La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
La parole est à M. Éric Ciotti, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Notre pays a été confronté, la semaine dernière, à l’une des pires épreuves qu’il a eu à connaître dans sa longue histoire. La France a fait face à cette tragédie avec dignité, dans un esprit d’unité et de rassemblement. Vous avez hier, monsieur le Premier ministre, dans un beau discours républicain, que je veux saluer, dressé le constat et vous avez évoqué les pistes qui doivent aujourd’hui permettre de répondre à l’immense inquiétude de nos concitoyens.
Nous devons aborder cette phase qui suit la période de recueillement dans le même esprit d’unité nationale. C’est notre souhait, c’est notre volonté, celle de l’UMP.
Nous devons également, pour que cette unité soit toujours au rendez-vous de l’exigence que nous devons affirmer face à ceux qui ont déclaré cette guerre à notre civilisation, afficher le visage de la lucidité et de la fermeté. Lucidité dans le constat – ce sera d’ailleurs une des missions de la commission d’enquête parlementaire que j’ai l’honneur de présider –, mais aussi, monsieur le Premier ministre, fermeté dans les réponses. L’UMP attend cette fermeté : fermeté pour mieux protéger les policiers ; fermeté pour prendre en compte cette situation insupportable dans l’école de la République qui a vu des centaines d’enfants refuser d’observer la minute de silence ; fermeté pour répondre à cette inquiétude qui traverse aujourd’hui notre société.
Vous avez évoqué des pistes, monsieur le Premier ministre. Nous attendons aujourd’hui des actes et surtout un calendrier, notamment pour le collectif budgétaire et pour la loi-cadre.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, je voudrais tout d’abord saluer le ton qui a présidé à votre question et l’intention que vous avez réaffirmée de voir l’ensemble des groupes représentés au sein de l’hémicycle contribuer à l’élaboration des mesures dont l’esprit et les grandes orientations ont été présentés par le Premier ministre hier.
Je partage également le sentiment qui est le vôtre, réaffirmé par le Président de la République et le Premier ministre ce matin en conseil des ministres, d’aller vite. Je voudrais, complétant les propos tenus hier par le Premier ministre, rappeler les directions dans lesquelles le Gouvernement travaille, avec la volonté de le faire avec vous. Nous avons rencontré les représentants des groupes il y a quelques jours, et il faut maintenant entrer dans une phase extrêmement concrète.
Le premier point est celui des moyens. Vous l’avez souligné vous-même, le Premier ministre a insisté sur la nécessité de conforter les moyens de la police et de la gendarmerie, et ceux des services de renseignement – vous savez que 432 postes nouveaux ont déjà été annoncés dans le cadre des engagements du triennal, ainsi que des augmentations de moyens destinées à renforcer nos capacités technologiques. Le Premier ministre a demandé que des propositions lui soient faites sous huit jours. J’y travaille. Elles permettront de mettre très exactement en adéquation les moyens de nos services avec la réalité.
Deuxièmement, nous devons aussi intensifier la lutte contre le terrorisme en optimisant les moyens juridiques dont disposent nos services de renseignement. C’est en ce sens que le ministre de la défense et moi-même allons adresser au Premier ministre des propositions dans les prochains jours pour qu’en matière d’interceptions de sécurité et de contrôle des activités des groupes terroristes sur internet, nous soyons plus efficients encore.
Enfin, il faut renforcer la coopération européenne et internationale. Cela passe par la mise en place du PNR – le passenger name record – et par le développement des actions concertées entre les services de renseignement.
Voilà tous les sujets que nous avons sur le métier, et qui vont nous conduire à agir résolument.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, sur plusieurs bancs des groupes UMP et UDI, et sur quelques bancs des groupes écologiste et GDR.
La parole est à M. Daniel Vaillant, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le ministre de l’intérieur, il y a une semaine, un engrenage d’horreurs frappait notre pays, nous arrachant dix-sept de nos concitoyens. Dans cet hémicycle, nous leur avons rendu hier un hommage poignant.
Face à l’horreur, notre peuple aurait pu céder au découragement ou sombrer dans la discorde. Il n’en a rien été, bien au contraire. Ainsi, dans de nombreuses villes, le peuple s’est uni dans un formidable crescendo jusqu’aux manifestations du 11 janvier. Ce sursaut républicain a mobilisé 4 millions de personnes dans les rues des villes et villages de France.
L’honneur des responsables publics a été de répondre très largement à l’appel à l’union nationale lancé par le Président de la République. Cet élan salvateur, cette force du peuple français sont un espoir pour l’avenir de notre pays, pour que celui-ci surmonte l’épreuve et aille de l’avant. Ce moment unique fonde un « esprit du 11-janvier » dont nous sommes toutes et tous ici les dépositaires, et qui nous oblige.
Chers collègues, face à la terreur, nous ne pouvons baisser la garde. Dimanche, les Français, dans toute leur diversité, nous ont ardemment rappelé combien la liberté leur était chère, combien ils l’ont chevillée au corps. Mais pour qu’ils puissent mieux vivre ensemble, il est nécessaire qu’ils soient et se sentent en sécurité dans notre pays. Nous savons que les forces de l’ordre, qui ont forcé notre admiration ces derniers jours, poursuivent plus que jamais leur travail. Le plan Vigipirate demeure appliqué à son plus haut niveau.
De l’avis de toutes et tous, le Président de la République et le Gouvernement – notamment M. le Premier ministre et vous-même, monsieur le ministre de l’intérieur – ont su parfaitement prendre la mesure des événements et y répondre comme il se devait. Monsieur le ministre, pouvez-vous détailler les mesures déjà prises et celles à venir ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.
Monsieur le député, pour prolonger les propos tenus hier par le Premier ministre, je veux dire à la représentation nationale que le Gouvernement a pris toute la mesure du risque auquel la France est confrontée et qui appelle de notre part la plus grande détermination et la plus grande fermeté.
Il importe d’abord que les enquêtes se poursuivent. Je veux à ce titre saluer les efforts déployés par les services qui dépendent du ministère de l’intérieur en vue de neutraliser ceux qui auraient pu agir en complicité avec les auteurs des crimes ; cette action est menée sous l’autorité du parquet antiterroriste, qui accomplit, en liaison étroite avec le ministère de l’intérieur, un travail remarquable. Je veux aussi dire à la garde des sceaux, Mme Christiane Taubira, à quel point son engagement tout au long de ces jours funestes fut déterminant pour permettre une excellente collaboration entre les ministères de l’intérieur et de la justice.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs des groupes écologistes et RRDP. – Murmures sur les bancs du groupe UMP.
Nous mobilisons, dans l’urgence, des moyens considérables pour assurer la sécurité des Français : 120 000 policiers et gendarmes sont aujourd’hui déployés sur l’ensemble du territoire national au titre du plan Vigipirate, auxquels s’ajoutent les militaires que Jean-Yves Le Drian, sous l’autorité du Premier ministre, a affectés notamment à la protection des lieux de culte. Un préfet, M. Latron, a été nommé afin de coordonner toutes les actions visant à assurer la protection des lieux de culte, auxquelles participent 4 700 policiers et gendarmes et près de 10 000 militaires.
Il convient aussi d’engager de nouvelles actions, et d’abord d’intensifier la traque des djihadistes sur internet, en procédant au blocage administratif et au déréférencement de certains sites, et en donnant à nos services la possibilité d’intervenir sous pseudonyme. La modernisation de nos services de renseignements doit également se poursuivre et il serait nécessaire de renforcer la coopération européenne, notamment en vue du démantèlement des grandes filières de trafic d’armes.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe RRDP.
La parole est à M. Olivier Falorni, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le Premier ministre, je veux, au nom de mon groupe, vous dire combien nous avons été fiers d’être des citoyens français dimanche, car ce jour-là, c’est le peuple qui a guidé la liberté.
Nous avons été fiers aussi d’être des députés de la République hier, avec cette magnifique communion républicaine au son de La Marseillaise en l’honneur de nos victimes et de nos forces de l’ordre.
Oui, vous l’avez dit avec force et justesse, la France est en guerre contre l’islamisme radical. Cela implique de prendre des décisions fermes et de mettre en oeuvre des dispositifs implacables. Mais il nous faut aussi combattre la confusion des valeurs et des idéaux qui mine aujourd’hui la République.
Nous voulons une République qui ne renonce plus à ses références par peur de froisser ses différences ; nos héros, nos références, aujourd’hui, ce sont les dix-sept victimes des attentats, unies par leurs différences, que leur nom soit Ahmed, Yoav ou Franck. Nous voulons une République qui ne confonde pas débat et délit ; la liberté d’opinion ne peut pas accepter l’apologie du terrorisme, qui est un appel au crime. Nous voulons une République qui ne confonde pas islam et islamisme, car l’islamisme est le cancer de l’islam et les musulmans en sont les premières victimes. Nous voulons une République qui ne confonde pas prison et poison, qui refuse que les lieux de détention soient des lieux de contagion du djihadisme. Nous voulons une République qui ne confonde plus laïcité et laisser-aller ; la laïcité n’est pas une option pour notre nation : elle est la condition pour vivre ensemble.
Monsieur le Premier ministre, le temps est venu pour notre République de ne plus tout confondre, mais de répondre. Vous avez su le faire brillamment hier. Nous comptons sur vous ; vous pouvez compter sur nous.
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP et sur quelques bancs du groupe SRC.
Monsieur le député, vous venez de rappeler avec force les valeurs évoquées hier par le Premier ministre à la tribune de l’Assemblée nationale ; ces belles valeurs républicaines, nous devons les défendre sans trêve ni pause, avec une grande fermeté, contre les attaques de ceux qui veulent frapper la République au coeur. Le Premier ministre a notamment eu des mots très forts et très beaux sur la laïcité, le droit de croire ou de ne pas croire et, dès lors que l’on a fait, en conscience, le choix d’une religion, le droit de pouvoir l’exercer librement, à condition que cela se fasse dans le respect scrupuleux des valeurs de la République. La laïcité est en effet ce qui permet à la République d’accueillir tous ses enfants en son sein.
Je suis d’accord avec vous, monsieur le député : il est nécessaire d’affirmer sans relâche ce que sont ces valeurs et de le faire avec fermeté et détermination, en ne laissant aucune partie du territoire national à l’écart. Cela signifie que nous devons aussi prendre des mesures concrètes. C’est ce que nous avons déjà fait dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le terrorisme ; peut-être devrons-nous renforcer ces dispositions, notamment pour éviter que sur internet, les réseaux sociaux ou d’autres vecteurs, de petites haines circulent et viennent ronger la République de l’intérieur, en opposant les Français les uns aux autres. Il n’est pas acceptable que cet espace de liberté qu’est internet soit instrumentalisé à des fins haineuses, au moyen de phrases destinées à blesser l’autre de façon profonde et inacceptable.
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP, sur plusieurs bancs des groupes SRC et UDI et sur quelques bancs du groupe UMP.
C’est la raison pour laquelle, dans le combat que nous menons contre le terrorisme, il nous faudra conduire une réflexion approfondie sur nos valeurs, de manière à pouvoir réaffirmer chaque jour avec force et fermeté ce qu’est la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP, sur de nombreux bancs du groupe SRC et sur quelques bancs du groupe UDI.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
« Sur toutes les pages lues Sur toutes les pages blanches Pierre sang papier ou cendre J’écris ton nom », écrivait Paul Éluard. Dans toute la France, des millions de femmes et d’hommes ont aussi écrit son nom : liberté. Cette liberté, par et pour laquelle notre République s’est construite, cette liberté dont la liberté d’expression est une clé fondamentale, a été martyrisée, mercredi dernier, à Charlie Hebdo, mais elle n’a pas dit son dernier mot. Aujourd’hui, Charlie Hebdo est dans les kiosques de France et du monde. De ce magnifique acte de résistance la représentation nationale doit être garante. Charlie doit paraître mercredi prochain, et tous les mercredis qui suivront. Charlie ne peut s’arrêter faute de moyens.
Le drame que notre nation vient de vivre nous rappelle, en effet, que la liberté de chacun et de chacune dépend pour une grande part d’une presse pluraliste. Et le pluralisme repose sur le travail des journalistes, dont la nation doit assurer la protection et le secret des sources.
Monsieur le Premier ministre, une loi sur la presse est actuellement en débat. Ce serait l’honneur de notre Parlement d’en élever l’ambition et la portée. À la Libération, nos aînés, conscients de l’enjeu, avaient légiféré pour libérer la presse de la pression du marché. Les principes de solidarité et de coopération au service du bien commun et de la démocratie, fondés par cette loi, sont toujours d’actualité. Il y a urgence à agir. De nombreux titres de presse sont aujourd’hui en danger. Cela appelle des réponses d’ampleur. Car un journal qui disparaît, c’est le débat d’idées qui s’appauvrit. Charb nous le rappelait, en nous proposant un amendement sur les moyens attribués à la presse d’opinion. Alors, monsieur le Premier ministre, cet amendement, va-t-on le transcrire dans la loi ? Cela serait un geste fort pour que le pluralisme perdure et que de nouveaux journaux porteurs de confrontations d’idées voient demain le jour.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, SRC et écologiste.
Vous avez raison, madame la députée Marie-George Buffet. Les événements récents, tragiques, nous rappellent à quel point nous devons rester viscéralement attachés au pluralisme de la presse et à la liberté d’expression. Nous avons eu, vous l’avez rappelé, l’occasion d’en débattre, lors de la discussion dans ce même hémicycle de la proposition de loi de Michel Françaix, relative à l’AFP et à la modernisation de la presse. Par ailleurs, j’avais été moi aussi, dès ma nomination, à la demande du Premier ministre Manuel Valls, interpellée sur la question de notre système d’aides à la presse et, dès mon arrivée, j’ai entamé une réflexion sur la façon dont nous pouvons le moderniser.
La rédaction de Charlie Hebdo, Charb et Bernard Maris, avaient été reçus par mes services il y a fort peu de temps, et nous avions ensemble examiné les moyens d’assurer la pérennité de ce titre, une pérennité qui, plus que jamais, est absolument indispensable. Nous avions commencé à y réfléchir. Charlie Hebdo était éligible à un certain nombre d’aides à la presse, celles dont bénéficient l’ensemble des hebdomadaires de la presse d’information politique et générale, que ce soient la TVA à taux super-réduit ou encore les tarifs postaux bonifiés, mais, vous avez raison, j’ai souhaité également, au mois de novembre, engager une réflexion pour approfondir ce travail et faire en sorte que Charlie Hebdo mais aussi d’autres titres – je pense en particulier au Monde diplomatique – puissent bénéficier des aides directes, comme les aides au pluralisme. Aujourd’hui, le bénéfice de celles-ci est réservé aux quotidiens, ce n’est pas suffisant, notamment quand on pense à ces titres dont la parution est hebdomadaire ou mensuelle.
Soyez donc assurée, madame la députée, que nous mettons tout en oeuvre, que ce gouvernement met tout en oeuvre pour assurer le pluralisme et la liberté d’expression dans notre pays.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Aides à la presse
La parole est à M. Michel Françaix, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Madame la ministre de la culture, la barbarie n’a pas de visage, n’a pas de conscience, n’a pas d’âge. Aujourd’hui, la France se rappelle l’importance, l’absolue nécessité vitale de la liberté, elle se rappelle le besoin existentiel de pouvoir s’exprimer. Aujourd’hui, la France se rassemble pour hurler son refus que quelques fous puissent réduire un peuple à la peur et au silence. Aujourd’hui, la France se surprend à un sursaut d’orgueil pour être unie, parce qu’ensemble on est un peuple fort.
Il n’y a pas de pire dictature que celle qui rampe, nous impose des clichés, un modèle unique, un format de pensée. Mais nous voici dans les jours d’après. La barbarie profite de la mollesse de nos esprits, de nos failles éducatives et culturelles, de nos peurs de l’autre. La liberté, les libertés ont besoin de recul, d’analyse, de culture, de partage. Attenter à cette richesse, c’est appauvrir la République.
La presse est l’un des piliers d’une démocratie forte et fière. Les aides à la presse sont une spécificité française pour garantir liberté et pluralisme. Les trois millions de ventes, aujourd’hui, de Charlie Hebdo, sont une réponse forte à l’émotion de tout un peuple. Vous venez de confirmer à Mme Marie-George Buffet qu’une aide spécifique pourrait sans doute être trouvée et attribuée à Charlie Hebdo, mais pensons, madame la ministre, aux jours d’après. Nous avons plus que jamais l’ardente obligation de faire vivre Charlie Hebdo mais aussi de contribuer au développement de la presse citoyenne à but non lucratif. Madame la ministre, je sais que vous vous y employez, et vous nous trouverez à vos côtés dans ce juste combat.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et plusieurs bancs du groupe GDR.
Monsieur le député Michel Françaix, la culture de la haine prospère partout où règne la haine de la culture. Songeons à Boko Haram, dont le nom signifie littéralement rejet ou haine du livre ou de la culture laïque, pensons à la destruction des bouddhas par les talibans, pensons à la destruction du patrimoine culturel et monumental par AQMI ou par Daech : partout, toujours, les fanatiques s’en prennent à la culture, à ses lieux, à ses symboles, à ses représentants. Pourquoi ? Parce que la culture est précisément le sacré d’une société laïque. Et partout où la culture est mise en cause, partout où elle est mise en danger, partout où elle est menacée – comme cela a été le cas dans notre pays la semaine dernière mais également dans le monde entier, où les journalistes exercent parfois leur métier dans des conditions de sécurité extrêmement difficile –, partout, donc, c’est par la culture qu’il nous faut répondre.
La culture est ce qui permet à l’esprit critique de s’exprimer, de se développer, c’est donc le meilleur rempart, la meilleure réponse au dogmatisme et à l’obscurantisme. Lorsque la culture et nos valeurs sont mises en cause, c’est donc bien par la culture qu’il nous faut répondre. Alors, oui, il était indispensable que Charlie Hebdo soit dans les kiosques ce matin. Oui, il était indispensable que la liberté d’expression, que la liberté de création puissent être réaffirmées, et c’est la communauté nationale dans son ensemble qui a souhaité affirmer son attachement à ces valeurs fondamentales de notre République que sont la liberté de la presse, la liberté de la création. Comment ? En manifestant dans les rues de la France entière ce week-end, mais également en achetant massivement Charlie Hebdo ce matin, en souscrivant des abonnements de soutien. Le secteur de la presse a aussi été solidaire, puisque la rédaction de Charlie Hebdo a pu être hébergée, puisque la distribution a été assurée gratuitement. C’est bien dans ce sens qu’il nous faut aller, et c’est dans ce sens que je travaillerai pour assurer à la presse sa liberté et sa pérennité.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Claude Goasguen, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Madame la ministre de l’éducation nationale, au-delà des questions relatives à la sécurité, se posent des questions relatives à l’école – celles-ci étant malheureusement souvent liées à celles-là par le biais du radicalisme et de l’intégrisme religieux.
Jeudi dernier, à l’occasion de la minute de silence observée dans les établissements scolaires, des incidents ont eu lieu. On relate des refus de participer à cet hommage, des refus de se lever, des chahuts, et des agressions verbales voire physiques. Ces manifestations doivent être prises très au sérieux. Des écoliers, des collégiens, des lycéens français ne se reconnaissent donc plus dans les valeurs élémentaires de la République. Vous avez reçu récemment les recteurs d’académie pour entamer une grande mobilisation de l’école en faveur des valeurs de la République.
Pouvez-vous nous donner, madame la ministre, de manière exhaustive, le nombre d’incidents liés à la minute de silence qui ont été constatés, y compris ceux qui ont été directement pris en charge au niveau local, et n’ont pas été médiatisés ni recensés par votre ministère ? Si l’on prend en compte ces derniers incidents, les chiffres seront sans doute plus lourds que ceux qui ont été avancés par la presse.
Nous ne pouvons pas laisser les enseignants seuls face à cette situation. Déjà, en 2004, le rapport Obin de l’Inspection générale de l’éducation nationale – c’est dire si ce n’est pas un problème de droite ou de gauche ! – signalait que, dans de nombreux établissements scolaires, on ne peut pas enseigner la Shoah sans provoquer des incidents très graves. Jean-Pierre Obin, l’auteur de ce rapport, inspecteur général de l’éducation nationale, parlait même de « sociétés closes », déconnectées de la nation. Nous savons aussi que les enseignants, voire la communauté éducative dans son ensemble, sont impuissants devant des élèves qui se radicalisent, et qu’il y a des établissements où la mixité filles-garçons n’existe plus.
Mes questions, madame la ministre, sont très simples : quelles seront les sanctions ? Que comptez-vous faire pour que les valeurs de notre pays soient inculquées à tous les jeunes Français dans les établissements scolaires, et respectées par eux ?
