La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
L’ordre du jour appelle le débat sur la fiscalité des carburants.
La Conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties.
Dans un premier temps, nous entendrons le Gouvernement puis les orateurs des groupes.
Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.
Monsieur le président, permettez-moi de saluer votre première présidence dans cet hémicycle. Je ne doute pas, à la suite de nos expériences communes, que vous détenez toutes les qualités et les compétences pour organiser et gérer nos séances.
Mesdames, messieurs les députés, vous avez souhaité débattre de la fiscalité des carburants. Il s’agit en effet d’un sujet auquel le Gouvernement accorde une importance particulière tant il recouvre d’enjeux.
Principalement au travers de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – TICPE –, de la TVA et de la taxe générale sur les activités polluantes – TGAP –, la fiscalité des carburants constitue une ressource de premier ordre. Le produit de la seule TICPE s’est ainsi élevé à environ 24,5 milliards d’euros en 2014, dont plus de 23,5 milliards d’euros pour ce qui concerne l’essence et le gazole. Quant à la TVA sur les carburants, elle représente plus de 11 milliards d’euros.
À ce titre, la fiscalité, qui participe aux financements de nos politiques publiques, constitue un élément essentiel de l’équilibre de nos comptes. C’est aussi une ressource pour les collectivités puisqu’environ 45 % du produit de la TICPE revient aux régions et aux départements.
C’est a contrario une charge qui pèse sur les dépenses de transport des ménages et des entreprises. Aussi, la fiscalité sur les carburants recouvre un enjeu social et économique particulier. Sa structuration a également une incidence sur de nombreuses filières économiques, notamment la production de carburant, de biocarburants ou encore le secteur automobile.
À cet égard, elle est aussi l’héritière de choix économiques et industriels anciens, mais difficilement réversibles de façon brutale, comme l’illustre l’écart de taxation entre le gazole et l’essence.
La fiscalité n’est pas le seul déterminant du prix à la pompe : la baisse du prix du baril offre aujourd’hui un contexte favorable. Elle engendre en effet une baisse de prix très largement supérieure à l’augmentation de la fiscalité que votre assemblée a décidée dans les derniers projets de loi de finances. Fin 2013, le prix du litre de super à la pompe avoisinait 1,50 euro ; celui du litre de gazole était supérieur à 1,30 euro, soit au moins 20 centimes de plus que ce que nous observons aujourd’hui. Pour autant, ce phénomène n’est peut-être que conjoncturel, car nous sommes confrontés, sur le long terme, à une demande mondiale croissante et à une ressource qui n’est pas inépuisable.
Enfin, la fiscalité des carburants est aussi un des outils de la transition énergétique, parce que la consommation d’énergies fossiles engendre des nuisances environnementales, notamment – mais pas uniquement – des gaz à effets de serre, et parce qu’un modèle économique trop dépendant de la consommation d’énergies non renouvelables n’est pas durable.
Dans ce domaine, le Gouvernement a engagé une politique novatrice, réaliste et volontaire. Nous avons en effet concrétisé une réforme importante et, je crois, structurante, par la mise en oeuvre de la contribution climat énergie – CCE –, votée par votre assemblée à la fin de 2013.
Alors que le précédent gouvernement avait échoué à mettre en place une taxe carbone, nous sommes parvenus à prendre en compte le coût du carbone dans la consommation des énergies. Cette réforme introduit une évolution des tarifs de TICPE, qui tient compte, pour chaque produit énergétique, de ses émissions en carbone, selon une trajectoire intégrant une valeur de la tonne de carbone. Comme vous le savez, celle-ci a été fixée à 7 euros en 2014, à 14,50 euros en 2015 et à 22 euros en 2016. Le rendement de la CCE est estimé en 2016 à 4 milliards d’euros, dont la moitié sur les seuls carburants et à plus de 1,5 milliard d’euros sur le gazole.
Toujours par le biais de la TICPE, nous avons également choisi de faire participer le gazole au financement des infrastructures de transport, principalement collectif, ce qui, là encore, recouvre une logique environnementale. C’est tout le sens du relèvement supplémentaire de 2 centimes par litre voté en fin d’année dernière sur le diesel, quand, parallèlement, nous avons diminué de 4 centimes le tarif réduit accordé aux transporteurs routiers. Ces mesures nouvelles représentent plus de 1,1 milliard d’euros en année pleine.
Globalement, la contribution climat énergie et les relèvements votés fin 2014 contribueront à réduire l’écart de taxation entre le gazole et l’essence. Il s’agit là d’une inversion de tendance tout à fait historique.
Le deuxième axe de cette politique consiste à encourager l’utilisation de carburants non fossiles, comme les biocarburants. L’incorporation de biocarburants est fortement encouragée par la fiscalité, afin de satisfaire les objectifs que s’est fixés la France en matière d’énergies renouvelables.
Dans ce domaine, l’outil privilégié n’est pas la TICPE, notamment parce que ces carburants produisent aussi du dioxyde de carbone, mais un mécanisme incitatif institué, via la TGAP, pour incorporer plus de biocarburants. La TGAP pénalise en effet les opérateurs consommant des carburants dont la teneur en biocarburant est inférieure au seuil que l’on souhaite atteindre. A contrario, les opérateurs consommant des carburants à la part en biocarburant supérieure au seuil ne paient pas de TGAP.
Ce mécanisme, qui remonte à environ dix ans, dispose d’un seuil fixé à 7 % depuis 2010. En 2014, nous l’avons relevé à 7,7 % pour le biodiesel, en favorisant par ailleurs le double comptage pour les biocarburants de seconde génération, ce qui leur donne un avantage économique substantiel.
Cet outil, dont le rendement est certes modeste – 150 millions d’euros par an –, fonctionne. Le bilan d’incorporation en biocarburant a ainsi atteint 6,8 % en 2013, dont 7 % pour le gazole.
J’ai bien entendu le souhait de cette assemblée, exprimé lors du dernier projet de lois de finances, d’aller plus loin sur l’intégration des biocarburants et de revoir la fiscalité à cet effet. Le Gouvernement est ouvert à une telle réflexion, dès lors qu’il s’agit d’adapter nos outils fiscaux pour mieux atteindre les objectifs que nous nous fixons dans ce domaine. Le prochain projet de loi de finances pourrait être le lieu et le moment pour ce débat.
Toutefois, je pense qu’une approche et une réflexion globales sur ce sujet sont nécessaires. En premier lieu, en effet, le seuil d’incorporation des biocarburants, par ailleurs encadré au niveau européen, n’est pas extensible à l’infini, pour des raisons techniques tenant à la résistance des moteurs. Dans ce contexte, il faut bien considérer l’incidence de la fiscalité sur les différentes filières de biocarburants, qui peuvent entrer en concurrence, et, par conséquent, veiller à ce que ces choix fiscaux soient cohérents avec les filières que l’on souhaite voir se développer durablement en France.
En second lieu, la fiscalité des carburants ne constitue pas l’unique levier : le Gouvernement agit également pour favoriser l’acquisition de véhicules plus propres. Le dispositif de bonus-malus automobile a ainsi été réformé dans sa composante malus en 2014, afin d’accentuer le verdissement du parc automobile français. Pour 2015, le Gouvernement a souhaité que la composante bonus soit ciblée sur les véhicules électriques et hybrides, avec un montant qui demeurera très attractif, puisqu’il pourra atteindre 6 300 euros par véhicule électrique.
La loi de finances pour 2015 prévoit aussi la mise en place, au sein du dispositif de bonus-malus automobile, d’une prime à la conversion, qui portera à 10 000 euros le bonus à l’achat d’un véhicule propre lorsque celui-ci s’accompagnera de la mise au rebut d’un véhicule diesel polluant. Ce dispositif sera financé sans augmentation du malus.
La même loi de finances a permis, par la transformation du crédit d’impôt développement durable en crédit d’impôt pour la transition énergétique, de prendre en compte les dépenses réalisées pour l’acquisition de bornes de recharge de véhicules électriques.
Le débat sur ce sujet n’est évidemment pas clos. Pour autant, sur une question qui a autant d’incidences sociales et économiques, il nous faut veiller à préserver l’équilibre entre notre volonté commune d’accompagner la transition énergétique, au service de laquelle la fiscalité des carburants a toute sa place, et l’acceptabilité économique et sociale de cette politique, afin de l’inscrire dans la durée.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez eu l’amabilité de faire référence au fait que j’accomplissais aujourd’hui ma première présidence. À cet égard, j’ai une pensée pour Christophe Sirugue, qui a assuré cette fonction avec talent, compétence et dévouement.
La parole est à M. Éric Alauzet, pour le groupe écologiste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans ce débat sur la fiscalité des carburants, proposé par le groupe écologiste, je souhaiterais d’abord vous entraîner sur des réflexions fiscales larges, alors que mon collègue Denis Baupin abordera des sujets plus précis.
En tant qu’écologiste et habitant d’un département semi-rural, je comprends la complexité et la sensibilité d’un tel débat.
En 2011, le secteur des transports était celui qui émettait le plus de gaz à effet de serre. Je suis convaincu que nous devons engager dès aujourd’hui une transition énergétique afin d’être moins dépendant des énergies fossiles.
En effet, il n’est pas bon pour notre pays que notre économie repose sur une ressource épuisable qui nous fera défaut un jour. Il n’est pas bon non plus pour notre pays de surconsommer une énergie polluante et de dépendre de l’importation d’énergie fossile, qui représente l’essentiel du déficit commercial de la France. La facture énergétique de notre pays est en effet passée de 23 milliards d’euros en 2003 à 66 milliards d’euros en 2013.
En tant qu’habitant d’un département semi-rural, je sais que la voiture est généralement nécessaire au transport quotidien, mais aussi indispensable pour avoir un travail. Le prix des carburants a augmenté de manière importante ces dernières années. En tenant compte de l’inflation, le prix d’un litre de gazole relevé en 1991, il y a près de vingt-cinq ans, devrait se situer à 1,18 euro, sensiblement inférieur au prix actuel, y compris en intégrant la baisse récente. Pour de nombreux Français, les pleins d’essence font désormais partie des dépenses contraintes, qui augmentent régulièrement et amputent leur budget.
Mais je sais également que le prix élevé des carburants conduit nos concitoyens à innover. Grâce au covoiturage, certains Français ont ainsi amélioré leur pouvoir d’achat dans des proportions bien supérieures à l’augmentation du prix des carburants.
Il est de notre responsabilité de législateur de prendre les mesures qui permettront de préserver nos concitoyens des dégâts du changement climatique et de la raréfaction des énergies fossiles, en limitant l’usage de celles-ci, afin d’assurer à chaque citoyen le droit à la mobilité.
Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite suggérer deux pistes de travail au Gouvernement.
Tout d’abord, nous devons consolider la contribution climat énergie votée lors du projet de loi de finances 2014, dans un contexte marqué par le faible niveau de la fiscalité écologique dans notre pays : cette dernière représente en effet 4 % des recettes fiscales en France contre 6 % en Allemagne, 7,5 % au Royaume-Uni et 10 % aux Pays-Bas. La trajectoire de la contribution climat énergie tracée par le Gouvernement, avec un prix à 22 euros la tonne de carbone en 2016, doit être prolongée, afin que le message soit sans ambiguïté pour tous les agents économiques.
Il faut toutefois compenser cette taxe, d’une part par un chèque vert en faveur des ménages modestes et des classes moyennes, d’autre part par un allégement des cotisations sociales sur le travail versées par les entreprises. C’est la méthode qu’ont adoptée plusieurs États, comme la Suède qui a déplacé 6 % de sa masse fiscale de l’impôt sur le revenu et de l’impôt sur les sociétés vers le CO2. De fait, chacun doit payer le véritable prix de l’énergie. Je pense aux multiples exonérations de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, dont bénéficient certains secteurs économiques, ce qui empêche les entreprises concernées de repenser leur mode de développement afin de le rendre moins énergivore. Je répète qu’il faut les soutenir autrement.
À prélèvements constants, nous devons revoir la structure de notre fiscalité afin de taxer les atteintes à l’environnement, mais sans pénaliser ni les ménages contraints de prendre la voiture, ni les industries, grâce à des compensations ou à des transferts de fiscalité. L’économie moderne doit faire plus contribuer l’énergie fossile et moins l’énergie humaine.
Ensuite, nous devons regarder avec attention la rente pétrolière. Nous assistons depuis quelques mois à une baisse spectaculaire du prix du pétrole, qui a atteint 48 % en un an, mais qui n’est que partiellement répercutée sur les prix à la pompe, dont la diminution s’est limitée à 32 %. Nous avons donc toute légitimité pour instaurer une redevance flottante sur la rente des compagnies pétrolières, qui serait due par ces dernières lorsque le prix du baril descendrait, par exemple, en deçà des 100 dollars – prix auquel s’était stabilisé le baril pendant plusieurs années. Cette redevance viendrait nourrir les fonds consacrés à la transition énergétique et, en priorité, au développement des alternatives aux déplacements polluants, aux aides à l’isolation thermique ou au soutien aux énergies renouvelables.
Monsieur le secrétaire d’État, il s’agit non pas simplement de quelques aménagements ici ou là, mais bien d’une refonte en profondeur, qui s’inscrit dans le cadre d’une économie moderne, durable, innovante et dynamique.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, à la demande du groupe écologiste, dont nous saluons l’initiative, nous débattons ce jour de la fiscalité des carburants.
Le sujet n’est pas anodin. Les véhicules diesel sont surreprésentés dans le parc automobile européen. En France, le diesel représente aujourd’hui plus de 70 % des immatriculations, contre seulement 10 % en 1980. Or, c’est bien la fiscalité spécifique qui lui a été appliquée en France qui renforce l’idée, d’ailleurs fausse, que ces véhicules seraient plus performants aux plans énergétique et environnemental car ils consomment moins et moins cher. Si cette fiscalité avantageuse sur le gazole trouve son origine historique dans la politique mise en place en France en réaction au premier choc pétrolier, elle est désormais obsolète.
Le Gouvernement a donc décidé d’y travailler dès le début du quinquennat pour des raisons de santé publique, à la suite des propositions formulées en 2013 par le Comité pour la fiscalité écologique – le CFE – en vue de l’élaboration de la loi de finances pour 2014. Le CFE, qui était présidé par l’économiste Christian de Perthuis, dont nous soulignons l’engagement, a d’abord recommandé un rééquilibrage de la taxation de l’essence et du diesel, ainsi que l’introduction d’une composante carbone – la nouvelle contribution climat énergie ou « taxe carbone » – sur la période 2015-2020.
Évoquons d’abord le rééquilibrage de la taxation de l’essence et du diesel. Lors de l’adoption de la loi de finances pour 2015, la représentation nationale a voté le relèvement de la taxe intérieure de consommation applicable au gazole. Le tarif de la TICPE sur le gazole a ainsi été augmenté de deux centimes depuis le 1er janvier. La part du produit de cette taxe qui sera affectée à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France – l’AFITF – est fixée à 1,139 million d’euros pour l’année 2015. Ce relèvement de la part affectée à l’AFITF, initialement fixé à 807 millions d’euros par le Gouvernement, a été adopté à l’initiative des députés écologistes en première lecture, ce dont nous nous félicitons.
Ainsi, les taux de TICPE appliqués aux carburants qui ont été validés pour 2015 et 2016 traduisent clairement l’application d’une nouvelle politique énergétique : le gazole perd peu à peu son avantage fiscal et son prix tend à se rapprocher de celui des essences, tandis que le super-éthanol E 85 va bénéficier d’un net avantage fiscal à partir de 2016.
Toutefois, si les taux de TICPE pour les années 2015 et 2016 correspondent peu ou prou aux recommandations du CFE, il faut remarquer que les taux appliqués à l’essence au cours de ces deux années seront plus importants que ceux recommandés en 2013 par l’ensemble des parties prenantes du comité, qui visaient à combler plus rapidement l’écart de fiscalité entre les deux carburants. Le CFE recommandait en effet d’appliquer un taux de 60,8 centimes d’euro par litre d’essence en 2015 – contre 62,4 centimes appliqués depuis le 1er janvier – et de 61,3 centimes par litre en 2016. Le Gouvernement, renouant avec la logique de rendement qui avait présidé à l’introduction de la taxe intérieure sur les produits pétroliers en 1929, qui devait alors remplacer l’impôt sur le sel, a finalement décidé d’appliquer le taux de 64,1 centimes, soit un écart de plus 2,6 % en 2015 et de plus 4,6 % en 2016 par rapport aux recommandations, ce qui n’est négligeable ni pour les usagers ni pour l’environnement. Nous le regrettons.
