Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Réunion du 26 novembre 2014 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Déaut, député, président de l'OPECST :

L'audition du 21 novembre 2014 sur le survol des installations nucléaires par des drones a été organisée par l'Office en urgence un lundi après-midi, ce qui n'était pas très pratique pour nos collègues, mais l'objectif de rester en phase avec l'actualité commandait de faire au plus vite avec la disponibilité au Parlement d'une salle équipée pour une audition publique. Je tiens d'ailleurs à remercier le secrétariat de l'Office qui a réussi à organiser cette réunion en une quinzaine de jours, tout en lui assurant un excellent niveau. Les suggestions des participants ont été prises en compte autant que possible, notamment celles de M. Denis Baupin.

Une partie des échanges impliquant les plus hautes autorités en charge de la sécurité nationale se sont tenus dans le cadre d'une réunion préalable, organisée à huis clos comme le permet la loi qui a instituée l'Office en 1983 ; ils feront l'objet d'un compte-rendu restreint sous le contrôle des participants pour éviter une diffusion d'informations critiques.

L'exercice était à la fois indispensable et délicat : indispensable, car il s'agissait de répondre à un besoin d'information du public en général, et des populations vivant à proximité des installations nucléaires en particulier, dont le président de l'Association nationale des comités et commissions locales d'information (ANCCLI), M. Jean-Claude Delalonde, s'est fait le porte-parole au cours de l'audition ; délicat, car les autorités publiques devaient être mises en mesure de fournir toutes les explications nécessaires sans dévoiler des informations dont la publicité pouvait gêner les procédures d'investigation en cours, sur des agissements pouvant relever éventuellement du terrorisme.

À cet égard, je tiens à faire une mise au point sur le statut du texte distribué en cours de réunion par Greenpeace en appui à l'intervention de son prestataire d'étude, M. John Large, car certains de nos collègues qui l'ont découvert a posteriori se sont inquiétés de constater que ce document mentionnait le nom de l'OPECST. Il était convenu que Greenpeace prenait en charge le support de traduction simultanée de l'intervention de M. Large, et le document en question était uniquement le moyen de suivre, phrase par phrase, l'exposé liminaire tenu en anglais par M. Large ; c'était un support pratique de traduction simultanée, permettant de faire l'économie de temps d'une traduction consécutive. L'en-tête rappelait les circonstances de la présentation, mais les propos de M. Large n'engageaient évidemment que lui-même et son cabinet d'études.

La ligne générale de cette présentation était d'ailleurs en rupture avec l'enseignement principal qui est ressorti des échanges de l'après-midi, à savoir que ces survols ne sont pas constitutifs par eux-mêmes d'une menace supplémentaire. Le directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), M. Jacques Repussart, confirmant en cela les analyses formulées au cours de l‘audition confidentielle, a expliqué clairement que les types de risques associés aux drones étaient déjà identifiés dans les scénarii de sécurité en vigueur. En revanche, il se confirme qu'il existe aujourd'hui une difficulté de détection des drones civils, en raison de ce qu'ils sont petits, lents, qu'ils volent bas et comportent peu de pièces métalliques. Cette circonstance rend d'autant plus étonnant l'échec du soutien public à un projet de recherche de détection, dénommé AVALON et soutenu par l'Institut franco-allemand de recherches Saint-Louis, à cause du rejet de ce projet par la partie allemande alors que, du côté français, il bénéficiait de l'appui très favorable de l'Agence nationale de la recherche (ANR).

De mon point de vue, les échanges ont clairement invalidé la thèse d'une action terroriste, puisque, avec des appareils restant manifestement dans la gamme des drones civils, tout a été fait néanmoins pour que les survols attirent l'attention, notamment grâce aux lumières intentionnellement diffusées par les drones, éteintes seulement au moment de fuir les hélicoptères de l'armée de l'air. Il semble ainsi très probable que l'opération a été montée par des militants anti-nucléaires voulant provoquer l'émotion publique à propos de la sécurité des installations nucléaires.

C'est en ce sens, en tout cas, qu'ont convergé les analyses du cabinet Large, dont la contribution pose le problème des conditions requises pour une expertise réellement indépendante. En effet, comment ne pas exprimer des doutes sur la profondeur d'une étude commandée par Greenpeace début novembre, et donc réalisée au mieux en trois semaines, ce qui a tout juste laissé le temps d'une compilation de travaux déjà publiés, notamment par l'Autorité de sûreté nucléaire et l'IRSN ? En réalité, la présentation du rapport Large semble faire partie d'une opération de communication sciemment organisée, dont un autre aspect serait cette entretien donné par John Large au journal Le Figaro la veille de l'audition publique, de manière qu'elle puisse capter l'attention publique le jour même de l'audition.

Ainsi, l'OPECST, en contribuant à la transparence par l'invitation à l'audition publique des représentants de Greenpeace, a offert, à son corps défendant, un relais médiatique démultiplié aux analyses orientées de John Large au détriment de celles des experts des autorités publiques, notamment celles de l'Autorité de sûreté nucléaire et de l'IRSN, dont la valeur n'est contestée par personne, et qui auraient mérité une publicité au moins équivalente. On ne peut que le regretter pour la bonne information du public.

Quant aux enseignements tirés de ces échanges pour d'éventuels besoins d'évolutions législatives, outre une discussion sur la manière d'améliorer encore la coopération entre l'Autorité de sûreté nucléaire et les autorités responsables de la gestion de la sécurité nucléaire, – sans qu'il soit évidemment question de remettre en cause les prérogatives régaliennes de l'État, il est apparu nécessaire, d'une part, de définir un délit spécifique pour les tentatives d'intrusion sur les sites nucléaires, et, plus généralement, sur les sites industriels présentant un enjeu de sûreté, et, d'autre part, de mettre en place une formation pour les pilotes des drones civils. Par ailleurs, les échanges ont souligné le besoin de reconstituer sans nouveau délai le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN), instance de dialogue qui aurait eu pleinement vocation, si elle avait été en mesure d'être saisie, de définir les conditions de la communication publique relativement à cette affaire ; le président de l'ANCCLI a particulièrement regretté la disparition de facto du Haut comité depuis presque huit mois. Pour ma part, je considère ce délai de reconstitution comme un déni de la volonté du Parlement, qui a fortement soutenu la création de cette instance de dialogue dans le cadre de la loi du 13 juin 2006.

Sur le fond, ces survols doivent être considérés comme un acte grave, d'abord parce qu'ils révèlent une capacité de mobiliser des moyens importants, c'est à dire des drones d'assez grande taille, et une logistique rendant possible plusieurs survols simultanés, ensuite parce qu'ils visent manifestement à décrédibiliser la sécurité et la sûreté des installations nucléaires telles qu'elles ont été organisées par le Parlement, suite aux travaux de l'OPECST, notamment dans le cadre de la loi du 13 juin 2006. Ce n'est pas la gravité du risque qui est en jeu, car il existe évidemment d'autres techniques de mise à l'épreuve de la sécurité nucléaire, utilisant de véritables armes, qui seraient beaucoup plus dangereuses, mais cette opération est particulièrement répréhensible par sa dimension de harcèlement, et aussi par l'absence de revendication.

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