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et UDI.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le député, le 7 janvier, sitôt la stupeur et l’horreur passées, les enseignants de toute la France ont très vite compris que l’école serait en première ligne pour réagir à ces attentats, pour expliquer aux élèves l’inexplicable, et pour répondre à leurs émotions, à leurs réactions. Dans la foulée, je leur ai en effet adressé une lettre leur demandant non seulement de faire respecter une minute de silence le lendemain, mais aussi de créer des espaces d’échange et de dialogue. Ils l’ont fait ; je les en remercie.
Cela ne s’est pas toujours bien passé. Des incidents ont eu lieu ; ils ont même été nombreux ; ils sont graves. Aucun d’entre eux ne doit être traité à la légère ; aucun ne le sera.
Applaudissements sur tous les bancs.
Vous me demandez combien d’incidents m’ont été signalés. Je vais vous répondre précisément. S’agissant de la minute de silence elle-même, une centaine d’incidents nous ont été signalés. Les jours suivants, nous avons demandé aux enseignants de rester aussi vigilants ; une centaine de nouveaux incidents nous ont été signalés. Parmi ces incidents, une quarantaine ont été transmis aux services de police, de gendarmerie, ou encore à la justice, car il s’agissait dans certains cas d’apologie du terrorisme. Nous ne pouvons pas laisser passer cela.
Oui, l’école est en première ligne. Elle sera ferme pour sanctionner, et mènera un dialogue éducatif, y compris avec les parents, lesquels sont des acteurs de la coéducation.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et écologiste et sur plusieurs bancs du groupe UDI.
L’école est aussi en première ligne pour répondre à une autre question. En effet, même là où il n’y a pas eu d’incident, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Nous avons tous entendu des phrases telles que : « Je soutiens Charlie, mais… », ou encore : « C’est deux poids deux mesures : pourquoi défendre la liberté d’expression ici, mais pas là ? ». Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs.
Nous devons nous interroger sur notre capacité à transmettre des valeurs. C’est ce que le Premier ministre a fait devant les recteurs hier ; c’est pourquoi je mobilise l’ensemble de la communauté éducative, afin de répondre, non pas seulement par des discours, mais aussi par des actes forts.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste, GDR, RRDP et UDI, et sur de nombreux bancs du groupe UMP.
La parole est à M. Sébastien Pietrasanta, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Hommage aux victimes de la barbarie obscurantiste, tuées parce que journalistes, policiers, juifs ou tout simplement citoyens. Hommage aux forces de l’ordre, mobilisées pour la sécurité de notre pays. Hommage au peuple de France, qui s’est levé pour défendre la liberté, la laïcité et la fraternité, c’est-à-dire notre République. Hommage à la représentation nationale, à l’opposition, à la majorité, qui dans cette unité nationale a montré la force de notre nation face au terrorisme. Hommage au chef de l’État, au Premier ministre, au ministre de l’intérieur qui ont affronté avec sang-froid et détermination cette crise.
Monsieur le Premier ministre, merci pour votre action et la force des mots que vous avez prononcés hier.
Monsieur le ministre de l’intérieur, vous êtes un grand ministre. Je le savais déjà, car j’ai travaillé avec vous en tant que rapporteur de la loi sur le terrorisme ; aujourd’hui, les Français le savent aussi.
Votre engagement contre le terrorisme est constant. Dès le mois d’avril, vous avez mis en place un plan anti-djihad puis fait adopter une loi antiterroriste. Les derniers événements montrent que nous devons continuer à agir avec force. Agir avec fermeté, c’est refuser l’immobilisme, mais ce n’est pas retomber dans la surenchère : c’est respecter notre Constitution en refusant la mise en place de toute loi d’exception.
M. le Premier ministre a annoncé une réforme des services de renseignement, sur laquelle ont déjà travaillé MM. Urvoas et Verchère. Comment, monsieur le ministre de l’intérieur, pouvons-nous encore améliorer notre dispositif de renseignement ?
Enfin, monsieur le ministre, la propagande terroriste est redoutable sur internet. La loi du 13 novembre 2014 permettra de bloquer des sites. Comment lutter encore davantage contre ce djihad médiatique ?
Monsieur le ministre, vous pouvez compter sur le soutien des députés socialistes pour lutter à vos côtés pour défendre la République attaquée. Nous serons debout pour dénoncer avec force l’antisémitisme, l’islamophobie, et toutes celles et tous ceux qui veulent mettre la France, notre beau pays, à genoux.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Sourires.
Nous devrions essayer de ne dire que des choses exactes dans cet hémicycle.
Rires.
Monsieur Pietrasanta, vous m’interrogez sur les mesures que nous devons prendre dans le contexte actuel. Vous avez fait référence aux mesures que nous avons déjà prises dans le cadre de la loi dont vous avez été le rapporteur. Je salue le travail remarquable et efficace que vous avez accompli.
Vous m’interrogez principalement sur deux sujets. Premièrement, vous me demandez quel travail nous devrions mener ensemble pour mieux maîtriser la communication très efficace des groupes terroristes – et plus particulièrement djihadistes – sur internet. Je rappelle à la représentation nationale que, selon les éléments dont nous disposons, 90 % des individus qui basculent dans des groupes ou des activités terroristes le font par le biais d’internet. Nous devons donc accomplir un travail important pour mieux maîtriser les activités de ces groupes terroristes sur internet et, d’une manière plus générale, pour mieux lutter contre la cybercriminalité. Ces groupes usent en effet des moyens de la cybercriminalité pour perpétrer leurs actes ignobles et barbares.
Nous avons déjà pris des dispositions, comme le blocage administratif des sites internet ou leur déréférencement. À cet égard, je confirme à la représentation nationale que les décrets qui permettront de mettre en application ces dispositifs – y compris ceux qui sont relatifs à la pédopornographie – sont actuellement étudiés par la Commission nationale informatique et libertés en vue de leur publication au début du mois de février. Nous allons, avec nos partenaires de l’Union européenne, poursuivre les discussions serrées que nous menons avec les opérateurs internet pour les sensibiliser à cette question.
Pour ce qui concerne les services de renseignement, le Premier ministre a montré la direction hier : plus de moyens, au-delà des 432 postes mobilisés et des 12 millions d’euros nécessaires à la modernisation, et des moyens juridiques nouveaux, des moyens intrusifs, notamment sur internet, afin de mieux connaître – et de mieux combattre – les activités terroristes.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. Philippe Meunier, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Pendant les fêtes de Noël et la semaine dernière, de nouveaux attentats islamistes ont tué et blessé de nombreux compatriotes. Que ces attentats soient le fait d’individus isolés ou de groupes organisés ne change rien à l’affaire. Les morts et les blessés sont bien français. Ces attentats rappellent une fois de plus que des individus de nationalité française s’engagent aux côtés de terroristes islamistes. Ces ennemis de la France ont combattu et combattent aussi l’armée française, comme c’est le cas aujourd’hui en Afrique et en Irak.
Monsieur le Premier ministre, il serait proprement scandaleux que de tels individus jouissent des bienfaits et des droits attachés à la qualité de citoyen français, alors même qu’ils bafouent les devoirs les plus élémentaires que l’on doit à sa patrie et à la République. Le groupe UMP redéposera donc sa proposition de loi visant à faire perdre la nationalité française à tout individu arrêté ou identifié portant les armes ou se rendant complice par la fourniture de moyens à des opérations armées contre les forces armées ou les forces de sécurité françaises ou tout civil français et à rétablir le crime d’indignité nationale pour les Français sans double nationalité.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Le 4 décembre dernier, votre majorité a rejeté ici même cette proposition de loi sous prétexte qu’elle n’était pas d’actualité, qu’elle était « stigmatisante »
Exclamations sur plusieurs bancs du groupe SRC
et que la perte de la nationalité serait une peine disproportionnée par rapport aux faits reprochés.
Compte tenu des propos du Président de la République et de vous-même au sujet de la nécessité d’écouter les propositions de l’opposition suite aux attentats de la semaine dernière, et après les mots forts de votre discours d’hier, les Français attendent maintenant des actes. Allez-vous, dans ces conditions, soutenir notre proposition de loi attendue par un très grand nombre de nos compatriotes, qui ne souhaitent plus voir notre nationalité française ainsi bafouée par les ennemis de la France ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, vous posez une question sur laquelle nous avons eu l’occasion de débattre à la faveur de la discussion sur le projet de loi antiterroriste qui a été adopté au mois de novembre par votre assemblée. Je veux d’abord rappeler quel est le cadre du droit, tel qu’il existe. L’article 25 du code civil permet aujourd’hui la déchéance de la nationalité pour tous ceux qui, dans les quinze ans consécutifs à l’accession à la nationalité, ont commis des crimes relevant du terrorisme. Il existe donc une disposition législative, en droit français, qui permet de répondre à votre préoccupation.
D’ailleurs, monsieur le député, je veux vous dire que nous utilisons cette disposition. Le Premier ministre et moi-même avons signé, pour une personne qui avait fait l’objet de condamnation dans le cadre d’opérations terroristes, une déchéance de la nationalité, qui fait d’ailleurs l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel. C’est bien le signe que nous n’avons pas hésité à utiliser cette disposition, que nous n’avons l’intention de nous laisser aller à aucune faiblesse et que nous témoignerons sur ces sujets de la plus grande fermeté.
Je suis convaincu que vous savez aussi, monsieur le député, qu’il n’y a pas eu de déchéance de la nationalité dans la période antérieure, parce que cette mesure ne peut être mise en oeuvre, si l’on veut qu’elle soit efficace, que dans un contexte précis.
De la même manière, je veux vous répéter, monsieur le député, notre détermination, notamment la mienne, à procéder à l’expulsion de tous ceux qui, étrangers en France, se seraient livrés à des activités terroristes. Entre 2008 et 2012, il y en a eu quatre par an. Depuis 2012, il y en a dix par ans et il y en aura plus si cela est nécessaire pour assurer la sécurité des Français. La plus grande fermeté s’impose et vous pouvez compter sur nous pour en témoigner à chaque instant.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Au nom de mon groupe, je souhaite réaffirmer notre soutien au Gouvernement dans cette union nationale pour la défense de nos valeurs et notre fierté d’être les représentants de ce peuple qui s’est levé ce dimanche.
Monsieur le ministre des affaires étrangères, dimanche dernier, près de cinquante chefs d’État et de gouvernement ont participé au rassemblement parisien en hommage aux victimes du terrorisme. De toutes les régions de notre planète, le même message de solidarité nous est parvenu. Ces témoignages sont la marque de l’attachement de la communauté internationale à la France, à son message et à son rôle dans le concert des nations.
La France, par son histoire et sa culture, a des responsabilités particulières à assumer, la responsabilité de parler et d’agir sur l’essentiel, sur ce qui permet aux femmes et aux hommes de se comprendre, de coopérer et de vivre en paix : c’est faire vivre et promouvoir la démocratie et l’État de droit ; c’est lutter pour la liberté partout, porter l’exigence de l’égalité, affirmer inlassablement, ici et dans le monde, la fraternité.
En cette année, la France a une responsabilité toute particulière, celle de réunir l’indispensable accord des pays du monde pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique. Cette question est essentielle, cet enjeu est vital pour notre planète et ses habitants. Nous avons la conviction que rien ne sera possible, rien ne sera durable, sans une mobilisation citoyenne qui accompagne, qui porte, et parfois qui pousse et contraint, les États et leurs représentants.
Ce 11 janvier, de la plus belle des manières, la France a démontré aux yeux du monde son unité et sa volonté d’avancer ensemble vers un avenir commun et meilleur. À partir de cette union nationale, comment les citoyens peuvent-ils participer, se mobiliser et aider la France à faire que la Conférence de Paris sur le climat soit un succès ?
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
Monsieur le député, il s’agit bien sûr de deux sujets différents mais, dans les deux cas, on attend de la France qu’elle engage une action universelle. C’est probablement ce qui vous a conduit à les rapprocher.
S’agissant de la Conférence de Paris, nous aurons pour tâche en décembre prochain à la fois de l’accueillir et de la présider – j’aurai moi-même cet honneur. À Lima, un certain nombre d’actions ont été décidées, mais elles ne font que donner le substrat. Il faudra avancer sur beaucoup de sujets très compliqués : quelle sera la valeur juridique de l’accord contraignant que nous devons conclure ? Quelle sera la valeur des engagements de chaque pays ? Comment résoudre la question des financements, sans quoi rien n’est possible ? Comment résoudre la question des technologies ? Sur chacun de ces points, nous allons travailler, travailler, travailler avec tous les pays du monde et réunir ce que nous appelons « l’agenda des solutions » : ce ne sont pas simplement les gouvernements qui doivent agir, mais aussi les collectivités publiques, les entreprises et la société civile.
Nous aurons besoin de vous, mesdames et messieurs les parlementaires, car la présence d’un certain nombre d’entre vous à Lima a bien montré ce que peut faire la diplomatie parlementaire. Je n’hésiterai pas à vous solliciter pour que vous fassiez passer ces idées en matière de climat à travers tous les pays avec lesquels nous avons des groupes d’amitié.
Monsieur le député, nous allons donc faire le maximum, sous l’impulsion du Président de la République, pour aller en ce sens. Il y aura à la fois les positions spécifiques de la France au sein de l’Europe, que défendra Mme Ségolène Royal, et la présidence de la Conférence des parties 21, la COP 21. Croyez bien que nous avons conscience qu’il s’agit du plus vaste enjeu diplomatique qu’il soit donné à la France d’accueillir.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
La parole est à M. Christian Estrosi, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, l’hommage rendu hier aux trois policiers décédés – deux policiers nationaux et une policière municipale – a été magnifique et immense.
Comme vous le savez, la police municipale représente la troisième force de sécurité intérieure. Pourtant, ses membres ne disposent ni des mêmes pouvoirs que leurs homologues de la police nationale, ni des mêmes moyens de défense contre les menaces, alors même qu’ils sont confrontés aux mêmes difficultés et sont parfois eux aussi pris pour cible, comme l’atteste la disparition de Clarissa Jean-Philippe, abattue dans le dos par un terroriste.
Vous-même, monsieur le Premier ministre, vous eu l’occasion de rendre visite à la première police municipale de France, celle de ma ville, laquelle a été, comme d’autres, ces derniers jours, sollicitée par le préfet des Alpes maritimes. Police nationale et police municipale assurent ensemble et à égalité, sous l’autorité des préfets, des gardes statiques et des patrouilles, notamment devant les lieux de culte, les écoles et les lieux publics. Elles assurent ces missions partout où nos concitoyens doivent être protégés.
En tant que président de la Commission nationale consultative des polices municipales, je demande que ces deux polices puissent apporter des réponses identiques en matière de contrôles d’identité. Chaque policier municipal doit également, afin d’assurer sa protection, se voir muni d’un gilet pare-balles. Les policiers municipaux qui ont passé la qualification et l’examen nécessaires, au même titre que leurs homologues de la police nationale, doivent disposer, non pas d’un revolver à six balles, mais d’une arme automatique qui garantisse mieux leur protection et leur défense ainsi que celles de nos concitoyens.
Murmures sur les bancs du groupe SRC.
En formulant cette demande, j’ai une pensée pour Aurélie Fouquet, décédée dans le Val-de-Marne en 2010, mais aussi, bien sûr, pour Clarissa Jean-Philippe, notre compatriote martiniquaise qui servait les valeurs de la République à Montrouge.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, je veux m’associer à l’hommage que vous avez rendu à la police nationale et à la police municipale, qui, à l’occasion de ces événements absolument tragiques, ont payé un lourd tribut à la lutte contre le terrorisme.
Quelques minutes après le meurtre de Clarissa Jean-Philippe, je me suis rendu à Montrouge, en présence du maire de cette ville ainsi que du président du conseil général des Hauts-de-Seine, Patrick Devedjian. Pour ma part, je n’oublierai jamais les larmes et l’effroi des camarades de Clarissa Jean-Philippe, qui avaient vu leur collègue tomber sous le feu d’un terroriste, lequel lui avait d’ailleurs tiré dans le dos.
Je n’oublierai pas non plus l’émotion immense qui régnait au sein de la salle où nous nous sommes rendus, avec le Premier ministre, pour saluer les responsables du service de protection des hautes personnalités qui avait perdu leur camarade Franck Brinsolaro.
Je n’oublierai pas davantage les larmes versées par les policiers du commissariat du XIe arrondissement. Vous avez donc raison, et je partage cette approche : dans la situation à laquelle nous sommes confrontés, il faut assurer la protection de nos policiers municipaux et nationaux.
C’est d’ailleurs dans ce cadre que j’ai souhaité rencontrer tous ceux qui peuvent apporter une contribution à la réflexion qui est menée dans ce sens. Les organisations syndicales de la police municipale, que je n’ai pas pu recevoir en raison des événements, ont été reçues par des membres de mon cabinet. Je les verrai la semaine prochaine, comme je rencontrerai le président de l’Association des maires de France.
Si ce n’est déjà fait, j’avais souhaité que l’on prenne contact avec vous, monsieur Estrosi, afin que nous puissions, au cours d’une rencontre, regarder, en fonction de l’état du droit, quelles évolutions peuvent être envisagées. Bien entendu, il faudra aussi avancer en concertation avec les différents groupes politiques.
Dans le même esprit, je conduirai une démarche identique concernant l’équipement des policiers nationaux, compte tenu des risques auxquels ils sont confrontés. J’en rendrai compte devant la représentation nationale.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, ainsi que sur de nombreux bancs des groupes UMP et UDI.
La parole est à M. Joaquim Pueyo, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Ma question s’adresse au ministre des affaires étrangères. À la suite des tragiques événements de la semaine dernière, les Français ont massivement répondu à l’appel à l’unité nationale lancé par le Président de la République.
À tous ceux qui voulaient les faire basculer dans la peur et dans la division, ils ont répondu que notre pays ne céderait pas. Le 11 janvier, cinquante chefs d’État et de gouvernement ont défilé à Paris pour réaffirmer leur soutien et leur détermination. Ils ont montré au monde entier que les terroristes ne sauraient abattre les valeurs fondatrices de nos démocraties.
Les Français nous ont adressé un message fort, celui d’un attachement profond aux valeurs républicaines ainsi qu’à la laïcité. Notre responsabilité d’élus est de répondre à leurs attentes par des mesures permettant à tous, sans renier les grands principes républicains, de continuer à vivre en sécurité.
Dimanche, la mobilisation ne connaissait pas de frontières. La menace djihadiste n’en connaît non plus. Pour cette raison, la réponse à cette menace doit être européenne et internationale.
Le Premier ministre a annoncé hier sa volonté de renforcer les échanges d’information, ainsi que la coopération entre les États européens. Le renseignement demeure en effet fondamental pour lutter contre un ennemi protéiforme. Il a également affirmé la nécessité de voir aboutir, au sein de l’Union européenne, le système du Passenger Name Record, le PNR. Le développement d’Europol, ou encore la mise en place d’un parquet européen pourraient également participer de cette coopération.
La France est en première ligne, notamment dans la bande sahélo-saharienne et en Irak. Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour saluer à nouveau le dévouement remarquable des troupes françaises engagées sur tous les théâtres d’opération.
Le Premier ministre a également rappelé que notre pays assumait son rôle pour ce qui est de défendre les intérêts stratégiques de l’Europe, et que les actions menées pour ce faire étaient coûteuses. La solidarité européenne doit donc aussi s’exercer sur le plan budgétaire.
Ma question est donc la suivante : comment la mobilisation européenne et internationale contre le terrorisme va-t-elle se traduire dans les mois à venir, y compris sur le plan budgétaire ?
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. le ministre des affaires étrangères et du développement international.
Monsieur le député, vous avez eu raison de souligner que l’émotion internationale a été très forte ces derniers jours. Bien sûr, le quart des dirigeants de la planète s’est trouvé physiquement présent à Paris, mais, au-delà, nous avons tous vu – je crois que cela a beaucoup touché nos compatriotes – qu’un grand nombre d’autres dirigeants et de simples citoyens, à travers le monde, manifester leur émotion.
Cela montre à la fois que la France est porteuse de quelque chose d’universel et que notre pays est considéré comme une puissance particulière.
Dans la mesure où le risque est international, la réponse doit l’être elle aussi. S’agissant de l’Europe, toute une série de réunions est prévue dans les jours qui viennent : réunion des ministres des affaires étrangères lundi prochain, des ministres de l’intérieur le 29 janvier, et des chefs d’État et de gouvernement au début du mois de février. Certains sujets y seront traités très concrètement. Vous avez évoqué la question du PNR. Se posent également celle d’internet, ainsi que celles du contrôle des armes et du contrôle physique de certains individus. Ces sujets doivent être traités non seulement en Europe, mais également au niveau mondial – je pense en particulier aux pays d’où proviennent beaucoup de terroristes étrangers.
L’action doit donc être menée par tous. La France – je fais là allusion, monsieur le député, à l’une de vos propositions – y prend toute sa part. Il faut que les choses soient bien claires : si chacun est présent au moment de l’émotion, chacun doit l’être également au moment de l’action.
