ne sont parfois pas au rendez-vous.
Je tiens à souligner la qualité d'un travail qui me semble particulièrement exhaustif. Vous avez en particulier insisté sur le rôle du politique, de l'exécutif et de la diplomatie. Il n'en demeure pas moins qu'à l'arrivée, ce sont des considérations économiques, techniques et financières qui entrent en ligne de compte. Par ailleurs, il existe des décisions politiques qui empêchent ou reportent les exportations et je pense naturellement au cas des bâtiments de projection et de commandement (BPC) de type Mistral dont la livraison à la Russie est reportée à cause des événements en Ukraine. Le fait de bloquer cette exportation pour des raisons politiques majeures peut aussi s'appuyer sur des raisons non exprimées qui tiennent, en l'espèce, à ce que des pays de l'Est apprécient la fermeté française et pourraient, comme la Pologne vis-à-vis de nos hélicoptères, être de futurs acheteurs. Mais rien n'est moins sûr et cette posture française peut même détourner de futurs acheteurs de nos marchés. N'y a-t-il pas là un risque de perdre sur les deux tableaux ?
Je souhaite également adresser mes félicitations aux rapporteurs. Quelle évaluation faites-vous du dispositif d'accompagnement des exportations fait par la direction internationale de la direction générale de l'armement (DGA), notamment en comparaison des dispositifs proposés dans les autres pays européens ?
J'aimerais revenir sur la diplomatie parlementaire et la nécessité de soutenir nos entreprises nationales. Nous y sommes tous favorables, mais la question est : qui finance cette diplomatie ? Le Parlement n'a pas les moyens d'y consacrer des moyens supplémentaires et le déontologue de l'Assemblée nationale nous interdit de voyager aux frais de nos industriels. Comment peut-on faire ?
Pour ce qui concerne la remise en cause de l'accord Debré-Schmidt, cela doit nous inciter à avoir une réflexion sur le rapprochement de certaines de nos entreprises, notamment entre Nexter et KMW. Quelles seraient les conséquences de ce rapprochement, sachant que l'Allemagne bloque nos exportations quand elle souhaite ?
Est-ce que la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN a eu un impact sur sa capacité à influer sur l'évolution normative de l'Alliance ?
Je vais d'abord répondre à notre collègue Vitel sur les véhicules d'occasion. Nous avons auditionné des industriels qui sont en charge de remettre en état des matériels avant de les vendre à l'étranger. C'est un dispositif qui est en train de monter en puissance. Il y a une prise de conscience à ce sujet, mais il ne faut cependant pas y voir une solution miracle : les volumes concernés ne sont pas très élevés et les matériels militaires sont généralement poussés au bout de leurs limites du fait des contraintes budgétaires. Il faut néanmoins continuer à explorer cette voie.
J'en viens à la multiplication des acteurs de la politique d'exportation et au soutien aux PME. Nous avons des PME qui sont très pointues et qui jouent un rôle majeur dans le secteur de la défense. Elles sont vitales au secteur et il convient de les accompagner. Nos attachés de défense dans les différentes ambassades ainsi que les ambassadeurs sont très impliqués dans l'exportation et font un travail remarquable. Il convient, a minima, de maintenir ce niveau, voire de le renforcer. Il faut avoir des zones d'intérêt bien définies et s'appuyer sur les compétences de notre réseau diplomatique pour appuyer plus spécialement les PME, les grands groupes ayant déjà leurs propres réseaux.
En matière internationale, la DGA a un rôle prépondérant et de l'avis quasi-unanime des industriels, cela fonctionne assez bien. Nous ne sommes donc pas en retrait par rapport aux autres États européens, notre dispositif de soutien est performant.
Concernant la diplomatie parlementaire, je ne crois pas que cela soit une question de coût. L'aide des parlementaires ne suppose pas forcément des déplacements à l'étranger : nous avons tous des liens plus ou moins privilégiés, en fonction de nos régions, avec certains pays étrangers et nous pouvons nous appuyer là-dessus. On ne peut en revanche pas transiger avec la déontologie.
Je reviens à présent sur la question du Mistral. Il faut rappeler que le contrat a été signé en 2011, dans un contexte géopolitique très différent de celui que nous connaissons aujourd'hui. La décision du président de la République est donc cohérente avec la réalité géostratégique actuelle. Moscou ne semble pas prêt, pour le moment, à un apaisement de la situation. La décision de notre pays prouve également que la France est un exportateur d'armement responsable. Enfin, précisons que la vente n'est pas annulée, mais simplement reportée, les conditions de livraison n'étant pas remplies aujourd'hui.
Sur cette question du Mistral, les pays de l'Est sont très attentifs à la situation en Ukraine et apprécient la fermeté de la France. On espère qu'il y aura un mouvement de retour au moment où ces pays achèteront de l'armement. Il faut donc bien nous placer pour ces marchés futurs. Mais, à l'arrivée, ne risque-t-on pas de perdre sur les deux tableaux, à savoir que les Russes ne plient pas, et que les Polonais aillent acheter leurs hélicoptères, comme d'habitude, chez les Américains ?
Nous n'avons pas évoqué dans notre rapport les conséquences de la réintégration de la France dans le commandement intégré de l'OTAN sur les normes. Le sujet du soutien était en effet déjà très vaste. Mais vous avez raison, M. le président, la question que vous évoquez mériterait une analyse plus complète.
