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Il est possible de tirer plusieurs enseignements utiles de l'analyse des processus d'élaboration des stratégies nationales de recherche dans plusieurs autres pays (Allemagne, Chine, Corée, États-Unis, Japon, Royaume-Uni) et de leur comparaison avec celui en cours dans notre pays.
À cet égard, le document qui sera publié en janvier 2015 ne devrait constituer qu'une première étape, l'Office parlementaire étant probablement le meilleur garant de la poursuite de ce processus. En effet, l'élaboration d'une stratégie nationale n'est pas l'affaire de quelques mois. Dans tous les pays étudiés, il s'agit d'un processus continu, en général initié depuis dix à vingt ans.
La nécessité d'une stratégie de recherche s'impose désormais à tous, en raison de la complexité du sujet, du nombre d'acteurs impliqués ainsi que de l'obligation de s'assurer de l'adéquation de l'emploi des financements publics. Les stratégies de recherche que nous allons vous présenter s'inscrivent dans un dispositif plus vaste, appréhendé par les parlements nationaux au travers du vote du budget.
Notre présentation comprend quatre volets : l'utilité d'une stratégie de recherche – je viens de l'évoquer brièvement, son mode d'élaboration – un aspect pour lequel la comparaison internationale s'avère particulièrement instructive, ses modalités de mise en oeuvre – son impact restant limité si elle ne se concrétise que par un document, comme cela avait été un peu le cas pour la stratégie nationale de recherche et d'innovation de 2008-2009 qui s'était interdit d'aborder les sujets financiers, or il s'avère difficile de parler de priorités sans évaluer les moyens – et, enfin, les conditions de son suivi et son évaluation – un point crucial confié à l'OPECST, sur lequel nous disposons de peu d'éléments de comparaison à l'étranger.
Avant d'entrer dans le détail du sujet, je note que nous sommes les seuls à afficher une ambition restreinte à une « stratégie nationale de recherche ». Dans les autres pays, une ambition plus large ou une finalité économique sont mis en avant, par exemple la « high tech au service de l'économie » pour l'Allemagne. Il s'agit là d'une première différence significative.
L'élaboration d'une telle stratégie nécessite de réunir tous les acteurs impliqués (la recherche publique, les entreprises, les pouvoirs publics, etc.), ce qui suppose de mettre en place une organisation adéquate, pour traiter des actions publiques prioritaires dans le cadre d'une vision globale.
L'élaboration d'un programme, parfois appelé feuille de route, nécessite une approche multidimensionnelle, prenant en compte défis sociétaux, technologies clefs, différentes filières et projets intégrateurs.
En Allemagne, les domaines stratégiques identifiés portent sur de grands thèmes que l'on retrouve en France ou dans d'autres pays : « climat et énergie », « santé et alimentation », « mobilité », « sécurité » et « communications ». Ces derniers sont traversés par des technologies clefs, des questions transverses et des conditions cadres, comme la propriété intellectuelle. Sur ces cinq grands thèmes sont greffés dix projets d'avenir ayant un caractère beaucoup plus concret. Par exemple, « médecine personnalisée », « prévention et nutrition » ainsi que « vieillesse et autonomie » constituent trois projets d'avenir importants dans le domaine « santé et alimentation ». Dans le domaine « communications », le projet d'avenir « Industrie 4.0 » ne se limite pas à la mise en oeuvre de l'informatique.
S'agissant du Japon, nous avons notamment utilisé les informations fournies par la présidente du Conseil de la politique scientifique et technique (Council for Science and Technology Policy ou CSTP) japonais lors de son passage à Paris fin avril ou début mai. La présentation de la stratégie de recherche commence par une déclaration de principe : une nation fondée sur la science, la technologie et l'innovation. Ces points ne sont pas secondaires. L'intitulé initial d'une stratégie indique la nature de l'ambition. De fait, au Japon, en Corée comme en Allemagne, la science, la technologie et l'innovation sont considérés comme des carburants primaires de la prospérité nationale. Si une telle déclaration de principe peut sembler superficielle, elle exprime une intention commune qui n'est pas remise en cause. Celle-ci est déclinée en trois orientations : « agir intelligemment », « penser système » -– les japonais de reprochant à eux-mêmes un mode de pensée trop fragmentaire, « penser au niveau mondial » – s'ils savent le faire depuis longtemps en matière de commerce, les universités japonaise n'attirent pas beaucoup d'étudiants étrangers.