Nous allons travailler dans cet esprit, en particulier avec nos partenaires européens. Encore une fois, puisque le risque est international, la réponse doit l’être aussi. Il y a eu une grande émotion internationale : elle doit maintenant être transformée en énergie internationale pour l’action.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Rudy Salles, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Ma question s’adresse à M. le Premier ministre.
Monsieur le Premier ministre, lorsque la République est attaquée, lorsque le lien universel qui nous unit est attaqué, la réponse ne peut être que dans plus de République. Car la voix de ceux qui prêchent la haine, cette haine qui mène au fanatisme, ne peut avoir d’écho que lorsque la République ne crie pas haut et fort son attachement à ses valeurs, que lorsqu’elle reste muette face au repli sur soi, aux amalgames, aux communautarismes et à l’antisémitisme.
Ces derniers jours, nous avons tous et toutes été choqués d’apprendre que des enfants, dans nos écoles, avaient refusé de s’incliner devant la mémoire des défunts. La démission serait la pire des faillites.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.
Il est aujourd’hui vital que la République affirme ses valeurs, avec humanité, autorité et tolérance.
L’école, pierre angulaire de la République, doit être de nouveau au coeur du projet républicain.
L’école de la République doit accueillir ses enfants sur ses bancs sans distinction de condition sociale, de conviction, ou de confession religieuse. Elle ne doit plus tolérer que 150 000 jeunes la quittent sans diplôme et s’engagent dans l’impasse de la désespérance. Elle doit donner les mêmes chances à ses enfants d’accéder au savoir et constituer le premier rempart contre l’ignorance.
L’école doit, enfin, être le sanctuaire de la laïcité, une laïcité que nous devons défendre sans états d’âme face aux menaces qui la guettent, mais une laïcité de bienveillance, de réconciliation, et non pas une laïcité de défiance ou de rejet de l’autre. Une laïcité qui soit à la fois un poing serré et une main tendue. Je propose d’ailleurs qu’on lève les couleurs dans les écoles et que l’on apprenne La Marseillaise aux enfants.
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.
Monsieur le Premier ministre, le Gouvernement entend-il s’engager sur ce chemin, sur lequel il trouverait le groupe UDI à ses côtés ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI et sur plusieurs bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le député, ce que nous ont montré les interrogations, les perturbations dans les salles de classe que j’évoquais à l’instant – il y a d’ailleurs eu parfois aussi de la part de certains enfants des questionnements innocents, ingénus –, c’est que des valeurs républicaines qui nous paraissent évidentes, comme la liberté d’expression, la laïcité, le rejet viscéral de l’antisémitisme, le respect de la loi et de l’autorité, ne le sont pas tant que cela pour un certain nombre d’enfants, de jeunes, d’adolescents, et c’est cela aussi qui doit nous interroger aujourd’hui.
Ne nous leurrons pas, ces questionnements, ces incompréhensions, cette théorie du complot, que l’on retrouve trop souvent parmi nos jeunes, traversent l’ensemble de la société, et nous devons apporter des réponses aux plus jeunes mais aussi aux adultes.
Vous avez raison de parler de citoyenneté et de valeurs et de dire que c’est à l’école aussi qu’il revient d’assumer cette mission. Aujourd’hui, honnêtement, elle n’est pas à la hauteur dans cette mission. Ce n’est pas faute d’enseignants de valeur, d’enseignants qui souhaitent transmettre ces valeurs, mais nous avons besoin de nous réunir, de nous mobiliser, de provoquer un sursaut, pour être enfin à la hauteur des enjeux.
La laïcité, c’est vrai, sera le préalable indispensable, pour apprendre à nos jeunes à vivre ensemble mais aussi pour se construire un esprit critique, une liberté de conscience, une liberté de jugement, l’art du débat contradictoire, ce qui leur permettra ensuite de faire le tri entre ce qui relève de l’information et ce qui relève de la rumeur.
C’est la raison pour laquelle nous accordons tant d’importance à l’introduction d’un enseignement moral civique à l’école, et à la nécessité de former davantage nos enseignants, de leur donner plus de ressources et d’outils pour les accompagner dans cette pédagogie. Nous le répéterons aux recteurs que nous réunirons avec les préfets dans quelques jours avec le Premier ministre.
Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes SRC et GDR.
La parole est à M. Georges Fenech, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Ma question s’adresse à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Le Premier ministre a déclaré devant nous hier que la France était en guerre contre l’islamisme radical. Nous le soutenons dans sa volonté de protéger nos valeurs et nos compatriotes, et nous ferons nos propres propositions en ce sens.
Mais dans ce contexte d’union nationale, je m’étonne, madame la ministre, sans esprit polémique, croyez-le bien,
Murmures sur les bancs du groupe SRC
des dernières instructions que votre ministère a adressées aux procureurs et qui, à l’évidence, vont à l’encontre de ces objectifs.
Dans une circulaire du 26 décembre dernier, vous demandez que tous les détenus purgeant une peine allant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement puissent bénéficier aux deux tiers de leur peine d’une libération sous contrainte, mais sans conditions, puisqu’ils n’auront même pas l’obligation de produire un projet de réinsertion professionnelle. Selon vos propres estimations, ce sont quelque 20 000 détenus qui vont prochainement recouvrer la liberté, et donc faire courir un nouveau risque à nos concitoyens.
Encore plus déroutant, dans une circulaire datée du 9 janvier, c’est-à-dire deux jours après les attentats, vous demandez que le régime des réductions de peine des primodélinquants soit étendu aux récidivistes, lesquels recouvreront donc la liberté au plus vite et, parmi eux, disons-le, il faut le craindre, quelques candidats au djihadisme.
Alors dites-nous, madame la ministre, comment, selon vous, les policiers et les gendarmes pourront se consacrer à la lutte contre le terrorisme s’ils doivent courir après des milliers de délinquants prématurément remis en liberté.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Dans ce moment tragique que traverse la société française, monsieur le député, compte tenu de la réponse grandiose qu’ont apportée les citoyens, aussi bien dans l’Hexagone que dans les outre-mer, et eu égard à l’estime qui nous est venue du monde entier, je crois qu’il nous est intimé de nous hisser. C’est d’ailleurs la consigne du Président de la République, et nous avons constaté que, sur tous les bancs, il y en a qui accomplissent cet effort.
Je vais me l’imposer moi-même et, par conséquent, je ne relèverai ni le ton polémique de votre question,
Protestations sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDI. – Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR
indépendamment de votre déclaration préliminaire, ni les inexactitudes malveillantes que vous y avez introduites.
Vous avez participé au débat sur la réforme pénale et vous savez que les circulaires que vous évoquez sont tout simplement du travail d’action publique, qui explique le contenu de la loi, contenu que vous connaissez parfaitement pour avoir participé à ces discussions.
Les éléments que vous évoquez ont d’ailleurs été introduits à la commission des lois, portés par le rapporteur, débattus démocratiquement dans cet hémicycle et expliqués.
Je vous rappelle d’ailleurs que l’une des circulaires que vous contestez prévoit au contraire que le contenu de la réforme pénale ne s’applique pas aux situations antérieures aux dispositions contenues dans le texte.
Je regrette que vous n’ayez pas signalé la circulaire qui demande aux parquets de faire preuve de la plus grande fermeté dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme,
Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes SRC et GDR
dans la continuité de la circulaire de juin 2012, avec une action continue sur deux ans, un renforcement de notre arsenal législatif,…
…une vigilance continue.
Sincèrement, monsieur le député, plutôt que d’avoir des sorties sèches comme nous en avons connu, sans suivi des détenus qui, comme vous le dites, rencontrent effectivement de grands terroristes dans les établissements pénitentiaires, nous voulons au contraire l’efficacité dans la protection des Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC, sur de nombreux bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Au lendemain d’un jour particulier dans l’histoire de notre assemblée, je souhaiterais dire que la France des outre-mer s’est elle aussi rassemblée le 11 janvier, partout où elle vit, pour communier par la pensée, par l’esprit et par le coeur avec des millions d’autres Français, pour dire son indignation et son horreur face à la barbarie, pour dire sa peine à l’égard des familles dont l’un des membres a été fauché par la haine, pour dire, enfin, son attachement indéfectible à la liberté, à la laïcité et aux valeurs républicaines.
Madame la ministre des outre-mer, le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est démissionnaire depuis maintenant cinq semaines et, conformément à la loi, son rôle se limite à l’expédition des affaires courantes. Le 31 décembre dernier, un nouveau gouvernement a été élu par le congrès de Nouvelle-Calédonie. Ce gouvernement légal et légitime n’a pu entrer en fonction du fait de l’absence de majorité absolue permettant l’élection de son président. Une paralysie des institutions en résulte ; elle ne peut perdurer, d’autant plus qu’un parti politique en est à l’origine.
Elle ne peut perdurer, d’abord, parce qu’il faut respecter la volonté exprimée par les Calédoniens lors des dernières élections provinciales qui ont fait de Calédonie ensemble la première formation politique de Nouvelle-Calédonie. Respecter le suffrage universel, c’est le premier des principes républicains. Elle ne peut perdurer, ensuite, parce que des réformes économiques et sociales importantes doivent être menées et que seul un exécutif de plein exercice peut les conduire. Elle ne peut perdurer, enfin, parce qu’en aucune manière un exécutif qui expédie les affaires courantes ne peut véritablement gouverner un pays.
Madame la ministre, quelles initiatives pouvez-vous prendre ?
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.
Monsieur le député, vous avez raison de souligner que, dans tous les outre-mer, des milliers de personnes se sont déplacées pour manifester leur émotion et leur solidarité à la suite des graves événements qui ont affecté la nation. L’hommage qui a été rendu hier par le Président de la République et par les plus hautes autorités de l’État à la policière municipale qui a été tuée dans ces circonstances est de nature, me semble-t-il, à renforcer encore davantage le lien qui unit les habitants des outre-mer et la République.
S’agissant de la situation en Nouvelle-Calédonie, il est clair que nous ne pouvons pas nous satisfaire de ce qui existe. Ayant démissionné, le gouvernement peut seulement, aujourd’hui, expédier les affaires courantes. Par conséquent, il ne peut pas prendre à bras-le-corps les difficultés économiques et sociales considérables qui se posent en Nouvelle-Calédonie et il ne peut pas non plus travailler utilement pour préparer la sortie de l’accord de Nouméa. Il faut donc – et c’est ce que nous souhaitons – que les partis politiques reprennent le dialogue, de manière à mettre en place un gouvernement dont le président et le vice-président soient susceptibles de prendre les initiatives indispensables pour avancer.
Bien évidemment, si cela ne pouvait pas se faire, le Gouvernement, en tant que partenaire de l’accord de Nouméa, serait obligé de prendre les initiatives qui s’imposent pour que nous sortions de l’imbroglio. Nous souhaitons que, les uns et les autres, nous soyons à la hauteur de nos responsabilités pour que 2015 soit une année utile pour la Nouvelle-Calédonie, nous permettant d’avancer comme nous devons le faire.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Alain Marty, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le Premier ministre, vous avez annoncé hier un certain nombre de mesures visant à renforcer notre arsenal de lutte contre le terrorisme et l’islamisme radical. Vous proposez notamment un nouveau fichier pénal antiterroriste, un renforcement des mesures carcérales antiradicaux et des moyens supplémentaires pour la DGSI. Nous sommes en accord avec ces propositions.
Il s’agit à présent de passer aux actes. Au nom du groupe UMP, je voudrais vous poser quelques questions. Allez-vous présenter un collectif budgétaire pour prévoir les financements de ces mesures ? Au-delà du plan de recrutement sur cinq ans lancé il y a un an pour renforcer les cellules judiciaires et d’analyse de la DGSI, de quelle ampleur vont être les recrutements supplémentaires que vous évoquez ? La loi de programmation militaire prévoit une clause de revoyure à la fin de cette année. Devant les menaces nouvelles et le fait que nous soyons, selon vos propos, en guerre contre le terrorisme djihadiste, en restez-vous à l’exécution de la LPM ou envisagez-vous son réexamen plus tôt ?
Je tiens ici à rendre hommage aux policiers et aux militaires qui sont engagés, pour la sécurité des Français et sur les théâtres d’opérations extérieurs. Nous leur renouvelons notre soutien et notre reconnaissance. Il y a trois mois, je vous demandais de mettre fin à la déflation de nos armées, qui doit être de 34 000 hommes jusqu’en 2019. L’état du monde et la sécurité de nos concitoyens nous conduisent à ne plus baisser la garde et à ne plus réduire le format de nos armées. Votre discours, hier, à la tribune de l’Assemblée se voulait un discours de fermeté et de vérité, compte tenu des événements tragiques que nous avons traversés. Vous comprendrez que la question des moyens à mettre en oeuvre ait une importance particulière.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le député, je rejoins votre préoccupation concernant les moyens. Il faut effectivement, face à une menace protéiforme, des moyens pour lutter contre le terrorisme. Vous savez comme moi que les forces de police et de gendarmerie ont perdu près de 13 000 postes au cours des dernières années. C’est à partir de 2012 que 500 emplois supplémentaires ont été créés chaque année. La Direction générale de la sécurité intérieure, dont vous avez à juste titre indiqué le rôle stratégique, a perdu 130 emplois. C’est Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, qui a décidé d’en créer 432. Nous avons déjà recruté 140 personnes ; nous en recruterons 140 en 2015. Sans doute faut-il accélérer le recrutement, parce que nous avons besoin des compétences technologiques d’informaticiens, mais aussi de linguistes ou de chercheurs.
Vous avez raison de dire aussi que tout cela doit faire l’objet de décisions budgétaires. Le Premier ministre a annoncé hier quelle était la direction et il a demandé au ministre concerné de faire des propositions. Nous travaillons pour que, dès la semaine prochaine, nous puissions avoir une idée des moyens nécessaires et de leur quantification. Comme l’a dit le Premier ministre, le Parlement y sera très étroitement associé. Pour ce qui concerne la loi de programmation militaire, il y a effectivement une clause de revoyure en 2015 et le ministère de la défense travaille à l’élaboration des mesures nécessaires.
Le Premier ministre a annoncé des mesures hier. Nous sommes au travail, sans trêve ni pause, pour faire en sorte que, la semaine prochaine, la plupart de ces mesures aient trouvé une traduction budgétaire. Nous aurons, à ce moment-là, à revenir devant les différents groupes politiques, pour indiquer, dans l’esprit du discours du Premier ministre et avec volonté et détermination, les moyens que nous allouons pour protéger dans de bonnes conditions les Français.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Marc Le Fur.
L’ordre du jour appelle le débat d’orientation pour la stratégie numérique de la France.
La Conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons le Gouvernement puis les orateurs des groupes, et ensuite nous procéderons à une séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée du numérique.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, voilà trente mois que vous siégez comme parlementaires au sein de cet hémicycle. Vous avez observé le fonctionnement des institutions politiques. Vous avez donc constaté l’écart qui se creuse dans nos démocraties entre l’appareil institutionnel et les citoyens, la méfiance qui parfois s’instaure. Certains s’interrogent aussi sur la capacité du temps politique, en particulier parlementaire, qui est un temps nécessairement long, à s’adapter au temps médiatique et aux urgences exprimées par nos concitoyens. D’autres se demandent comment mieux impliquer le Parlement dans les travaux de l’exécutif, dans le respect de l’équilibre des pouvoirs.
Le débat qui nous réunit aujourd’hui vise modestement, de manière un peu expérimentale, à prendre acte de ces questionnements légitimes et à proposer une manière plus inclusive, transparente et finalement plus démocratique de fabriquer la loi.
Ce débat d’orientation, vous l’avez voulu, et je remercie le groupe SRC de l’avoir inscrit cette semaine et de me donner ainsi la possibilité de m’exprimer et d’aborder la question globale de la stratégie numérique du Gouvernement.
Mais c’était avant que de terribles attentats ne viennent blesser notre pays, avant que le monde entier ne tourne les yeux vers la France pour découvrir une forme de barbarie, en même temps qu’une volonté de résistance exemplaire. Après le choc et son absorption, la réflexion, avant la décision. Or cette actualité concerne tous les services de l’État et tous les pans de la société : justice, sécurité, médias, éducation, transports, santé.
Le numérique et internet n’y échappent pas et vous avez hier, comme moi, entendu le Premier ministre demander au ministre de l’intérieur de lui faire des propositions d’ici une semaine quant aux moyens de lutter contre les possibilités d’embrigadement par le biais d’internet, notamment auprès des jeunes, contre la prise de contact et la mise en réseau d’individus, et contre l’acquisition de techniques qui peuvent encourager le passage à l’acte terroriste.
Nous travaillerons avec le ministre de l’intérieur et la garde des sceaux à la formulation de ces propositions pour qu’à droit constant – j’insiste sur ce point – et sans recourir à une loi d’exception, nous puissions renforcer plus encore l’efficacité des dispositifs réglementaires et techniques existants. Vous serez pleinement consultés dans ces travaux, mesdames et messieurs les députés.
Mais aujourd’hui l’heure n’est pas aux annonces et je concentrerai mon propos sur la vision globale, très ambitieuse, que défend le Gouvernement pour que le potentiel du numérique soit pleinement exploité comme un outil mis au service du développement économique, de la création d’emplois, de l’égalité, de la démocratie, du service public, bref de nos fondamentaux, dont le logiciel doit néanmoins être actualisé pour construire ensemble la République à l’heure du numérique, la République numérique.
Le numérique génère souvent des appréhensions – vous le constatez dans vos circonscriptions –, mais il permet beaucoup en termes de partage, de mobilisation citoyenne, d’échanges. Regardez ainsi ces centaines de dessins qui ont circulé dans le monde entier, exprimant, à travers tant de cultures et dans tant de langues, une valeur universelle, la liberté d’expression. La solidarité de la planète, nous l’avons un peu mesurée avec les 6,6 millions de tweets « Je suis Charlie ». Cette puissance du numérique peut servir le meilleur comme le pire, mais elle est et doit rester un outil. Ce n’est pas grâce à internet que nous avons la liberté d’expression mais grâce aux 4 millions de Français qui ont manifesté pour la défendre. Ils ont brandi des stylos – peut-être parce que Cabu n’aimait pas les ordinateurs et n’avait pas de téléphone portable –, mais s’ils avaient brandi des smartphones ou des tablettes, le symbole aurait été le même.
Le numérique est aussi une formidable opportunité de développement et de croissance pour notre pays et une véritable chance – à condition de la saisir et de ne pas verser dans une sorte de « technophilie » qui s’imposerait au détriment du progrès humain.
Cette année 2015 est une année essentielle aux plans international, européen et national. En décembre se tiendra un rendez-vous important à l’ONU sur la gouvernance de l’internet, pour célébrer les dix ans du Sommet mondial sur la société de l’information. À Bruxelles seront certainement adoptés plusieurs textes très attendus, concernant notamment les données personnelles, la neutralité des réseaux, la cybersécurité, l’itinérance mobile. C’est en mai 2015 que la Commission européenne dévoilera son plan d’action pour le numérique. Cela tombe bien, et il faut croire que le calendrier n’est pas toujours hasardeux, puisque la France publiera sa propre stratégie en mars, sous trois formes : un projet de loi numérique, un plan de mesures concrètes à caractère national, et un plan stratégique à déployer au niveau européen avec nos partenaires.
Le Premier ministre a lancé le 4 octobre dernier une concertation sur le numérique, organisée par le Conseil national du numérique – CNN –, qui mobilise citoyens, entreprises, administrations, collectivités locales et société civile pour définir ensemble notre projet numérique. La plate-forme en ligne dédiée, ouverte jusqu’au 4 février 2015, a reçu à ce jour plus de 3 000 contributions. Leur analyse alimente en continu les travaux du Gouvernement. C’est la première fois que nous menons un tel exercice. Pour la première fois, en effet, les ministères – une dizaine au total – ainsi que les différentes administrations de l’État participent, très en amont, à des échanges en vue de la rédaction d’un projet de loi et contribuent directement sur une plate-forme publique.
Ce projet de loi est une occasion d’innover en démocratisant l’élaboration de la loi et nous la saisissons. Dans le même esprit, je m’assurerai que l’étude d’impact qui lui sera associée soit la plus complète possible.
Voici donc l’agenda qui nous attend : le 4 février, fin de la concertation numérique en ligne ; fin février, rapport du Conseil national du numérique ; en avril, présentation en Conseil des ministres de la stratégie numérique de la France ; en mai, présentation de la stratégie de la Commission européenne. Enfin, si possible durant le premier semestre, présentation au Parlement d’un projet de loi relatif au numérique.
Dans le secteur numérique, je combats la thèse du « déclinisme ». Nous n’avons pas de retard, nous avons même de l’avance.
