Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, vous avez bien fait, madame la secrétaire d’État, car il y a urgence, de nous convier à débattre de l’ambition numérique de la France. Pour reprendre une phrase de Pierre Bellanger en conclusion de son ouvrage La souveraineté numérique, « le tic-tac du détonateur de la bombe numérique ne trouble pas notre sommeil collectif. » Il apparaît donc que le réveil arrive, avec le projet de loi numérique et ses trois volets : l’innovation et la croissance par le numérique, la protection des données et le rôle, notamment, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, et enfin l’action publique, avec l’ouverture des données publiques.
Plusieurs mesures ont déjà été évoquées dans le texte final qui sera retenu par l’exécutif : l’introduction dans notre droit d’un principe de neutralité des réseaux, avec une promotion des formats et standards ouverts et interopérables ; la création d’une action collective inspirée des nouvelles actions de groupe, mais dédiée aux litiges relatifs aux données personnelles ; le renforcement des pouvoirs de sanction de la CNIL, ou la création d’un statut et d’un régime juridique spécifique pour certaines données publiques considérées comme « d’intérêt général » afin d’accélérer leur mise en open data ; la mise en place d’une nouvelle exception au droit d’auteur, visant à permettre la libre utilisation de photos de bâtiments et d’oeuvres d’art visibles depuis l’espace public. Ce serait la « liberté de panorama ».
Si ces orientations sont confirmées, elles ne pourront que recueillir, sur le principe, notre assentiment. Les députés du Front de gauche ont en effet toujours défendu le principe d’un internet citoyen et participatif, pour l’usage de la révolution informationnelle au service d’un meilleur partage des savoirs et des pouvoirs, et pour la défense des logiciels et des contenus libres.
Dans le débat qui s’ouvre, nous estimons nécessaire d’assurer à tous le droit à un égal accès au réseau, aux pratiques et aux contenus numériques, de favoriser le développement des logiciels et des contenus libres, de préserver le droit d’auteur en le transformant, pour un nouveau rapport entre les auteurs et le public, d’assurer aussi des missions de service public fondamentales et des missions nouvelles sur le fondement de la création de plateformes publiques utilisant l’open data.
Nous serons aussi attentifs à ce que soient garanties les libertés individuelles, notamment au regard des technologies intrusives, ainsi qu’aux mesures de durcissement de la surveillance.
Je pense plus particulièrement aux mesures intéressant les nouveaux droits pour les individus dans le monde numérique, en matière de données personnelles et d’accès aux services numériques.
De fait, si le numérique est devenu un formidable vecteur de la liberté d’expression et décuple les capacités de nos citoyens, en leur offrant des moyens nouveaux de s’informer et d’agir sur la vie sociale, économique et politique, nous ne devons pas oublier que nous ne vivons pas tant dans une société de l’information que dans une société des données. Le traitement et le stockage de ces données ne doivent pas contribuer à la mise en place d’une société où la surveillance ne serait plus un régime d’exception mais deviendrait la règle. Pour conjurer la légitime méfiance de nos concitoyens, nous devons donc garantir le droit des personnes à disposer librement de leurs propres données et d’en maîtriser l’utilisation, y compris par la voie du déréférencement.
Plus fondamentalement encore, je crois que nous devons faire nôtre l’idée que l’économie numérique doit avant tout reposer sur le partage. Nous devons mettre l’accent sur le développement d’une économie numérique fondée sur la coopération et non pas dévorée par la seule logique du profit. Le risque est d’autant plus grand que le secteur informatique nécessite des investissements significatifs.
Comme le soulignait récemment l’essayiste biélorusse Evgeny Morozov, le problème tient tout d’abord au fait que toutes les technologies qui rendent possible cette économie du partage sont aujourd’hui contrôlées par des entreprises en situation de quasi-monopole, dont le but est de faire du profit. Nous estimons en outre que les technologies numériques ne doivent pas avoir pour effet de renforcer les moyens du contrôle social et de « célébrer la débrouillardise et l’adaptabilité de l’individu » – pour reprendre les termes de Morozov – au détriment de la recherche de solutions politiques et collectives.
Si nous voulons faire du numérique un outil de progrès au service de tous, nous devons, en somme, à la fois veiller à préserver les droits de l’individu et éviter que ce monde numérique ne devienne, de fait, l’instrument d’une forme de dépolitisation des enjeux sociaux, alors même qu’il prétend les relever et les relayer. Des millions de clics positifs ou d’appréciations à l’emporte-pièce ne suffisent pas à faire vivre la citoyenneté. Nous reviendrons bien sûr sur ces questions, et sur bien d’autres, au cours de nos débats à venir.