Intervention de Harlem Désir

Séance en hémicycle du 15 janvier 2015 à 15h00
Débat sur le paquet énergie climat

Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les députés, je veux d’abord remercier l’Assemblée nationale et sa commission des affaires européennes pour l’organisation de ce débat sur le cadre européen relatif à l’énergie et au climat, qui a été adopté lors du Conseil européen des 23 et 24 octobre derniers à Bruxelles. Ce débat est d’autant plus important qu’il a lieu au lendemain de la COP20, qui s’est tenue à Lima en décembre dernier, et alors que la France se prépare à accueillir et à présider la COP21 qui se tiendra à Paris en décembre prochain.

Ce sera un événement historique par sa portée, par son ampleur et par son ambition. Il s’agira en effet de trouver un accord universel et contraignant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin de limiter la hausse des températures à deux degrés et d’enrayer les effets du changement climatique avant que l’augmentation de la température atteigne un seuil irréversible.

Dans cette conférence, l’Europe tout entière aura à jouer à nos côtés un rôle d’entraînement, d’une part au moyen des objectifs ambitieux qu’elle s’est fixée pour elle-même à l’horizon 2030. C’est la contribution qu’elle annoncera d’ici à la fin du mois de mars, en cohérence avec les conclusions du Conseil européen qui s’est tenu en octobre dernier. Elle devra d’autre part jouer pleinement de son influence auprès des autres États sur l’ensemble des enjeux de la COP21, y compris en s’engageant sur le Fonds vert pour le climat et sur l’agenda des solutions, c’est-à-dire la mobilisation de tous les acteurs – des collectivités locales aux entreprises et à la société civile.

S’il est une question essentielle pour l’avenir de la planète et de notre continent, à laquelle il ne saurait y avoir de réponse étroitement nationale consistant en la juxtaposition de vingt-huit politiques nationales différentes, c’est bien celle de la lutte contre le changement climatique. C’est pourquoi le Gouvernement a considéré que la question de l’énergie et du climat devait constituer l’une des priorités européennes, en cohérence avec notre propre loi sur la transition énergétique.

L’urgence est grande. À l’échelle mondiale, la concentration de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 40 % depuis 1750, c’est-à-dire depuis le début de l’ère industrielle, et de 20 % depuis 1958. L’accélération de cette hausse de la concentration de CO2 dans l’atmosphère entraîne un bouleversement complet de notre environnement, qui a déjà des conséquences majeures. Dérèglements climatiques, inondations : les risques sont déjà avérés et considérables.

Sur la longue durée, l’Europe est en grande partie responsable de cette augmentation. Quelle est cependant la situation actuelle ? La part de la Chine dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre est d’environ 22,3 %, celle des États-Unis de 13,4 % et celle de l’Union européenne de 9,3 %, selon les données de référence pour 2011.

En novembre dernier, la Chine et les États-Unis ont annoncé des mesures encourageantes en vue de la préparation de la Conférence de Paris et pour réduire leurs émissions respectives. C’est absolument indispensable puisque, comme je viens de le rappeler, ces deux pays sont aujourd’hui les émetteurs les plus importants. En effet, si elle fut au XIXe siècle la principale responsable des émissions de gaz à effet de serre, l’Europe a depuis fait des efforts – les autres pays industrialisés et les pays émergents n’ayant pas encore fourni des efforts de même nature. L’accord entre les États-Unis et la Chine est donc un premier pas positif.

Toutefois, nous devons tous poursuivre nos efforts. La réponse doit être mondiale – c’est l’enjeu de la conférence de Paris – et l’Europe doit continuer à être exemplaire pour que le monde prenne le tournant de la transition énergétique avant qu’il ne soit trop tard. En effet, même si nous avons fait des progrès, nous ne parvenons pas encore, sur la base des textes adoptés dans le précédent « paquet énergie climat », à être à la hauteur de l’objectif qu’il faut se fixer, à savoir une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre.

C’est dans ce contexte et avec cet objectif présent à l’esprit que nous avons, l’année dernière, engagé des négociations au niveau européen afin de trouver un accord à vingt-huit sur le cadre que nous devons nous fixer en matière de climat et d’énergie jusqu’en 2030. Je ne vous le cache pas, et j’en avais d’ailleurs rendu compte devant votre commission, ces négociations ont été difficiles.

Le Président de la République et la diplomatie française ont déployé tous leurs efforts afin de convaincre nos partenaires européens de la nécessité de définir un accord ambitieux dès le Conseil européen du mois d’octobre.