Trois exemples le confirment. Tout d’abord, nos écosystèmes d’innovation, ancrés dans les territoires, animés par des entreprises et en particulier des start up très investies et performantes, désormais fédérées autour de la bannière de la French Tech, largement remarquée la semaine dernière lors du Consumer Electronics Show aux États-Unis. Autre exemple, notre « e-gouvernement » et en particulier nos services publics en ligne, nous classent au quatrième rang mondial – cela donnerait presque envie à certains de payer leurs impôts…
Troisième exemple, le déploiement des infrastructures de haut et très haut débit permettra la couverture de l’ensemble de la population à l’horizon 2022.
L’objectif du Gouvernement est de conserver cette avance et de l’améliorer pour nous hisser sur le podium des pays les plus avancés numériquement. Le Gouvernement tient à s’assurer que cette stratégie bénéficie à tous et pas uniquement à quelques « happy few ».
Pour cela, il propose de tirer au maximum parti de l’économie de la donnée, de la data, en proposant notamment des formations en adéquation avec les besoins du marché d’aujourd’hui et les métiers de demain, en intégrant dans la mesure du possible une approche algorithmique afin de rendre les politiques publiques plus préventives, mieux ciblées et plus efficaces, et en faisant en sorte que les modèles économiques soient plus tournés vers la création de valeur à partir de cette valeur immatérielle qu’est la donnée.
Il convient de renforcer et d’élargir l’ouverture des données publiques engagée depuis plusieurs années par l’État et les collectivités territoriales – ce que l’on appelle en anglais l’open data – pour rendre mieux compte de l’action publique, faire gagner en efficacité les nombreux services du quotidien, faire émerger les connaissances utiles au développement de l’innovation.
Nous réfléchissons à la création d’une nouvelle catégorie de données : la donnée d’intérêt général, qui pourrait par exemple s’appliquer aux transports.
Enfin, nous souhaitons que cette économie et cette société de la donnée n’émergent pas au détriment de la protection de la vie privée. Il faut pour cela introduire de nouveaux droits pour les individus dans le monde numérique, sans entrer en contradiction, naturellement, avec les négociations menées à Bruxelles sur la protection des données personnelles.
Avec la loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, nous avons été précurseurs, dès 1978. Mais c’était avant internet, avant les réseaux sociaux. De nouveaux droits peuvent être imaginés, au-delà de la seule question des données personnelles : accès facilité au contenu des informations détenues sur soi par des tiers ; actions collectives par lesquelles les usagers des services en ligne pourraient peser davantage face aux géants de l’internet ; création d’un droit au déréférencement, voire à l’effacement des données sur internet, qui s’appliquerait automatiquement pour les mineurs, particulièrement friands des réseaux sociaux ; amélioration de l’efficacité de la preuve électronique, dont la valeur doit être plus largement reconnue et l’usage davantage répandu dans un environnement bien sécurisé ; amélioration de la vie quotidienne des personnes en situation de handicap, à travers une meilleure maîtrise des outils numériques ou, souvent, grâce à ces outils eux-mêmes.
Par ailleurs, pour tirer pleinement parti de l’économie de la donnée, il convient de revoir les missions de la Commission nationale de l’informatique et des libertés – CNIL –, afin de mieux accompagner les entreprises en amont, dans un environnement juridique qui peut être complexe, de mieux les informer sur les possibilités d’innovation, et, aussi de les sanctionner plus lourdement en cas de manquement au droit. Lorsqu’un Google, qui engendre un bénéfice net de 3 milliards de dollars au seul troisième trimestre 2014, ne respecte pas la loi française sur les données personnelles, faut-il se contenter d’une sanction maximale de 150 000 euros ?
Toujours dans le domaine économique, nous souhaiterions conforter et sécuriser le cadre de l’économie du partage – partage d’automobiles, de logements, d’espaces de rangement, de places de parking, etc. : les possibilités de créer des circuits courts sont infinies –, afin de permettre, dans le respect de la loi et notamment du droit de la concurrence, un recours accru à ces services, source d’un meilleur pouvoir d’achat pour nos concitoyens.
Accompagner la transformation numérique de l’ensemble du tissu économique, tel est l’enjeu économique principal. Les start-up, les jeunes entreprises innovantes à très forte croissance, qui créent des emplois – 8 % des entreprises à plus forte croissance créent 65 % des emplois en France aujourd’hui – doivent pleinement contribuer à cette transformation, grâce à la valeur ajoutée qualitative de notre économie.
Deux défis nous attendent : il s’agit, en premier lieu, de faciliter l’accès des entreprises à la commande, qu’elle soit publique ou privée, et, en second lieu, de faciliter l’accès au financement de leurs projets entrepreneuriaux, en diversifiant ces sources de financement.
Il faut aussi que le développement des infrastructures dans les territoires s’accompagne d’une meilleure diffusion des usages – télémédecine, e-éducation, Big Data, administration en ligne, notamment. De plus, aujourd’hui, les citoyens ne comprennent pas qu’ils n’aient pas accès à la couverture mobile partout en France. Il convient donc de revoir certaines obligations de couverture mobile, en réformant la prestation du service universel de publiphonie – pourquoi ne pas installer le wifi dans les cabines téléphoniques ? – et en développant la médiation. Il faut en effet reconnaître le métier de médiateur numérique, essentiel pour la diffusion des usages et l’inclusion de tous.
Toujours sur le plan économique, nous souhaitons instituer un cadre équilibré, répondant à trois exigences. La première est l’ouverture, conformément au principe de la neutralité des réseaux, et passe par la promotion de formats ouverts et interopérables, le développement de la portabilité des données et l’accès ouvert aux publications de recherche.
La deuxième exigence est de garantir la loyauté des plateformes de services qui dominent pratiquement la vie économique. Il faut donc lutter contre certaines pratiques anticoncurrentielles et améliorer l’information des utilisateurs et la transparence, en particulier dans la publicité digitale.
Enfin, s’agissant de la fiscalité du numérique, faut-il accepter qu’il existe, lors du paiement de l’impôt sur les sociétés, un rapport de un à dix entre le revenu déclaré en France et le chiffre d’affaires estimé pour les activités menées dans notre pays ? Le Gouvernement, lui, le refuse, et affiche sa volonté de faire avancer, aux niveaux européen et international, les moyens de lutter contre l’optimisation fiscale pratiquée par les plateformes du numérique. Ces stratégies de détour par les paradis fiscaux érodent en effet les bases fiscales et mettent en cause notre système social redistributif.
Voilà le tour d’horizon, assez large, de la stratégie numérique – ambitieuse, vous l’aurez compris – du Gouvernement. Cette ambition, c’est une économie redynamisée, une confiance restaurée entre les citoyens, un avenir repris en main et réapproprié.
Telles sont certaines des clés de la République numérique que j’appelle de mes voeux : croissance, inclusion, confiance. Telle est l’ambition numérique de notre pays.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe écologiste.
La parole est à Mme Corinne Erhel, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État chargée du numérique, monsieur le secrétaire d’État à la réforme de l’État et à la simplification, mes chers collègues, le numérique est une opportunité à saisir, un moyen de s’ouvrir sur le monde, de favoriser le progrès social, d’encourager l’innovation, l’accès à la connaissance et la liberté d’expression.
Définir la stratégie numérique de la France, c’est donc tout d’abord choisir dans quelle société nous souhaitons vivre. Vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État, l’équilibre entre la garantie de la sécurité des citoyens et la préservation des libertés publiques sur internet est complexe à trouver pour le politique. Le chemin est étroit, souvent difficile techniquement, mais je suis persuadée que nous trouverons, ensemble, une réponse juste et efficace. Le Parlement jouera là, je l’espère, tout son rôle, en tant qu’instance de proposition mais également de contrôle.
La neutralité des réseaux est également fondamentale à défendre parce qu’un réseau neutre, c’est un réseau qui permet à l’innovation de se développer et aux libertés de s’exprimer sans discrimination. Nous devons en faire un objectif politique clair et affirmé.
Préserver les libertés publiques et défendre nos valeurs, c’est aussi veiller à ce que chaque utilisateur, individu ou entreprise, ait la pleine maîtrise de ses données. Cette maîtrise dépendra tout d’abord de la capacité de notre pays à garantir la souveraineté de ses réseaux, par un déploiement qui ne génère pas de nouvelles vulnérabilités, particulièrement dans les parties actives du réseau.
À ce sujet, comme je l’ai exprimé de nombreuses fois, je suis convaincue que la réflexion industrielle européenne en matière de souveraineté et de maîtrise des réseaux n’a pas été suffisante jusqu’à présent.
Par ailleurs, rester propriétaire de ses données et en assurer une diffusion contrôlée, consentie et réversible est fondamental. Il faut donner aux citoyens la pleine conscience de la valeur et du caractère sensible de leurs données, ainsi que de l’enjeu qu’elles représenteront dans le futur. Ces combats, il faudra aussi les porter à l’échelon européen, dont la pertinence sur ces sujets n’est plus à démontrer.
Au-delà de l’enjeu purement sociétal, le numérique est aussi – tous en conviennent – un formidable levier de développement économique, de croissance et d’emploi, dont il faut absolument s’emparer.
En effet, selon un rapport récent, 1,5 million d’emplois seraient liés au numérique en France. D’ici dix ans, le potentiel des technologies du numérique en termes de création de valeur s’élèverait à 1 000 milliards d’euros, et il serait possible, si nous nous alignons sur les leaders actuels, d’accroître de 100 milliards d’euros notre produit intérieur brut.
Quelle stratégie, dès lors, peut-on adopter pour encourager le développement économique, « booster » la croissance et créer de l’emploi ? Avec ma collègue Laure de La Raudière, nous nous sommes posé la question dans le cadre de la mission d’information sur le développement de l’économie numérique. À cet égard, l’observation, au cours de ces travaux, de nos voisins et partenaires internationaux a été très enrichissante. Il faut être ouverts à ce qui se fait ailleurs.
Plus concrètement, une stratégie qui permet et encourage l’innovation requiert de se doter des infrastructures fixe et mobile nécessaires. Comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, c’est tout l’objectif du plan France Très Haut Débit – THD – dont les objectifs ambitieux sont connus et salués par tous : le THD partout pour tous à l’horizon 2022 en privilégiant la fibre optique, enjeu économique, industriel et d’aménagement du territoire majeur. Par ce choix technologique, la France prend un temps d’avance : elle disposera à terme d’un réseau propriétaire performant et pérenne.
Toutefois, on a pu, ces temps derniers, avoir l’impression qu’un glissement sémantique s’opérait s’agissant de la technologie choisie in fine. En effet, sans doute par pragmatisme – un pragmatisme que je partage pour certains points –, l’on parle de plus en plus de montée en débit et de technologies alternatives.
Je comprends parfaitement l’intérêt de fixer des objectifs intermédiaires, mais il me paraît important, alors que des travaux coûteux pour les collectivités et les opérateurs sont en cours, de réaffirmer que le déploiement de la fibre optique est notre cible à long terme.
Dans ce domaine, l’attente des territoires, notamment ruraux et de montagne, est forte. Je relaie ici en particulier les préoccupations de Frédérique Massat, présidente de l’Association nationale des élus de la montagne.
Par ailleurs, afin d’accompagner le développement économique, la croissance et l’innovation, plusieurs actions sont à engager. Une première urgence réside, comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, dans l’accélération de la mutation numérique des entreprises, et notamment des petites et moyennes entreprises et des très petites entreprises. Ce constat est partagé par de nombreux observateurs. Nous en avions d’ailleurs fait état dans notre rapport sur le développement de l’économie numérique française, en mai dernier.
Dans un souci de compétitivité, il devient vital pour les PME et TPE françaises d’adapter au numérique leurs modèles économiques, leurs stratégies, leurs process et leurs organisations, car le numérique change bien évidemment la relation avec le client, la structuration de la concurrence et la temporalité de la décision.
De mon point de vue, c’est en grande partie la vitesse de diffusion de ces technologies parmi les acteurs économiques qui déterminera quels États et quelles entreprises s’octroieront la plus large part des bénéfices tirés de la transformation numérique. Ce point est pour moi essentiel. Tout est ensuite question de méthode et de calendrier.
L’État, évidemment, est responsable : il doit jouer un rôle de soutien fort. Il me paraît prioritaire d’investir massivement dans les filières d’avenir – cloud, Big Data, réalité augmentée, économie du partage – dans lesquelles la France est, pour le moment, bien voire très bien positionnée.
Il faut s’en donner les moyens en permettant par exemple, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, une déclinaison plus pratique des plans stratégiques de l’État dans les territoires. La commande publique a, de son côté, un rôle crucial à jouer pour accompagner le développement des acteurs de l’innovation de rupture. Ce point est également essentiel : comment intégrer l’innovation de rupture dans la commande publique ?
Soutenir ces filières impliquera également de mettre en place de nouveaux modèles de financement au service de l’innovation. Ils nécessiteront sans doute, pour certains, des phases d’expérimentation dans lesquelles les écosystèmes solides dont nous disposons dans les territoires auront un rôle clé à jouer.
Faciliter et encourager l’innovation passera aussi par une réflexion approfondie sur les outils de propriété intellectuelle et industrielle à la disposition des entreprises, à l’heure où l’innovation ouverte rebat les cartes pour apporter une réponse pertinente à des cycles d’innovation qui ne cessent de se raccourcir.
Notre action doit être nationale mais aussi européenne afin d’initier une politique industrielle communautaire concertée. Nous devons en même temps être des acteurs majeurs auprès de l’OCDE à propos des sujets cruciaux, la fiscalité en particulier.
La réussite de cette mutation dépendra aussi de notre capacité à adapter notre système de formation initiale et continue. Former aux nouveaux métiers du numérique aidera à saisir les opportunités d’emploi au cours des prochaines années, j’insiste souvent sur ce point. L’anticipation et l’adaptation des compétences des personnes actuellement salariées ou sans emploi constituent un point absolument essentiel. L’État, quant à lui, est concerné au premier chef par la révolution numérique et demeure parfois tributaire des silos hiérarchiques qui l’empêchent d’agir avec agilité et de muer pleinement vers sa modernisation.
Cette mutation n’a pas pour but de réduire in fine les effectifs des agents de l’État mais bien d’améliorer la qualité et l’efficacité du service public et de garantir l’égalité d’accès des citoyens. Nous ne recherchons pas « moins d’État » mais « mieux d’État » ! Plusieurs évolutions sont souhaitables, par exemple celle des administrations vers l’acceptation que leurs données relèvent du bien commun dans les limites des règles de sécurité adaptées. L’open data est un mouvement mondial auquel la France se doit de participer. La stratégie digitale de l’État suscitera des gains d’efficacité interne mais aussi de réelles améliorations de la mise en oeuvre des politiques publiques au service des territoires, des citoyens, de la croissance et de l’emploi.
Mais il nous faudra à chaque étape être extrêmement vigilants en matière d’accessibilité de tous les publics aux services numérisés. Il ne faut pas créer de nouvelles fractures générationnelles, sociales ou dues au refus de certaines personnes de s’initier aux technologies numériques. Le vivre-ensemble est un aspect extrêmement important du problème auquel il nous faut réfléchir en termes de méthode.
En conclusion, nous décidons aujourd’hui de la société dans laquelle nous souhaitons vivre. Le numérique et internet en sont des aspects essentiels. Surtout, nous devons savoir si nous voulons avoir l’initiative ou suivre un mouvement impulsé par d’autres. Le numérique est une formidable chance. Il constitue un levier de croissance et une plate-forme d’innovation. Enfin, et c’est important par les temps qui courent, il sert la liberté d’expression qui est constitutive de nos démocraties !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et du groupe écologiste.
La parole est à M. Patrice Martin-Lalande, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, le débat d’orientation pour la stratégie numérique de la France et la préparation du projet de loi sont l’occasion dont chacun doit se féliciter d’un premier pas vers la coproduction législative qu’internet viendra heureusement généraliser. J’ai eu l’occasion de le dire au cours des travaux sur le « e-Parlement » menés par l’Union interparlementaire, l’organisation mondiale des parlements, internet fournit clairement des moyens sans précédent pour véritablement refonder le travail parlementaire.
En effet, l’internet permet une co-préparation de la loi avec le concours de tout un chacun grâce aux plate-formes contributives qui élargissent les possibilités d’expertise, si ponctuelle et passagère soit-elle. Internet permet aussi une co-évaluation collective de la mise en oeuvre et des résultats de la loi, élargissant ainsi les angles de contrôle. Internet permet enfin le cas échéant la co-décision voire la décision référendaire par les internautes à la place du Parlement. J’entends d’ici les réactions !
Toutefois, nous croyons tous ici, j’en suis sûr, que la mission irremplaçable du Parlement demeure la prise en compte et la pondération de l’ensemble des avantages et des inconvénients dans la recherche d’une solution durable et d’intérêt général.
Nous tomberons donc tous d’accord que le vote des internautes ne fournit pas spontanément les mêmes garanties !
Même avec le très haut débit et la compression de données, il est impossible de faire le point de façon satisfaisante sur la stratégie numérique de la France en cinq minutes. Je me bornerai donc à évoquer quatre points.
Le premier concerne le déploiement des infrastructures du très haut débit. La réforme du service universel des télécommunications, dont il est question dans le dossier que nous vous remercions de nous avoir envoyé, madame la secrétaire d’État, prévoit la suppression des cabines téléphoniques, laquelle devra selon nous être compensée par la couverture en téléphonie mobile ou en accès internet mobile dans chaque coeur de commune. La couverture du territoire en 4G constitue probablement avec le satellite la solution la plus réaliste pour faire accéder au très haut débit certaines zones de très faible densité.
La mutualisation des infrastructures et l’itinérance sont aujourd’hui envisageables et préférables au maintien d’une concurrence systématique par les infrastructures dont les limites sont aujourd’hui atteintes. Veillons à ne pas pousser trop loin la recherche des prix les plus bas au détriment de l’investissement dans les réseaux !
Le deuxième point porte sur la protection des données personnelles et l’évolution des missions de la CNIL. La protection des données personnelles pourrait être inscrite dans notre Constitution, me semble-t-il, comme c’est le cas chez nos voisins européens, afin de bénéficier d’un régime juridique plus protecteur car non limité à la seule vie privée. Le renforcement des pouvoirs de la CNIL nous semble particulièrement nécessaire.
Il faut en effet restaurer la confiance de l’opinion publique qui est un élément très important d’internet, comme vous l’avez souligné, madame la secrétaire d’État, et Corinne Erhel après vous, et qui est légitimement troublée par les révélations sur la violation des échanges numériques. En revanche, la création d’un comité d’éthique du numérique serait à l’origine d’une complexité inutile car le rôle que l’on envisage de lui faire jouer l’est déjà par le collège de la CNIL et le comité consultatif des droits de l’homme, sans parler du CNN.
Notons que le principe jurisprudentiel allemand du droit à l’autodétermination informationnelle est un principe chapeau recouvrant toute une série de droits individuels qui sont seuls opposables.
Le troisième point porte sur la réforme du modèle actuel de gouvernance mondiale d’internet qui est devenue un enjeu majeur des relations internationales. En effet, faute de confiance en internet, le système nerveux de nos pays est menacé. C’est pourquoi mes collègues Gwenegan Bui et Jean-Yves Le Déaut et moi-même souhaitons organiser ici-même un colloque sous le haut patronage de notre président Claude Bartolone. Nous soutenons le Gouvernement qui oeuvre à l’internationalisation de la gouvernance mondiale multi-acteurs d’internet. L’ICANN sera enfin officiellement dégagée de la tutelle américaine cette année, ce qui est une bonne nouvelle. Sous votre impulsion, madame la secrétaire d’État, la France a très activement contesté la délégation par l’ICANN des extensions « .vin » et « .wine » et été une force de proposition, ce dont nous nous félicitons. Nous appelons le Gouvernement à définir avec nos partenaires européens une stratégie forte de gouvernance de l’internet afin de nous préparer à plaider et défendre notre position commune auprès des instances internationales et faire face aux abus de position dominante des grands d’internet, régulièrement appelés GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, qu’aggrave l’iniquité fiscale évoquée tout à l’heure.
Quatrièmement et pour conclure, j’évoquerai la politique industrielle numérique. Le CES de Las Vegas a montré à nouveau il y a quelques jours la capacité de nos entreprises à innover. Il faut aller plus loin. Une forte action française et européenne me semble nécessaire afin de favoriser le développement de l’industrie franco-européenne des objets connectés, prochaine étape importante d’internet, en particulier sur les marchés décisifs de la santé, de l’énergie et des transports. Nous invitons le Gouvernement à mettre en place un « Small Business Act » spécifique à la commande publique numérique, limité au secteur numérique afin de ne pas tomber sous le coup d’un certain nombre d’obstacles européens ou soulevés par nos partenaires. Ainsi, l’État et les collectivités feront plus et mieux appel aux entreprises du numérique de petite taille parmi lesquelles se trouvent les innovateurs de demain, nous en sommes tous convaincus.