Il faut ajouter, pour 2015, la mise en oeuvre de la contribution climat énergie, recommandée par le CFE. En effet, en 2014, année de lancement de la réforme de la fiscalité des carburants, le Gouvernement a retenu le principe de ne pas augmenter la fiscalité énergétique pesant sur les ménages et les entreprises, pour ne pas freiner les prémices de la reprise.
La nouvelle contribution climat énergie a pour principaux objectifs l’application du principe « pollueur-payeur » et l’introduction d’une évolution des comportements pour se préparer à une éventuelle diminution des ressources disponibles. Cette nouvelle taxe, qui concerne toutes les énergies fossiles, s’ajoute à la TICPE et est par ailleurs soumise à la TVA, au taux plein de 20 %.
Les taux de la taxe carbone pour 2015 et 2016 contribuent ainsi clairement à la nouvelle orientation de la politique énergétique française. Le gazole devient sensiblement plus taxé que les essences, ce qui accentue la baisse de son avantage fiscal, alors que le super éthanol E 85, carburant issu majoritairement de la biomasse, va bénéficier d’un nouvel avantage économique.
Ainsi, les variations de TICPE et la mise en oeuvre de la contribution climat énergie traduisent une sensibilité environnementale plus affirmée de l’État. Toutefois, la réduction de la TICPE sur les essences n’est pas assez rapide et la question des redistributions et des contreparties, particulièrement pour les ménages, n’est pas entièrement soldée – j’aurai l’occasion d’y revenir.
Monsieur le secrétaire d’État, la fiscalité sur les carburants fait l’objet de débats récurrents dans notre pays, sans qu’aucune issue n’ait jamais été trouvée et mise en place. Il s’agit du produit de consommation le plus taxé : ces taxes représentent en effet environ 60 % du prix à la pompe, ce qui constitue une manne pour l’État. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques – l’ex-TIPP – représente une rentrée fiscale de 25 milliards d’euros par an, soit le quatrième poste de recettes de l’État derrière la TVA, l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés. La TVA, quant à elle, rapporte 8,5 milliards d’euros par an.
L’année 2015 va encore voir grimper ces taxations. Au 1er janvier, une première hausse de la fiscalité sur le diesel est entrée en vigueur, afin de compenser le manque à gagner consécutif à l’abandon de l’écotaxe poids lourds. Ainsi, ce que ces derniers ne paient pas, ce sont les automobilistes qui le paieront. Et ils paieront deux fois : une première fois avec leurs impôts locaux, qui servent à entretenir les routes que les poids lourds dégradent, et une autre fois à la pompe. Cette hausse de deux centimes d’euros rapportera 800 millions d’euros à l’État, soit de quoi compenser le manque à gagner de l’écotaxe mort-née, abonder l’AFITF ou éponger les pénalités consécutives au fiasco de l’opération Ecomouv’. À cela s’ajoute une seconde hausse, qui s’appliquera à l’ensemble des carburants et correspondra à la montée en charge de la taxe carbone. Ce seront à nouveau deux centimes de plus sur le gazole et 1,80 centime sur l’essence. Des augmentations du même ordre sont programmées pour 2016.
Je connais l’argument selon lequel des carburants chers permettent de responsabiliser l’automobiliste, de l’inciter à consommer moins et de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une telle équation conduit, en réalité, à accroître les inégalités, à commencer par les inégalités sociales car, si le parc automobile compte aujourd’hui des moteurs diesel d’ancienne génération en nombre important, c’est que, durant des années, les familles ont été incitées à s’en doter par des prix attractifs. Aujourd’hui, on veut les pénaliser, alors qu’elles n’ont souvent pas les moyens de se payer des véhicules neufs et propres. On va par ailleurs accroître les inégalités territoriales, car la voiture individuelle est indispensable en milieu rural et semi-urbain pour faire ses courses, emmener les enfants à l’école, faire du sport, se cultiver ou aller au travail : il n’y a pas, aujourd’hui, d’alternative.
Mme la ministre de l’écologie dit qu’elle ne veut pas d’une fiscalité punitive. Ce sont les familles qui en sont actuellement les victimes. Le prix du baril de brut a baissé dans des proportions très importantes depuis la mi-juin et de 5,80 % entre le 26 décembre et le 2 janvier. Cela a des effets sur les prix à la pompe, mais dans des proportions moindres, car les taxes font écran et empêchent de libérer du pouvoir d’achat pour les familles, qui en ont pourtant bien besoin. Si le baril de brut repart à la hausse, les prix augmenteront d’autant plus douloureusement que les nouvelles taxes contribueront à ce renchérissement.
Il serait donc urgent de remettre à plat cette fiscalité inflationniste et d’examiner les modalités de mise en oeuvre d’une fiscalité plus progressive et plus juste. Il y a là un travail dont notre assemblée pourrait se saisir.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la Cour des comptes dénonce régulièrement la politique fiscale française sur l’énergie en indiquant qu’elle répond davantage au souci de préserver certains secteurs d’activité qu’à celui d’atteindre des objectifs environnementaux. Cette évocation cristallise facilement les tensions dans notre pays. Récemment, nous avons pu suivre les rebondissements autour du feuilleton de l’écotaxe. Inutile, donc, de dire qu’il n’est pas inintéressant de débattre de la question de la fiscalité des carburants.
Au regard de cette particularité française qui consiste à se crisper sur les sujets en débat, les récentes déclarations du Premier ministre sonnent doux à nos oreilles. « En France, le moteur diesel a longtemps été privilégié. Ce fut une erreur » : c’est par ces mots que le Premier ministre, dans son discours de clôture de la Conférence environnementale le 28 novembre dernier, a pris acte du déséquilibre injustifié entre la fiscalité sur l’essence et la fiscalité sur le diesel. Ce déséquilibre n’est pas sans conséquences sur la santé : une étude récente démontre qu’au cours d’une journée standard, les Parisiens respirent six millions de particules fines par litre d’air par an.
Changer interroge directement notre mode de vie actuel et les choses prendront du temps. C’est la raison pour laquelle je crois en une approche progressive et pragmatique.
En 2012, le Comité pour la fiscalité écologique a permis l’esquisse d’une évolution via l’instauration d’une composante carbone dans la taxe intérieure de consommation – la TIC. Cette taxe carbone a été introduite dans le PLF 2014 et doit augmenter progressivement jusqu’en 2016. Ainsi, la tonne de CO2 était de 7 euros en 2014 ; elle passera à 14,50 euros en 2015 et à 22 euros en 2016. Les recettes passeront donc, en conséquence, de 2,5 milliards en 2015 à 4 milliards en 2016.
Il faut également tenir compte des interrogations qui subsistent quant à l’abandon de l’écotaxe, lequel génère un manque à gagner dans le budget de l’AFITF. C’est pourquoi le budget pour 2015 prévoit une augmentation du tarif de la TICPE applicable au gazole.
Si je comprends évidemment que nous ayons dû faire face à des évolutions liées au dossier de l’écotaxe, il ne faut pas, monsieur le secrétaire d’État, que nous perdions de vue l’objectif qui consiste à modifier durablement les comportements quotidiens de nos concitoyens.
À cette fin, il me semble indispensable que nous maintenions la pression à l’échelle européenne. En effet, la directive européenne sur la fiscalité des carburants a été retirée du programme de travail de la Commission Juncker pour 2015 alors qu’elle contenait des avancées importantes. Elle définissait un nouveau mode de calcul des taxes sur l’énergie prenant en compte les émissions de CO2 et le contenu énergétique de chaque produit. Elle était cohérente par rapport aux engagements de l’Union européenne en matière énergétique. Son abandon, que j’espère provisoire, est un mauvais signal alors que nous approchons à grands pas de la Conférence de Paris qui aura lieu en décembre prochain et durant laquelle l’Europe souhaite jouer un rôle moteur.
Pouvez-vous nous indiquer quelle est la position de la France et comment nous pouvons agir au niveau européen pour inverser la tendance ? Vous dites souvent, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne voulez pas d’une fiscalité écologique punitive. Je partage votre avis.
Cette fiscalité doit nous permettre d’influencer les comportements. De même, elle constitue une formidable opportunité pour notre industrie. Elle doit enclencher l’innovation et la recherche d’une meilleure compétitivité à l’exportation. Il convient aussi de poursuivre notre accompagnement des professionnels de la route et du transport – routiers, taxis, agriculteurs, marins pêcheurs – sur le chemin vers une transition qui leur permettra de rester compétitifs et attractifs.
Pour ce faire, activer le levier du signal prix reste une mesure indispensable. En effet, donner un prix au carbone demeure la meilleure solution pour modifier les comportements et ainsi lutter efficacement contre le changement climatique, dans le sillage de la loi sur la transition énergétique.
En cela, et ce sera ma conclusion, je souscris aux propos tenus par Mireille Chiroleu-Assouline, professeur à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, en défense de la fiscalité écologique. Celle-ci nous explique que « l’acceptation et l’efficacité de la fiscalité écologique dépendront des efforts d’imagination consacrés à la pédagogie et à l’élaboration des mesures d’accompagnement ». Le message est clair. Il nous revient désormais de transformer l’essai.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques semaines, nous assistons à un effondrement des cours du baril de pétrole brut. Cette chute des cours, qui a commencé à la mi-juin 2014, est l’effet couplé d’une forte hausse de l’offre de brut, notamment venant des États-Unis, et du ralentissement de la demande mondiale. En effet, la demande n’est plus assez forte pour absorber ces surplus. En Asie, il y a des signes de ralentissement. La croissance de la Chine est un peu moins flamboyante que par le passé. La zone euro, de son côté, reste très convalescente.
Cependant, la chute du prix des hydrocarbures sera freinée par la nouvelle charge fiscale mise en place par votre gouvernement. Ainsi, après un mois et demi de baisse ininterrompue, les prix à la pompe sont repartis à la hausse début janvier, selon les données transmises par le ministère de l’écologie.
Cette hausse de la fiscalité est directement imputable à deux dispositions fiscales. La première trouve son origine dans la contribution climat énergie, dite « taxe carbone ». Instaurée fin 2013, celle-ci avait d’abord concerné le charbon, le fioul lourd et le gaz. Cette hausse avait été appliquée à compter du 1eravril 2014 et, parce qu’elle avait été contrebalancée par une baisse des tarifs réglementés, les ménages, plus particulièrement concernés par la taxation du gaz naturel, ne l’ont pas ressentie trop lourdement.
Cependant, depuis le 1erjanvier 2015, toutes les énergies fossiles émettrices de gaz carbonique sans exception sont frappées par ce nouvel impôt écologique. Cette hausse de 2,4 centimes d’euros concerne donc l’essence, le gazole, mais aussi le fioul domestique. Elle ponctionnera les ménages, en particulier les foyers qui se chauffent au fioul. Pis encore, au 1erjanvier 2016, la taxe carbone augmentera de nouveau dans les mêmes proportions, ce qui se traduira par un nouvel impact sur les prix des carburants et des différents modes de chauffage.
La seconde disposition fiscale résulte de l’abandon de l’écotaxe poids lourds qui devait rapporter d’importantes recettes à l’État. Pour financer cette décision, votre gouvernement a choisi d’inscrire dans la loi de finances pour 2015 une augmentation de 2 centimes d’euros de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques à compter du 1erjanvier 2015, ce qui représente un produit attendu de 800 millions d’euros. C’est une double peine pour les détenteurs de véhicules diesel, puisque cette hausse s’accompagnera automatiquement du prélèvement supplémentaire de 2,4 centimes sur chaque litre de gazole consommé issu de la taxe carbone.
Je veux d’ailleurs ici rappeler que la réglementation applicable aux moteurs diesel s’est particulièrement renforcée ces dernières années. Tout d’abord, en 2011, la norme Euro 5 a rendu obligatoire le filtre à particule, déjà adopté une dizaine d’années auparavant par certains constructeurs. L’objectif était de filtrer les particules fines, qui s’infiltrent en profondeur dans les bronches. Ensuite, une nouvelle étape a été franchie avec la norme Euro 6, qui est entrée en vigueur en septembre 2014 pour les nouveaux lancements et en septembre 2015 pour tous les véhicules. Les constructeurs devront désormais ramener les émissions des moteurs diesel quasiment au même niveau que celles de l’essence, ce qui nécessite la mise en place de nouveaux instruments.
Si toutes ces contraintes sont légitimes du point de vue environnemental, elles ont imposé aux constructeurs automobiles la réalisation d’investissements importants. Les industriels évoquent un surcoût qui oscille entre 600 et 1 000 euros par voiture, alors que les précédentes réglementations avaient déjà alourdi leur facture. Pour PSA, par exemple, l’investissement dévolu aux normes Euro 5 et Euro 6 s’élève à 1,7 milliard d’euros.
En outre, les constructeurs ne pourront pas répercuter la totalité du surcoût d’Euro 6 à leurs clients, les consommateurs n’étant souvent pas prêts à payer plus cher pour une voiture plus respectueuse de l’environnement. Renault et BMW proposent depuis plusieurs mois des moteurs Euro 6 en option, mais peu de clients ont fait ce choix.
Tous ces facteurs font qu’un rééquilibrage progressif devrait s’opérer entre l’essence et le diesel sans qu’il soit besoin d’augmenter la fiscalité sur ce dernier. En France, le Comité des constructeurs français d’automobiles s’attend à ce que le diesel ne pèse plus que 50 % des ventes de voitures neuves en 2020, contre 67 % en 2013 et 65 % sur le premier trimestre 2014. En Europe, cette part pourrait passer à 43 % en 2020 contre 55 % en 2013, estime-t-on chez PSA.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez parlé d’une politique novatrice, réaliste et volontaire. Je ne suis pas convaincue par vos propos. En effet, contrairement à ce qui aurait dû être fait, le produit de la nouvelle fiscalité mise en place pour combler le manque à gagner de l’Agence de financement des infrastructures de transports de France à la suite de l’abandon de l’écotaxe ne sera pas destiné à aider nos concitoyens les plus démunis à remplacer leur voiture par une voiture moins polluante.
Au regard de cette situation, je m’inquiète de l’augmentation de la fiscalité sur le diesel, qui semble correspondre davantage à une politique au coup par coup qu’à une orientation stratégique cohérente des pouvoirs publics. Au total, les prix du diesel, de l’essence, du fioul et du gaz auront augmenté de plus de 2 centimes au 1erjanvier. Il en coûtera jusqu’à 100 euros par ménage.
Vous avez évoqué les impacts sociaux et économiques, monsieur le secrétaire d’État ; l’impact concernera non seulement les ménages, mais aussi les entreprises, puisque les transporteurs routiers, qui devaient être exonérés de la taxe carbone et de la taxe diesel en raison de l’écotaxe, ne le seront plus du fait de l’abandon de celle-ci.
Une nouvelle fois, les grands oubliés, sacrifiés par les choix fiscaux de votre gouvernement, sont les classes moyennes et les familles, sur lesquelles repose depuis 2012 l’essentiel de l’effort fiscal, ainsi que les entreprises.
Vous avez oublié le passé ! Vous étiez pour hier et ne l’êtes plus aujourd’hui !
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, les fréquentes hausses des prix à la pompe pénalisent de plus en plus ceux de nos concitoyens qui doivent se déplacer en voiture pour gagner leur lieu de travail, lequel est de plus en plus éloigné du domicile. Certes, on a constaté ces derniers temps quelques baisses conjoncturelles, mais nous ne devons, ni les uns ni les autres, nous faire d’illusions quant au prix des énergies fossiles, qui demeurera élevé.