Par ailleurs, quatre grands défis doivent être relevés : concilier vieillissement avec santé et activité, développer les nouvelles génération d'infrastructures, promouvoir la revitalisation régionale en tirant parti des ressources régionales et assurer le rétablissement rapide et la revitalisation du Japon après le grand tremblement de terre de 2011. Bien que, à l'heure actuelle, ils ne soient pas les mieux placés sur ce plan, les Japonais ambitionnent aussi de faire de leur pays le plus ouvert à l'innovation au niveau mondial. Enfin, le CSTP devrait voir son rôle renforcé, en termes budgétaire et de coordination. Ce conseil, qui pourrait être considéré comme l'homologue d'un office parlementaire, élabore des stratégies et formule des propositions.
En Corée, cinq domaines stratégiques : « convergence des technologies de l'information - nouvelle industrie », « domaines potentiels de croissance future », « environnement sain », « atteindre une ère de vie longue et de santé » et « parvenir à une société sûre » sont déclinés en trente-huit technologies.
Les Américains sont beaucoup moins globaux. Il n'y a pas aux États-Unis de ministère de la recherche, mais un président entouré d'un certain nombre de conseillers, fixant des orientations dont la traduction financière dépend du Congrès. Les qualificatifs attachés à chacun des sujets sont très significatifs. Ainsi, alors que tout le monde parle d'énergie propre, les Américains mentionnent une « révolution de l'énergie propre ». Ils ne considèrent donc pas suffisante une simple amélioration de l'existant. Quant aux biotechnologies et nanotechnologies où ils se situent pourtant en pointe, ils proposent d'accélérer. De même pour l'espace ou les technologies médicales, ils évoquent des ruptures, d'ores et déjà concrétisées pour le premier domaine avec les lanceurs de la société SpaceX (Space Exploration Technologies Corporation). Enfin, ils évoquent un saut quantique en matière de technologies de l'éducation, alors qu'ils sont aux avant-postes de la révolution de l'éducation par les nouvelles technologies.
Enfin, au Royaume-Uni, le gouvernement britannique est clairement celui consentant le moins d'efforts financiers pour la recherche et l'innovation. Il a pris le parti de miser sur l'excellence des universités britanniques, considérant qu'elles sont les meilleures au monde, donc aptes à attirer les meilleurs étudiants, tout en apportant revenus financiers et rayonnement mondial. Si le Royaume-Uni dispose effectivement de plusieurs excellentes universités, ce schéma se heurte à une difficulté : convertir les résultats des recherches en activité socio-économique. Les Britanniques commencent à s'en préoccuper, en s'inspirant du modèle allemand des instituts Fraunhofer. Mais ils ne proposent que quatre « projets catapultes », là où l'Allemagne dispose de près d'une soixantaine de ces instituts.
En France, nous avons proposé une structuration de l'effort de recherche en dix défis.
Dans tous les pays, l'élaboration d'une stratégie de recherche impose d'analyser la situation de départ, de formuler des propositions, de faire des choix, puis d'assurer le suivi. En général, gouvernement et parlement n'interviennent que dans les deux dernières phases, à l'exception des États-Unis où, en apparence, le gouvernement agit seul. Mais en réalité, derrière le gouvernement américain se trouvent toutes les agences. Ainsi, pour connaître les priorités en matière de santé, il faut consulter le site du NIH (National Institute of Health), plutôt que celui du conseiller du président. Si, en France, le rôle des industriels est marginal, ceux-ci sont assez fortement représentés dans ce processus.
En Allemagne, au Japon, en Corée et aux États-Unis, sans doute un peu moins au Royaume-Uni, le chef du gouvernement s'implique toujours personnellement, suivant différentes modalités, dans la mesure où ce problème est fondamentalement interministériel. Sur ce plan, la loi française prévoit que le ministre de la recherche assure, par délégation du Premier ministre, la présidence du conseil stratégique. On peut s'interroger sur la pertinence d'une telle disposition, en tout cas un cran en dessous des exemples étrangers.