Par cohérence avec notre volonté de préparer l’avenir du numérique en France, nous espérons par ailleurs que notre assemblée rejettera la proposition de loi malthusienne relative aux ondes électromagnétiques que nous examinerons le 29 janvier prochain.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
La parole est à M. Yannick Favennec, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, le développement du numérique constitue un enjeu important pour l’avenir et un facteur d’attractivité et de compétitivité de notre pays ainsi qu’une composante essentielle de l’aménagement du territoire. Tous les Français doivent être en mesure d’accéder équitablement aux technologies modernes de l’information et de la communication. Un territoire ne peut espérer être véritablement attractif et dynamique sans couverture numérique satisfaisante. C’est l’une des conditions de l’entrée de la ruralité de plain-pied dans la modernité, je le vis quotidiennement dans le département de la Mayenne où je suis élu. Nous devons donc agir afin d’éviter que la fracture numérique ne s’accroisse davantage. Les députés du groupe UDI, conscients de cette nécessité, ont d’ailleurs défendu il y a deux ans une proposition de loi à cette fin.
Le Gouvernement a lancé au printemps 2013 un plan « France très haut débit » dont l’objectif ambitieux est la couverture intégrale de la France en accès à très haut débit d’ici 2022 et de 50 % des foyers en 2017. Il vise en outre la réduction de la fracture numérique en fournissant un haut débit de qualité à l’ensemble des foyers d’ici 2017. Ce plan est un premier pas nécessaire et encourageant.
N’oublions pas, cependant, qu’avant de couvrir le territoire en très haut débit nous devons nous assurer que tous les Français ont accès à internet et à la téléphonie mobile. Il s’agit d’un vrai sujet, en particulier dans le monde rural. En outre, nous devons rendre la main aux collectivités territoriales en matière d’aménagement numérique en leur donnant la pleine capacité de développer des réseaux à très haut débit. Le projet de loi numérique devrait susciter une politique territoriale du numérique. Aura-t-il vocation à rééquilibrer les relations entre opérateurs privés et collectivités ?
Par ailleurs, le budget consacré au plan dans le projet de loi de finances pour 2015 avoisinait 1,5 milliard d’euros seulement pour accompagner l’ensemble des nouveaux projets de réseaux d’initiative publique. Est-ce suffisant pour atteindre un objectif aussi ambitieux ?
Le prochain rendez-vous en la matière sera le projet de loi numérique qui devrait renforcer et élargir l’ouverture des données publiques engagée par l’État et les collectivités. Une telle réforme est nécessaire. En effet, si l’ouverture des données publiques constitue un enjeu majeur pour notre société ayant vocation à améliorer le pilotage de nos politiques publiques, la législation qui l’encadre n’est pas adaptée aux attentes des réutilisateurs ni aux possibilités de traitement offertes par les technologies actuelles. La feuille de route du plan « Big Data » de la « Nouvelle France industrielle » vise à accélérer le développement de la demande en matière d’usage du Big Data dans certains domaines, en particulier celui de la santé dans lequel l’ouverture des données aurait vraisemblablement un effet bénéfique en matière scientifique et économique comme sur l’amélioration de notre système de santé publique.
L’ouverture des données pose également la question de la préservation des données personnelles que le projet de loi numérique devra nécessairement aborder.
L’autre enjeu indissociable de l’ouverture des données est celui de leur réutilisation. Le projet de loi numérique aura vocation à favoriser une réutilisation accrue des données. À cette fin et comme le préconise d’ailleurs notre collègue Bertrand Pancher, auteur d’une proposition de loi sur le sujet, nous devrions nous appuyer sur le développement de data-visualisations innovantes enrichissant les processus d’information, de consultation et de concertation des citoyens.
Enfin, le numérique, parce qu’il est l’avenir, doit avoir toute sa place dans l’éducation et la formation. Le Président de la République a annoncé le 6 novembre dernier un grand plan numérique pour l’école prévoyant d’équiper les élèves de tablettes à la rentrée 2016 et de leur faire bénéficier d’une formation au numérique. Par-delà l’école, l’État doit favoriser les formations indispensables au développement de nos entreprises et les mettre à disposition de nos concitoyens. À ce titre, le numérique doit être considéré comme une composante indissociable de la compétitivité de nos entreprises.
J’insisterai, pour conclure, sur la nécessité de ne pas faire du monde rural le maillon faible du développement du numérique dans notre pays et de ne pas créer une fracture numérique entre urbains et ruraux. Il importe qu’en la matière aucune fracture géographique ne subsiste.
Monsieur le président, madame et monsieur les secrétaires d’État, chers collègues, c’est à un moment particulier qu’a lieu notre débat sur la stratégie numérique de la France. Notre attention se concentre sur les réseaux sociaux et sur l’internet en général, à la fois vecteur de radicalisation et de circulation de la propagande djihadiste et espace global de mobilisation citoyenne, comme nous l’avions déjà constaté au moment des révolutions arabes, des manifestations de la place Tahrir, ou, plus récemment, des mobilisations brésiliennes ou de celle de la jeunesse de Hong Kong. Nous le savons, les régimes autoritaires ne sont jamais favorables à un internet libre.
Les tentations de museler le net persistent pourtant partout, même dans nos démocraties.
Face aux coups portés à nos libertés, des résistants se sont levés. Chelsea Manning, Julian Assange, Edward Snowden, pour n’en citer que quelques-uns, ont dénoncé les secrets d’État, la surveillance de masse, l’atteinte à la vie privée, aux libertés civiles. Leurs actions, et plus encore la violence de la réponse pénale dont ils sont l’objet, interrogent le politique et le fonctionnement de l’ordre juridique.
Le contexte est lourd, mais c’est à l’aune de ces exemples que nous devons conduire notre réflexion. Je connais, madame la secrétaire d’État, votre attachement à la neutralité du net. Il s’exprime notamment dans le document produit par votre ministère, L’ambition numérique de la France. Je rappelle que l’un des objectifs poursuivis est l’introduction de nouveaux droits pour les individus dans le monde numérique en matière de données personnelles et d’accès aux services numériques.
Notre attachement à l’exigence de démocratie et au respect des libertés fondamentales lors des débats parlementaires doit être un impératif absolu. Nous devons donc préserver cet équilibre indispensable entre la défense des libertés et notre sécurité. Il n’est pas de liberté qui puisse facilement être abandonnée.
Depuis 1986, chaque acte terroriste a été suivi d’une loi. Depuis 1986, douze lois ont été votées, dont deux depuis 2012. La dernière, votée le 14 novembre 2014, est déjà très restrictive en matière de libertés sur internet. Son article 9, en particulier, dont nous avons longuement débattu, permet le blocage administratif des sites faisant l’apologie du terrorisme sans intervention d’un juge. Le texte instaure également une condamnation spécifique de l’apologie ou de la provocation au terrorisme, qu’il assimile à des faits de terrorisme. Il ouvre la possibilité de bloquer l’accès à un site internet sur décision du Gouvernement, sans que la justice ne soit consultée, et étend la possibilité pour la police de récupérer des preuves via des infiltrations sur les réseaux sociaux au moyen de faux profils. En cas de diffusion de vidéos ou de textes de propagande, les hébergeurs devront également « bloquer sans délai l’accès aux sites concernés ».
Vous le voyez, l’arsenal législatif français est l’un des plus complets qui soient en Europe. Je rappelle également que depuis le 9 janvier, au moins six condamnations ont été prononcées en France pour « apologie publique d’actes de terrorisme », avec des peines de prison ferme.
La loi de programmation militaire 2014-2019 contient elle aussi des dispositions renforcées de surveillance des citoyens d’ailleurs très contestables, car potentiellement dangereuses pour le respect de la vie privée. En outre, le projet de loi relatif à la géolocalisation, adopté le 20 janvier 2014 au Sénat, vient renforcer cet arsenal législatif.
Quelques jours avant les attentats, le 24 décembre, le premier décret d’application de la loi de programmation militaire a été publié. Il permet notamment, dans le cadre d’une enquête de renseignement, de collecter toutes données sur toutes personnes auprès de tous intermédiaires techniques. Les hébergeurs sont astreints à communiquer les données administratives : tous les pseudonymes utilisés, les mots de passe aux divers comptes et les données financières de leurs clients peuvent être communiqués.
L’enquête de renseignement peut ainsi s’appuyer sur des pouvoirs exorbitants. En cas de refus, des poursuites pénales peuvent être engagées, avec des peines maximales d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
La pression est aujourd’hui très forte sur la question des données de dossiers passagers – PNR, ou Passenger Name Record –, pour que ce système soit mis en place au niveau de l’Union européenne, et cela bien que ce dispositif, jugé menaçant pour les droits individuels, ait été rejeté en avril 2013 par la commission des libertés civiles du Parlement européen. Je rappelle que les États membres ont déjà accès aux données API – Advance passenger information System.
Chers collègues, dans ce système de surveillance permanent et de masse, les garanties des citoyens doivent être étendues et renforcées. Il faut prévoir des garanties suffisantes, qui permettent d’assurer une protection efficace des données contre les risques d’abus, ainsi que contre l’accès et l’utilisation illicites des données, et garantir pleinement, grâce à une autorité indépendante, le contrôle du respect des exigences de protection et de sécurité. La Commission nationale des interceptions de sécurité – CNIS – devrait ainsi être une véritable commission de contrôle de l’activité du renseignement, avec des membres indépendants. Enfin, il faut se garder d’entretenir dans l’esprit des citoyens le sentiment que leur vie privée peut faire l’objet d’une surveillance constante et totale, et faire de la pédagogie sur les espaces de liberté.
Contrairement à l’image qui en est donnée, internet est tout sauf une zone de non droit. J’aimerais donc, madame la secrétaire d’État, que vous nous précisiez la position qui est la vôtre dans les débats qui s’ouvrent, qui concernent l’amélioration de notre sécurité. Considérez-vous que les dispositions décidées dernièrement sont toutes utiles et efficaces ? Faut-il aller plus loin ?
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mesdames et messieurs les députés, c’est un débat passionnant qui nous réunit ce soir. Le Gouvernement prépare une stratégie globale pour le numérique en France et tient à associer les parlementaires à cette réflexion. Au nom des députés du groupe RRDP, je voudrais saluer cette initiative de co-construction.
Permettez-moi de concentrer mon propos sur un sujet qui me semble prioritaire, le déploiement homogène du très haut débit sur l’ensemble du territoire.
Pour l’attractivité des territoires ruraux, et notamment pour la santé, il constitue un enjeu crucial dans notre pays. Téléphonie mobile, 3G, télévision numérique terrestre, internet, ADSL, fibre optique : les députés et les élus ont connu plusieurs vagues de déploiement. À chaque fois, les mêmes questions se sont posées, les mêmes promesses ont été faites, et à quelques nuances près, les mêmes incomplétudes se sont répétées : les territoires ruraux et de montagne ont été laissés au bord de la route.
En 2010, à grands renforts de beaux discours, la loi relative à la lutte contre la fracture numérique, dite loi Pintat, a fixé trois principes pour l’aménagement numérique du territoire : l’anticipation de l’action publique pour assurer l’équité territoriale, la concomitance des déploiements de réseaux dans les territoires urbains et ruraux, et l’intervention financière de l’État pour assurer la péréquation géographique nationale. Il y a cinq ans déjà, sur tous les bancs de notre assemblée, des parlementaires avisés ont exprimé leurs doutes sur la crédibilité de la loi. Nous sommes en 2015, et force est de constater qu’ils avaient bel et bien raison : à chaque innovation technologique, ce sont sa permanence et sa récurrence qui caractérisent la fracture numérique territoriale.
Vous avez étudié la philosophie, madame la secrétaire d’État. Marc Wetzel vous l’a démontré, l’épistémologie historique enseigne que l’histoire ne se répète pas. Mais les élus des territoires ruraux finissent par croire qu’elle bégaye parfois…
Avec la volonté de répondre à la déception des populations des territoires ruraux, le Président de la République s’est engagé à tirer les leçons du passé en donnant la priorité au déploiement du très haut débit. Le Gouvernement a présenté en février 2013 un plan France Très Haut Débit très ambitieux, qui vise une couverture intégrale du territoire d’ici 2022, avec un objectif intermédiaire de 50 % des foyers en 2017. Nous saluons les 13 à 14 milliards d’euros d’investissements annoncés pour les réseaux d’initiative publique dans les dix ans à venir. Nous avons d’ailleurs voté ici même, dans le projet de loi de finances pour 2015, une autorisation d’engagement de 1,4 milliard d’euros pour ces réseaux d’initiative publique, dans le programme 343 de la mission Économie.
Mais soyons réalistes : n’exigeons pas l’impossible, préférons ensemble le dire vrai au parler beau. Le très haut débit ne sera pas déployé partout en 2022. Beaucoup d’eau coulera encore sous les ponts du Lot, dans ma circonscription, avant que la couverture des territoires en très haut débit soit complète, surtout si nous ne sommes pas en mesure d’être plus exigeants pour imposer et pour inciter à l’accélération et à l’élargissement de cette couverture par les opérateurs.
Ces opérateurs privés ont cependant annoncé leur intention de déployer le réseau optique dans plus de 3 600 communes d’ici 2020. Cela couvrirait 57 % de la population.
Concernant les zones rurales, l’État prévoit de mettre en place des moyens financiers en complément des investissements des collectivités territoriales pour accélérer leurs projets de réseaux d’initiative publique. Mais les discours optimistes du Gouvernement contrastent pour l’instant avec la réalité d’un déploiement qui semble plutôt balbutiant. Le doute se renforce sur la possibilité de satisfaire aux objectifs volontaristes. En termes de gouvernance institutionnelle, de nombreux motifs d’interrogation persistent. La Mission très haut débit doit être intégrée au sein de la future Agence du numérique, mais dans le cadre d’une organisation multipôles, avec un enchevêtrement de compétences institutionnelles et financières qui semble plutôt confus. Les chiffres de déploiement sont donc régulièrement sujets à polémique, en fonction des critères retenus.
Le financement du plan repose sur des hypothèses très optimistes. Pour couvrir les 20 milliards d’euros, 6 à 7 milliards d’euros seraient à la charge des opérateurs privés, 3 milliards d’euros de l’État et plus de 10 milliards des collectivités, d’ici 2022, alors même que celles-ci s’interrogent toutes – et on peut le déplorer – sur leurs capacités réelles d’investissement.
Notre collègue Corinne Erhel a posé les bonnes questions dans son rapport. Elle regrette le « mécano institutionnel » retenu par le Gouvernement pour le financement du très haut débit.
Ce dernier entraîne en effet un manque de lisibilité sur l’attribution et la consommation des crédits mis à disposition. Notre collègue souhaite donc, à juste titre, que la dispersion des ressources budgétaires ne conduise pas à leur dilution et ne fasse pas obstacle à un contrôle efficace de la dépense publique par le Parlement.
Vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, les députés du groupe RRDP saisissent l’occasion de ce débat pour formuler leurs interrogations sur les risques d’une persistance, voire d’un creusement de la fracture numérique territoriale. La lutte contre cette fracture est un débat – et un combat – constant dans notre assemblée. Si nous saluons les nombreux efforts du Gouvernement, et si nous sommes conscients de la lourdeur des contraintes techniques et financières, nous resterons tous vigilants pour promouvoir et préserver l’égalité entre les territoires. Dans cette perspective, nous souhaitons que le plan France très haut débit soit infléchi pour répondre efficacement au défi d’un déploiement homogène et concomitant du très haut débit sur l’ensemble du territoire.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, vous avez bien fait, madame la secrétaire d’État, car il y a urgence, de nous convier à débattre de l’ambition numérique de la France. Pour reprendre une phrase de Pierre Bellanger en conclusion de son ouvrage La souveraineté numérique, « le tic-tac du détonateur de la bombe numérique ne trouble pas notre sommeil collectif. » Il apparaît donc que le réveil arrive, avec le projet de loi numérique et ses trois volets : l’innovation et la croissance par le numérique, la protection des données et le rôle, notamment, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et enfin l’action publique, avec l’ouverture des données publiques.
Plusieurs mesures ont déjà été évoquées dans le texte final qui sera retenu par l’exécutif : l’introduction dans notre droit d’un principe de neutralité des réseaux, avec une promotion des formats et standards ouverts et interopérables ; la création d’une action collective inspirée des nouvelles actions de groupe, mais dédiée aux litiges relatifs aux données personnelles ; le renforcement des pouvoirs de sanction de la CNIL, ou la création d’un statut et d’un régime juridique spécifique pour certaines données publiques considérées comme « d’intérêt général » afin d’accélérer leur mise en open data ; la mise en place d’une nouvelle exception au droit d’auteur, visant à permettre la libre utilisation de photos de bâtiments et d’oeuvres d’art visibles depuis l’espace public. Ce serait la « liberté de panorama ».
Si ces orientations sont confirmées, elles ne pourront que recueillir, sur le principe, notre assentiment. Les députés du Front de gauche ont en effet toujours défendu le principe d’un internet citoyen et participatif, pour l’usage de la révolution informationnelle au service d’un meilleur partage des savoirs et des pouvoirs, et pour la défense des logiciels et des contenus libres.
Dans le débat qui s’ouvre, nous estimons nécessaire d’assurer à tous le droit à un égal accès au réseau, aux pratiques et aux contenus numériques, de favoriser le développement des logiciels et des contenus libres, de préserver le droit d’auteur en le transformant, pour un nouveau rapport entre les auteurs et le public, d’assurer aussi des missions de service public fondamentales et des missions nouvelles sur le fondement de la création de plateformes publiques utilisant l’open data.
Nous serons aussi attentifs à ce que soient garanties les libertés individuelles, notamment au regard des technologies intrusives, ainsi qu’aux mesures de durcissement de la surveillance.
Je pense plus particulièrement aux mesures intéressant les nouveaux droits pour les individus dans le monde numérique, en matière de données personnelles et d’accès aux services numériques.
De fait, si le numérique est devenu un formidable vecteur de la liberté d’expression et décuple les capacités de nos citoyens, en leur offrant des moyens nouveaux de s’informer et d’agir sur la vie sociale, économique et politique, nous ne devons pas oublier que nous ne vivons pas tant dans une société de l’information que dans une société des données. Le traitement et le stockage de ces données ne doivent pas contribuer à la mise en place d’une société où la surveillance ne serait plus un régime d’exception mais deviendrait la règle. Pour conjurer la légitime méfiance de nos concitoyens, nous devons donc garantir le droit des personnes à disposer librement de leurs propres données et d’en maîtriser l’utilisation, y compris par la voie du déréférencement.
Plus fondamentalement encore, je crois que nous devons faire nôtre l’idée que l’économie numérique doit avant tout reposer sur le partage. Nous devons mettre l’accent sur le développement d’une économie numérique fondée sur la coopération et non pas dévorée par la seule logique du profit. Le risque est d’autant plus grand que le secteur informatique nécessite des investissements significatifs.
Comme le soulignait récemment l’essayiste biélorusse Evgeny Morozov, le problème tient tout d’abord au fait que toutes les technologies qui rendent possible cette économie du partage sont aujourd’hui contrôlées par des entreprises en situation de quasi-monopole, dont le but est de faire du profit. Nous estimons en outre que les technologies numériques ne doivent pas avoir pour effet de renforcer les moyens du contrôle social et de « célébrer la débrouillardise et l’adaptabilité de l’individu » – pour reprendre les termes de Morozov – au détriment de la recherche de solutions politiques et collectives.
Si nous voulons faire du numérique un outil de progrès au service de tous, nous devons, en somme, à la fois veiller à préserver les droits de l’individu et éviter que ce monde numérique ne devienne, de fait, l’instrument d’une forme de dépolitisation des enjeux sociaux, alors même qu’il prétend les relever et les relayer. Des millions de clics positifs ou d’appréciations à l’emporte-pièce ne suffisent pas à faire vivre la citoyenneté. Nous reviendrons bien sûr sur ces questions, et sur bien d’autres, au cours de nos débats à venir.
Je vous remercie, mesdames, messieurs les députés, pour vos remarques et votre participation à ce débat. Je souhaite répondre rapidement à chacune de vos interventions.
Madame la députée Corinne Erhel, vous avez fait un excellent résumé de l’ensemble des problématiques auxquelles le Gouvernement entend faire face dans le cadre de son action, sur laquelle la représentation nationale sera d’ailleurs bientôt amenée à se prononcer.
Vous avez abordé la question de la souveraineté des réseaux, enjeu primordial pour la France et l’Europe, qui implique notamment la protection contre de possibles cyberattaques grâce au développement d’un arsenal en matière de cybersécurité. Il se trouve que notre cadre réglementaire a récemment évolué pour doter l’ANSSI, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, de moyens de contrôle et d’intervention plus puissants en cas de cyberattaque contre les réseaux d’information des opérateurs d’importance vitale. De même, nous travaillons avec nos partenaires européens à la définition d’un texte qui devrait permettre une plus grande coordination en matière de cybersécurité.