Pour ce qui concerne le marché de l'occasion, il y a une vraie capacité qui n'est pas encore optimisée. C'est pourquoi nous proposons dans notre rapport de nous doter d'un plan stratégique en la matière. Il s'agit d'un premier pas, qui nous permettra ensuite d'aller plus loin.
Sur la question du secrétariat d'État et de la conduite de notre politique, je dirais qu'en réalité, il y a deux acteurs majeurs : l'industriel lui-même et le Gouvernement. Si le ministre de la Défense accomplit un travail de grande qualité, un secrétariat d'État pour accompagner le ministre pourrait être utile dans certains cas. C'est une proposition qui peut être débattue. Il faut également amplifier l'action du Parlement dans ce domaine. Le financement de cette politique n'est pas aujourd'hui pris en compte, Philippe Meunier a raison. Soyons francs : la diplomatie parlementaire bénéficierait en premier lieu aux industriels. Peut-être que nous pourrions bâtir une relation contractuelle et légale avec les différents groupements d'industriels, GICAN, GICAT ou GIFAS.
Pour le Mistral, c'est une décision du président de la République mais la difficulté reste entière. Si, au final, la décision était prise de ne pas livrer, il y aurait des sommes très importantes à restituer. Ce serait donc un échec financier. Nous ne pourrions pas récupérer pour notre compte ces matériels que nous ne serions pas en mesure de payer. Surtout il y aurait un problème de crédibilité générale de notre pays si l'on décidait de ne pas honorer ce contrat. Cela pourrait poser un problème pour notre politique d'exportation à l'avenir. Mais la décision finale n'étant pas encore prise aujourd'hui, on ne peut la commenter davantage.
Aucun contrat d'armement, dans aucun pays, ne se conclut sans un arbitrage politique, à un moment ou à un autre. Nous avons évoqué cette question de la diplomatie parlementaire lors du dernier bureau de la commission et la présidente a écrit au ministre de la Défense à ce sujet.
Sur ce sujet, je me souviens que « Le Nouvel Observateur » avait titré à mon sujet « Le lobbyiste en chef de la défense ». À l'époque, nous négociions avec la Corée du Sud un contrat portant sur la livraison de plus de cent hélicoptères.
Il se trouve que, dans ce pays, la décision finale dans le domaine des contrats d'armement relève de la commission de la Défense du Parlement. Nous nous étions rendus, avec plusieurs parlementaires, en Corée du Sud et, six mois plus tard, nous avions appris que le contrat avait été remporté par Eurocopter, pour un montant de cinq milliards de dollars. Lors d'une campagne électorale, j'avais été attaqué à ce sujet. J'avais alors répondu être très heureux que le contrat ait été remporté par la France et que, sans avoir perçu aucune rémunération ni gratification, j'étais particulièrement satisfait que nous ayons ainsi pu assurer de nombreuses heures de travail à nos employés de l'industrie d'armement. Selon moi, dès lors que le parlementaire ne perçoit aucune rémunération, le problème de la déontologie ne se pose pas.
Au-delà du sujet d'une éventuelle rémunération des parlementaires, qui doit effectivement être proscrite et ce quelle que soit l'industrie en question, il faut tout de même se rappeler que l'industrie de la défense et le commerce des armes sont très particuliers. À titre personnel et dans l'idéal, j'estime que nous devrions limiter, autant que faire se peut, nos exportations aux pays qui respectent les droits de l'Homme.
En outre, nous nous devons de conserver une forme de neutralité, notamment vis-à-vis des industriels. Il est important que le déontologue pose un cadre et des limites et je pense que nous agissons d'autant plus librement que ce cadre a été posé.
Je comprends les remarques de mes collègues. Pour m'être rendu dans plusieurs salons d'armement à l'étranger, on a raison de rappeler qu'il ne s'agit pas d'une industrie comme les autres, dans laquelle le politique a un rôle important. Lors du salon aéronautique ayant lieu à Langkawi en Malaisie, j'étais le seul député français alors que les États-Unis étaient représentés par dix membres du Congrès, de même que les Allemands ou les Britanniques. Or, ceux-ci démultipliaient les rencontres politiques avec leurs homologues parlementaires, les ministres ou les membres des états-majors. La vente d'armes n'est pas qu'un acte commercial, le rôle du politique est crucial et nous devons nous donner les moyens, de manière encadrée, pour que les parlementaires français puissent accompagner le DGA et les industriels sur le terrain. Les autres pays le font, c'est un handicap pour notre pays de ne pas pouvoir faire de même.
La commission autorise à l'unanimité le dépôt du rapport d'information sur le dispositif de soutien aux exportations d'armement en vue de sa publication.
Informations relatives à la commission
La commission a procédé à la désignation de rapporteurs des missions d'information suivantes :
Mission d'information sur l'état d'avancement de la manoeuvre ressources humaines :
– Mme Geneviève Gosselin-Fleury et M. Alain Marleix ;
Mission d'information sur le bilan et la mise en perspective des dispositifs citoyens du ministère de la Défense :
– Mme Marianne Dubois et de M. Joaquim Pueyo ;
Mission d'information sur l'évolution du rôle de l'OTAN :
– MM. Gilbert Le Bris et Philippe Vitel ;
Mission d'information sur les conséquences du rythme des OPEX sur le maintien en condition opérationnelle des matériels :
– M. Alain Marty et Mme Marie Récalde ;
Mission d'information sur la filière munitions :
– MM. Nicolas Bays et Nicolas Dhuicq.
La séance est levée à dix-heures quinze.