Intervention de Anne Brasseur

Réunion du 9 décembre 2014 à 17h45
Commission des affaires européennes

Anne Brasseur, présidente de l'APCE :

Je vous remercie de votre accueil. Que les membres de votre commission qui ne siègent pas à l'APCE sachent que la délégation française prend une grande part à nos travaux. Mon prédécesseur M. Mignon, qui l'a présidée, l'a rendue particulièrement active. Ses membres font entendre leur voix, notamment en tant que rapporteurs. Vous pouvez être fiers de leur contribution.

Mme la présidente m'a posé beaucoup de questions, auxquelles il me sera difficile de répondre dans le peu de temps dont je dispose, mais, puisqu'elle m'assure que je serai toujours la bienvenue, c'est avec plaisir que je reviendrai parmi vous.

Notre premier souci est l'Ukraine. En avril, nous avons suspendu le droit de vote de la délégation russe à l'APCE, sans l'exclure pour autant, car nous voulions continuer à travailler avec elle. Il est déplorable qu'à la suite de notre décision, la délégation ait décidé de ne plus participer à nos travaux. J'ai donc pris contact avec elle, afin que nous continuions à nous voir et à nous parler. Dans le même temps, j'étais en relation avec le Parlement ukrainien. Nous sommes allés à Kiev en mars, avant que n'éclatent les grandes violences. Nous nous sommes également rendus à Donetsk, alors que l'atmosphère était déjà tendue – bien moins, toutefois, qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Il faut insister pour que l'Ukraine réforme rapidement sa Constitution. Dans le système actuel, la justice n'est pas indépendante. Le système électoral permet qu'on achète des sièges au Parlement. La corruption est considérable. Le Conseil de l'Europe possède des instruments qui peuvent aider le pays. J'espère que la nouvelle majorité aura à coeur de se réformer, car, pour l'heure, les institutions ne fonctionnent pas, ce qui rend l'État vulnérable. Dans ce domaine, le Conseil de l'Europe a un rôle à jouer.

Sur les événements du Maïdan et d'Odessa, l'impunité est impossible. Le secrétaire général du Conseil de l'Europe, M. Jagland, a mis en place un panel de surveillance pour suivre le déroulement des enquêtes. Le premier rapport sur le Maïdan sera bientôt présenté, puis complété. Les recherches vont se poursuivre en ce qui concerne Odessa.

Nous avons invité le président de la Douma à se rendre à Paris, où nous l'avons rencontré le 2 septembre. La discussion n'était pas facile, mais, le 13 novembre, quand nous nous sommes rendus à Moscou, nous avons constaté qu'il avait changé d'attitude. Nos interlocuteurs tiennent à collaborer avec le Conseil de l'Europe. En janvier, quand nous vérifierons les pouvoirs de toutes les délégations nationales, une trentaine de parlementaires demanderont à ce que nous statuions sur ceux de la délégation russe. Nos homologues russes savent que, s'ils veulent disposer de la totalité de leur pouvoir, ils doivent avancer dans la bonne direction. Ce n'est pas encore le cas, mais on peut espérer qu'un cessez-le-feu interviendra avant la fin janvier. De notre côté, nous ferons tous les efforts pour rester en contact avec eux, car la diplomatie parlementaire doit continuer à s'exercer. À quoi sert-elle ? Je l'ignore, mais je sais que la plus mauvaise solution serait de ne rien faire.

La montée de l'intolérance, du racisme et de l'antisémitisme, dans tous les pays – même en France – est un autre sujet de préoccupation. Nous allons créer une plateforme parlementaire afin d'assurer un relai vers les parlements nationaux. Pour combattre les mouvements extrémistes, qui tentent d'attaquer les minorités, les partis démocratiques devront mettre de côté les clivages politiques. Nous continuerons également de mener auprès des jeunes une action contre le discours de haine.

