Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d’État, chers collègues, c’est à un moment particulier qu’a lieu notre débat sur la stratégie numérique de la France. Notre attention se concentre sur les réseaux sociaux et sur l’internet en général, à la fois vecteur de radicalisation et de circulation de la propagande djihadiste et espace global de mobilisation citoyenne, comme nous l’avions déjà constaté au moment des révolutions arabes, des manifestations de la place Tahrir, ou, plus récemment, des mobilisations brésiliennes ou de celle de la jeunesse de Hong Kong. Nous le savons, les régimes autoritaires ne sont jamais favorables à un internet libre.
Les tentations de museler le net persistent pourtant partout, même dans nos démocraties.
Face aux coups portés à nos libertés, des résistants se sont levés. Chelsea Manning, Julian Assange, Edward Snowden, pour n’en citer que quelques-uns, ont dénoncé les secrets d’État, la surveillance de masse, l’atteinte à la vie privée, aux libertés civiles. Leurs actions, et plus encore la violence de la réponse pénale dont ils sont l’objet, interrogent le politique et le fonctionnement de l’ordre juridique.
Le contexte est lourd, mais c’est à l’aune de ces exemples que nous devons conduire notre réflexion. Je connais, madame la secrétaire d’État, votre attachement à la neutralité du net. Il s’exprime notamment dans le document produit par votre ministère, L’ambition numérique de la France. Je rappelle que l’un des objectifs poursuivis est l’introduction de nouveaux droits pour les individus dans le monde numérique en matière de données personnelles et d’accès aux services numériques.
Notre attachement à l’exigence de démocratie et au respect des libertés fondamentales lors des débats parlementaires doit être un impératif absolu. Nous devons donc préserver cet équilibre indispensable entre la défense des libertés et notre sécurité. Il n’est pas de liberté qui puisse facilement être abandonnée.
Depuis 1986, chaque acte terroriste a été suivi d’une loi. Depuis 1986, douze lois ont été votées, dont deux depuis 2012. La dernière, votée le 14 novembre 2014, est déjà très restrictive en matière de libertés sur internet. Son article 9, en particulier, dont nous avons longuement débattu, permet le blocage administratif des sites faisant l’apologie du terrorisme sans intervention d’un juge. Le texte instaure également une condamnation spécifique de l’apologie ou de la provocation au terrorisme, qu’il assimile à des faits de terrorisme. Il ouvre la possibilité de bloquer l’accès à un site internet sur décision du Gouvernement, sans que la justice ne soit consultée, et étend la possibilité pour la police de récupérer des preuves via des infiltrations sur les réseaux sociaux au moyen de faux profils. En cas de diffusion de vidéos ou de textes de propagande, les hébergeurs devront également « bloquer sans délai l’accès aux sites concernés ».
Vous le voyez, l’arsenal législatif français est l’un des plus complets qui soient en Europe. Je rappelle également que depuis le 9 janvier, au moins six condamnations ont été prononcées en France pour « apologie publique d’actes de terrorisme », avec des peines de prison ferme.
La loi de programmation militaire 2014-2019 contient elle aussi des dispositions renforcées de surveillance des citoyens d’ailleurs très contestables, car potentiellement dangereuses pour le respect de la vie privée. En outre, le projet de loi relatif à la géolocalisation, adopté le 20 janvier 2014 au Sénat, vient renforcer cet arsenal législatif.
Quelques jours avant les attentats, le 24 décembre, le premier décret d’application de la loi de programmation militaire a été publié. Il permet notamment, dans le cadre d’une enquête de renseignement, de collecter toutes données sur toutes personnes auprès de tous intermédiaires techniques. Les hébergeurs sont astreints à communiquer les données administratives : tous les pseudonymes utilisés, les mots de passe aux divers comptes et les données financières de leurs clients peuvent être communiqués.