La souveraineté des réseaux passe aussi par le développement d’une stratégie industrielle au niveau européen, notamment pour que les données produites par les entreprises et les citoyens d’Europe puissent être hébergées sur le continent européen, afin que la loi européenne soit applicable. Un exemple du développement d’une pensée stratégique dans le domaine industriel : je recevais à Bercy, tout récemment, mon homologue allemande, pour essayer de définir un référentiel technique applicable à l’industrie du cloud, autrement dit de l’infonuagique – ou information en nuage –, afin de favoriser, dans nos pays respectifs, de manière harmonisée, le développement d’entreprises de services en ce domaine.
Vous avez aussi parlé de la formation au numérique, question essentielle, tant dans le cadre de la formation initiale que dans celui de la formation professionnelle ou en réponse aux enjeux liés au chômage en France. S’agissant de la formation initiale, plusieurs d’entre vous ont évoqué le plan e-éducation, sur lequel je reviendrai. La formation professionnelle, quant à elle, devrait connaître une ampleur accrue grâce à l’entrée en vigueur, au 1erjanvier, du nouveau compte personnel de formation, qui doit permettre l’accréditation des formations par et pour le numérique, dans le cadre du parcours de formation tout au long de la vie. Enfin, Pôle emploi a décliné une stratégie nouvelle dans le domaine du numérique, comprenant que ce dernier pouvait aider à lutter contre l’inadéquation entre l’offre et la demande sur le marché du travail et aider à mettre en relation les demandeurs d’emploi et les employeurs proposant un poste demeuré vacant. L’enjeu de la formation est donc coeur de l’action du Gouvernement.
Sur le manque d’agilité numérique de l’État, ma réponse sera sobre, mais vous comprendrez, je le pense, que je partage certaines de vos conclusions. L’introduction, aussi modeste soit-elle, d’un nouvel exercice au sein de l’appareil de l’État – je veux parler du Jeudigital – tente, de manière indirecte, d’acculturer nos administrations au monde du numérique et à leur faire acquérir des réflexes, pour ainsi dire plus systématiques, de réactivité, d’usage et d’intégration des outils numériques.
Quant à votre objectif concernant le vivre-ensemble, il passe forcément par une plus grande inclusion numérique : si l’on parle de développement économique, on ne peut pas évoquer le numérique sans avoir totalement à l’esprit son objet social, qui se développe au service de tous.
Monsieur Favennec, vous avez évoqué la politique territoriale dans le domaine numérique. À l’instar de Mme Orliac, vous avez insisté sur la ruralité, sur le sentiment d’abandon lié aux problématiques de la couverture des territoires en internet haut débit et en téléphonie mobile. Vous avez eu raison d’insister sur ces sujets. Pour ma part, je me déplace beaucoup dans les territoires ruraux pour comprendre les difficultés auxquelles sont confrontés les collectivités locales et les élus locaux, pour essayer de mieux accompagner ces derniers et de mieux négocier avec les opérateurs de télécommunications, afin que cette question de la ruralité soit pleinement intégrée dans les engagements pris par les opérateurs.
Il est important que les modifications constatées dans le secteur des télécommunications n’aient pas de conséquences sur les engagements pris en 2013, au moment de la définition du plan « France très haut débit », et le Gouvernement y veille au plus près, notamment en actualisant le cahier des charges du plan précité, qui fera d’ailleurs très prochainement l’objet d’une consultation avec l’ensemble des acteurs – opérateurs privés, mais également collectivités locales concernés par le déploiement et le développement des infrastructures dans les territoires. Il s’agit, j’y insiste, de s’assurer que les engagements pris soient respectés et si possible dépassés. Cela passe sans doute par l’accès des collectivités locales à de nouveaux financements et – j’en viens ainsi à la question de la fibre – par une approche pragmatique.
Il ne s’agit aucunement de remettre en cause l’objectif politique du déploiement de la fibre, qui constitue aujourd’hui la technologie garantissant le très haut débit à l’horizon 2022, mais il faut avoir l’esprit le quotidien des territoires et prendre conscience que le coût de ce déploiement peut être multiplié par dix dans certaines zones très isolées. Il faut dès lors poser le problème de manière pragmatique, en tenant compte de l’urgence des besoins exprimés par nos compatriotes, qui souhaitent recevoir internet et, plus généralement, avoir accès au monde. Cela doit conduire à s’interroger sur le déploiement de technologies alternatives dans une perspective de montée en débit.
En tenant ce discours, j’insiste sur le fait que je ne remets nullement en cause l’objectif principal poursuivi par le Gouvernement, qui réside dans le déploiement de la fibre. D’ailleurs, les conclusions du rapport Champsaur – qui traite des enjeux liés à la disparition, à terme, du réseau de cuivre de l’opérateur historique et au transfert vers la technologie de la fibre – seront bientôt publiées et, pour partie, appliquées, avec toujours pour objectif de tendre vers un déploiement de la fibre dans l’ensemble des territoires.
Vous avez également parlé du plan e-éducation, sur lequel je veux dire quelques mots. Nous avançons de manière satisfaisante sur ce sujet, qui constitue, pour ainsi dire, un serpent de mer : nous en entendons parler depuis plusieurs années. Or, il faut insister sur le fait que c’est ce gouvernement, sous l’impulsion du Président de la République, qui le mettra en oeuvre. Comment ? En intégrant dans les nouveaux programmes, à partir de la rentrée 2016, des enseignements numériques à tous les niveaux, avec une spécification de formation au lycée, et en ayant une nouvelle ambition s’agissant de la formation des enseignants : en effet, si, aujourd’hui, le numérique est très bien appréhendé par une minorité d’enseignants, il est source d’inquiétudes de la part d’une majorité de professeurs, qui ne maîtrisent pas forcément les outils numériques – sans que l’on puisse d’ailleurs le leur reprocher – et qui ont besoin, en ce domaine, d’un accompagnement beaucoup plus proche de leurs besoins.
Nous allons également mettre en place une plateforme plus ouverte, plus largement utilisable, qui offrira un accès à des contenus pédagogiques innovants permettant, grâce aux outils numériques, de faire de l’éducation autrement, au plus près des besoins particuliers des élèves, notamment à l’adresse des enfants connaissant des difficultés scolaires, ce qui est parfois le cas de ceux se trouvant en situation de handicap.
Le Président de la République a parlé des outils devant être utilisés, en particulier des tablettes : de fait, la diffusion des usages numériques à l’école ne pourra pas se faire sans un accompagnement des initiatives prises par les collectivités locales pour équiper les établissements scolaires.
Quant à la question des libertés dans le monde numérique, abordée par les députés Sergio Coronado, André Chassaigne et Corinne Erhel, je veux profiter de ce débat pour apporter quelques précisions sur les orientations annoncées par le Premier ministre en la matière. Le Gouvernement a expliqué qu’il proposerait des mesures dans le cadre du droit existant ; peut-être est-il utile d’en rappeler le contenu, en insistant sur les mesures votées au cours des derniers mois par le Parlement.
Les mesures prévues par la loi du 13 novembre dernier et visant à mieux lutter contre la propagande terroriste seront mises en oeuvre très prochainement. Les décrets d’application ont été préparés par le Gouvernement et seront publiés dans les semaines à venir. J’ajoute que ces mesures permettront également de lutter contre la pédopornographie qui sévit en ligne.
Conformément à cette loi, le décret relatif au blocage administratif des sites doit ainsi être examiné par la CNIL le 15 janvier prochain et par l’ARCEP, le régulateur des télécommunications, le 20 janvier. Il a par ailleurs été notifié récemment à la Commission européenne, qui a accepté de l’examiner au titre de la procédure d’urgence prévue par la directive 9834CE.
Vous le savez, un avant-projet de loi sur le renseignement est en préparation. Il doit être finalisé d’ici à environ quatre semaines. Mon ministère, à l’instar de l’ensemble des ministères concernés, contribuera à enrichir ce texte.
Ainsi que l’a rappelé le Premier ministre hier, ce texte et les autres mesures nouvelles qui pourraient être adoptées afin de renforcer notre dispositif de lutte contre le terrorisme respecteront les grands principes républicains de protection des libertés publiques et individuelles. Il ne s’agit donc pas d’adopter une loi d’exception dans un contexte d’exception ; il ne s’agit pas d’adopter un Patriot Act à la française ; il s’agit surtout d’appliquer la loi existante.
Je vous donne un exemple. Lorsque sont publiés sur un réseau social – Facebook, pour ne pas le citer – des propos et des images incitant à la haine et faisant l’apologie du terrorisme, un juge peut décider d’en faire comparaître l’auteur de façon immédiate. Cette possibilité est très peu utilisée aujourd’hui et pourra l’être peut-être plus efficacement à l’avenir.
En outre, le cadre législatif existant a également vocation à être appliqué avec des moyens matériels et humains plus importants. Je pense en particulier au système PHAROS, plate-forme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalements, animé par des officiers de police qui sont sans doute insuffisamment nombreux et qui, compte tenu du budget alloué, ne peuvent faire face à l’abondance des notifications.
Sur ce sujet, mon apport du point de vue du ministère de l’économie et des finances peut consister en des solutions technologiques innovantes permettant de rendre plus efficaces et plus immédiatement applicables les dispositifs existants. Par exemple, grâce à des plug-in ou modules externes greffés sur les systèmes d’information, il est possible de signaler directement les propos de haine parfois diffusés sur internet sans passer par une plate-forme de signalement.
Concernant les discours de haine tenus en ligne, de nombreux signalements sont faits chaque jour sur la plate-forme PHAROS. Les services du ministère de l’intérieur sont également constamment présents sur les principaux réseaux sociaux pour endiguer la propagation de discours inacceptables ou l’émergence de contenus à la teneur insoutenable. Ce travail est fondé sur le signalement communautaire et respecte les mécanismes de fonctionnement des réseaux sociaux, mais il doit sans doute être approfondi, en négociation avec les grandes plates-formes numériques, pour être rendu plus efficace et plus préventif, afin d’éviter de nouveaux actes de barbarie.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé de la réforme de l’État et de la simplification.
Je souhaite apporter une réponse courte, la plus claire et la plus précise possible à Mme Erhel, M. Favennec et M. Chassaigne, notamment, qui, bien légitimement, ont insisté sur la nécessité d’une transformation digitale de l’organisation de l’État et de ses services, même s’il s’agit, évidemment, d’un chantier immense. Nous l’avons d’ailleurs placé au coeur de la stratégie de réforme de l’État et il devrait être débattu prochainement, lors du séminaire intergouvernemental convoqué à cet effet au mois d’avril.
Nous avons fait de la transformation numérique de l’État l’une des trois priorités de la stratégie générale de réforme de l’État, tant il est évident que le bouleversement induit par le développement des pratiques et usages digitaux dans la société française doit absolument et de manière urgente être intégré pleinement par les différentes administrations de l’État, avec tout ce qu’il comporte de potentialités transformatrices.
Très concrètement, dans le projet de loi numérique, cela concerne principalement le volet relatif au renforcement de l’open data ou ouverture des données et son statut juridique ; Mme la secrétaire d’État l’ayant évoqué voilà quelques instants, je ne développerai pas davantage. Le texte comportera donc un paquet open data, dans lequel figurera le principe d’ouverture des données par défaut ; l’open data sera ainsi la règle générale. Le principe de gratuité de la réutilisation de ces données sera également inscrit dans le texte.
En outre, il sera prévu un encadrement, conforme aux règles européennes, des conditions dans lesquelles une redevance peut éventuellement être perçue par des opérateurs quand ils ouvrent ces données. Cet encadrement visera précisément à ce que ces cas ne soient pas trop nombreux.
Enfin, l’administrateur général des données, dont je salue la présence dans le public aujourd’hui, se verra conférer des pouvoirs nouveaux. Il pourra notamment intervenir en cas de conflits entre deux administrations – par exemple si l’une fait preuve d’un enthousiasme modéré pour répondre à la demande de l’autre d’ouvrir ses données – et saisir, si cela s’avère nécessaire, la Commission d’accès aux documents administratifs, dont les pouvoirs seront également élargis.
La transformation numérique de l’État est cependant un projet essentiel qui comprend beaucoup d’autres axes en dehors de ce texte de loi. J’en donnerai très brièvement les têtes de chapitres, puisque vous m’avez interpellé sur ce sujet et qu’il me paraît important que vous disposiez de ces éléments, mais je serai bref, car ce n’est ni le lieu ni le moment pour le faire.
Tout d’abord, l’État fournit aujourd’hui un effort important pour réorganiser ses infrastructures. Le décret du 1er août 2014 a ainsi créé la DISIC, la direction interministérielle des systèmes d’information et de communication, qui reprend la capacité des administrations de développer un certain nombre de plates-formes.
Ensuite, de nouveaux services et de nouvelles démarches numériques sont développés de façon massive dans le cadre de nouvelles politiques publiques. L’année 2015 sera ainsi marquée par des progrès extrêmement importants : nombreuses améliorations attendues dans le cadre du projet « Dites-le nous une fois », refonte du site service-public.fr, développement des expérimentations et, éventuellement, premières réalisations et fabriques de solutions des start-up d’État autour d’Étalab. L’État s’est donc résolument engagé pour offrir de nouveaux services aux usagers.
Par ailleurs, et je serai moins prudent sur ce point que Mme la secrétaire d’État, qui l’a évoqué tout à l’heure, il est nécessaire d’accomplir une petite révolution interne en matière de management du changement sur les questions numériques au sein de l’État. La culture digitale est absolument insuffisamment partagée et comprise par ceux qui ont la responsabilité des administrations ; la critique doit être formulée car chacun peut observer cette réalité.
Nous mettrons donc en oeuvre un programme de diffusion massive de la culture digitale. Nous organiserons en réseau l’ensemble des innovateurs numériques présents dans les administrations. Ces personnes brillantes, qui ne sont pas toujours placées très haut dans la hiérarchie, font en effet un travail fantastique et doivent se sentir soutenues, reconnues, doivent être stimulées pour utiliser pleinement les capacités dont elles font déjà montre. Nous nous inspirerons également de l’organisation mise en place en Angleterre : de vrais correspondants digitaux agiront tant au niveau des directions des ministères que des services à la population, et définiront la mise en oeuvre de politiques nouvelles au sein des différents services publics ou prendront en charge l’interface avec les usagers afin que ceux-ci puissent profiter de ces changements.
Je conclurai mon propos en insistant sur ce qui me paraît le plus important, et cela vaut non seulement pour l’État mais aussi, d’une certaine manière, pour les grandes entreprises privées.
La révolution numérique oblige à opérer un changement culturel qui n’est pas le plus facile pour les grandes entreprises ou les grandes administrations. Alors que ces dernières sont structurées sur un mode hiérarchique, autoritaire, le numérique leur impose une vraie révolution démocratique, l’application de politiques publiques beaucoup plus collaboratives et participatives, horizontales et non hiérarchisées. On voit bien les difficultés que les grandes organisations, tant publiques que privées, ont et auront à piloter cette transformation, qui sera longue.
En outre, ces grandes entités fonctionnent sur le mode de la longue durée, leur modèle décisionnel s’appuie sur la réflexion préalable à la mise en oeuvre et à l’exécution. Ces rythmes sont aujourd’hui désynchronisés de l’urgence et de la vitesse qu’exige et qu’implique le choc numérique.
En sus de la transformation numérique de l’État, levier de la réforme de l’État, il est donc nécessaire d’engager un changement de nature culturelle : il faut plus de vitesse et des méthodes davantage collaboratives et participatives. Afin de porter un changement, une transformation de ce type dans la durée, de nouvelles élites doivent émerger en complément des élites existantes ; elles seront les pilotes du changement dont l’État aura besoin.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Nous en venons aux questions.
Nous commençons avec le groupe écologiste. La parole est à M. Philippe Kemel.
Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État et concerne dans un premier temps les politiques d’investissement pour développer les réseaux de très haut débit.
Ainsi que cela a été rappelé, le Gouvernement a lancé en 2013 le plan très haut débit et cette mobilisation permettra d’ici à 2022 de couvrir l’intégralité de notre territoire. Mon EPCI de 230 000 habitants, la communauté d’agglomération d’Hénin-Carvin, en bénéficie d’ores et déjà.
C’est précisément en observant le développement de l’ensemble des travaux d’investissements, qui sont lourds, que je m’interrogeais sur le lancement récent dans la stratosphère par les GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple – de ballons qui permettront d’avoir accès à internet sans passer par le réseau terrestre. Se pose ainsi la question de la complémentarité entre celui-ci et le projet des ballons stratosphériques : comment organisera-t-on le partage des usages entre l’un et l’autre système ? Comment faire en sorte de garantir l’usage public et l’accès aux réseaux publics ? C’est la première question.
La seconde question concerne la fracture numérique, qui ne se limite pas simplement à l’accès au réseau et aux moyens de communication. J’aimerais vous interpeller sur l’inégal accès au matériel informatique.
Nombre de personnes au pouvoir d’achat faible ne peuvent en effet renouveler régulièrement leur matériel. Or, aujourd’hui, dans les services publics, notamment, on a recours à des logiciels aux technologies de plus en plus sophistiquées qui ne sont pas compatibles avec ces anciens modèles d’ordinateurs. Cela crée incontestablement une inégalité dans l’accès au service public. Comment faire pour que les populations les moins aisées puissent disposer d’un matériel informatique adapté aux logiciels utilisés notamment dans les services publics ? Peut-on envisager des dispositifs dans le cadre de la politique de la ville ?
Le dernier point que je souhaite soulever concerne les formations. Vous avez évoqué les formations pour les jeunes, Mme la secrétaire d’État, les formations pour l’entreprise et pour les demandeurs d’emploi.
Il y a aussi des générations qui ne bénéficient pas de ces services. Comment faire pour qu’elles soient également formées ?
Je rappelle aux uns et aux autres que nous débattons dans un cadre précis : deux minutes pour les questions et deux minutes pour les réponses. Nous ne sommes pas à la seconde près, mais je vous demanderai de respecter ces temps de parole.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Monsieur le député, vous suggérez que les technologies alternatives peuvent être une réponse à la nécessité de déployer internet sur tout le territoire. Je crois que la fibre optique, plus que jamais, a un avenir dans notre pays. Il ne s’agit pas là d’une doctrine, qui s’imposerait au détriment d’autres technologies ; la fibre optique est aujourd’hui la technologie qui offre, outre un débit illimité, la meilleure qualité et qui prépare à la société et à l’économie de la donnée, la « data ».
C’est la raison pour laquelle l’État s’est engagé financièrement, à hauteur de plus de 3 milliards d’euros, aux côtés des collectivités locales, pour déployer des réseaux fixes de nouvelle génération sur l’ensemble du territoire.
Le projet auquel vous faites référence est surtout destiné à offrir une connectivité dans des endroits où les réseaux fixes sont simplement inexistants, en Afrique ou dans les zones insulaires. Ce projet est au stade de l’expérimentation et en aucune façon généralisable pour le moment.
En France, la question est plutôt celle du recours au très haut débit mobile ; l’on parle de plus en plus de la convergence des réseaux fixes et mobiles autour de la 4G. La technologie que vous avez évoquée peut effectivement, comme la montée en débit sur le réseau cuivre, apporter un complément ou une solution intermédiaire, mais elle ne peut se substituer à la fibre, qui reste la technologie pérenne.
Il ne s’agit pas pour autant d’exclure les technologies alternatives. Je pense notamment au plan « Écoles connectées », qui vise à connecter quelque 16 000 établissements scolaires, souvent situés dans les territoires les plus ruraux. Il est mis en application depuis cette rentrée pour la moitié de ces établissements et sera définitif à compter de la rentrée scolaire prochaine. Aujourd’hui, pour une école, ne pas avoir internet signifie non seulement que l’enseignant ne peut pas utiliser des outils numériques pour sa pédagogie et que les élèves se voient pénalisés, mais aussi, de façon plus prosaïque, que le directeur ne peut envoyer un e-mail au recteur d’académie pour assurer la gestion logistique de son école.
Face à l’urgence d’assurer cette égalité entre les établissements scolaires, nous avons fait la promotion de technologies satellitaires et encouragé les établissements scolaires à se tourner vers des fournisseurs de technologies d’accès par satellite.
Vous avez évoqué la question des usages. L’inclusion et la diffusion des usages font partie de la politique du Gouvernement, notamment par des lieux, qui, au côté des espaces publics numériques, se sont diversifiés : tiers lieux, lieux de médiation numérique, fab labs, lieux de travail partagés. Il s’agit de les mettre en réseau. Au coeur de ce travail, les médiateurs numériques, incontournables, qui peuvent notamment faire venir aux technologies numériques les personnes âgées – vous parliez d’un phénomène générationnel, qui ne se constate pas partout et tout le temps – qui n’ont pas pu découvrir ou avoir accès aux technologies numériques.
Madame la secrétaire d’État, je tiens d’abord à saluer la tonalité générale de vos propos et l’ambition que vous portez pour la France digitale. La mutation numérique est trop souvent vécue comme un phénomène anxiogène, alors que le numérique n’est certainement pas le problème, mais plutôt une partie de la solution. Vous avez eu raison de souligner en introduction que c’est bien la réflexion, en cette période, qui doit guider nos travaux. L’émotion ne fait que rarement de bonnes lois.