Le Conseil européen a ainsi pu définir les grands objectifs du cadre énergie climat d’ici à 2030 : premièrement, un objectif contraignant de réduction d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990 ; deuxièmement, un objectif contraignant de 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique ; troisièmement, un objectif indicatif d’au moins 27 % d’amélioration de l’efficacité énergétique par rapport aux projections courantes. Le niveau de cet objectif sera réexaminé en 2020.

Nous aurions souhaité, en ce qui nous concerne, que cet objectif soit contraignant. En France, dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique, nous nous sommes fixé des objectifs contraignants et nous pensons qu’il devra en être de même dans tous les pays d’Europe. Quoi qu’il en soit, nous avons voulu obtenir un certain nombre d’engagements et d’avancées dès le Conseil européen d’octobre.

Pour tenir compte de la situation des États les plus en retard, des mécanismes de flexibilité et de solidarité ont été agréés. Ainsi, les États membres dont le PIB par habitant est inférieur à 60 % de la moyenne de l’Union, comme la Pologne, et dont la part de ressources fossiles – en particulier le charbon – dans la production d’énergie est la plus importante, auront la possibilité d’accorder des quotas gratuits d’émissions de CO2 à leur secteur énergétique et de bénéficier de financements pour des projets d’amélioration de leur efficacité énergétique et de modernisation de leurs systèmes énergétiques. Enfin, les États membres souffrant d’un déficit d’interconnexions énergétiques, notamment ceux de la péninsule ibérique, pourront bénéficier de financements supplémentaires.

Cet équilibre a été conçu afin de prendre en compte les différences de richesse qui existent entre les États et de garantir des efforts équitables et équilibrés. Cela dit, tous les États devront diminuer leurs émissions de CO2.

En outre, comme nous le souhaitions, le Conseil européen reconnaît la situation spécifique de l’agriculture et son potentiel moindre en matière de réduction des gaz à effet de serre. Cela ne signifie pas pour autant qu’aucune amélioration de l’efficacité énergétique n’est possible dans le domaine de l’agriculture ; nous soutenons d’ailleurs les recherches engagées en la matière.

Il était également important pour nous de marquer notre volonté de réformer profondément et rapidement le marché du carbone européen, le système EU ETS, qui concerne certaines industries et la production d’énergie. Ainsi, nous avons obtenu la création d’un instrument de stabilité destiné à améliorer le fonctionnement du marché du carbone et de rehausser le prix de la tonne de carbone qui, comme vous le savez, avoisine aujourd’hui les 5 euros, contre 20 euros en 2011. L’offre pléthorique de quotas d’émission, due à une mauvaise régulation, a provoqué un effondrement de l’ensemble du marché. Pour la plupart des experts, ce prix devrait atteindre environ 25 euros la tonne pour encourager les entreprises et les États à agir et à investir dans des procédés qui émettent moins de CO2.

D’autres experts évoquent quant à eux le prix de 40 euros la tonne de carbone. Je me trouvais ce matin, dans le cadre d’une visite de terrain, à l’Institut français du pétrole Énergies nouvelles qui mène des recherches sur le stockage du CO2 avec le soutien du programme Horizon 2020 de l’Union européenne, ce qui constitue d’ailleurs un bel exemple de coopération entre la France et l’Europe en matière de lutte contre le changement climatique. Or, pour les experts de l’IFP, le prix de la tonne de carbone, pour produire les incitations que nous souhaitons dans le domaine du stockage de CO2 et du financement de cette nouvelle technologie, devrait se situer au delà de 40 euros. C’est pour cette raison que nous réformons ce marché.

Enfin, s’agissant des secteurs qui n’entrent pas dans le champ du marché du carbone, les secteurs dits non-ETS, c’est-à-dire le transport, le logement et l’agriculture, la répartition de l’effort entre les États membres ira de zéro à 40 % de baisse et se fera en fonction du PIB par habitant : des efforts plus importants seront demandés aux pays les plus riches de l’Union, tandis que ceux dont le PIB par habitant est le plus faible contribueront moins.

Nous pouvons nous féliciter de cet accord ambitieux et du rôle que la France a joué pour l’obtenir. L’Europe, par cet accord, a su se montrer volontaire, créative et visionnaire.

Cet accord, en effet, répond pleinement aux trois exigences que nous avions définies : l’ambition, car les objectifs retenus sont élevés ; la responsabilité, puisque tous les États membres de l’Union européenne devront participer à l’effort de réduction des émissions, contrairement aux objectifs du précédent paquet de 2008 ; enfin, la solidarité car des mécanismes seront mis en place pour tenir compte des différences de richesse nationale et de bouquet énergétique.