Les carburants représentent aujourd’hui l’un des premiers postes de dépense des ménages français. S’ils sont désormais considérés comme des biens de première nécessité, la fiscalité qui porte sur eux continue de soulever de nombreuses questions. Tout d’abord, qu’on le veuille ou non, pour la majeure partie de nos concitoyens, cette fiscalité demeure opaque. Le sentiment majoritaire est que son niveau reste particulièrement élevé ; il a été rappelé à plusieurs reprises au cours de ce débat que le montant perçu sur les carburants représente 75 % de leur prix.
Ensuite, des exemples récents viennent confirmer l’inconstance des mesures prises en matière de fiscalité des carburants. Quelles lignes directrices, quelle politique structurelle sont engagées ? On essaie de les discerner, mais même avec une attention particulière et une acuité visuelle supérieure à la moyenne, on peine à les déterminer. Les errements répétés du Gouvernement sur la mise en place de la fameuse écotaxe sont surprenants, y compris pour des yeux bienveillants. Celle-ci aura été au bout du compte compensée par des augmentations successives des taxes sur les carburants.
Ainsi, à l’occasion de la loi de finances pour 2015, le Gouvernement a décidé de relever de 2 centimes la TICPE applicable au gazole. Cette hausse vient s’ajouter à celle qui a suivi l’entrée en vigueur de la taxe carbone, ou plutôt de la contribution climat énergie, au 1er janvier 2015. Cela est d’autant plus incompréhensible que la ministre de l’environnement, à la suite de propos tenus par plusieurs membres du groupe écologiste, avait employé une formule à laquelle le groupe UDI souscrivait : elle affirmait que l’écologie ne devait plus être considérée comme punitive ou subie, même si nos concitoyens aspiraient à des mesures fiscales plus protectrices de l’environnement.
Le groupe UDI est en effet profondément convaincu – et son histoire ainsi que la personnalité de son président, Jean-Louis Borloo, même s’il s’est aujourd’hui retiré, en témoignent – de la nécessité de mettre en oeuvre une fiscalité écologique vertueuse, qui contribue à favoriser l’évolution des comportements sans entraver la compétitivité de nos entreprises, laquelle peine à se maintenir à l’échelle de l’Europe et de la planète.
Cette fiscalité environnementale doit également nous permettre d’envoyer un signal fort aux différents acteurs concernés, pour les inciter à modifier leurs comportements. C’est bien ce que nous recherchons les uns et les autres au bout du compte : conduire entreprises, ménages, particuliers à adopter un comportement plus vertueux, qui permette une meilleure protection de la planète.
Cette stratégie, c’est celle qui nous mènera vers une croissance verte, une croissance créatrice des emplois vertueux de demain. Sous l’impulsion de Jean-Louis Borloo, le Grenelle de l’environnement avait permis l’adoption de près de soixante-dix mesures en matière de fiscalité écologique. Je pense notamment au bonus écologique sur les voitures, qui fait sens dans ce débat sur les carburants. Une réflexion autour d’une véritable réforme de la fiscalité des carburants permettrait très certainement de faire évoluer le débat plus général sur la fiscalité écologique.
À l’instar de plusieurs autres intervenants, nous nous interrogeons sur la différence de fiscalité entre le diesel et l’essence. Chacun le sait, le rapport de la Cour des comptes, remis en mars 2013, recommande fortement l’alignement de la taxation du diesel sur celle de l’essence. Rappelons également qu’en France 70 % des véhicules sont des modèles diesel alors que la moyenne européenne se situe autour de 55 %. Nous avons, là aussi, hélas, un retard à rattraper. L’engouement du diesel ne se justifie pas par l’intervention du Saint-Esprit : des avantages financiers contribuent encore aujourd’hui à faire du moteur diesel un modèle beaucoup trop prisé par les Français au vu de la politique que nous devrions mener en la matière.
Oui, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons faire évoluer notre position sur la fiscalité écologique en général et sur la fiscalité des carburants en particulier. Celle-ci doit avoir pour effet d’encourager les comportements vertueux sans que les ménages ou les entreprises se sentent pénalisés, car cela ne ferait que desservir la cause environnementale.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, si notre groupe a souhaité ce débat, c’est que nous voulons prendre le temps de la réflexion et échanger sur la fiscalité des carburants, en dehors des discussions que nous avons pu avoir depuis le début de cette législature dans le cadre des lois de finances.
Comme l’ont souligné de nombreux intervenants, la fiscalité des carburants a un impact majeur sur les comportements. Il suffit de constater les effets de la fiscalité sur le diesel, qui donne aujourd’hui un avantage très concurrentiel aux véhicules utilisant ce carburant. C’est, du moins, ce que pensent les consommateurs ! En effet, UFC-Que Choisir a démontré que 75 % des propriétaires de véhicules diesel perdaient de l’argent : comme ils ne roulent pas suffisamment, le prix, plus avantageux, du gazole ne permet pas de compenser le coût d’achat, plus élevé, de leur voiture.
Puisque le débat a été ouvert, je veux le dire ici : nous aussi, nous sommes contre la pollution punitive ! Nous sommes contre la pollution de l’air que respirent nos concitoyens, contre les pics de pollution que les habitants des grandes villes subissent quotidiennement. Ces pics, lors desquels les personnes âgées, les insuffisants respiratoires et les jeunes enfants éprouvent une gêne respiratoire font perdre entre six et neuf mois d’espérance de vie. Nous n’avons trouvé aucune solution concrète pour faire en sorte que les pics de pollution et la pollution chronique de nos villes diminuent.
Oui, il faut dédiéséliser le parc le plus diésélisé au monde ! Nous sommes heureux que, pour la première fois, un Premier ministre – Manuel Valls – ait déclaré, lors de la conférence environnementale, que la France avait fait fausse route en donnant la priorité au diesel. On le sait, ce déséquilibre entre l’essence et le diesel entraîne des pertes fiscales de près de 7 milliards d’euros, des fermetures de raffineries, des problèmes de santé publique et, probablement, une sanction européenne à l’encontre de la France pour défaut de lutte contre la pollution atmosphérique.
On le sait depuis 2007, la Cour des comptes l’a dit, il n’y a aucune raison de continuer à donner un avantage fiscal au diesel. C’est un peu comme si la Sécurité sociale subventionnait le tabac, alors même que sa nocivité est connue !
Nous sommes satisfaits des initiatives qui ont été prises pour réduire ce différentiel entre l’essence et le gazole. Soucieux des conséquences sociales, évoquées par M. Carvalho, nous souhaitons qu’une partie des recettes fiscales soit utilisée pour aider les ménages les plus en difficulté qui doivent faire face à cette évolution.
Nous souhaitons voir ces initiatives se poursuivre afin que l’écart continue de se resserrer et ne plus entendre, comme c’est trop souvent le cas, que les véhicules diesel neufs ne seraient pas polluants. L’ADEME a démontré que ces véhicules demeurent très polluants, même aux normes Euro 5 et Euro 6.
Comme M. le secrétaire d’État l’a rappelé, la contribution climat énergie commence d’être mise en place et nous nous en réjouissons. Je voulais dire à nos collègues UMP, peu nombreux hélas sur ces bancs, que nous étions pour cette mesure hier. Nous n’avons pas changé de position ; nous considérons que la « composante carbone » est importante et qu’elle doit augmenter.
Toutefois, des incohérences demeurent. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité ce débat et appeler votre attention sur ce point, monsieur le secrétaire d’État. Aujourd’hui, 96 % des véhicules de société roulent au diesel, parce que la TVA acquittée sur le gazole est déductible. Un avantage aussi important ne peut perdurer. Les chauffeurs de taxi, eux-mêmes, sont nombreux à nous dire qu’ils souhaiteraient passer aux véhicules électriques ou hybrides mais que le seul carburant sur lequel la TVA est récupérable est le gazole.
Vous avez pris l’initiative, monsieur le secrétaire d’État, d’augmenter la taxe sur les véhicules de société pour prendre en compte l’impact environnemental et le compenser. Pour autant, le signal n’est pas suffisamment fort pour entraîner une évolution du parc automobile. Il est donc nécessaire de supprimer la déductibilité de la TVA sur le gazole et de rendre déductible la TVA acquittée pour les carburants alternatifs.
Il convient aussi de prendre toutes les mesures afin de favoriser les véhicules roulant au gaz – le GNV et demain, le biométhane. Nous proposons d’étendre au GNV les exonérations applicables au transport de marchandises et au transport public routier. Là aussi, nous pouvons envoyer un signal de façon à ce que ces véhicules roulant au GNV, qui existent dans beaucoup de pays, soient bien plus utilisés en France.
Enfin, les chauffeurs de taxi doivent recevoir un message du Gouvernement. Circulant toute la journée dans les grandes villes et facteurs de pollution, ils sont prêts à changer de véhicule. Outre le basculement de la déductibilité de la TVA du diesel vers les carburants alternatifs, le remboursement de TICPE dont ils bénéficient doit être progressivement limité pour ne plus concerner que les véhicules hybrides.
L’évolution vers une fiscalité plus écologique, initiée par ce gouvernement, doit se poursuivre. Ces propositions, monsieur le secrétaire d’État, y contribuent.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
Nous en venons aux questions. Chaque orateur disposera de deux minutes pour poser sa question et M. le secrétaire d’État du même temps de parole pour y répondre.
La parole est à M. Denis Baupin, pour le groupe écologiste.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez cherché des solutions, mais depuis deux ans et demi, les choses n’ont pas suffisamment évolué. Alors que nous soulevions la question de la déductibilité de la TVA acquittée pour l’achat de carburant destiné aux véhicules d’entreprise, on nous a répondu qu’il était difficile de faire évoluer certaines directives européennes anciennes. Quelles sont vos marges de manoeuvre ? Quelles initiatives comptez-vous prendre ?
Comme je l’ai rappelé, vous avez augmenté la taxe sur les véhicules de société mais le Gouvernement s’est montré défavorable à notre proposition d’une nouvelle hausse, dans le cadre du dernier projet de loi de finances. Nous ne pouvons pourtant pas nous satisfaire d’une situation où 96 % des véhicules de société roulent au diesel, où les conducteurs eux-mêmes, comme les chauffeurs de taxi, assurent vouloir utiliser un autre carburant. Le message qui leur est ainsi adressé est nuisible pour la collectivité. Quelles sont les pistes de travail qui peuvent être explorées ? Comment le Gouvernement pourra-t-il, à l’occasion du prochain projet de loi de finances, voir d’un collectif budgétaire, améliorer la situation et dédiéséliser le parc des véhicules de société ?
Monsieur le député, votre question contient une partie de la réponse, puisque vous évoquez la possibilité d’appliquer la même déductibilité à la TVA acquittée sur l’essence. Cette question nécessite une explication technique. Par principe, la TVA est déductible, sauf pour des opérations déjà mises en place avant les directives TVA, qui bénéficient d’une « clause de gel ». Les dispositifs antérieurs peuvent être conservés. Aussi, il est impossible de rendre non déductible la TVA sur le gazole ; la seule solution serait de rendre déductible la TVA acquittée sur les autres carburants, notamment l’essence, ce qui, vous le comprendrez aisément, aurait pour principal effet d’entraîner une perte de recettes fiscales – difficilement acceptable par les temps qui courent !
Vous avez rappelé que nous avons « durci » la fiscalité sur les véhicules de société – je crois me rappeler d’ailleurs que c’était une initiative du rapporteur général de l’époque… (Sourires) – et oeuvré pour le rapprochement des fiscalités. Le rythme n’est peut-être pas celui que souhaiterait l’ensemble des parlementaires et des groupes, mais il convient de respecter l’équilibre des filières de production, qu’il s’agisse des carburants ou des véhicules.
La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
L’ensemble des parties prenantes du comité pour la fiscalité écologique s’est penché plus particulièrement sur la question des redistributions et des contreparties ainsi que sur les mesures d’accompagnement, dans le cadre du rééquilibrage graduel de la fiscalité énergétique.
Il fallait en effet trouver un compromis acceptable par tous. Le CFE a retenu quatre paramètres : un crédit d’impôt destiné aux ménages et ciblé sur les premiers déciles – à hauteur de 300 millions d’euros en 2016 et de 800 millions d’euros en 2020 – ; un dispositif ciblé également sur les ménages, afin d’inciter au retrait des vieux véhicules diesel, ainsi qu’une TVA réduite sur les transports en commun et sur les travaux de rénovation thermique, grâce au supplément de recettes fiscales à partir de 2016 ; la prise en compte d’éventuels doublons entre la contribution climat énergie et le système ETS, le système d’échange de quotas d’émission de l’UE ; le financement de la baisse des charges pesant sur le travail via le CICE.
La mise en oeuvre du CICE et son financement partiel par la fiscalité écologique sont lancés, de même que l’application, dès 2014, d’une TVA réduite sur les travaux de rénovation thermique ainsi que sur l’ensemble des travaux « induits », ce dont nous nous réjouissons.
Reste toutefois deux questions essentielles : qu’en est-il de ce crédit d’impôt qui devait être calibré à 30 % de la contribution additionnelle demandée aux ménages, et dégressif selon le niveau de vie ? Et plus encore, qu’en est-il de l’application, en 2016, d’une TVA réduite sur les transports en commun, que les membres et experts du CFE ont appelée de leurs voeux en 2013 ?
En effet, une réduction des charges pesant sur le travail, sans compensation forfaitaire vers les ménages à bas revenus, ne peut entraîner, à elle seule, un supplément de croissance et d’emploi, premier corollaire, pourtant, d’une politique environnementale efficace.
Madame la députée, je vous remercie d’avoir posé cette question importante, dont nous avons déjà discuté lors de nos débats sur la fiscalité des carburants et sur la fiscalité environnementale : elle porte sur l’acceptabilité sociale de telles mesures et sur le retour aux ménages d’une part de cette fiscalité.
Il n’est pas possible d’explorer toutes les pistes que vous évoquez. S’agissant de la baisse de la TVA sur les transports collectifs, nous ne pouvons distinguer selon les types de transport, ce qui reviendrait à appliquer la baisse à tous les transports : la perte de recettes serait de l’ordre de 1 milliard d’euros. Le secrétaire d’État au budget que je suis ne sait pas faire ! Vous avez évoqué également un crédit d’impôt dont les contours et la définition seraient complexes et difficiles à cibler.
En revanche, le Gouvernement est favorable à la mise en place d’un chèque énergie pour les ménages modestes, dont il reste à définir les modalités et le calendrier, en lien avec les parlementaires. Le temps me manque pour évoquer les autres dispositifs fiscaux qui ont été mis en place, ainsi que l’acceptabilité financière de l’ensemble de ces mesures.
La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
L’écotaxe avait été conçue comme un dispositif de fiscalité en direction des poids lourds avec pour objectif d’oeuvrer au report modal, c’est-à-dire au transfert du fret routier vers le rail et la voie d’eau. Cette disposition se justifiait d’autant plus que le transport poids lourds est le moins taxé des modes de transport – taxes à l’essieu minorées ou encore exonérations d’impôts indirects sur les carburants.
Rappelons que l’écotaxe a été décidée par un vote quasi unanime du Parlement en 2009 dans le cadre du Grenelle de l’environnement. En octobre 2013, le Gouvernement a décidé de reculer, remettant ainsi en cause une décision législative. De reculade en reculade, le nombre de kilomètres de routes concernées a été divisé par quatre et la recette a été ramenée de 1,2 milliard d’euros à 500 millions. Même cela a déplu au lobby routier. L’instauration d’une vignette pour les camions étrangers traversant le territoire national a été évoquée puis une mise à contribution des sociétés concessionnaires d’autoroutes.
Il y avait à la clé le financement de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France.
Au final, ce sont les automobilistes qui paieront suite à une augmentation de 2 centimes d’euros par litre de la taxe sur le gazole. La recette, qui devrait ainsi s’élever à 800 millions d’euros, servira notamment à éponger le scandale Ecomouv’. C’est un invraisemblable fiasco !
Une mission d’information de notre assemblée a rendu un rapport et formulé des préconisations pour en sortir. Sont-elles destinées à finir au fond d’un tiroir ou à inspirer des mesures qui répondent à l’intérêt général et non aux lobbies privés ?