Nous nous battons aussi en faveur des personnes vulnérables. Le problème des migrations concerne les quarante-sept pays membres du Conseil de l'Europe, qui ne peut laisser à l'écart ceux du pourtour de la Méditerranée. Je viens d'évoquer le problème avec la garde des Sceaux. Je m'en suis également entretenu avec des responsables de l'Union européenne. Nous devons définir une politique pour protéger ces populations. Je sais que l'Assemblée nationale examine en ce moment même un projet de loi relatif au droit d'asile. Le sujet est délicat : il faut accélérer les procédures, tout en améliorant les normes de recours. Le Conseil de l'Europe peut vous aider à concilier le souci de l'efficacité et de la protection.

Vous m'avez interrogée sur la Convention européenne des droits de l'homme et les arrêts de la Cour, qui doivent faire l'objet d'un suivi parlementaire. Nombre de pays membres possèdent une commission dédiée. D'autres confient ce rôle à une sous-commission de la commission des lois. Les parlementaires, qui ont le devoir de contrôler le Gouvernement, doivent veiller à ce que celui-ci donne une suite aux décisions de la Cour. Je vous engage à imiter les pays qui se sont dotés d'une commission transversale vérifiant la conformité des projets de loi avec la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour européenne des droits de l'homme est attaquée dans différents pays, comme la Grande-Bretagne, où deux de ses décisions ont été délibérément déformées.

Sachant qu'en Grande-Bretagne, toute personne condamnée à une peine de prison, même minime, perd le droit de vote, la Cour a affirmé le principe d'une gradation. Elle n'a jamais prétendu qu'il fallait donner le droit de vote à tous les prisonniers, même si la presse, confondant à dessein la Cour et l'Union, a affirmé que Bruxelles voulait laisser voter les violeurs et les tueurs.

De même, la Cour n'a pas interdit le principe des condamnations à perpétuité. Elle considère seulement qu'il faut se donner les moyens de revoir de temps en temps certaines condamnations. M. Cameron a déclaré que, s'il était à nouveau Premier ministre, le tribunal britannique serait le juge suprême et que le Parlement aurait son mot à dire. Cette position, qui ne respecte pas la séparation des pouvoirs, me semble très grave.

J'en viens à l'adhésion de l'Union européenne à la Convention européenne des droits de l'homme. Dès lors qu'il a été adopté, le traité de Lisbonne doit être mis en oeuvre. Toutefois, la procédure prévoit que la Cour de Justice de l'Union européenne rende un avis, qui sera publié le 18 décembre. La Convention européenne des droits de l'homme ayant vocation universelle, elle doit s'appliquer de la même manière aux ressortissants des pays membres du Conseil de l'Europe, qu'ils appartiennent ou non à l'Union.

Le hasard fait bien les choses. Nos relations avec les représentants des instances européennes sont excellentes, qu'il s'agisse de M. Schulz, président du Parlement européen, de M. Juncker, président de la Commission, ou de Mme Mogherini, Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, qui a siégé dans notre assemblée.

Le Conseil de l'Europe me semble plus important que jamais. Si quarante-sept États y siègent, qui ont signé la Convention des droits de l'homme, on peut s'inquiéter de l'évolution de certains pays. En Azerbaïdjan, beaucoup de nos partenaires, défenseurs des droits de l'homme, sont en prison, comme les avocats qui les défendent. D'autres pays tentent d'opposer nos valeurs à leurs valeurs traditionnelles. Or les membres du Conseil ont souscrit à nos valeurs, qui sont donc aussi les leurs.

Je regrette que les États aient décidé que la croissance de notre budget serait nulle, ce qui signifie que nos finances sont en diminution. Certains ont pris cette décision pour ménager leur équilibre budgétaire, d'autres pour éviter que, prenant de l'ampleur, le Conseil ne leur rappelle leurs droits et leurs devoirs.

Celui-ci n'est pas une salle d'attente, dans laquelle les États patienteraient avant d'adhérer à l'Union. D'ailleurs, des États membres, comme la Suède et la Norvège, n'ont pas vocation à y entrer. Le Conseil de l'Europe ne fait ni de la géopolitique ni de la sécurité ni de l'économie ; il s'intéresse aux droits de l'homme, à l'État de droit et à la démocratie.

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