Ce nouveau cadre « énergie climat 2030 » doit nous permettre de lutter résolument contre le dérèglement climatique, d’engager l’Europe dans un nouveau modèle énergétique, de renforcer la sécurité énergétique de notre continent et, enfin, de contribuer à la croissance verte de l’économie européenne.

C’est donc une étape importante, mais c’est surtout le point de départ d’un long processus de traduction législative et de déclinaison dans chaque pays.

Plusieurs directives et règlements européens vont être présentés par la Commission européenne. Ils seront soumis à l’adoption du Parlement européen et du Conseil ; leur traduction dans les législations nationales sera ensuite nécessaire pour que les objectifs se concrétisent.

Quelles sont les priorités de ce grand chantier ?

L’objectif d’au moins 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre permet de promouvoir la transition vers un modèle économique bas carbone. Nous devons le compléter rapidement pour, d’une part, maintenir un prix du carbone plus élevé, en mettant en place le plus rapidement possible la réserve de stabilité, et, d’autre part, pour lancer les négociations sur la gestion des risques de fuites de carbone – il s’agit des risques de délocalisations industrielles qui pourraient être liés à une mauvaise prise en compte de la situation concurrentielle de certaines industries en raison de la réglementation européenne.

Nous devons le faire rapidement parce qu’il s’agit de donner de la lisibilité aux entreprises, à nos concitoyens – à tous les acteurs qui, par leurs investissements d’aujourd’hui, déterminent nos émissions de demain, et à tous ceux qui ont besoin de ce cadre institutionnel pour construire l’économie bas carbone et créer des emplois durables dans toutes les filières – énergies renouvelables, efficacité énergétique, ou encore isolation thermique des logements.

J’ai eu l’occasion de visiter plusieurs chantiers portant sur des opérations d’isolation thermique de logements, réalisées grâce à des financements européens, dans le cadre de programmes opérationnels entre les régions et la Commission européenne. La nouvelle programmation budgétaire des fonds structurels et d’investissements sur la période 2014-2020, qui vient de faire l’objet d’un accord entre l’ensemble de nos régions et la Commission, permet de démultiplier ces opérations d’isolation, mais ce cadre doit être adopté dans la législation pour que les chantiers puissent débuter et que les entreprises puissent développer les nouvelles technologies. Ce sont probablement des centaines de milliers d’emplois en Europe qui en découleront.

Nous devons donc prendre en compte la place de l’industrie et les fragilités de ce secteur car nulle part ailleurs dans le monde les industries ne se voient imposer de prendre en compte leurs émissions de CO2, même si certains pays commencent à développer des marchés d’émissions de carbone.

Les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique dans le bâtiment et les transports constitueront un autre chantier prioritaire.

Nous devons également nous pencher sur les secteurs non couverts par le marché européen du carbone en définissant notamment la feuille de route annuelle pour les émissions de chaque État membre entre 2020 et 2030, sachant que la répartition peut aller de zéro à 40 % selon les pays. Il nous faut donc finaliser l’accord pour connaître l’objectif fixé pour chacun des vingt-huit États membres.

Nous devons évidemment veiller aux risques de fuites de carbone. Les technologies intelligentes qui permettront de promouvoir la mobilité durable ou le captage et le stockage du carbone devront être soutenues financièrement par les fonds européens.

C’est pourquoi nous souhaitons qu’au-delà des travaux législatifs en cours sur la réforme du marché du carbone, la Commission européenne fasse rapidement des propositions pour que tous les éléments de cet accord puissent être adoptés rapidement. Nous pensons qu’il ne faut pas attendre au-delà de la Conférence de Paris ; au contraire, tout le monde doit se mettre au travail pour avancer, le plus rapidement possible, sur tous les aspects du cadre énergie climat.

La France, de son côté, continue à se préparer grâce au vote par l’Assemblée nationale, le 14 octobre dernier, en première lecture, du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Les objectifs que nous nous fixons sont parfaitement en phase avec l’accord européen. Nous allons même au-delà puisque, dans ce texte que vous avez voté, mesdames et messieurs les députés, la France se fixe pour objectifs d’ici à 2030 de réduire de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, d’augmenter la part des énergies renouvelables dans notre consommation énergétique à 32 %, de réduire de 20 % notre consommation énergétique par rapport à 2012, pour ensuite la diviser par deux d’ici à 2050, et enfin de réduire de 30 % notre consommation d’énergies fossiles.