Monsieur le député, merci pour votre question. Ma réponse sera sans doute plus liée à ma personne qu’à ma fonction. D’assemblée en assemblée, de séance en séance, je vois se lever des légions de défenseurs de l’écotaxe que je n’ai pas vu se dresser face à ceux qui contestaient cette mesure. Ce sont parfois les mêmes, d’ailleurs, qui étaient au premier rang des manifestations contre l’écotaxe.
En effet, mais ceux que je vise se reconnaîtront. Ce côté droit de l’hémicycle est actuellement désert. Pardonnez-moi ma franchise, mais j’ai entendu au Sénat des légions de sénateurs, appartenant à la majorité actuelle du Sénat, regretter la disparition de l’écotaxe. Il faudrait être cohérent ! Certains groupes politiques ont su l’être, d’autres non.
Le Gouvernement examine les propositions issues du rapport dont vous avez parlé et qui ne sont pas destinées à rester lettre morte. Vous évoquez la hausse de 2 centimes de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques qui concernera tout le monde mais permettra de financer l’AFITF. N’oubliez pas, par ailleurs, que la réduction de 4 centimes d’euros de la détaxe dont bénéficient les transporteurs routiers ne concerne pas les ménages, mais est également destinée à financer l’AFITF.
Nous étudions en ce moment plusieurs solutions pour répondre à cette situation très difficile. Il me faudrait bien plus de deux minutes pour vous les exposer avec précision.
La parole est à Mme Martine Lignières-Cassou, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien entendu votre réponse à la question de ma collègue Jeanine Dubié. Le sujet de la fiscalité des carburants est capital car nous ne pourrons financer la transition énergétique qu’à condition de cesser de subventionner les énergies fossiles et de transférer ces financements au bénéfice de la transition énergétique. Il faudrait d’ailleurs commencer par augmenter la TICPE sur le diesel, moins élevée que celle sur l’essence, mais la réduction de cet écart aurait des conséquences directes sur le pouvoir d’achat des ménages.
Nous saluons les orientations prises cette année, qu’il s’agisse de l’instauration de la taxe carbone ou du relèvement de la TICPE, mais il serait fondamental d’inscrire dans la durée et progressivement, au-delà de 2015 et 2016, le rééquilibrage de la TICPE entre le gazole et l’essence et de l’affecter à la transition énergétique. L’augmentation de cette ressource permettrait soit de conforter les comptes de l’AFITF, soit d’opérer une redistribution au profit des ménages, soit de baisser la TVA dans les transports en commun.
Ma second question rejoint les préoccupations de M. Éric Alauzet. Le coût du baril de pétrole à l’échelle mondiale baisse, et cela va durer Nous constatons une répercussion de cette baisse sur le prix de l’essence et du diesel à la pompe. Le consommateur s’en réjouit, mais cela ne l’incite pas à privilégier des véhicules à énergie propre puisque le coût d’une voiture diesel ou essence reste ainsi supportable.
Ainsi, à l’instar de la TIPP flottante instaurée à la fin des années 90 suite à la hausse du prix du baril, ne pourrait-on pas imaginer un mécanisme fiscal qui permettrait, en cas de baisse du coût du baril, de maintenir une valeur fixe du prix à la pompe ? Cette mesure permettrait de surcroît de dégager une nouvelle recette fiscale susceptible de financer les politiques publiques en faveur de la transition écologique.
Le Gouvernement est prêt, madame la députée, à travailler ces deux questions avec vous.
S’agissant de la mise en oeuvre progressive et sur le long terme d’une politique fiscale en faveur de la transition énergétique, nous l’avons fait sur trois ans pour la contribution climat énergie. Certains voudraient aller plus loin. Pourquoi ne pas étudier l’idée d’une trajectoire, notamment pour le rapprochement des deux fiscalités ? J’ai toujours été partisan de solutions progressives en la matière. Les évolutions brutales peuvent mettre à mal des filières économiques, pas seulement la filière automobile mais aussi la filière de production des carburants.
Vous dites par ailleurs que ce mécanisme de fiscalité des carburants, qui peut sembler illisible et opaque à certains de vos collègues, ne tient pas compte de l’évolution du prix du pétrole brut. Faut-il évoluer vers un dispositif plus modulable ? Le Gouvernement ne l’exclut pas et nous réfléchissons régulièrement à ces questions. Nous devrons, dans les prochaines années, prendre des mesures qui permettent de mieux tenir compte de ces évolutions. Je ne ferme pas la porte sur ces deux points.
Madame Lignières-Cassou, vous avez donc posé vos deux questions en même temps.
Nous en avons terminé avec les questions.
Le débat est clos.
La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures vingt-cinq.
L’ordre du jour appelle le débat sur le « paquet énergie climat ».
La Conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties.
Dans un premier temps, nous entendrons le Gouvernement puis les orateurs des groupes et Mme la présidente de la commission des affaires européennes.
Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des affaires européennes.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les députés, je veux d’abord remercier l’Assemblée nationale et sa commission des affaires européennes pour l’organisation de ce débat sur le cadre européen relatif à l’énergie et au climat, qui a été adopté lors du Conseil européen des 23 et 24 octobre derniers à Bruxelles. Ce débat est d’autant plus important qu’il a lieu au lendemain de la COP20, qui s’est tenue à Lima en décembre dernier, et alors que la France se prépare à accueillir et à présider la COP21 qui se tiendra à Paris en décembre prochain.
Ce sera un événement historique par sa portée, par son ampleur et par son ambition. Il s’agira en effet de trouver un accord universel et contraignant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin de limiter la hausse des températures à deux degrés et d’enrayer les effets du changement climatique avant que l’augmentation de la température atteigne un seuil irréversible.
Dans cette conférence, l’Europe tout entière aura à jouer à nos côtés un rôle d’entraînement, d’une part au moyen des objectifs ambitieux qu’elle s’est fixée pour elle-même à l’horizon 2030. C’est la contribution qu’elle annoncera d’ici à la fin du mois de mars, en cohérence avec les conclusions du Conseil européen qui s’est tenu en octobre dernier. Elle devra d’autre part jouer pleinement de son influence auprès des autres États sur l’ensemble des enjeux de la COP21, y compris en s’engageant sur le Fonds vert pour le climat et sur l’agenda des solutions, c’est-à-dire la mobilisation de tous les acteurs – des collectivités locales aux entreprises et à la société civile.
S’il est une question essentielle pour l’avenir de la planète et de notre continent, à laquelle il ne saurait y avoir de réponse étroitement nationale consistant en la juxtaposition de vingt-huit politiques nationales différentes, c’est bien celle de la lutte contre le changement climatique. C’est pourquoi le Gouvernement a considéré que la question de l’énergie et du climat devait constituer l’une des priorités européennes, en cohérence avec notre propre loi sur la transition énergétique.
L’urgence est grande. À l’échelle mondiale, la concentration de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 40 % depuis 1750, c’est-à-dire depuis le début de l’ère industrielle, et de 20 % depuis 1958. L’accélération de cette hausse de la concentration de CO2 dans l’atmosphère entraîne un bouleversement complet de notre environnement, qui a déjà des conséquences majeures. Dérèglements climatiques, inondations : les risques sont déjà avérés et considérables.
Sur la longue durée, l’Europe est en grande partie responsable de cette augmentation. Quelle est cependant la situation actuelle ? La part de la Chine dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre est d’environ 22,3 %, celle des États-Unis de 13,4 % et celle de l’Union européenne de 9,3 %, selon les données de référence pour 2011.
En novembre dernier, la Chine et les États-Unis ont annoncé des mesures encourageantes en vue de la préparation de la Conférence de Paris et pour réduire leurs émissions respectives. C’est absolument indispensable puisque, comme je viens de le rappeler, ces deux pays sont aujourd’hui les émetteurs les plus importants. En effet, si elle fut au XIXe siècle la principale responsable des émissions de gaz à effet de serre, l’Europe a depuis fait des efforts – les autres pays industrialisés et les pays émergents n’ayant pas encore fourni des efforts de même nature. L’accord entre les États-Unis et la Chine est donc un premier pas positif.
Toutefois, nous devons tous poursuivre nos efforts. La réponse doit être mondiale – c’est l’enjeu de la conférence de Paris – et l’Europe doit continuer à être exemplaire pour que le monde prenne le tournant de la transition énergétique avant qu’il ne soit trop tard. En effet, même si nous avons fait des progrès, nous ne parvenons pas encore, sur la base des textes adoptés dans le précédent « paquet énergie climat », à être à la hauteur de l’objectif qu’il faut se fixer, à savoir une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre.
C’est dans ce contexte et avec cet objectif présent à l’esprit que nous avons, l’année dernière, engagé des négociations au niveau européen afin de trouver un accord à vingt-huit sur le cadre que nous devons nous fixer en matière de climat et d’énergie jusqu’en 2030. Je ne vous le cache pas, et j’en avais d’ailleurs rendu compte devant votre commission, ces négociations ont été difficiles.
Le Président de la République et la diplomatie française ont déployé tous leurs efforts afin de convaincre nos partenaires européens de la nécessité de définir un accord ambitieux dès le Conseil européen du mois d’octobre.
Le Conseil européen a ainsi pu définir les grands objectifs du cadre énergie climat d’ici à 2030 : premièrement, un objectif contraignant de réduction d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990 ; deuxièmement, un objectif contraignant de 27 % d’énergies renouvelables dans le mix énergétique ; troisièmement, un objectif indicatif d’au moins 27 % d’amélioration de l’efficacité énergétique par rapport aux projections courantes. Le niveau de cet objectif sera réexaminé en 2020.
Nous aurions souhaité, en ce qui nous concerne, que cet objectif soit contraignant. En France, dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique, nous nous sommes fixé des objectifs contraignants et nous pensons qu’il devra en être de même dans tous les pays d’Europe. Quoi qu’il en soit, nous avons voulu obtenir un certain nombre d’engagements et d’avancées dès le Conseil européen d’octobre.
Pour tenir compte de la situation des États les plus en retard, des mécanismes de flexibilité et de solidarité ont été agréés. Ainsi, les États membres dont le PIB par habitant est inférieur à 60 % de la moyenne de l’Union, comme la Pologne, et dont la part de ressources fossiles – en particulier le charbon – dans la production d’énergie est la plus importante, auront la possibilité d’accorder des quotas gratuits d’émissions de CO2 à leur secteur énergétique et de bénéficier de financements pour des projets d’amélioration de leur efficacité énergétique et de modernisation de leurs systèmes énergétiques. Enfin, les États membres souffrant d’un déficit d’interconnexions énergétiques, notamment ceux de la péninsule ibérique, pourront bénéficier de financements supplémentaires.
Cet équilibre a été conçu afin de prendre en compte les différences de richesse qui existent entre les États et de garantir des efforts équitables et équilibrés. Cela dit, tous les États devront diminuer leurs émissions de CO2.
En outre, comme nous le souhaitions, le Conseil européen reconnaît la situation spécifique de l’agriculture et son potentiel moindre en matière de réduction des gaz à effet de serre. Cela ne signifie pas pour autant qu’aucune amélioration de l’efficacité énergétique n’est possible dans le domaine de l’agriculture ; nous soutenons d’ailleurs les recherches engagées en la matière.
Il était également important pour nous de marquer notre volonté de réformer profondément et rapidement le marché du carbone européen, le système EU ETS, qui concerne certaines industries et la production d’énergie. Ainsi, nous avons obtenu la création d’un instrument de stabilité destiné à améliorer le fonctionnement du marché du carbone et de rehausser le prix de la tonne de carbone qui, comme vous le savez, avoisine aujourd’hui les 5 euros, contre 20 euros en 2011. L’offre pléthorique de quotas d’émission, due à une mauvaise régulation, a provoqué un effondrement de l’ensemble du marché. Pour la plupart des experts, ce prix devrait atteindre environ 25 euros la tonne pour encourager les entreprises et les États à agir et à investir dans des procédés qui émettent moins de CO2.
D’autres experts évoquent quant à eux le prix de 40 euros la tonne de carbone. Je me trouvais ce matin, dans le cadre d’une visite de terrain, à l’Institut français du pétrole Énergies nouvelles qui mène des recherches sur le stockage du CO2 avec le soutien du programme Horizon 2020 de l’Union européenne, ce qui constitue d’ailleurs un bel exemple de coopération entre la France et l’Europe en matière de lutte contre le changement climatique. Or, pour les experts de l’IFP, le prix de la tonne de carbone, pour produire les incitations que nous souhaitons dans le domaine du stockage de CO2 et du financement de cette nouvelle technologie, devrait se situer au delà de 40 euros. C’est pour cette raison que nous réformons ce marché.
Enfin, s’agissant des secteurs qui n’entrent pas dans le champ du marché du carbone, les secteurs dits non-ETS, c’est-à-dire le transport, le logement et l’agriculture, la répartition de l’effort entre les États membres ira de zéro à 40 % de baisse et se fera en fonction du PIB par habitant : des efforts plus importants seront demandés aux pays les plus riches de l’Union, tandis que ceux dont le PIB par habitant est le plus faible contribueront moins.
Nous pouvons nous féliciter de cet accord ambitieux et du rôle que la France a joué pour l’obtenir. L’Europe, par cet accord, a su se montrer volontaire, créative et visionnaire.
Cet accord, en effet, répond pleinement aux trois exigences que nous avions définies : l’ambition, car les objectifs retenus sont élevés ; la responsabilité, puisque tous les États membres de l’Union européenne devront participer à l’effort de réduction des émissions, contrairement aux objectifs du précédent paquet de 2008 ; enfin, la solidarité car des mécanismes seront mis en place pour tenir compte des différences de richesse nationale et de bouquet énergétique.
Ce nouveau cadre « énergie climat 2030 » doit nous permettre de lutter résolument contre le dérèglement climatique, d’engager l’Europe dans un nouveau modèle énergétique, de renforcer la sécurité énergétique de notre continent et, enfin, de contribuer à la croissance verte de l’économie européenne.
C’est donc une étape importante, mais c’est surtout le point de départ d’un long processus de traduction législative et de déclinaison dans chaque pays.
Plusieurs directives et règlements européens vont être présentés par la Commission européenne. Ils seront soumis à l’adoption du Parlement européen et du Conseil ; leur traduction dans les législations nationales sera ensuite nécessaire pour que les objectifs se concrétisent.
Quelles sont les priorités de ce grand chantier ?
L’objectif d’au moins 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre permet de promouvoir la transition vers un modèle économique bas carbone. Nous devons le compléter rapidement pour, d’une part, maintenir un prix du carbone plus élevé, en mettant en place le plus rapidement possible la réserve de stabilité, et, d’autre part, pour lancer les négociations sur la gestion des risques de fuites de carbone – il s’agit des risques de délocalisations industrielles qui pourraient être liés à une mauvaise prise en compte de la situation concurrentielle de certaines industries en raison de la réglementation européenne.
Nous devons le faire rapidement parce qu’il s’agit de donner de la lisibilité aux entreprises, à nos concitoyens – à tous les acteurs qui, par leurs investissements d’aujourd’hui, déterminent nos émissions de demain, et à tous ceux qui ont besoin de ce cadre institutionnel pour construire l’économie bas carbone et créer des emplois durables dans toutes les filières – énergies renouvelables, efficacité énergétique, ou encore isolation thermique des logements.
J’ai eu l’occasion de visiter plusieurs chantiers portant sur des opérations d’isolation thermique de logements, réalisées grâce à des financements européens, dans le cadre de programmes opérationnels entre les régions et la Commission européenne. La nouvelle programmation budgétaire des fonds structurels et d’investissements sur la période 2014-2020, qui vient de faire l’objet d’un accord entre l’ensemble de nos régions et la Commission, permet de démultiplier ces opérations d’isolation, mais ce cadre doit être adopté dans la législation pour que les chantiers puissent débuter et que les entreprises puissent développer les nouvelles technologies. Ce sont probablement des centaines de milliers d’emplois en Europe qui en découleront.
Nous devons donc prendre en compte la place de l’industrie et les fragilités de ce secteur car nulle part ailleurs dans le monde les industries ne se voient imposer de prendre en compte leurs émissions de CO2, même si certains pays commencent à développer des marchés d’émissions de carbone.