Si les données de transport ont particulièrement agité la commission spéciale sur la loi Macron ces deux derniers jours, je voudrais pour ma part m’attarder sur la question des données personnelles et sur quatre thèmes qui y sont liés : la propriété, l’information, la portabilité et le droit à l’oubli.
La propriété des données numériques personnelles est sujette à de nombreuses controverses, tant ce concept est aussi philosophiquement compréhensible qu’il est juridiquement dangereux. Introduire une notion de propriété dans notre droit reviendrait à le traiter sous l’angle patrimonial, permettant ainsi toute location, voire toute cession.
À cette fausse bonne idée, il convient d’opposer le concept – traduit de la jurisprudence allemande – de « l’autodétermination informationnelle ». Peut-être faudra-t-il trouver, dans le cadre de votre projet de loi, un terme plus adapté, plus compréhensible par le grand public et les utilisateurs, mais nous devons créer le droit, pour chacun, de décider librement de la communication et de l’utilisation des données personnelles le concernant. Chaque Français doit pouvoir prendre toute sa place dans la connaissance, la protection et l’utilisation de ces données.
Les données personnelles sont un élément essentiel de notre identité numérique. L’open data, l’explosion des objets connectés – notamment dans le domaine de la santé –, les réseaux sociaux, sont autant de ressources dont l’utilisateur doit pouvoir assurer le transfert d’un opérateur vers un autre ou d’une plateforme vers une autre.
Enfin, suite à la décision Google Spain, le droit à l’oubli doit nous porter à clarifier notre droit sur ces aspects, en articulation avec le projet de règlement européen. J’y ajouterai le droit d’opposition, sans condition, au traitement des données, en supprimant l’obligation du motif légitime pour les personnes mineures.
Au travers de ces thématiques, comment abordez-vous le Conseil de l’Union de mars, après les accords partiels de 2014, en particulier sur les sujets sensibles des sanctions, des fichiers de souveraineté et des fichiers de police administrative ? Quel est votre état d’esprit quant à la gouvernance de l’internet, en particulier sous l’angle de la protection de la vie privée ?
Aborder en deux minutes tant de sujets aussi complexes, touchant aux droits fondamentaux, est un grand défi ! Sachez que l’ensemble des questions que vous avez abordées, monsieur le député – la propriété des données numériques, l’identité numérique, le droit à l’oubli, les sanctions, la gouvernance de l’internet – sont traitées aux niveaux national et européen, notamment dans le cadre des négociations sur le projet de règlement sur les données personnelles.
Le Gouvernement considère que la donnée personnelle n’est pas une donnée commerciale comme une autre et refuse l’idée d’une propriété, d’un droit patrimonial qui y serait attaché. En revanche, il est essentiel de pouvoir disposer librement des données qui nous concernent, d’où la référence à un concept jurisprudentiel allemand, le « droit à l’autodétermination informationnelle » – qui pourrait effectivement être traduit de manière plus simple. C’est une piste que nous souhaitons explorer.
La portabilité des données est essentielle et, là encore, visée par le projet de règlement en cours de négociation à Bruxelles. C’est un enjeu de liberté, une garantie d’application des conditions d’une libre concurrence. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement français est très favorable à ce qu’elle soit assurée sur le continent européen, ce qui pose des questions en matière de transfert vers des juridictions situées hors de l’Union européenne.
Vous avez évoqué le droit à l’oubli. Il s’agit en réalité du droit au déréférencement, les informations référencées par certains moteurs de recherche ne disparaissant pas toujours complètement et pas dans tous les pays. À l’heure actuelle, le texte européen ne prévoit pas un droit à l’effacement ou au déréférencement spécifique pour les mineurs. Or le droit français considère qu’il faut, pour demander un déréférencement, un motif légitime. Nous pourrions considérer que le motif légitime est inhérent à la capacité et à l’identité de la personne mineure. Nous explorerons cette piste dans le cadre du projet de loi sur le numérique.
Le niveau des sanctions est insuffisant. Faut-il aller plus loin que ce que prévoit le projet de règlement ? La question se pose.
Enfin, concernant la gouvernance de l’internet, le temps viendra peut-être de négocier un traité international sur le sujet. Internet étant, par essence, international, on voit bien les limites d’un exercice consistant à le réguler au plan national.
Madame la secrétaire d’État, la stratégie numérique de notre pays passe par l’accès de tous au très haut débit, donc, par le déploiement de la fibre optique sur l’ensemble du territoire. Le plan France Très Haut Débit a pour objectif ambitieux de raccorder 70 % des foyers en 2020 et la totalité de la population en 2022. D’un coût total qui devrait avoisiner les 20 milliards d’euros, ce plan induit des financements de l’État, de l’Europe et des collectivités locales, ainsi que des opérateurs privés. Il représente un investissement important pour ces mêmes collectivités.
Or, si le déploiement de la fibre en zone urbaine suscite l’intérêt des opérateurs privés, il n’en est pas de même pour les zones moins denses que sont les zones rurales et les zones de montagne. À titre d’exemple, le territoire de la région Midi-Pyrénées est composé à 70 % de zones rurales et de montagne.
Le numérique est un outil majeur d’aménagement du territoire. L’Aveyron, où se situe ma circonscription, fait partie des dix départements dont la part de la population couverte par le haut débit est la plus faible et des seize départements dont la part des entreprises couverte par le haut débit est aussi la plus faible. Or, vous le savez, le haut débit est un facteur majeur d’attractivité du territoire, une nécessité pour les entreprises et les habitants.
Les besoins des utilisateurs en zone rurale sont les mêmes que dans les zones urbaines, leurs attentes également. C’est ce que vous avez appelé très justement la « République du numérique ». Le 23 juillet, dans le cadre du plan France Très Haut Débit, a eu lieu la première émission d’obligations de projets, pour un montant de 189 millions d’euros sur dix ans.
Pourriez-vous, madame la secrétaire d’État, détailler les financements actuels et à venir du plan France Très Haut Débit, notamment pour le déploiement dans les zones rurales ?
Les opérateurs s’étaient également engagés à constituer un réseau commun pour couvrir les zones blanches. Or, à ce jour, celles-ci ne sont couvertes qu’à 25 %. C’est pourquoi, concernant le zonage relatif à la téléphonie mobile, je souhaiterais que vous nous précisiez la politique que vous comptez mener afin que les zones grises soient bien identifiées.
Madame la députée, vous abordez la question de la couverture par les réseaux fixes et de la couverture mobile, en particulier dans les territoires ruraux. J’en profiterai pour faire un point sur l’avancement de ce programme du plan France Très Haut Débit, qui a été lancé par le Président de la République en 2013. Il a fait l’objet, dans la dernière loi de finances, d’un engagement budgétaire à hauteur d’1,4 milliard d’euros, en sus des 900 millions d’euros déjà inscrits au budget. C’est dire si l’État tient ses engagements financiers, dans un contexte budgétaire difficile. Ce programme avance plutôt bien : 66 projets publics, présentés par des collectivités représentant 78 départements, ont été déposés auprès de la mission France Très Haut Débit à Bercy, afin de recevoir un soutien financier de l’État.
Ces projets concernent souvent des départements très ruraux, tels le Gers, l’Ardèche, la Haute-Marne, la Haute-Saône, la Lozère, ou encore des regroupements régionaux comme l’Auvergne et le Limousin. Ils témoignent de la possibilité de mettre en oeuvre un tel programme dans ces territoires.
Trente et un projets ont fait l’objet d’un accord de principe ou d’un accord définitif de la part du Premier ministre. Pas moins de 7 milliards d’euros seront investis pour couvrir, en cinq ans, 4 millions de foyers.
Le financement du plan a été sécurisé dans le dernier projet de loi de finances. Au-delà du déploiement du très haut débit par la fibre, l’initiative combinée des collectivités de l’État doit permettre d’apporter des réponses plus rapides là où les besoins sont les plus criants – 20 % des logements n’ont toujours pas accès au triple play.
Nous sommes donc extrêmement vigilants dans ce domaine et nous veillerons tout particulièrement à l’actualisation du cahier des charges du plan France Très Haut Débit car nous sommes conscients des enjeux de ce programme dans les territoires ruraux.
S’agissant de la couverture mobile, nous devons finaliser au plus vite celle des communes encore en zone blanche qui ont échappé au programme précédent et apporter une réponse durable. Ce dossier avance.
Ma question s’adressait initialement au ministre de l’économie mais Mme la secrétaire d’État, qui a su donner l’impulsion pour accompagner la transformation numérique de l’État, saura parfaitement me répondre.
Le numérique représente une opportunité extraordinaire pour adapter nos services publics en les rendant plus performants, plus efficaces, plus rapides. Comment expliquer à nos concitoyens la complexité des démarches administratives à l’heure où la plupart des services à la personne sont accessibles via une tablette ou un smartphone ?
Le numérique est également un moyen de lutter contre l’éloignement de l’administration avec certains de ses administrés. Nos concitoyens qui résident hors de France sont les premiers témoins de cet éloignement car, vivant à l’étranger, leurs seuls contacts avec l’administration française se résument aux services rendus par les consulats établis parfois à des centaines de kilomètres de leur lieu de résidence.
La nécessité de les rapprocher est d’autant plus impérative que le redéploiement consulaire conduit notre Gouvernement à adapter notre réseau en réduisant certains postes et consulats.
La dématérialisation des services administratifs devrait permettre à nos concitoyens résidant à l’étranger de faciliter leurs démarches pour obtenir certains documents indispensables comme leur carte d’identité ou leur passeport mais aussi encourager leur aspiration à renouer des liens avec leur pays d’origine en réalisant par exemple des opérations administratives et commerciales telles la création et la gestion d’entreprise.
L’Estonie, qui figure dans ma circonscription et que vous connaissez bien, madame la secrétaire d’État, est très en pointe en la matière. Elle permet à n’importe quel internaute de devenir un « e-citoyen ». Le portail d’« e-citoyenneté » ouvre certains droits et permet surtout d’accéder aux démarches administratives en ligne. Il vise aussi à favoriser l’attractivité de l’Estonie à l’étranger en permettant à des investisseurs de s’implanter en Estonie.
Cependant, nous le constatons en ce moment avec la bataille que se livrent certains pirates informatiques, le monde virtuel n’est pas forcément un terrain pacifique. Il peut même être l’objet de toutes les dérives comme le vol d’identité ou de données. Il est donc indispensable de veiller à la sécurisation des données, corollaire à toute dématérialisation des services. Comment rapprocher le citoyen de son administration, faciliter ses démarches, améliorer la qualité du service public tout en protégeant son identité ?
Merci, monsieur le député, pour votre question. Vous citez l’exemple de l’Estonie, ce petit pays qui est sans doute le plus numérique de l’Union européenne. Ce n’est sans doute pas un hasard si le commissaire européen en charge du marché numérique unique – également vice-président de la Commission – n’est autre que l’ancien Premier ministre de ce pays
C’est vrai, l’enjeu de la transformation numérique est de renforcer le service public pour tous, à savoir les Français de France mais aussi ceux qui résident à l’étranger ou qui sont éloignés de la métropole. Nous voulons ainsi dématérialiser plusieurs démarches, en particulier l’inscription au registre des Français de l’étranger. L’usager pourra lui-même saisir ou corriger en ligne les données qui le concernent via une interface ad hoc qui sera disponible par ordinateur et par mobile sur la base du site service-public.fr.
Cette facilitation des démarches devrait être disponible fin 2015 ou début 2016, ce qui permettra aux agents des consulats de se consacrer à d’autres tâches que des opérations de saisie – 80 000 heures en 2013.
Vous le savez sans doute, une mission concernant spécifiquement la facilitation des démarches administratives et du retour en France a été confiée par le Premier ministre à Hélène Conway-Mouret il y a quelques semaines. Cette mission devrait déboucher sur des propositions très concrètes qui concernent les Français de l’étranger, lesquels seront aussi concernés par la mise en oeuvre du programme « Dites-le-nous une fois ». Il s’agit de permettre à l’usager de ne pas avoir à fournir une information ou une pièce délivrée par l’administration ou qui lui a déjà été communiquée, plus d’une fois, grâce à une interface d’identification unique. Nous travaillons à la dématérialisation des services publics, non pas pour les effacer, les faire disparaître, mais pour les rendre plus efficaces, au plus près des besoins des usagers.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’aimerais dire avant tout que, puisque nous parlons de numérique et d’Internet, les événements tragiques de la semaine dernière ne doivent pas faire d’Internet un bouc émissaire. Je sais, madame la secrétaire d’État, que vous comprenez ce message. Soyons vigilants et visons juste. Visons les terroristes en devenir et non pas les libertés fondamentales, notamment numériques.
Cela étant dit, je me réjouis de la méthode affichée pour l’élaboration de ce projet de loi, qui est celle de la concertation, ou en tout cas de l’information, bien en amont du texte initial, ce qui n’est déjà pas mal.
J’attends de voir dans les faits les résultats de cette méthode au fur et à mesure que nous nous rapprocherons de l’examen parlementaire.
Je le dis depuis plusieurs années, une loi numérique est nécessaire. Les rapports, les études, les colloques se sont succédé. Il est temps désormais de modifier nos textes, sans excès de zèle, pour libérer les énergies positives et donner un vrai coup d’accélérateur.
En revanche, nous devrons éviter deux écueils essentiels. Il conviendra tout d’abord de ne pas cloisonner le numérique. Si un esprit volontariste et pragmatique domine ce projet de loi, il devra souffler également sur les autres textes afin d’éviter qu’ils ne contiennent des dispositions anti-innovation comme l’on peut en trouver dans la loi Thévenoud ou la proposition de loi relatives aux ondes électromagnétiques. À ce titre, comment aborder le prochain projet de loi sur le renseignement qui traitera forcément de l’utilisation d’Internet ?
Par ailleurs, une loi franco-française aurait du sens pour quelques dispositions – l’open data notamment – mais pour beaucoup d’autres, le numérique reste un sujet à traiter au niveau européen, et pas seulement pour ce qui concerne la fiscalité. Comment l’articulerez-vous avec le futur règlement relatif aux données personnelles ?
Vous venez de rappeler, monsieur le député, l’importance de respecter le cadre fondateur de notre République, qui est celui des libertés. Le Premier ministre l’a répété, toute mesure nouvelle qui permettrait de lutter plus efficacement contre le terrorisme et contre la préparation et l’embrigadement en vue de commettre des actes terroristes doit s’inscrire dans le respect de la démocratie et des libertés fondamentales. Cet esprit guidera les travaux menés par le ministre de l’Intérieur avec la garde des sceaux et moi-même.
Vous m’interrogez sur l’articulation entre un texte consacré au numérique et d’autres que le Parlement sera amené à examiner dans les prochains mois, en particulier une proposition de loi relative aux ondes électromagnétiques. Une proposition de loi émanant par principe de l’initiative parlementaire, le Gouvernement serait malvenu de l’intégrer dans un texte d’origine gouvernementale.
Quant au projet de loi consacré au renseignement, il se rapportera à un domaine proprement régalien. Nous savons déjà que le texte relatif au numérique se divisera en trois chapitres : l’économie et la promotion de l’innovation, l’action publique au travers l’open data, et les données personnelles.
Comment coordonner une volonté politique d’agir au niveau national avec les engagements en cours de négociation, à Bruxelles mais également au sein d’instances internationales ? L’arbitrage est délicat mais si la France se dote d’un arsenal juridique ambitieux, elle pourra influencer l’issue des négociations. Nous devons agir avec pragmatisme et réalisme, pour identifier les sujets sur lesquels nous pouvons avancer au niveau national sans pour autant contredire les objectifs poursuivis sur le plan communautaire.
Madame la secrétaire d’État, parmi tous les réseaux publics de fibre optique, je souhaite appeler votre attention sur les réseaux pionniers, conçus avant que les règles de déploiement et de financement soient définitivement fixées par l’État. Il aura fallu plusieurs années, à partir de 2010, pour que le paysage se stabilise et que les territoires se répartissent entre les opérateurs publics et privés, que les règles de financement des réseaux publics soient définies, les prescriptions techniques de l’ARCEP publiées et la mission France Très Haut Débit créée.
Or, certaines collectivités avaient déjà, avant 2010, démarré des projets d’internet à très haut débit. C’est le cas du syndicat intercommunal d’électricité et de e-communication de l’Ain – SIEA – dont le projet a été conçu en 2008. Aujourd’hui, 194 communes sont ouvertes au service très haut débit avec près de 100 000 foyers éligibles et un taux de raccordement de 17 % en rapide augmentation.
Ce réseau fonctionne parfaitement mais l’ARCEP et la mission France Très Haut Débit nous demandent de mettre en oeuvre les prescriptions techniques les plus récentes, intervenues après le démarrage de notre projet. Cette mise à niveau est en cours mais elle représente un coût important, supérieur à 20 millions d’euros.
Nous ne pouvons financer seuls une telle somme d’autant plus que, comme tous les réseaux publics, celui du SIEA est déployé sur un territoire rural et sa rentabilité n’est assurée qu’à long terme.
Pouvez-vous me confirmer que le Gouvernement a bien l’intention de subventionner ces travaux de mise à niveau, en plus des déploiements ?
Vous posez, monsieur le député, la question du passage des réseaux que vous appelez « pionniers » – je les appelle « réseaux de première génération » – de déploiement de l’internet dans les territoires aux réseaux de deuxième génération. La question est judicieuse : il ne faudrait pas que les premiers partants – les bons élèves, en quelque sorte – qui ont souhaité connecter leurs territoires le plus rapidement possible se trouvent aujourd’hui pénalisés par le plan France Très Haut Débit, plus ambitieux pour l’ensemble des territoires en termes tant d’objectifs calendaires que de budgets alloués par l’État et par les collectivités locales.
Je vous confirme que le Gouvernement envisage de modifier l’actuel cahier des charges du plan France Très Haut Débit afin de soutenir la mise à niveau des réseaux FTTH, dont le déploiement a commencé avant le lancement dudit plan en 2013. Vous avez cité l’exemple du département de l’Ain, monsieur le député : les premiers projets ont vu le jour dès 2008.
La question qui se pose n’est pas tant celle de la faisabilité technique de la mise à niveau du réseau que celle du financement nécessaire pour adapter le programme aux nouvelles exigences du cahier des charges du plan France Très Haut Débit. Il faut donc garantir l’engagement financier de l’État qui permettra de soutenir cette transition tout en respectant les règles du droit de la concurrence, en particulier les règles communautaires.
Soutenue par l’État, cette mise à niveau devrait permettre aux réseaux « pionniers » de prendre toute leur place dans le processus d’harmonisation technique et tarifaire prescrit par le plan France Très Haut Débit. C’est le sens de la démarche engagée dans votre département et je ne peux que m’en féliciter.
Le Gouvernement doit rendre ses derniers arbitrages concernant cette évolution du cahier des charges. Sur le point précis que vous soulevez, monsieur le député, il va de soi que je ne manquerai pas de vous tenir informé, mais vous avez d’ores et déjà compris que j’ai la volonté de faire preuve de souplesse et de pragmatisme.
Je tiens avant toute chose, madame la secrétaire d’État, à me réjouir de votre démarche consistant à modifier le processus de vote de la loi. En effet, notre Parlement et notre Assemblée en particulier ont besoin d’évoluer en la matière, et je salue votre souhait d’y parvenir à l’occasion de la future loi sur le numérique.
Ensuite, M. Mandon a déjà répondu à grands traits aux questions que je me pose sur l’ouverture des données publiques et sur le contenu de la partie consacrée à l’open data dans le futur projet de loi. Pouvez-vous toutefois nous préciser à quelle date sera examiné ce projet, dont vous nous avez dit qu’il serait présenté au deuxième semestre ?
D’autre part, comment comptez-vous associer les collectivités locales au processus d’ouverture de leurs données publiques ?
Enfin, où en êtes-vous du rapprochement et du croisement des fichiers sociaux et fiscaux dans le cadre de la lutte contre la fraude et, plus largement, quels travaux le Gouvernement conduit-il pour harmoniser les systèmes de gestion et d’information de l’État ?
Je vous remercie, monsieur le député, pour vos encouragements concernant la méthode. Nous partageons en effet le même objectif visant à moderniser le processus législatif.
Vous m’interrogez sur le calendrier du futur projet de loi numérique, en particulier pour ce qui concerne la concrétisation de nos ambitions en matière d’ouverture des données publiques. Ce calendrier est soumis à un impératif : nous sommes tenus de transposer avant le mois de juillet prochain la directive européenne déjà entrée en vigueur. Il est donc essentiel que le projet de loi puisse s’adapter peu ou prou à ces délais.