Au Japon, le CSTP est un organe tout à fait central, présidé par le Premier ministre, au sein duquel siègent six ministres et huit membres exécutifs, issus majoritairement du monde académique, mais aussi de l'industrie (Mitsubishi, Hitachi et Toyota).
Au Royaume-Uni, la gouvernance est plus diffuse, même si un rôle central est joué par le Government Chief Scientific Adviser (GCSA), choisi pour ses capacités scientifiques et stratégiques. Cet État se caractérise, tout comme l'Allemagne, par une très grande transparence en termes d'informations fournies.
J'en viens à la concrétisation de la stratégie de recherche. À cet égard, il est évident que l'aspect financier est primordial. En l'absence de financement, la stratégie reste cantonnée au niveau du discours.
En Allemagne, le financement par le Gouvernement fédéral – hors länder – de la High-Tech Strategy 2020, à hauteur de 8,4 milliards d'euros en 2013 et 11 milliards d'euros en 2014, est destiné aux seuls projets, en sus des subventions attribuées en propre aux organisations, par exemple aux instituts Fraunhofer. Mais ces derniers abondent aussi leur budget en remportant des appels à projets publics, dont certains financés au travers de la High-Tech Strategy 2020. Ce schéma est assez classique. Dans le budget fédéral, le financement par projet représente 44 % du budget fédéral. Les personnes se plaignant, en France, de la place excessive prise par l'ANR feraient bien d'en prendre conscience. Mais la stratégie de recherche ne représente qu'un élément de l'action nationale. Aussi, le gouvernement allemand dépense-t-il plus de 8 milliards pour la recherche et l'innovation.
Au Japon, le financement associé à la stratégie de recherche ne représente que 8 % de l'effort du gouvernement en matière de sciences et de technologies, à hauteur d'un total de 2,28 milliards d'euros, inférieur à l'effort consenti par le gouvernement allemand pour la High-Tech Strategy 2020.
Aux États-Unis, une grande partie du financement est assuré par les agences gouvernementales (Department of Defense ou DOD, Department of Energy ou DOE, National Aeronautics and Space Administration ou NASA, Department of Agriculture ou USDA, NIH, etc.), avec des fluctuations qui peuvent être très importantes d'une année sur l'autre. Le NIH est, de loin, l'agence dotée des budgets les plus importants mais elle s'intéresse, au travers de la santé, à presque tous les sujets. Par ailleurs, les Américains ont décidé la création de quinze Industrial Innovation Institutes - équivalents des instituts Fraunhofer, destinés à pallier la disparition des industries traditionnelles. En effet, s'ils sont bien placés dans les technologies de pointe, les Américains reconnaissent qu'ils manquent d'ingénieurs. Ils se fixent l'objectif, pour les dix prochaines années, de former 500 000 ingénieurs supplémentaires et de rénover leurs infrastructures de transport obsolètes. C'est un exemple de l'ampleur du champ que peut couvrir une telle stratégie.
Quant au Royaume-Uni, comme je l'indiquais, il prévoit un financement réduit pour la stratégie de recherche. Peut-être avez-vous entendu un commissaire européen se plaindre de ce que certains États réduisent leur budget de recherche en incitant leurs chercheurs à trouver des financements auprès de l'Union européenne. Les Britannique pratiquent cela depuis longtemps et les Espagnols y ont été contraints, mais il n'était pas dans l'intention de la Commission de se substituer aux efforts nationaux.
En France, la stratégie nationale de recherche est souvent évoquée, mais l'essentiel des financements sont liés au programme des Investissements d'avenir (PIA). Ainsi, nous avons reconstitué avec difficulté les sommes en jeu pour l'année 2012 : les investissements d'avenir s'élèvent à 947 millions d'euros, la défense à 707 millions d'euros et les financements de l'ANR à seulement 610 millions d'euros. L'année 2015 sera cruciale, d'une part, pour l'évaluation et le suivi des premiers investissements d'avenir, notamment des laboratoires d'excellence (LABEX) et des premières sociétés d'accélération de transfert de technologie (SATT), d'autre part, pour la définition des instituts « Carnot 3 ».
Je vais arrêter ici mon exposé afin que nous puissions avoir le temps de répondre à vos questions.