Les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique dans le bâtiment et les transports constitueront un autre chantier prioritaire.
Nous devons également nous pencher sur les secteurs non couverts par le marché européen du carbone en définissant notamment la feuille de route annuelle pour les émissions de chaque État membre entre 2020 et 2030, sachant que la répartition peut aller de zéro à 40 % selon les pays. Il nous faut donc finaliser l’accord pour connaître l’objectif fixé pour chacun des vingt-huit États membres.
Nous devons évidemment veiller aux risques de fuites de carbone. Les technologies intelligentes qui permettront de promouvoir la mobilité durable ou le captage et le stockage du carbone devront être soutenues financièrement par les fonds européens.
C’est pourquoi nous souhaitons qu’au-delà des travaux législatifs en cours sur la réforme du marché du carbone, la Commission européenne fasse rapidement des propositions pour que tous les éléments de cet accord puissent être adoptés rapidement. Nous pensons qu’il ne faut pas attendre au-delà de la Conférence de Paris ; au contraire, tout le monde doit se mettre au travail pour avancer, le plus rapidement possible, sur tous les aspects du cadre énergie climat.
La France, de son côté, continue à se préparer grâce au vote par l’Assemblée nationale, le 14 octobre dernier, en première lecture, du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Les objectifs que nous nous fixons sont parfaitement en phase avec l’accord européen. Nous allons même au-delà puisque, dans ce texte que vous avez voté, mesdames et messieurs les députés, la France se fixe pour objectifs d’ici à 2030 de réduire de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, d’augmenter la part des énergies renouvelables dans notre consommation énergétique à 32 %, de réduire de 20 % notre consommation énergétique par rapport à 2012, pour ensuite la diviser par deux d’ici à 2050, et enfin de réduire de 30 % notre consommation d’énergies fossiles.
La France affiche ainsi l’ambition d’être un pays leader de la transition énergétique et d’aider l’ensemble de l’Europe à devenir plus forte et plus ambitieuse. C’est donc unis et solidaires que nous saurons répondre à ce défi majeur pour l’avenir de notre planète et de nos concitoyens.
Néanmoins, nous devons redoubler d’énergie cette année pour préparer au mieux la COP 21.
L’unité des Européens est une réalité, mais il est important que tous les États membres puissent anticiper leur propre transition énergétique. L’Europe devra jouer un rôle diplomatique important auprès de l’ensemble de ses partenaires internationaux. C’est le sens de la feuille de route que la Commission européenne doit adopter à la fin du mois de février et qui doit nous conduire jusqu’à la COP 21, qui se tiendra à Paris. C’est pour nous un objectif essentiel. Certes, nous assumons nos responsabilités. Nous allons accueillir cette conférence et la présider. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, comme il l’a déjà indiqué devant l’Assemblée nationale, s’apprête à faire un ou deux tours du monde pour aller convaincre tous les États de s’engager, d’ici à la Conférence de Paris, mais nous demandons aux autres États membres de l’Union européenne de déployer cet effort diplomatique avec nous.
Par ailleurs, je ne peux aborder les questions de lutte contre le dérèglement climatique en Europe sans mentionner le projet d’Union énergétique porté par le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, et son vice-président en charge de ce projet, Maroš Šefovi. La Commission a annoncé l’adoption d’une stratégie complète sur l’Union de l’énergie pour février prochain. Elle se fait dans la continuité des propositions défendues en avril dernier par le Président de la République et Donald Tusk, alors Premier ministre polonais et devenu depuis président du Conseil européen. Elle est en cohérence avec la stratégie sur la sécurité énergétique européenne qui a été adoptée en mai dernier.
C’est une très bonne nouvelle qui nous permettra d’avancer sur les différents volets de la politique énergétique européenne autour des cinq piliers que sont la lutte contre le dérèglement climatique, la sécurité d’approvisionnement, l’achèvement du marché intérieur de l’énergie, la compétitivité et la recherche et l’innovation dans les technologies bas carbone.
Ces propositions permettront de poursuivre les discussions entre États membres sur des priorités telles que le développement d’infrastructures énergétiques supplémentaires, le renforcement de la solidarité énergétique entre États, le poids dans les négociations énergétiques des acheteurs européens, en vue de la possibilité d’achats groupés, le déploiement accru de ressources indigènes et la diversification des sources et des voies d’approvisionnement. Toutes ces dimensions sont indissociables de nos ambitions climatiques puisqu’elles contribueront à rendre nos économies plus sobres en carbone et moins dépendantes en hydrocarbures. C’est une position que nous avons défendu avec constance au cours des dernières années.
Il existe selon nous un lien intime entre l’objectif d’établir une Union de l’énergie et la sécurité énergétique, laquelle doit permettre d’éviter qu’un certain nombre d’États membres se voient privés d’accès à l’énergie en raison de conflits internationaux. Il faut mener une politique de l’énergie conforme aux objectifs du développement durable et de la lutte contre le changement climatique, donc moins dépendante des hydrocarbures, plus solidaire et reposant davantage sur un bouquet énergétique diversifié et sur des ressources qui nous sont propres, en particulier les énergies renouvelables. Ces ambitions doivent s’appuyer pleinement sur le plan d’investissement européen proposé par Jean-Claude Juncker grâce au financement d’infrastructures énergétiques majeures.
À ce titre, nous défendrons avec l’Espagne et le Portugal le financement d’interconnexions entre l’Espagne et la France dans le cadre du Fonds stratégique d’investissement de Jean-Claude Juncker, afin de développer, dans la péninsule ibérique, les énergies renouvelables alimentant l’Europe du Nord, ce qui suppose naturellement de créer de nouvelles infrastructures de transport de l’énergie.
Vous aurez compris, mesdames et messieurs les députés, que la lutte contre le réchauffement climatique constitue désormais une priorité pour la France comme pour l’Union européenne ; ce sera le moyen de développer des industries d’avenir, de dynamiser la croissance verte et, bien sûr, de créer des emplois durables et utiles sur le territoire national et européen. Si nous devons rester attentifs au cours des prochains mois, nous devons aussi être fiers d’avancées caractérisant une Europe ambitieuse, qui prend clairement position pour répondre aux grands défis internationaux et se place ainsi à la hauteur de ses responsabilités globales.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes, d’avoir demandé l’inscription à notre ordre du jour d’un débat sur le « paquet énergie climat ». L’adoption le 24 octobre dernier par le Conseil européen du second « paquet énergie climat » pour 2030 a suscité un élan d’espoir chez de nombreux Européens. Si les objectifs dégagés par les vingt-huit États membres peuvent sembler relativement peu ambitieux dans notre pays – je laisserai de côté ici leur chiffrage –, il y a tout de même des motifs de satisfaction et non des moindres.
Citons tout d’abord la capacité d’entraînement de notre pays, qui a permis de tirer l’accord vers le haut ; nous avons joué un rôle moteur auprès de nos partenaires et avons su exiger un débat franc sur ce que doit être notre avenir commun en 2030 et même au-delà.
Ensuite, il incombe aux membres de l’Union européenne de tout mettre en oeuvre pour s’accorder et avancer ensemble. Les citoyens européens ne tolèrent pas les réflexes par lesquels les dirigeants refusent d’avancer ensemble, suscités explicitement ou non par la défense des intérêts nationaux. Ils ont parfaitement conscience que les responsables politiques nationaux tiennent entre leurs mains une part importante de l’avenir de nos enfants et des générations futures.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans cet hémicycle, à leurs yeux, l’échec n’est pas une option. Ils savent que les enjeux de la lutte contre le dérèglement climatique nécessitent une mobilisation générale européenne dans laquelle les frontières nationales ont bien peu de sens et que le progrès commun vers l’amélioration de notre environnement collectif est en réalité la seule issue. Cela suppose évidemment des concessions réciproques et des efforts partagés, à la mesure des possibilités de chacun, et selon un calendrier qui faisait initialement reculer certains États membres.
Tel est donc le deuxième élément de satisfaction : notre exemplarité à l’échelon européen en matière de lutte contre le dérèglement climatique.
Enfin, et c’est là le dernier élément de satisfaction déterminant, l’Europe a démontré que notre continent est à la pointe de la transition énergétique mondiale, qu’il est capable de convaincre, par-delà le scepticisme ou le déni, qu’une économie de la croissance verte est possible et même incontournable, non seulement dans notre pays mais aussi sur notre continent. Elle a montré aussi que nous pouvons nous organiser afin de mieux assurer notre sécurité d’approvisionnement énergétique. En un mot, l’Union européenne est sortie renforcée et grandie de l’examen d’un dossier majeur et sensible, un an et demi avant la Conférence de Paris. C’est un signal fort adressé aux principales puissances étrangères émettrices de gaz à effet de serre auquel la publication, dans la foulée, du cinquième rapport de synthèse du GIEC a d’ailleurs fait écho. Nul doute que l’accord signé le 12 novembre entre les États-Unis d’Amérique et la Chine est en quelque sorte une conséquence de notre capacité à nous rassembler entre Européens au profit de tous.
Les résultats de la COP 20, qui s’est tenue à Lima au mois de décembre dernier, sont en demi-teinte. Lima devait constituer une étape décisive du marathon qui s’achèvera à Paris avec la COP 21. Ce rendez-vous doit permettre à la communauté internationale d’aboutir à un nouvel accord mondial sur le climat mobilisant l’ensemble de la planète. En attendant de s’accorder sur un régime climatique plus ambitieux susceptible de donner corps aux recommandations du GIEC et de limiter le réchauffement climatique mondial à 2 degrés, certains États se sont engagés à Doha à prolonger leurs engagements protocolaires pour la période 2013-2020. Aussi, il ne s’agira plus à Paris de parvenir à un accord imposant à certains États seulement des obligations juridiques contraignantes définies dans le cadre des négociations climatiques. Il s’agira de mobiliser la communauté internationale dans son ensemble dans la lutte contre le changement climatique ; chaque pays devra s’engager à réduire ses émissions et s’adapter au changement climatique en cours et à venir.
La France travaillera avec tous afin que l’accord de Paris reflète une vision partagée de l’avenir, mobilisant largement les différentes parties prenantes. Le pays mettra en avant un « agenda des solutions » de long terme – selon l’expression de Ségolène Royal –, promouvant de nombreuses bonnes pratiques. De nombreux acteurs sont mobilisés pour faire de « Paris Climat 2015 » un succès.
Gageons que le sentiment d’inachevé, voire de grande déception, sera vite balayé par un début d’année 2015 plus enthousiasmant. Il est urgent d’agir, et d’agir ensemble. L’ampleur de la tâche est immense.
En conclusion, dans la perspective de cette année déterminante, définie par la Président de la République comme l’année climatique et écologique, nous adressons au Gouvernement des encouragements afin que Paris et l’Union européenne maintiennent la dynamique actuelle, que la COP 21 soit une réussite et que notre continent mène à un accord mondial contraignant incluant les principaux pays émetteurs de gaz à effet de serre.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, l’accord du 24 octobre démontre à l’évidence que l’Europe persiste et signe dans sa volonté de réduire sa consommation d’énergie ainsi que ses émissions de gaz à effet de serre et de promouvoir les énergies renouvelables.
L’Europe a d’ailleurs toujours été précurseur en la matière. Il est intéressant de jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur pour évaluer les résultats de l’Union européenne. De 1990 à 2012, nous avons réduit nos émissions de gaz à effet de serre de 19 % alors que le produit intérieur brut a augmenté de 45 %. L’Union européenne, et l’Europe en général, n’ont donc pas de leçons à recevoir du reste du monde sur ce point.
Le contenu de l’accord est intéressant. Il prévoit une baisse de 40 % des gaz à effet de serre en 2030, une part d’énergies renouvelables dans notre mix énergétique de 27 % et un renforcement de l’efficacité énergétique de 27 %. Il prend donc le relais de l’accord conclu en avril 2009 instituant la fameuse règle des trois fois vingt : baisse des émissions de gaz à effet de serre de 20 %, une part de 20 % pour les énergies renouvelables et un renforcement de 20 % de l’efficacité énergétique.
Si cet accord est donc ambitieux, il n’en est pas moins insuffisant par certains aspects.
Tout d’abord, il impose des contraintes différenciées. La baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre est contraignante au niveau de l’Union européenne comme des pays, ce qui est une bonne chose. En revanche, la proportion de 27 % d’énergies renouvelables dans notre mix énergétique n’est contraignante qu’au niveau de l’Union européenne. Quant au renforcement de l’efficacité énergétique, qui constitue tout de même un pan très important du traité, aucune contrainte n’est prévue. Les contraintes sont donc différenciées, ce qui conduit à mettre un léger bémol.
Ensuite, l’accord a été difficile à obtenir, en particulier de la part des pays de l’est de l’Europe, auxquels il a fallu accorder des compensations financières et des quotas d’émissions gratuits.
Enfin, le financement dédié au captage et au stockage du CO2, que les scientifiques ont l’habitude de présenter comme capable d’absorber presque 20 % des émissions, est au point mort. Alors que l’Union européenne avait envisagé en 2010 la mise en place de douze démonstrateurs, nous sommes aujourd’hui au point mort en la matière, ce qui est assez dommage.
En fait, le « paquet énergie climat » n’a de sens que si on le replace dans un contexte international, après la Conférence de Lima et avant celle de Paris, qui sera éminemment importante car nous tâcherons de contenir la hausse de la température à 2 degrés d’ici à la fin du siècle.
À cet égard, je citerai quelques statistiques intéressantes. L’Union européenne compte pour 12 % des émissions, ce qui signifie que 88 % des émissions viennent d’ailleurs. C’est dire si notre effort doit s’inscrire dans le cadre d’un effort mondial substantiel. Les États-Unis comptent pour 14 %, soit presque seize tonnes par habitant, ce qui n’est pas rien. La Chine représente non plus 22 % mais 28 % des émissions, monsieur le secrétaire d’État, ce qui veut dire que ces deux pays représentent pratiquement la moitié des émissions globales.
Par ailleurs, on trouve dans le cinquième rapport du GIEC – le réseau mondial de scientifiques qui lutte depuis longtemps contre le réchauffement – quatre données essentielles. Tout d’abord, 95 %, soit le degré de certitude que l’activité humaine est bien cause du réchauffement. Puis 4,8 degrés, soit la hausse de la température globale que nous obtiendrons malheureusement en fin de siècle, contre seulement 0,85 degré tout au long du XXe siècle. Ensuite, le chiffre très précis de 98 cm – disons un mètre –, à savoir la hausse possible du niveau des océans à la fin du siècle, contre 19 cm au XXe siècle. Enfin, 70 %, qui représentent la réduction des émissions nécessaire à l’échelle de la planète avant 2050 pour maintenir l’objectif d’une hausse de la température limitée à 2 degrés, tout en sachant qu’il faut viser zéro émission d’ici à la fin du siècle.
L’accord européen a des vertus, dont une qui est particulièrement intéressante : je suis persuadé qu’il a entraîné les États-Unis et la Chine, restés cois jusqu’alors, à parvenir à l’accord du 12 novembre. Les États-Unis ont décidé de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre, d’ici à 2030, de 26 %, voire 28 %. Pas mal, me direz-vous. Le problème – tous les spécialistes le savent – est que, de notre côté, nous avons prévu une réduction de 40 %, en nous fondant, qui plus est, non pas, comme les États-Unis, sur les chiffres de 2005, mais sur ceux de 1990. L’effort consenti par les États-Unis est donc en réalité compris entre 8 % et 9 %, contre 40 % chez nous. La Chine, pour sa part, a prévu d’atteindre son pic d’émission en 2030. Autrement dit, elle s’autorisera pendant encore quinze ans à accroître ses émissions de gaz à effet de serre, ce qui est tout de même un peu inquiétant et tranche sur les titres extraordinaires parus alors, par exemple celui du Monde évoquant un « accord historique entre les États-Unis et la Chine ». Pour qui connaît bien ces questions, il s’agit certes d’un premier pas dans la bonne direction, mais on est encore loin d’un accord historique.
En conclusion, le chemin pour obtenir un accord efficient à Paris est encore long.
Tout d’abord, l’accord signé à Lima sur le calendrier et la remontée des feuilles de route est un accord a minima. Ensuite, il faudra impérativement obtenir un accord juridiquement contraignant pour la majorité, ou en tout cas le maximum de pays, contrairement à l’accord de Kyoto. En outre, l’accord devra être révisable, reportable et surtout vérifiable. Le contrôle, appelé « MRV » – Measurement Reporting and Verification – dans le jargon onusien, importe au premier chef car si l’accord n’est pas révisable ni surtout contrôlable, les contraintes seront faibles. Enfin, la question des finances et du transfert de technologie nous préoccupe. Sans finances ni transfert de technologie pour les pays en voie de développement, il ne se passera rien. Obtenir un financement est difficile. Le Fonds vert a enfin obtenu 10 milliards de dollars pour 2020, mais chacun sait qu’il en faut 100. On est donc loin du compte, mais c’est un premier pas. Quant au transfert de technologie, il est malheureusement au point mort. Les Nations unies ont créé un groupe de haut niveau censé promouvoir sous leur égide un transfert de technologie efficient, mais malheureusement, pour l’heure, il ne marche pas. Nous aiderons le gouvernement français à obtenir un accord, mais la marche est encore haute.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, en octobre dernier, les vingt-huit pays membres de l’Union européenne sont finalement parvenus à conclure un nouvel accord sur le climat à l’horizon 2030. Six ans après l’adoption du premier « paquet énergie climat », il était en effet grand temps d’agir.
Le groupe UDI ne peut donc que se féliciter de l’adoption de ce « paquet énergie climat 2030 », qui s’inscrit finalement, comme plusieurs orateurs l’ont relevé, dans la continuité de la politique européenne menée jusque-là en matière environnementale.
Malheureusement, et à notre plus grand regret, ce nouvel accord n’est vraiment pas à la hauteur des défis qui nous attendent. Certes, le signal envoyé est positif, mais il souffre des réticences de nombreux pays à mettre en oeuvre de véritables mesures en faveur d’une croissance verte et durable.
Je pense tout d’abord aux pays d’Europe centrale et orientale, qui craignent notamment que certains objectifs freinent leur développement économique. Ces inquiétudes sont compréhensibles, mais elles ne doivent pas empêcher l’Union européenne d’avancer dans la voie d’une politique ambitieuse commune, et surtout pérenne. Notre devoir est d’aider et d’accompagner ces pays, afin qu’ils réussissent leur transition énergétique.
Dans ce domaine, la France ne doit d’ailleurs pas manquer son propre rendez-vous. Notre assemblée a fait un premier pas en adoptant le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte. Ce texte marque une première étape nécessaire vers un nouveau modèle énergétique durable. Il doit néanmoins s’enrichir de mesures plus ambitieuses pour permettre à la France de retrouver sa place de chef de file, voire – osons le mot – de modèle en matière de politiques environnementales.
Il nous faut renouer avec la si belle dynamique insufflée par le Grenelle de l’environnement, qui avait permis à la France de jouir d’un crédit de confiance non négligeable sur la scène internationale. Je pense notamment aux circonstances qui ont conduit aux négociations sur le premier « paquet énergie climat ».
À la veille de la Conférence sur le climat, qui se tiendra fin décembre à Paris, notre pays a un travail important à accomplir pour espérer faire adopter de nouveaux objectifs ambitieux, mais surtout véritablement contraignants.
La tâche ne sera pas aisée. Il faut convaincre, cela a été dit, des pays comme le Royaume-Uni, les États-Unis ou encore la Chine, qu’un autre type de croissance est possible : une croissance plus vertueuse, une croissance verte. Rappelons que, lors des négociations récentes sur le second « paquet énergie climat », le Royaume-Uni a réussi à faire baisser l’objectif d’un renforcement de l’efficacité énergétique de 30 % à 27 %. On ne peut pas dire qu’il s’agisse là d’un signe très positif. Cela ne présage rien de bon pour la COP 21, car la France a besoin des vingt-huit États membres pour peser de tout son poids lors des discussions.
Ce rendez-vous risque en effet de prendre une tournure un peu particulière cette année. Nous avons tous en mémoire le cuisant souvenir de Copenhague. Or, la COP 21 est censée aboutir – enfin – à l’adoption d’un grand accord universel et contraignant sur le climat, dont l’objectif principal sera de maintenir la hausse globale des températures en dessous de 2 degrés.
Le timide accord mondial qui a été trouvé in extremis à Lima a repoussé l’adoption de règles contraignantes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre à la Conférence de Paris.
Selon de nombreuses études scientifiques, les émissions mondiales de CO2 devront être réduites de 40 % à 70 % entre 2010 et 2050, et même disparaître totalement d’ici à 2100, pour parvenir à cet objectif de 2 degrés. Les récentes conclusions du cinquième rapport du GIEC sur ce thème sont particulièrement alarmantes. Le constat est donc sans appel : il nous faut impérativement trouver un accord international en décembre, ou bien une planète de rechange.
La France et l’Union européenne doivent donc se positionner, main dans la main, comme des leaders, des précurseurs, des éclaireurs, lors de négociations qui seront très certainement tendues.
Au-delà d’une simple vitrine internationale pour notre pays, la COP 21 représente surtout un événement majeur, déterminant pour le futur de notre planète.
Après l’adoption récente du second « paquet énergie climat », la France et l’Union européenne doivent être à la hauteur des enjeux : l’humanité a rendez-vous en décembre, à Paris, avec son avenir.
Concrètement, monsieur le secrétaire d’État, quel est votre programme de travail pour préparer cet événement et convaincre, partout dans le monde, de la nécessité d’avancer sur le chemin de cette croissance vertueuse ? Serons-nous associés, nous parlementaires, à la réflexion et à l’action engagées ? Enfin, comment comptez-vous impliquer pleinement l’Union européenne dans votre démarche ?
Madame la présidente de la commission des affaires européennes, je vous remercie à mon tour d’avoir pris l’initiative de ce débat sur le « paquet climat énergie » européen.
Je salue d’abord, après ceux qui m’ont précédé à cette tribune, le fait que l’Union européenne soit parvenue il y a quelques mois à un accord – sur le contenu duquel je reviendrai – qui a permis de lancer une dynamique positive, puisqu’il a contribué à ce que la Chine et les États-Unis trouvent eux aussi un accord. On peut bien sûr discuter du caractère historique de cet accord, voire regretter que l’ambition soit insuffisante, mais il a le mérite d’avoir cassé la logique dans laquelle s’inscrivaient jusque-là ces deux pays, et donc entraîné une dynamique. Malheureusement, et nous l’avons constaté dès la Conférence de Lima, dès que l’on sort des ambitions proclamées pour aborder le cycle des négociations, les choses se révèlent infiniment plus complexes.
Il nous faut donc afficher de fortes ambitions pour réussir la COP 21 qui se tiendra en décembre à Paris, en étant actifs et exemplaires.
Permettez-moi donc de revenir sur les trois enjeux du « paquet climat énergie ». Beaucoup a déjà été dit sur l’aspect climatique. Je voudrais pour ma part insister sur l’avancée importante que constitue le fait d’avoir souligné que les 40 % qui correspondent à l’engagement européen sont un minimum, ce qui donne à la Commission européenne une marge de manoeuvre pour aller au-delà de ces 40 % dans la négociation. Cette marge de manoeuvre devra impérativement être utilisée pour amener les autres États à relever le niveau de leurs ambitions. Car nous le savons tous, ces 40 % ne permettront pas plus que les engagements de la Chine et des État-Unis de maintenir la hausse des températures en deçà des 2 degrés.
Il faudra en outre – vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État – que l’Union européenne réussisse à obtenir la mise en place d’un prix du carbone sur le marché européen, mais aussi à supprimer les subventions aux énergies fossiles. Dans le contexte de forte diminution des prix du pétrole que nous connaissons, il est temps que l’Europe envoie des signaux clairs en supprimant les subventions aux énergies fossiles, y compris à l’exportation. Le Président de la République a pris position pour la France ; il faut maintenant le faire à l’échelle de l’Europe.
Le deuxième engagement porte sur les énergies renouvelables. Je dois avouer que nous sommes beaucoup moins enthousiastes sur la proportion de 27 % en 2030 retenue par le « paquet climat énergie ». Cette ambition est en effet moindre que celle qui figure actuellement dans le « paquet climat énergie », à savoir 20 % en 2020. Autrement dit, nous ralentissons le rythme de l’effort, d’autant plus qu’il n’est pas prévu de répartition de celui-ci entre les États, ce qui risque d’affaiblir le premier « paquet climat énergie » en incitant les pays les moins enclins à respecter leurs engagements à l’horizon 2020 – dont la France fait malheureusement partie – à regarder ceux-ci comme moins contraignants.
L’Agence internationale de l’énergie s’est elle-même inquiétée du contenu du « paquet climat énergie » : elle estime que la faiblesse de ces ambitions ne permettra pas à l’Union européenne de prétendre au leadership qu’elle revendique en matière d’énergies renouvelables, et s’interroge sur l’absence de répartition de l’objectif.
La question posée est donc claire : la France sera-t-elle capable de respecter ses engagements ? La loi sur la transition énergétique en a l’ambition, mais saurons-nous mettre en oeuvre le choc de simplification qui s’impose pour promouvoir réellement les énergies renouvelables ? Serons-nous à même de leur apporter le soutien nécessaire pour que la France – et l’Europe – soient au rendez-vous, et que nous puissions nous fixer un objectif de 100 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 ?
Le troisième objectif est la maîtrise de l’énergie et l’efficacité énergétique. Là encore, l’objectif de 27 % est trop faible. Il est inférieur à l’ambition que la France affiche dans la loi relative à la transition énergétique. En outre, il n’est contraignant qu’à terme, et ce terme n’est pas fixé. Aucune ambition n’est donc définie concrètement, que ce soit à l’échelle européenne ou à l’échelle nationale. Vous avez évoqué les conditions dans lesquelles s’est engagé le débat sur la politique énergétique européenne, monsieur le secrétaire d’État. Force est de constater que les contributions du Royaume-Uni ou de la République tchèque vont dans le sens de l’affaiblissement de la politique européenne de l’énergie.
En cette année cruciale, la France doit donc promouvoir une politique ambitieuse en matière d’efficacité énergétique. Cette ambition est nécessaire non seulement pour respecter nos engagements en matière d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi pour la souveraineté européenne. Notre dépendance aux énergies fossiles est dramatique. C’est avec cette dépendance que M. Poutine finance aujourd’hui sa guerre en Ukraine ; c’est avec cet argent que le Qatar rachète la France par petits morceaux ; c’est sans doute aussi avec cette dépendance que Daech finance ses activités. Bref, les conséquences géopolitiques de l’absence de politique d’efficacité énergétique européenne sont lourdes.
Je ne peux donc que vous inviter, monsieur le secrétaire d’État, à mettre en oeuvre au niveau européen une politique aussi offensive que vous l’avez dit dans votre intervention, à faire en sorte que l’on relève le niveau et que le plan Juncker soit l’occasion – la France a d’ailleurs fait des propositions en ce sens – de financer des politiques réellement opérationnelles en matière d’efficacité énergétique et de développement des énergies renouvelables. C’est un enjeu pour la planète, mais aussi pour notre économie et pour l’emploi.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, la commission des affaires européennes a pris l’initiative d’inscrire à l’ordre du jour de notre assemblée un débat sur le « paquet énergie climat ». Au nom des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je voudrais remercier les membres de cette commission et son bureau pour cette utile décision.
Nous avons voté ici même il y a quelques mois en première lecture un projet de loi important relatif à la transition énergétique, qui fixe des objectifs volontaristes sur la réduction des gaz à effet de serre, la réduction de la consommation énergétique finale, la réduction de la consommation des énergies fossiles et l’augmentation de la part des énergies renouvelables.
La commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a ensuite adopté la proposition de résolution européenne de notre collègue Arnaud Leroy sur le « paquet énergie climat » le 14 octobre dernier.
Enfin, le 24 octobre, les vingt-huit États membres de l’Union européenne, réunis à Bruxelles, ont trouvé un accord, un compromis difficile mais ambitieux pour définir la politique énergétique et climatique de l’Europe jusqu’en 2030.
Notre société fondée sur l’exploitation des ressources fossiles, où les besoins énergétiques ont été multipliés par quatorze en cinquante ans, a fait son temps. Les alertes se multiplient sur les conséquences économiques et sociales de l’après-pétrole, l’impossibilité pour les grands pays émergents de fonder leur croissance sur le même modèle et la responsabilité des pays industriels de montrer l’exemple.
Crises alimentaires, problème de la ressource en eau, étalement urbain, augmentation constante de production de déchets, nouvelles migrations climatiques… Face à tous ces défis, il serait irresponsable de continuer d’accompagner tranquillement le changement.
L’opposition traditionnelle entre la croissance économique et la lutte contre le changement climatique n’a plus lieu d’être, et l’opinion publique prend progressivement conscience de la gravité des enjeux. Tous les sondages le montrent, de même que le nombre de manifestants ayant pris part aux marches pour le climat : les citoyens nous invitent à prendre nos responsabilités.
Le premier « paquet énergie climat » a eu un effet significatif en permettant à la politique énergétique européenne de répondre à un triple défi : assurer la compétitivité de l’économie de l’Union, contribuer à une lutte efficace contre le changement climatique et garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique. Mais nous devions aller plus loin. Le deuxième « paquet énergie climat » a fait l’objet d’un large débat, et c’est au bout de la nuit que l’accord a été trouvé.
Les députés du groupe RRDP sont satisfaits de cet accord et des trois objectifs qui guideront désormais la politique de l’Union européenne en matière de lutte contre le réchauffement climatique : d’ici à 2030, les émissions de gaz à effet de serre devront diminuer d’au moins 40 % par rapport à 1990, la part des énergies renouvelables devra être portée à 27 % du mix énergétique, et 27 % d’économies d’énergie devront être réalisées.
Effectivement, seul le premier objectif sera contraignant ; les autres sont des indications. Certains regrettent les reculs, et nous pouvons comprendre des déceptions légitimes. S’agissant de l’efficacité énergétique, il est dommage que l’objectif ne soit pas contraignant car, pour reprendre un aphorisme, l’énergie la moins chère est celle que nous ne consommons pas.
Cependant, il s’agit d’un bon accord. Selon la formule du Président de la République, « comme tout bon accord, c’est un compromis » – un compromis entre des pays qui ne sont pas dans les mêmes situations en termes de développement ou d’acceptation sociale.
La prochaine échéance majeure sera la Conférence de Paris de décembre 2015, qui doit prendre le relais du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. C’est une étape décisive, sur laquelle nous n’avons pas le droit à l’erreur. Répondre ensemble et efficacement au changement climatique, tel est le grand défi du XXIe siècle.
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et SRC.
Les éléments fournis par le cinquième rapport du Groupe international sur l’énergie et le climat soulignent l’urgence à agir et à accroître le niveau d’exigence de réduction des émissions de gaz à effet de serre, afin de limiter à 2 degrés l’augmentation de la température globale. Selon le GIEC, les émissions de dioxyde de carbone ont atteint leur plus haut niveau en quarante ans. La trajectoire actuelle conduit à un réchauffement compris, selon les estimations, entre 3,7 et 4,8 degrés au cours du XXIe siècle. Cette progression devrait avoir de graves répercussions sur les individus et les écosystèmes, ainsi que des conséquences irréversibles.
Le second paquet énergie climat proposé par la Commission européenne pour 2030 entend relever ce qui constitue un véritable défi : faire de l’Europe un pionnier de la transition énergétique et contribuer au succès de la Conférence de Paris sur le climat de décembre 2015. Il s’agit de nouveaux objectifs en matière de lutte contre le réchauffement climatique d’ici à 2030 : un gain de 30 % en matière d’efficacité énergétique, une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 1990 et une part des énergies renouvelables dans le mix énergétique portée à 27 %.
Tout cela est sans doute très louable. Néanmoins, il convient préalablement d’examiner le bilan du premier paquet adopté en 2008. Ce dernier avait pour ambition d’atteindre les trois fois vingt, c’est-à-dire de réduire de 20 % les émissions de CO2 des pays de l’Union, de faire passer à 20 % la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen et d’accroître de 20 % l’efficacité énergétique d’ici à 2020.
L’Union européenne estime que ces objectifs peuvent encore être atteints. Cela me semble un peu optimiste, d’abord parce que l’engagement des États de l’Union européenne est très inégal. Les questions ne se posent pas de la même manière pour les pays développés et les pays en développement : pour les seconds, c’est précisément le développement qui prévaut, et les contraintes environnementales sont considérées comme des freins. Nous voyons bien les difficultés rencontrées à chaque sommet international sur ces questions. J’observe par ailleurs que, si l’Union européenne sait être contraignante lorsqu’il s’agit de la dette et des déficits des États, elle est nettement moins regardante en matière d’énergie et de gaz à effet de serre.
Ensuite, pour atteindre les objectifs fixés, il faut des moyens – c’est l’un des éléments du débat que nous avons eu sur le projet de loi de transition énergétique. Quand il nous faudrait, en France, entre 10 et 30 milliards d’euros supplémentaires par an en matière d’investissements énergétiques, on nous annonce 10 milliards d’euros sur trois ans sous forme de crédits d’impôts, de chèques-énergie et de fonds pour accompagner les collectivités locales, les particuliers et les banques.
L’un des secteurs décisifs dans la lutte pour les économies d’énergie est celui du bâtiment. On affiche des objectifs ambitieux qui risquent fort de se briser, compte tenu de l’insuffisance des moyens qui seront consacrés à leur réalisation.
Enfin, en matière d’énergies renouvelables, il faut avoir conscience que nous n’avancerons qu’à mesure que ces énergies monteront en puissance en termes d’efficacité. À vouloir aller trop vite, on ne fait pas forcément les bons choix. Je pense à l’éolien et à l’exemple allemand, qui conduit à doubler les éoliennes installées de centrales à charbon pour pallier les intermittences du vent.
Je crains que nous ne fassions les mêmes erreurs. J’en veux pour preuve cet allégement de notre législation et de notre réglementation en vue de répandre, sur tout le territoire et à marche forcée, des éoliennes.
En matière d’énergies renouvelables, il existe des alternatives beaucoup plus fiables – je pense à l’hydraulique, à la géothermie et à la biomasse –, mais je ne perçois pas de volonté réelle de s’engager dans ces voies pourtant plus efficaces.
Telles sont les quelques remarques que je souhaitais formuler et que m’inspire ce second « paquet énergie climat ».
La parole est à Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous l’avons tous dit : le « paquet énergie climat » est, après Lima, un des atouts de l’Europe dans le cadre de la préparation de la conférence climatique prévue à Paris à la fin de l’année.
Ce paquet, dont les grandes lignes ont été adoptées par le Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014, est au centre des initiatives de la nouvelle Commission Juncker pour l’année qui débute. Ainsi, dans le programme de travail de la Commission européenne pour 2015, le président Juncker a placé la mise en oeuvre du « paquet énergie climat » parmi ses priorités, avec l’objectif d’aller vers une véritable Union de l’énergie – vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État.
II s’agit de répondre au triple défi environnemental, économique et stratégique que les questions énergétiques posent de façon de plus en plus aiguë.
Pour répondre à ce défi, l’Union s’est donné des objectifs à moyen terme : à l’horizon 2030, il est prévu d’atteindre une diminution d’au moins 40 % des émissions des gaz à effet de serre par rapport à leur niveau de 1990, une part de 27 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale au niveau européen et une amélioration de 27 % de l’efficacité énergétique. On a même élargi l’application de ces mesures au secteur agricole.
Lors de l’adoption de ces objectifs par le Conseil, notre commission des affaires européennes avait exprimé un sentiment très mitigé eu égard au niveau d’ambition affiché.
D’une part, on peut se réjouir de voir l’Union parvenir à l’adoption d’objectifs communs à moyen terme et présenter ainsi un front uni sur le terrain de la lutte contre le réchauffement climatique, alors même que Paris se prépare à accueillir la conférence sur le climat.
Mais, d’autre part, on ne peut que regretter que ces objectifs restent en deçà des attentes exprimées notamment par le Parlement européen et la société civile, ainsi que des efforts jugés nécessaires par les scientifiques pour enrayer véritablement le phénomène du réchauffement climatique. Le caractère non contraignant du critère de l’efficacité énergétique, dont le taux d’amélioration a été abaissé à 27 % alors que le président Juncker lui-même évoquait encore en juillet, devant le Parlement européen, un taux de 30 % sans exclure qu’il soit contraignant, nous apparaît proprement insuffisant – plusieurs orateurs l’ont déjà souligné avant moi.
Monsieur le secrétaire d’État, nous serons très attentifs à ce que vous pourrez nous indiquer s’agissant de la mise en oeuvre législative de ce paquet, notamment de la répartition de l’effort entre États membres, ainsi qu’à propos de la réforme du marché des quotas d’émission – il a déjà été fait référence au cas polonais.
Il est certain que l’Europe ne peut assumer seule l’effort engagé dans ce domaine. Aussi, deux observations s’imposent.
La première est que la lutte contre le réchauffement climatique est l’un des rares enjeux mondiaux sur lesquels l’Europe a su conquérir une place de premier plan au niveau international, et nous sommes convaincus qu’elle doit conserver ce rôle de bon élève en matière de climat. La Conférence de Lima nous a encore montré la complexité d’une négociation aux multiples acteurs et la nécessité absolue de faire jouer la capacité d’entraînement de l’Union.
La seconde observation est que nous devons collectivement apprendre à considérer, au-delà de l’investissement nécessaire que représente la transition énergétique, les formidables opportunités qu’elle constitue pour relancer l’économie et l’emploi par la voie du développement durable. Pour cela, nous devons exiger que le plan Juncker de 315 milliards d’euros contribue à financer des investissements indispensables à cette mutation économique.
Nous devons également étudier à nouveau tous les outils à notre disposition pour infléchir la tendance économique dans cette voie plus soutenable. Pour ce faire, il est temps de réfléchir aux dispositifs fiscaux appropriés et de parvenir enfin à des solutions européennes concertées aidant à la décarbonisation harmonisée de nos économies. La baisse du prix du pétrole nous offre une fenêtre d’opportunité, même s’il faudra veiller à ne pas amputer excessivement le gain de compétitivité que représente cette baisse du prix du carburant. À ce titre, la taxe carbone au niveau européen me paraît un instrument essentiel : il faut donc s’atteler à mettre en place cette taxe au niveau de l’Union.
Le programme d’action de la Commission pour 2015 laisse une large place à l’action en matière d’énergie, avec l’annonce de deux initiatives majeures dans ce champ. La Commission devrait d’abord adopter un cadre stratégique pour réaliser l’Union de l’énergie que de nombreux pays européens appellent de leurs voeux depuis plusieurs années. À cet égard, il faut saluer une prise de conscience salutaire au sein de l’Union : l’absolue nécessité de disposer d’une énergie sûre, à des tarifs raisonnables, pour assurer la compétitivité des entreprises ne trouvera de réponse satisfaisante qu’à travers une plus grande solidarité, par la mise en place de l’Union de l’énergie.
Pour bâtir cette dernière, un certain nombre d’actions devront être menées afin d’assurer la sécurité de l’approvisionnement et de réduire la dépendance énergétique européenne aux fournisseurs extérieurs – l’exemple de la Russie le montre assez bien. En 2015, les premières pierres du travail législatif pour bâtir cette Union devront être posées : c’est ce qu’ont annoncé les deux vice-présidents Timmermans et Šefovi en charge de l’énergie. Nous serons attentifs aux propositions qui doivent être présentées par la Commission dans les prochaines semaines.
Pourriez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous indiquer les priorités du Gouvernement dans ce domaine ? Nous serions aussi heureux que vous rappeliez la position du Gouvernement sur tous les autres volets de l’action en matière d’énergie et de climat actuellement discutés au niveau européen.
Pouvez-vous enfin, monsieur le secrétaire d’État, nous indiquer les principaux enseignements que le Gouvernement retient des négociations de la COP 20 de Lima ? Comment se présentent, à ce stade, les discussions en vue de la Conférence de Paris ?
Repenser nos modèles énergétiques est une chance historique de concilier, dans un mode de développement nouveau, le souci d’une égalité dans la satisfaction des besoins par la lutte contre la précarité énergétique et l’émergence de nouvelles opportunités économiques.
Les citoyens, les entreprises et les collectivités ont pris conscience de l’urgence climatique. Il est temps que les États s’en fassent des relais efficaces, afin d’aboutir en décembre à un accord qui puisse répondre aux exigences d’un maintien des évolutions climatiques dans des limites vivables, pour nous-mêmes et, surtout, pour les générations futures.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et SRC.
Nous en venons aux questions.
Nous commençons par celles du groupe socialiste, républicain et citoyen.
La parole est à M. Arnaud Leroy.
Il est important de parler de ce deuxième « paquet énergie climat ». Dans ce cadre, il est tout aussi important d’évoquer l’instrument essentiel que constitue le budget européen.
Ce budget est né dans la douleur et nous avons appelé à sa révision en cours d’exécution. Il prévoit le fléchage de 20 % des crédits vers des actions liées au climat. Depuis lors, nous avons adopté le « paquet énergie climat », discuté du plan Juncker, mis en avant la transition énergétique, la transition écologique et divers projets à financer.
Monsieur le secrétaire d’État, je veux vous poser plusieurs questions. Premièrement, où en sont les discussions sur l’utilisation de ces fameux 20 % ? Deuxièmement, quelle est la méthodologie choisie sur ces questions ? Troisièmement, pouvez-vous dresser un état des lieux et présenter un calendrier afin que nous puissions aussi mettre en perspective ces données, dans le cadre des débats budgétaires à venir et au cours de cette année cruciale pour la France en matière climatique ? J’ai toujours dit que, dans ce domaine, les questions financières étaient majeures. Dernière question concernant les 20 % : pourront-ils abonder l’action extérieure de l’Union européenne en matière de financement de projets à caractère écologique ou d’énergie propre ?
Je vous remercie, monsieur Leroy, de vos questions qui portent sur l’une des dimensions de la priorité que constitue la lutte contre le changement climatique, à savoir les moyens budgétaires que l’Union européenne doit consacrer à cette politique.
Comme vous l’avez rappelé, nous avons demandé que, dans le cadre financier pluriannuel, c’est-à-dire le budget de l’Union européenne pour la période 2014-2020, 20 % soient consacrés à cette priorité. Entre 2014 et 2020, 180 milliards d’euros devront être affectés à des actions dans ce domaine.
À ce stade, nous ne disposons pas encore d’un rapport d’exécution détaillé sur le premier exercice budgétaire, à savoir 2014. Nous devrions l’avoir en mars prochain ; cela nous permettra de vérifier que, sur l’année en question, l’objectif de 20 % a été respecté. De la même manière, dans les années à venir, nous devrons être attentifs à ce que l’on respecte bien cette feuille de route.
Quelles actions peuvent être concernées ? L’utilisation des fonds structurels et d’investissement – le FEDER en particulier –, qui sont, pour l’essentiel, mis en oeuvre dans le cadre des programmes opérationnels avec les régions ; le financement de l’efficacité énergétique des bâtiments, mais aussi d’un certain nombre d’actions de recherche, notamment le programme Horizon 2020, le grand programme européen pour la recherche et l’innovation qui permet de financer les recherches universitaires, mais aussi de venir en appui à des recherches appliquées qui peuvent concerner des industries.
Les actions extérieures peuvent être concernées au titre de la politique de développement de l’Union. C’est l’une des priorités de la politique de développement. Il y a des objectifs généraux tels l’aide à l’éducation et à la santé, mais aussi l’aide à l’adaptation au changement climatique des pays les plus pauvres de la planète. De ce point de vue, l’Union devra apporter sa contribution au Fonds vert pour le climat qui devra faire l’objet d’un accord lors de la Conférence de Paris – c’est l’une des conditions pour les pays les plus pauvres.
Ma question est en relation directe avec la réponse que vous venez de faire, monsieur le secrétaire d’État. Le 5 janvier dernier, le Président de la République, François Hollande, a déclaré qu’il était favorable à une fiscalité européenne en faveur du climat afin d’alimenter le Fonds vert international pour le climat qui doit, d’ici à 2020, regrouper 100 milliards de dollars par an.
Cette fiscalité se traduirait – c’est la proposition du Président de la République – par une taxe sur les transactions financières européennes. L’idée est d’autant plus séduisante que, depuis plusieurs années, nous réclamons la mise en place de cette taxe Tobin à l’échelle européenne.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous éclairer sur les contours de cette taxe telle que la France l’envisage et sur les négociations qu’elle compte mener pour que cette fiscalité européenne en faveur du développement durable soit adoptée ? Comme vous le rappeliez à l’instant, c’est une des conditions essentielles de la réussite de la COP 21 à Paris.
En effet, madame la députée, le Président de la République a tenu, en ce début d’année, lors d’une interview le 5 janvier dernier, à rappeler l’engagement de la France à voir mise en oeuvre une taxe sur les transactions financières, que l’on a coutume d’appeler taxe Tobin, du nom de l’économiste qui, le premier, en avait fait la proposition il y a déjà bien longtemps, dans les années 1970.
Le Président de la République a fixé un objectif clair et précis. Nous avons obtenu une coopération renforcée entre onze États membres, c’est-à-dire un accord avec un groupe de pays pionniers, car à vingt-huit, nous n’aurions pas obtenu de consensus. En effet, un certain nombre de pays qui ont des places financières importantes – même s’ils ne sont pas les seuls dans ce cas, nous sommes également concernés – ont toujours affirmé que, par principe, ils n’acceptaient pas de s’engager dans cette direction. Or, à l’échelle des vingt-huit, nous sommes soumis, en matière de fiscalité, à un vote à l’unanimité. Nous avons donc eu recours à une disposition du traité qui permet à un groupe de pays d’avancer sur un sujet s’ils le souhaitent. Cette procédure avait permis la création de Schengen en matière de liberté de circulation des personnes ainsi que celle de l’euro, alors qu’un certain nombre de pays ne souhaitaient pas – et ne souhaitent toujours pas – y participer ; cette même disposition va nous permettre de créer la taxe sur les transactions financières en commençant à onze.
Les objectifs fixés par le Président de la République sont clairs : avoir une assiette large et un taux faible. Ce ne sont pas seulement les transactions sur le marché des actions, mais aussi les transactions sur les marchés dérivés, c’est-à-dire ces produits spéculatifs qui génèrent le plus grand volume financier, qui devront être mis à contribution.
C’est un élément de lutte contre la spéculation. Qui plus est, la ressource sera plus importante car on taxera des marchés beaucoup plus larges que s’il s’agissait simplement des transactions sur les actions : même si le taux est faible, dès lors que l’on taxe largement, cela produit des ressources.
Deuxième objectif : le produit de cette taxe doit principalement être affecté à la lutte contre le changement climatique. Des évaluations avaient été établies par la Commission européenne sur la base de ce que rapporterait une taxe à vingt-huit – plusieurs dizaines de milliards d’euros dans cette hypothèse. À onze, son produit sera moindre, mais ce sont tout de même, potentiellement, plusieurs centaines de millions, voire plusieurs milliards d’euros qui seront prélevés sur les marchés financiers par le biais de cette nouvelle fiscalité, ce qui constituerait une contribution juste des marchés à la préparation de l’avenir et à la solidarité internationale en matière de lutte contre le changement climatique, notamment pour abonder le Fonds vert, pour lequel l’objectif est d’arriver à 100 milliards d’euros.
Comme l’indiquait le Président de la République, nous voulons aboutir d’ici à 2016. Je peux d’ores et déjà vous annoncer qu’une réunion des ministres de l’économie et des finances de ces onze pays se tiendra le 27 janvier prochain, sur l’initiative de Michel Sapin, en marge d’un conseil Ecofin, pour prendre les décisions nécessaires.