M. Mandon a rappelé les grands principes de l’ouverture des données publiques : il faut inscrire dans la loi le principe d’ouverture des données par défaut, quitte à intégrer un critère de progressivité, et celui de la réutilisation libre et gratuite des données publiques, en favorisant notamment l’usage des formats libres et ouverts. Il faut aussi encadrer strictement les redevances qui font exception à ce principe de gratuité, conformément à la doctrine gouvernementale qui, à ce stade, n’a pas été élevée au rang de loi. Enfin, il faut rapprocher le régime de droit commun et les régimes dérogatoires, en particulier pour ce qui concerne les données relatives à l’enseignement supérieur et la recherche ainsi que les institutions culturelles.
Vous m’avez enfin interrogé sur la participation des collectivités locales. Elles sont déjà associées au processus de concertation en cours : je leur ai écrit pour leur demander de se prononcer sur l’ensemble des thématiques débattues sous la houlette du Conseil national du numérique, et elles nous ont d’ores et déjà transmis des témoignages et des demandes d’évolution concernant la question de l’open data. De surcroît, elles seront associées davantage encore – par l’intermédiaire des instances de gouvernance mais aussi dans le travail quotidien – aux actions que conduira la future Agence du numérique, laquelle comprendra trois missions : la mission France Très Haut Débit, pour le développement de l’internet – et à terme, je l’espère, de la couverture mobile – dans les territoires, la mission French Tech qui accompagne les écosystèmes d’innovation dans les territoires, enfin la délégation aux usages de l’internet. De ce point de vue, parallèlement à l’action conduite par le Secrétariat général pour la modernisation de l’action publique et avec Etalab, véritable start-up placée au sein de l’État – je salue à cet égard la présence d’Henri Verdier, l’administrateur général des données qui supervise le processus d’ouverture des données publiques –, il s’agira d’accompagner davantage encore les collectivités locales dans cette démarche.
Je voudrais à mon tour vous féliciter pour ce débat, madame la secrétaire d’État. Nous partageons tous ici votre vision de l’effet transformateur du numérique sur l’ensemble de la société, et non seulement sur l’économie.
Je souhaite vous interroger sur deux points. Le premier concerne les pôles de compétitivité nationaux, notamment celui qui, dans ma circonscription, est spécialisé en matière de circulation des données numériques. Quelles sont vos intentions pour accompagner le redéploiement éventuel de ces pôles sur des sujets absolument majeurs qui concernent d’ailleurs le numérique sous tous ses aspects, y compris la cybersécurité ?
D’autre part, je voudrais vous poser la question de l’égalité professionnelle. Le numérique doit servir l’égalité des chances, l’égalité républicaine, l’égalité des territoires. Il se trouve que j’ai la chance d’être marraine des Femmes du numérique en France : il me semble très important que vous puissiez réfléchir à une action spécifique en faveur des femmes, parce que les usages, les métiers et les services du numérique seront de plus en plus ouverts en termes de croissance et d’emploi. En dépit des aléas conjoncturels qui freinent aujourd’hui l’emploi dans ce secteur, je suis convaincue qu’il s’agit d’un domaine pouvant contribuer à la reprise et à la sortie de crise, et que les femmes doivent être à l’avant-garde. Je serais donc heureuse que vous nous indiquiez votre souci d’en faire un exemple en matière d’égalité professionnelle.
Je vous remercie, madame la députée, pour ces deux questions qui portent sur les pôles de compétitivité et les entreprises exerçant dans le domaine de la cybersécurité d’une part et, de l’autre, sur l’égalité des chances dans, par et contre le numérique.
La politique territorialisée des pôles de compétitivité a fait la preuve de sa capacité à dynamiser avec succès la recherche et le développement en France. L’objectif de la phase 3 de cette politique, lancée à la fin 2012, est, au-delà de la seule création de connaissances, de contribuer davantage à la création de valeur et à la croissance des entreprises appartenant à ces pôles. Il s’agit désormais de les aider à accéder à des marchés au bon moment et de leur permettre de développer une offre de produits et de services qui soit en phase avec les besoins du marché et surtout des usagers dans le secteur numérique.
Le Gouvernement a décidé, dans le cadre du projet de loi sur les compétences des territoires, de renforcer le rôle des régions dans cette politique. Cet effet de groupe – ou effet cluster – est essentiel, car c’est par l’interaction que les nouvelles idées apparaissent et peuvent se développer rapidement. Les pôles de compétitivité sont donc voués à s’intégrer dans une dynamique beaucoup plus large et plus entrepreneuriale : celle de la French Tech, enclenchée un peu partout sur le territoire national.
S’agissant de la filière économique de la cybersécurité, il existe plusieurs acteurs français – des grands groupes comme de petites entreprises – très performants dans ce domaine, et nous les accompagnons pour définir des normes techniques qui pourraient s’appliquer à l’échelle de l’ensemble du territoire européen, afin qu’ils abordent les marchés qui se trouvent hors de nos frontières nationales.
Vous savez que la question de l’égalité entre les hommes et les femmes me tient à coeur, madame la députée, puisque nous nous sommes engagées ensemble en faveur de la loi sur l’égalité débattue ici même l’an dernier. Le constat que je fais est effarant : les femmes, en particulier les jeunes femmes, sont très peu – et même beaucoup trop peu – présentes dans le secteur du numérique, alors même qu’il comporte une très grande variété d’activités et offre des perspectives de progression professionnelle rapide, des salaires très attractifs et de grandes possibilités d’emploi à l’étranger. En outre, il permet de prendre son propre destin en main en créant son entreprise – une possibilité qui ne caractérise pas tous les secteurs d’activité, loin s’en faut.
Il faut donc agir avec les associations – Girlz in Web, Girls in Tech, Les Duchesses, Rails Girls ou encore Eema, avec lesquelles je travaille déjà – en associant Mme Pascale Boistard et en tenant compte des propositions faites en la matière par le Syntec numérique.
J’ai évoqué dans mon propos liminaire l’importance de la formation au numérique, madame la secrétaire d’État, et je vous remercie pour les réponses très précises que vous m’avez apportées. En effet, la France a du retard en la matière, et cela constitue un frein à la compétitivité de nos entreprises.
Certaines initiatives privées ont récemment été prises dans ce domaine, afin de proposer à nos concitoyens des formations aux métiers du numérique. Je pense en particulier à l’École d’informatique 42 créée voici un an par le Français Xavier Niel, qui souhaite former les Bill Gates de demain et accueille gratuitement près de 1 700 élèves.
L’État devrait lui aussi prendre la mesure de ce nouvel enjeu et favoriser l’apprentissage du numérique, comme on l’a évoqué plusieurs fois au cours du débat. De ce point de vue, j’ai écouté avec intérêt les réponses apportées par M. Mandon et je me réjouis que des projets soient en cours.
Je me contenterai donc de vous poser une question sous forme de suggestion : ne pourrait-on pas, dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires, envisager de proposer dans les écoles des ateliers consacrés à l’apprentissage du numérique ?
Je vous remercie, monsieur le député, pour votre engagement en faveur de l’éducation et de la formation dans le secteur numérique. J’ai décrit certaines des initiatives prises par le Gouvernement sous l’impulsion du Président de la République, en particulier pour la formation initiale à l’école. Cependant, nous sommes très conscients des enjeux qui existent en matière de formation professionnelle et de formation des demandeurs d’emploi.
Il faut en effet éviter que le numérique soit destructeur d’emplois. Peut-il l’être ? Oui. Il peut l’être si nous formons mal et si nous n’anticipons pas les évolutions technologiques à venir et les innovations qui obligent les entreprises à s’adapter toujours plus vite aux exigences des marchés. Il s’agit donc là d’une priorité absolue pour le Gouvernement.
Vous suggérez, monsieur le député, l’opportunité d’utiliser la réforme des rythmes scolaires pour proposer à des enfants des formations au numérique dans le cadre périscolaire. Il se trouve que mon ministère a lancé un appel d’offres afin de promouvoir davantage l’esprit d’entreprendre et la prise de risques, mais aussi de soutenir toutes les initiatives, en particulier celles qui sont prises par des associations, des mécènes et des entreprises privées ainsi que des collectivités locales, qui visent à encourager l’apprentissage du code. Aujourd’hui, le code est partout. Il est donc essentiel que nos enfants soient autonomes dans l’environnement numérique. Pour ce faire, ils doivent apprendre ce langage qui est devenu tout aussi important qu’une langue étrangère.
De très nombreuses réponses à l’appel d’offres ont déjà été reçues. Elles démontrent que l’appétit est grand parmi les acteurs de terrain, ainsi que les parents et les familles qui soutiennent largement toutes les initiatives prises pour favoriser en France l’apprentissage du code par les jeunes enfants.
Madame la secrétaire d’État, la capacité de création et de traitement du numérique devient phénoménale et permet de gérer des éléments extrêmement complexes, mais aussi de créer une transversalité et de mobiliser une intelligence collective modifiant en profondeur notre société. Cette révolution arrive au moment même où nous faisons face au plus grand défi de notre histoire : la lutte contre le réchauffement climatique et, surtout, l’indispensable transition écologique. Le développement du numérique doit être l’outil de cette transition, qui nécessite le traitement d’informations denses, complexes : je pense au secteur de l’énergie – les réseaux intelligents –, à la mobilité, au transport – l’optimisation des trajets et des flux de biens et de marchandises ; je pense aussi à la lutte contre le gaspillage, à la gestion efficiente de nos ressources par le développement de l’économie circulaire complétée par l’économie collaborative.
L’économie collaborative, c’est le numérique qui permet aux utilisateurs d’organiser entre eux une multitude de transactions et d’échanges de services, faisant tomber la séparation historique entre producteur et consommateur. De nombreuses start-ups ont été créées, dédiées au partage de services, à la vente, au troc, à la location, au financement, au don, etc. Elles offrent ainsi de nouvelles perspectives dans un contexte de stagnation économique. Toutefois, certaines d’entre elles sont accusées de concurrencer de manière déloyale les acteurs historiques – hôteliers, taxis –, d’ignorer des régulations, voire de redévelopper une économie grise. Nous devons donc nous interroger sur les conséquences de l’économie collaborative en matière de concurrence, de protection sociale, de fiscalité ou encore de sécurité des consommateurs. Mais, au-delà d’une régulation nécessaire, chacun peut percevoir les formidables potentialités du numérique, en particulier pour notre jeunesse et son esprit d’entreprise, surtout face au défis environnementaux à venir que j’ai évoqués.
Dès lors, madame la secrétaire d’État, comment le Gouvernement compte-t-il renforcer les moyens du numérique et mobiliser l’ensemble de la société pour répondre, à la hauteur de la complexité intrinsèque aux enjeux environnementaux, à ceux du développement durable ?
Monsieur François-Michel Lambert, vous soulevez la question de l’articulation entre l’enjeu prioritaire qu’est la transition écologique et celui de l’économie numérique. Ces deux enjeux sont intrinsèquement liés, et le Premier ministre les associe très souvent quand il évoque le sujet. Vous avez raison : les outils numériques offrent des possibilités nouvelles et très concrètes de relever les défis énergétiques ainsi que les défis dans le domaine des transports et dans celui du développement durable.
Tout d’abord, le numérique peut apporter sa contribution à travers une meilleure utilisation des données. Les acteurs économiques, qu’ils soient entreprises ou individus, peuvent ainsi optimiser leur usage des ressources naturelles, donc réduire leur impact environnemental grâce à de meilleures stratégies de transport de marchandises ou de personnes et grâce à une meilleure adaptation de la production à la consommation énergétique. Je donnerai seulement un exemple : les outils numériques peuvent permettre, grâce au big data, à l’analyse des méga-données et à la géolocalisation, de réduire la consommation de carburant en suivant l’évolution du volume des réservoirs dans les bateaux de marchandises. Je l’ai moi-même constaté quand j’ai visité le port de Marseille. Il s’agit donc d’accompagner toutes les innovations dans la greentech susceptibles d’aider, par la transition numérique, à la transition écologique.
Vous avez également évoqué l’économie collaborative, c’est-à-dire la mise en relation entre offreur et utilisateur de services. Le numérique peut, là aussi, soutenir ainsi le développement de l’économie dite circulaire. Il peut ainsi s’agir de consommation collaborative. je citerai un exemple : le partage d’outils, notamment de perceuses, réutilisés via la revente, à travers un site désormais connu de l’ensemble des Français, le boncoin.fr. Je pense aussi au recyclage : il existe ainsi un projet pilote dans le Bordelais pour alerter les riverains du meilleur moment pour déposer leurs déchets dans les différentes déchetteries de la région.
Il faut soutenir toutes ces évolutions, dans un cadre qui respecte les conditions de concurrence et de transparence légalement obligatoires, notamment en développant la confiance des utilisateurs des plates-formes économiques du partage.
Je rappelle que Paris accueillera, à la fin de cette année, la conférence sur le climat, dite COP 21, et mon ministère travaillera étroitement, aux côtés de celui de l’écologie, sous l’impulsion de Ségolène Royal, afin que les greentechs, notamment l’éco-sytème des start-ups, contribuent à atteindre l’objectif de la transition écologique qui s’impose désormais à tous.
Madame la secrétaire d’État, ce débat, prévu depuis le mois de décembre dernier, a une résonance vraiment étrange après les attentats tragiques de la semaine dernière, mais la France a un rôle majeur à jouer, d’autant plus qu’aujourd’hui, le monde nous regarde. Notre rôle de législateur ne doit pas nous faire dériver vers l’élaboration de lois d’exception. On ne doit toucher aux grandes lois fondatrices que d’une main tremblante. Aujourd’hui plus que jamais, cet aphorisme est essentiel. Au-delà d’une émotion bien légitime, nous devons concilier libertés fondamentales et ordre public sans que jamais nos droits essentiels ne soient privés des garanties constitutionnelles. Benjamin Franklin écrivait : « un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne les mérite ni l’une ni l’autre, et finit par perdre les deux. »
S’agissant de la protection de la vie privée, nous attendons l’adoption du projet de règlement européen relatif à la protection des données car la question ne se limite pas au rôle des États et des gouvernements. On sait en effet que les grandes multinationales défient nos règles de droit, et c’est vrai aussi en ce qui concerne la vie privée – en dépit des condamnations de la CNIL, les pratiques n’évoluent pas assez en ce domaine –, ainsi qu’à l’égard de la presse : par exemple, un moteur de recherche menace de déférencer les titres qui refusent ses règles. Il n’est pas acceptable qu’une grande entreprise, aussi innovante et sympathique soit-elle, se permette d’être à la limite de la légalité.
Le Parlement européen a adopté à une large majorité, le 27 novembre 2014, une résolution appelant à un découplage entre les activités de recherche et les autres services commerciaux des moteurs de recherche sur internet.
La stratégie numérique de la France consiste aussi à lutter pour le respect du droit et contre les monopoles qui nuisent à l’innovation. L’Europe doit jouer son rôle, mais la France possède, elle aussi, une marge de manoeuvre considérable.
Je vous demande dès lors, madame la secrétaire d’État, quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet. Quelles régulations comptez-vous renforcer pour harmoniser l’équilibre du numérique, de plus en plus menacé par l’hégémonie de quelques grandes entreprises multinationales ?
Madame la députée, je vous remercie pour votre double question qui concerne les libertés numériques d’une part, et le rôle des grandes plates-formes numériques, appelées OTT en anglais – over-the-top – d’autre part. Leur comportement se situe en effet parfois aux limites du droit, avec des stratégies d’évitement de la loi nationale.
S’agissant des libertés, j’ai rappelé les propos et les annonces faites par le Premier ministre hier. Il souhaite mettre en oeuvre des mesures nouvelles pour lutter efficacement contre le terrorisme, mais ce dans le cadre de l’État de droit, fondement de notre République, par conséquent dans le respect de la démocratie et de nos libertés. Il n’y aura pas de loi d’exception, en dépit du caractère exceptionnel des événements tragiques qui ont blessé profondément notre pays la semaine dernière. Il s’agira de faire preuve de beaucoup de pragmatisme et d’efficacité pour s’assurer que le droit existant est bien appliqué et que tous les moyens matériels et humains nécessaires sont déployés à cet effet.
Concernant les grandes plates-formes, le Gouvernement agit, et principalement au niveau européen. Il est à l’avant-garde puisque notre pays est considéré comme le plus soucieux de les réguler, non pas pour barrer leur capacité d’innovation ou pour faire du protectionnisme déguisé, mais pour garantir les conditions d’une concurrence loyale et équilibrée entre l’ensemble des acteurs économiques. Nous avons donc demandé que la question de la régulation des plates-formes soit inscrite à l’agenda de la Commission européenne. Il se trouve que l’Allemagne nous a rejoints dans cette demande. Mon homologue allemande et moi-même avons conjointement écrit un courrier à cet effet, adressé au commissaire européen en charge du numérique. Nous avons décidé d’explorer trois pistes : l’adaptation du droit de la concurrence ; l’extension à ces plates-formes du cadre applicable à l’industrie des télécommunications ; la définition d’un nouveau cadre de régulation qui s’appliquerait, là aussi, ex ante. Je rencontre très régulièrement les commissaires européens en charge de ces questions, M. Oettinger et M. Ansip. Je les verrai encore la semaine prochaine lorsque je me rendrai à Bruxelles. Le sujet avance, même s’il est compliqué de faire accepter qu’il s’agit désormais d’une des priorités de l’action économique de nos gouvernements au niveau européen.
L’accès internet est aujourd’hui quasi généralisé. Entre 2003 et 2013, le taux d’accès à domicile est passé de 32 % à 92 % chez les employés, de 21 % à 81 % chez les ouvriers, 98 % des douze à dix-sept ans disposent aujourd’hui d’une connexion, ainsi que 75 % des personnes âgées de soixante à soixante-neuf ans contre à peine 13 % il y a dix ans.
Ces progrès spectaculaires laissent cependant subsister de profondes inégalités, notamment en ce qui concerne les matériels mobiles. Surtout, la généralisation progressive de l’accès à internet sur tous les territoires et dans toutes les catégories sociales ne signifie pas que tous les utilisent de la même manière : alors que 90 % des cadres effectuent leurs démarches administratives en ligne, les ouvriers sont seulement 52 % à le faire. À l’heure où le gouvernement envisage de dématérialiser toujours plus les démarches administratives, nous ne pouvons évidemment nous désintéresser de cette question. On a eu un débat analogue en projet de loi de finances s’agissant de la dématérialisation de la propagande électorale, qui a été légitimement rejetée par une majorité de députés qui estimait qu’elle créerait notamment une situation d’inégalité d’accès à l’information.
Ma question n’est une question piège ou de nature politicienne : où en est aujourd’hui la réflexion du Gouvernement sur la question de la fracture d’usage d’internet et quelles solutions peuvent être recherchées pour y remédier ?
Monsieur André Chassaigne, je vous remercie de poser cette question qui concerne l’inclusion numérique car elle renvoie à l’ambition d’un numérique qui se décline au service de tous, de l’ensemble de nos concitoyens, et ce quel que soit leur lieu de résidence ou leur catégorie d’appartenance socio-professionnelle.
Vous évoquez les progrès extraordinaires dans le taux de possession, en particulier d’appareils de téléphonie mobile, et dans le taux de pénétration de l’internet dans les foyers. Mais il est vrai que les chiffres que vous citez peuvent cacher des inégalités bien réelles. C’est la raison pour laquelle l’objectif d’inclusion numérique est systématiquement associé au volet numérique des projets de développement économique dans le cadre de l’action menée par le Gouvernement. Ainsi, je visiterai demain matin un centre d’accueil des sans domicile fixe, à Paris, pour y suivre le parcours des SDF et savoir quel rôle joue le numérique dans le centre et dans le travail des agents, mais aussi quelle place il tient dans les demandes des SDF. L’accès à la téléphonie mobile, par exemple, est-il une demande récurrente de ces exclus ? J’aurai à l’esprit cette thématique lorsqu’il s’agira de s’interroger sur la disparition des cabines téléphoniques. Il ne s’agit aucunement de faire complètement disparaître un service qui peut encore être utile à certaines catégories de population, je pense en particulier aux personnes socialement exclues.
La dématérialisation des démarches administratives renvoie en effet aux enjeux sociaux que vous avez évoqués.
L’été dernier, j’ai lancé une concertation auprès des acteurs de la médiation numérique, ces personnes qui, dans les territoires, animent les lieux de médiation afin de contribuer à la diffusion des usages. Derrière ce jargon technocratique, il y a des femmes et des hommes qui apprennent à utiliser les outils numériques pour chercher un travail, communiquer avec leurs petits-enfants, rejoindre les réseaux sociaux, effectuer des démarches administratives ou remplir des dossiers.
La simplification des démarches administratives va de pair avec la dématérialisation ; elle implique la littératie numérique. Il ne s’agit pas simplement de réduire le nombre de documents, il faut aussi que le langage utilisé soit compréhensible par tous. Cet objectif, politique, d’inclusion numérique est une spécificité de notre gouvernement.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Débat sur la politique maritime de la France.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly