La recherche de la provenance des oeuvres s'inscrit dans la logique d'une meilleure connaissance des collections publiques, tant dans les réserves que dans les salles d'exposition. Le sigle « MNR » – musées nationaux récupération –, que peu de gens comprennent, estampille quelque 2 000 oeuvres – tableaux, sculptures ou tapisseries – volées à des musées ou à des familles pour créer le musée d'Hitler à Linz, et jamais restituées à leurs propriétaires ou à leurs ayants droit.
Entre 1945 et 1951, des dizaines d'oeuvres ont été rendues à leurs propriétaires, comme l'illustre le récent film de George Clooney Monuments men. On y voit quelques-uns des trois cent cinquante hommes, pour la plupart américains, qui ont débarqué en Normandie et sont allés récupérer jusqu'en Allemagne ou en Autriche des oeuvres qui avaient parfois été entreposées dans des carrières ou dans des mines pour constituer un musée qui n'a jamais vu le jour.
En France, sur les 2 143 oeuvres spoliées, que l'État ne possède pas mais détient à titre provisoire – même si ce délai provisoire est fort long –, seules 200 ont été restituées. Notre rapport préconise, dans un but pédagogique, de chercher un sigle plus clair qui, placé à côté du cartel des oeuvres, attirerait le regard du visiteur : « Œuvre récupérée en 1945 – Origine incertaine ». On accélérerait ainsi sans doute le traitement des requêtes. Nous préconisons aussi l'organisation d'une exposition itinérante, sur le modèle de celle de 1990, qui permettrait aux ayants droit de retrouver leurs biens.
Le film L'Antiquaire de François Margolin, projeté en avant-première à l'Assemblée nationale, illustre bien la difficulté que rencontrent les familles, comme les musées, dans leurs recherches. On entend parfois dire qu'il n'y a plus lieu de procéder à des recherches, quand les oeuvres n'ont pas été réclamées pendant soixante-dix ans. C'est faux. Après la guerre, les familles qui ont souffert de spoliations se sont imposé le silence. Les langues ne se sont déliées qu'à la troisième génération. À présent que les familles ont fait leur deuil et que le sentiment de culpabilité a disparu de part et d'autre, la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS) peut enfin rouvrir certains dossiers. Nous préconisons de faciliter l'accès des archives à tous ceux qui ont besoin d'effectuer des recherches. Il faut aussi regrouper et numériser des archives aujourd'hui dispersées entre ministères.
Dans un premier temps, les familles peuvent se rendre sur le site internet Rose-Valland – du nom de l'attachée de conservation au musée du Jeu de Paume qui a décrit dans ses carnets les oeuvres qui passaient entre ses mains et dont le travail a facilité, après la guerre, la restitution des oeuvres à leurs propriétaires. Certes, le site n'est pas mis à jour régulièrement, il contient des photographies souvent de piètre qualité et sa consultation n'est pas agréable. Néanmoins, les musées ont cherché à améliorer les fiches transmises, et fourni des photos de l'endroit, mais aussi du revers des tableaux, où se trouve parfois une indication de provenance, comme l'adresse ou le nom d'un propriétaire. Il faut à présent traduire ce site en anglais pour faciliter les recherches des nombreux descendants de victimes de la Shoah, qui vivent à l'étranger.
Si la direction des musées a longtemps préféré ignorer le sujet, c'est parce que la France éprouvait un fort sentiment de culpabilité. Pourtant, dans une position encore bien moins confortable que la nôtre, les Allemands ont su agir, dès la fin des années 1990, conformément aux principes adoptés lors de la conférence de Washington applicables aux oeuvres d'art confisquées par les nazis. Leur site lostart.de fait interagir cent dix spécialistes de la recherche de provenance travaillant dans les musées ou les bibliothèques des différents Länder.
Certes, toutes les oeuvres n'ont pas nécessairement d'origine suspecte, mais, dès lors qu'on ne peut fournir d'historique précis d'une oeuvre, il faut effectuer des recherches pour lever le doute, après quoi, toute hésitation étant écartée, l'oeuvre pourra intégrer les collections publiques. Quand son historique n'est pas connu, il faut pousser les recherches plus loin. Si la preuve d'une spoliation est apportée, on octroiera à l'oeuvre un statut particulier. On recherchera ses ayants droit de manière diligente. Si, malgré les recherches, ils ne sont pas retrouvés, la mission préconise que l'oeuvre en question soit intégrée aux collections publiques, tout en maintenant la possibilité d'un déclassement aux fins de restitution, au cas où des preuves apparaîtraient ultérieurement.
Je terminerai en revenant sur un point qu'a évoqué Michel Herbillon. À mes yeux, même si certains établissements ont peu d'oeuvres, emploient peu de personnel ou reçoivent peu de visiteurs, il n'existe pas de « petit » musée. J'ai d'ailleurs banni cette expression du rapport. En revanche, je suis sensible à la solitude du personnel scientifique. À la différence des archives, les musées ne possèdent pas de réseau, où il serait possible d'échanger des bonnes pratiques ou de valoriser l'élaboration d'outils pédagogiques, qui pourraient servir de modèles aux autres musées.
L'absence d'une telle circulation « horizontale » de l'information explique aussi le retard en matière de récolement. Certains musées se sont organisés tout seuls pour trouver des solutions adaptées à leurs collections. D'eux-mêmes, les muséums d'histoire naturelle se sont organisés en réseau S'il est vrai que les musées des Beaux-Arts doivent comptabiliser chaque oeuvre, les muséums d'histoire naturelle, compte tenu du gigantisme de leurs collections, ne peuvent inventorier que des séries.
Le rapport propose l'ouverture des musées à une communauté de chercheurs bénévoles, ces « récoleurs anonymes », pour citer le terme employé en audition par Mme Ariane James-Sarazin, directrice des musées d'Angers. Tout expert doit pouvoir apporter son aide pour faire avancer le récolement. Un travail merveilleux a ainsi été effectué sur l'herbier du Muséum national d'histoire naturelle par une vaste communauté d'internautes, qui a aidé à constituer des fiches sur les différentes plantes. Ce type d'action exige, à défaut d'argent, un changement d'état d'esprit, afin de mettre en évidence l'excellence des musées de France.