La France affiche ainsi l’ambition d’être un pays leader de la transition énergétique et d’aider l’ensemble de l’Europe à devenir plus forte et plus ambitieuse. C’est donc unis et solidaires que nous saurons répondre à ce défi majeur pour l’avenir de notre planète et de nos concitoyens.

Néanmoins, nous devons redoubler d’énergie cette année pour préparer au mieux la COP 21.

L’unité des Européens est une réalité, mais il est important que tous les États membres puissent anticiper leur propre transition énergétique. L’Europe devra jouer un rôle diplomatique important auprès de l’ensemble de ses partenaires internationaux. C’est le sens de la feuille de route que la Commission européenne doit adopter à la fin du mois de février et qui doit nous conduire jusqu’à la COP 21, qui se tiendra à Paris. C’est pour nous un objectif essentiel. Certes, nous assumons nos responsabilités. Nous allons accueillir cette conférence et la présider. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, comme il l’a déjà indiqué devant l’Assemblée nationale, s’apprête à faire un ou deux tours du monde pour aller convaincre tous les États de s’engager, d’ici à la Conférence de Paris, mais nous demandons aux autres États membres de l’Union européenne de déployer cet effort diplomatique avec nous.

Par ailleurs, je ne peux aborder les questions de lutte contre le dérèglement climatique en Europe sans mentionner le projet d’Union énergétique porté par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, et son vice-président en charge de ce projet, Maroš Šefovi. La Commission a annoncé l’adoption d’une stratégie complète sur l’Union de l’énergie pour février prochain. Elle se fait dans la continuité des propositions défendues en avril dernier par le Président de la République et Donald Tusk, alors Premier ministre polonais et devenu depuis président du Conseil européen. Elle est en cohérence avec la stratégie sur la sécurité énergétique européenne qui a été adoptée en mai dernier.

C’est une très bonne nouvelle qui nous permettra d’avancer sur les différents volets de la politique énergétique européenne autour des cinq piliers que sont la lutte contre le dérèglement climatique, la sécurité d’approvisionnement, l’achèvement du marché intérieur de l’énergie, la compétitivité et la recherche et l’innovation dans les technologies bas carbone.

Ces propositions permettront de poursuivre les discussions entre États membres sur des priorités telles que le développement d’infrastructures énergétiques supplémentaires, le renforcement de la solidarité énergétique entre États, le poids dans les négociations énergétiques des acheteurs européens, en vue de la possibilité d’achats groupés, le déploiement accru de ressources indigènes et la diversification des sources et des voies d’approvisionnement. Toutes ces dimensions sont indissociables de nos ambitions climatiques puisqu’elles contribueront à rendre nos économies plus sobres en carbone et moins dépendantes en hydrocarbures. C’est une position que nous avons défendu avec constance au cours des dernières années.

Il existe selon nous un lien intime entre l’objectif d’établir une Union de l’énergie et la sécurité énergétique, laquelle doit permettre d’éviter qu’un certain nombre d’États membres se voient privés d’accès à l’énergie en raison de conflits internationaux. Il faut mener une politique de l’énergie conforme aux objectifs du développement durable et de la lutte contre le changement climatique, donc moins dépendante des hydrocarbures, plus solidaire et reposant davantage sur un bouquet énergétique diversifié et sur des ressources qui nous sont propres, en particulier les énergies renouvelables. Ces ambitions doivent s’appuyer pleinement sur le plan d’investissement européen proposé par Jean-Claude Juncker grâce au financement d’infrastructures énergétiques majeures.

À ce titre, nous défendrons avec l’Espagne et le Portugal le financement d’interconnexions entre l’Espagne et la France dans le cadre du Fonds stratégique d’investissement de Jean-Claude Juncker, afin de développer, dans la péninsule ibérique, les énergies renouvelables alimentant l’Europe du Nord, ce qui suppose naturellement de créer de nouvelles infrastructures de transport de l’énergie.

Vous aurez compris, mesdames et messieurs les députés, que la lutte contre le réchauffement climatique constitue désormais une priorité pour la France comme pour l’Union européenne ; ce sera le moyen de développer des industries d’avenir, de dynamiser la croissance verte et, bien sûr, de créer des emplois durables et utiles sur le territoire national et européen. Si nous devons rester attentifs au cours des prochains mois, nous devons aussi être fiers d’avancées caractérisant une Europe ambitieuse, qui prend clairement position pour répondre aux grands défis internationaux et se place ainsi à la hauteur de ses responsabilités globales.

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