La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Les premiers réfugiés climatiques de la planète proviennent d’Océanie. Quelles que soient les décisions de la COP 21 de décembre 2015, il sera déjà trop tard pour eux : certains États sont d’ores et déjà en train de disparaître sous les eaux.
Comme vous le savez également, monsieur le secrétaire d’État, les collectivités françaises du Pacifique se situent dans la zone océanienne : Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et Wallis-et-Futuna. Grâce à ces collectivités, nous sommes le quatrième pays au monde en matière de récifs coralliens ; le récif calédonien est classé au patrimoine mondial de l’humanité depuis la décision du comité ad hoc de l’UNESCO en 2008 et une procédure identique a été lancée en ce qui concerne les Marquises pour la Polynésie française.
Si la température de l’eau de mer venait à s’élever dans le siècle à venir de 1 à 2 degrés, cela conduirait de manière certaine au blanchissement des récifs ; une perte immense pour l’humanité en résulterait.
C’est pour ces raisons, l’Océanie se conjuguant de manière forte avec des impacts importants liés aux changements climatiques, que le Président de la République a, lors de sa venue en Nouvelle-Calédonie le 17 novembre dernier, rassemblé les chefs d’État et de gouvernement de la région pour un échange sans concessions sur les impacts du dérèglement climatique – de la crise climatique, comme l’on dit maintenant – sur les États d’Océanie.
Dans le prolongement de cette première initiative présidentielle dans cette zone, il serait opportun que, dans les semaines qui précèdent la COP 21, nous puissions renouer avec la tradition des sommets France-Océanie, dont les premiers ont été organisés au début des années 2000 : en 2003 en Polynésie française, en 2006 à Paris, en 2009 en Nouvelle-Calédonie. En 2012, probablement pour des raisons liées au calendrier électoral, ce sommet n’a pas eu lieu.
Qu’un sommet France-Océanie dédié aux questions environnementales et aux changements climatiques puisse avoir lieu dans les semaines précédant la COP 21, que le monde entier puisse être informé au moment où de nombreux projecteurs seront braqués sur la France et cette conférence sur les dégâts liés aux dérèglements climatiques, dont les premières victimes sont aujourd’hui les petits États insulaires d’Océanie, serait une manière opportune et efficace d’appeler l’attention du monde sur ces sujets.
Monsieur le député, vous avez raison, les premières victimes du changement climatique seront les petits États insulaires si rien n’est fait pour enrayer la hausse de la température et du niveau des océans – Bernard Deflesselles le rappelait tout à l’heure en évoquant le rapport du GIEC, lequel fait état d’une élévation sans précédent.
La France a décidé de se faire l’avocat de ces petits États insulaires. Nous n’allons pas attendre qu’ils soient submergés pour dire qu’il faut agir. C’est maintenant, car les scientifiques nous ont indiqué que ce risque est présent, qu’il faut faire les efforts nécessaires et les aider à peser dans le débat international.
Votre suggestion, même si je ne suis pas en mesure ici de répondre au nom du Président de la République, me semble aller dans la direction qu’il indiquait lors de son déplacement à Nouméa et s’inscrire dans la primauté qu’il a voulu donner à la défense des petits États insulaires.
Nous sommes très présents dans cette région. La France, il faut le rappeler, est le deuxième pays au monde en termes de surface maritime, en grande partie en raison de sa présence dans l’océan Pacifique – même si je n’oublie les Antilles, région à laquelle je suis particulièrement attaché. Cela nous confère une responsabilité particulière car, grâce à ces territoires, nous vivons la même réalité que ces Etats menacés.
Votre idée d’un sommet France-Océanie consacré aux questions du développement durable et de la lutte contre le changement climatique s’inscrit dans les priorités de notre mobilisation diplomatique d’ici à la COP 21 à Paris. Je ne doute pas qu’elle trouvera un écho très favorable et que, plaidant en ce sens, vous serez entendu ; nous aurons l’occasion de rassembler ces pays pour faire entendre leurs voix avant la conférence sur le climat.
Il y a certes les paquets « climat énergie », mais qu’en est-il au niveau des politiques nationales ? Existe-t-il un moyen de contrôler que les pays respectent leurs engagements ? À cet égard, je souhaite vous interroger sur un pays que nous connaissons bien, le nôtre, en ce qui concerne la précédente directive européenne climat énergie, et son objectif des « trois fois vingt », adopté en 2012 par le Parlement et le Conseil, ainsi que sur la directive sur l’efficacité énergétique.
En avril 2014, la France a transmis son plan d’action pour l’efficacité énergétique à Bruxelles. Ce plan prévoit une réduction à 131,4 mégatonnes équivalent pétrole de la consommation d’énergie finale en France en 2020, contre 158 en 2010. C’est un effort significatif, correspondant à une réduction de presque 20 % en dix ans. Nous sommes à mi-parcours. En tant que secrétaire d’État chargé des affaires européennes, pensez-vous que la France et les autres pays européens seront capables de respecter ces objectifs ? Si tel n’est pas le cas, quelles sont les sanctions auxquelles les pays s’exposent ? Comment peut-on rendre contraignants les mécanismes afin de les forcer à atteindre ces objectifs ?
Quelles directives supplémentaires l’Union européenne pourrait-elle mettre en place ? Car il s’agit, non pas de se contenter de paquets « climat énergie » plus ou moins ambitieux, mais de mettre en oeuvre des politiques qui permettent de les respecter.
En effet, monsieur Baupin, le programme national d’action relatif à l’efficacité énergétique remis par la France à la Commission européenne en avril 2014 détaillait les mesures mises en oeuvre en faveur de l’efficacité énergétique. Ces mesures, qui ont pour la plupart été soumises à votre assemblée – vous les avez adoptées lors de la première lecture de la loi sur la transition énergétique –, nous permettront d’atteindre les objectifs que nous nous étions fixés. Sans attendre la loi et sa mise en oeuvre, le Gouvernement a décidé de simplifier et d’amplifier des dispositifs existants et a mis en place de nouveaux moyens pour l’efficacité énergétique – je rappellerai à cet égard le crédit d’impôt pour la transition énergétique, instauré sans condition de ressources avec un taux unique de 30 %, le dispositif de l’éco-PTZ, simplifié en supprimant les obstacles à sa mise en oeuvre, ainsi que le doublement, par rapport à la période qui vient de s’achever, de l’objectif de la troisième période des certificats d’économie d’énergie, qui a commencé le 1erjanvier de cette année. Pour les entreprises, les audits énergétiques permettront d’identifier des gisements d’économies d’énergie et des prêts verts, proposés dans le cadre des investissements d’avenir, soutiendront les investissements nécessaires.
Nous sommes absolument convaincus que l’efficacité énergétique est aujourd’hui la meilleure réponse à une remarque formulée par l’une oratrices, qui relevait que moins consommer d’énergie est encore la meilleure façon d’atteindre nos objectifs en matière de baisse des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit également d’un vecteur d’innovation technologique et de création d’emplois et que nos marges de progression dans ce domaine sont considérables.
J’ai évoqué tout à l’heure l’isolation thermique des bâtiments et des logements, mais on voit aussi les progrès réalisés dans le domaine des transports, notamment pour ce qui concerne les véhicules – je pense notamment à la voiture qui consomme 2 litres aux 100 kilomètres et au développement des véhicules hybrides et de la voiture électrique. L’Europe soutient aussi, vous le savez, des recherches sur la voiture à hydrogène, qui est une autre modalité de la voiture électrique. Dans l’industrie et dans tous les domaines, l’efficacité énergétique peut aujourd’hui faire des progrès considérables, tous les acteurs en sont désormais convaincus dans notre pays. Cela suppose aussi que certaines décisions, notamment pour ce qui concerne les prix sur le marché du carbone, aillent dans le sens de l’incitation. Nous voulons surtout démontrer à d’autres États membres de l’Union européenne et à d’autres pays ailleurs dans le monde qu’ils peuvent atteindre les objectifs de réduction des émissions.
Vous avez rappelé à juste titre à la tribune que l’accord conclu en octobre au Conseil européen prévoit un minimum de 40 % de réduction. Nous pensons que nous pouvons faire mieux au niveau européen ; c’est même nécessaire si nous voulons vraiment atteindre les objectifs que le GIEC nous fixe pour 2050, soit une diminution de 90 % des émissions de gaz à effet de serre, car les 70 % évoqués sont en réalité un minimum. Nous pouvons jouer sur de nombreux leviers, mais l’efficacité énergétique est sans doute celui qui aura les effets les plus immédiats.
La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le secrétaire d’État, en 1990, le GIEC a publié son premier rapport concluant à un changement climatique sous l’effet de la concentration dans l’atmosphère, en raison des activités humaines, de différents gaz à effet de serre. Les quatre rapports du GIEC qui ont suivi ont confirmé définitivement ce diagnostic. Compte tenu du volume de CO2 et autres gaz à effet de serre déjà émis et du volume qu’il reste possible d’émettre pour se conformer à un objectif de limitation des températures, on peut déduire la trajectoire des émissions annuelles à respecter pour contenir le changement du climat. C’est précisément l’objet de l’action internationale, seul niveau pertinent pour une action globale efficace.
En 1997 a été adopté le protocole de Kyoto. Entré en vigueur en 2007, il portait sur la période 2008-2012, dite « première période d’engagement ». L’échec de la quinzième conférence des parties – ou COP –, en 2009, a conduit à un nouveau calendrier et ce n’est qu’en 2011 qu’une procédure de négociation a été décidée en vue de l’accord. Cette procédure est assortie d’un calendrier : 2015 pour l’adoption du futur accord, 2020 pour son entrée en vigueur.
Ces échéances font apparaître la nécessité de couvrir la période intermédiaire comprise entre la fin 2012 et 2020 par un instrument ad hoc. C’est l’objet de l’amendement au protocole de Kyoto adopté lors de la COP 18 de Doha, à la fin de 2012, qui prévoit une prolongation – et, pour les États européens, un renforcement – du dispositif de Kyoto pour les années 2013-2020 dans le cadre d’une deuxième période d’engagement. La ratification doit se faire par la voie législative, compte tenu de la nature de certaines dispositions.
Ma question sera simple : en prévision de la Conférence de Paris sur le climat en décembre 2015, pouvez-vous éclairer la représentation nationale sur l’avancement de la ratification de cet amendement par l’Union européenne, et donc par les différents pays de l’Union ?
Madame la députée, je ne peux qu’abonder dans votre sens. Nous souhaitons en effet que l’Union européenne et ses États membres ratifient l’amendement de Doha au protocole de Kyoto, qui permet de le prolonger de 2012 à 2020 dans les meilleurs délais. Vous-même l’avez fait : la France s’est prononcée, son parlement l’a ratifié et cette décision a été publiée au Journal officiel le 1er janvier 2015.
Il faut maintenant que tous nos partenaires de l’Union européenne procèdent de même. Vous soulignez à très juste titre que c’est indispensable et qu’il s’agit là d’un signal cohérent avec les conclusions du Conseil européen d’octobre 2014 avant la Conférence de Paris sur le climat, afin que l’Union européenne n’arrive pas à cette conférence en ordre dispersé. C’est un fait, et cela été rappelé, que nous avons pris nos responsabilités et nous nous sommes fixé des objectifs ambitieux, ce qui a créé une dynamique et a conduit d’autres pays – les États-Unis et la Chine – à prendre des engagements. Il s’agit là, comme l’a rappelé M. Baupin, d’une décision historique, même si le contenu est encore insuffisant face aux nécessités internationales. En effet, la fixation d’un pic en 2030 pour la Chine ou l’adoption d’un point de référence en 2005 pour les États-Unis sont très éloignés de ce que souhaite le GIEC et de ce que nous-mêmes avons fait, mais c’est le signe que les choses avancent ; le contexte a changé depuis le sommet de Copenhague. Cela nous rend, sinon optimistes, du moins plus déterminés que jamais à poursuivre l’objectif d’un accord ambitieux à la Conférence de Paris.
Nous-mêmes, Européens, devons être à la hauteur et ne pas laisser suspendu dans le vide le protocole de Kyoto pendant la période de 2012 à 2020. Nous ne cessons donc de demander de façon très pressante nos partenaires – c’est ce que je fais moi-même à chacun de mes déplacements, en particulier lors de mes rencontres avec les pays membres du groupe de Visegrád, qui sont parmi ceux qui ont le plus de difficultés – de ratifier l’amendement de Doha au protocole de Kyoto. Il faut en effet que les vingt-huit États membres aient ratifié ce protocole, qui devra également être soumis au Parlement européen afin que l’ensemble de l’Union européenne autorise cette prolongation.
Nous pouvons donc nous féliciter de l’accord obtenu entre États membres au conseil environnement le 17 décembre dernier sur le projet de décision de ratification de cet amendement par l’Union. Les négociations fructueuses à la COP de Lima ont permis de lever le blocage certains États membres. L’Union doit donc maintenant aller de l’avant. Ce compromis permet ainsi aux derniers pays de l’union qui ne l’avaient pas encore fait de lancer leurs processus internes de ratification devant leur propre parlement. Le texte sera ensuite transmis au plus vite au Parlement européen pour approbation, afin de viser une adoption par le Conseil au printemps. Nous souhaitons donc qu’avant le milieu de l’année, l’Europe puisse adopter les instruments législatifs permettant la mise en oeuvre de l’amendement de Doha.
La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Monsieur le secrétaire d’État, en décembre 2009, les États réunis à Copenhague ont décidé de créer un Fonds vert pour le climat, destiné à aider les pays en développement à financer des projets de réduction des émissions de carbone et d’adaptation au changement climatique. L’objectif était de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020. La collecte des fonds a eu beaucoup de mal à décoller et il a fallu que les pays en développement et les ONG haussent le ton pour que le mouvement s’amorce, mais nous n’avons pas encore atteint la capitalisation initiale prévue de 15 milliards de dollars.
Vingt et un pays ont annoncé leur engagement à hauteur de 9,3 milliards de dollars. Cette question est un vecteur essentiel de la réussite ou de l’échec du sommet de Paris en décembre prochain. Les États-Unis se sont engagés à verser 3 milliards de dollars, le Japon 1,5 milliard de dollars, le Royaume-Uni 1,1 milliard de dollars et l’Allemagne et la France 1 milliard de dollars chacun. Mais il y a de grands absents, à commencer par la Commission européenne, prétextant qu’elle n’est pas membre du conseil d’administration du fonds, et des nations aussi importantes que la Chine, l’Inde, le Canada, l’Australie, l’Irlande et la Belgique.
Ma question sera double : quelle initiative compte prendre la France afin que les objectifs fixés soient tenus ? L’annonce d’un engagement de notre pays à hauteur d’1 milliard de dollars a suscité le scepticisme. Quel sera le mode de financement de ces fonds ?
Monsieur le député, vous rappelez avec cette question qu’il s’agit là de l’une des clés de la réussite de la Conférence de Paris sur le climat : des efforts de réduction des gaz à effet de serre doivent certes être accomplis partout, en particulier dans les grands pays industrialisés et dans les pays émergents, mais il faut aussi qu’un fonds permette d’aider les pays en développement à s’adapter au changement climatique et à ne pas avoir à choisir entre le développement – rattrapage d’un retard dans des pays où la pauvreté et les besoins d’investissements dans les infrastructures et de croissance industrielle sont gigantesques – et la destruction de l’atmosphère. Ces pays doivent connaître un développement industriel de rattrapage sans aggraver la crise climatique. Cela suppose que des aides soient prévues pour que les conditions dans lesquelles ces pays développeront leurs systèmes de transports, d’habitat et de production industrielle soient compatibles avec nos objectifs d’émettre moins de gaz à effet de serre.
La dotation de ce fonds, et c’est là un élément qui s’ajoutera à l’agenda des solutions et à toutes les autres initiatives qui seront adoptées lors de la Conférence de Paris sur le climat, doit pouvoir atteindre un montant de 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 – ce qui ne se fera pas entre 2019 et 2020. Il fallait donc créer d’ici à la Conférence de Paris une dynamique et une confiance de la part des pays en développement, afin qu’ils ne fassent pas obstacle à l’accord que nous recherchons. C’est du reste un problème que nous avons rencontré à Copenhague : on disait d’une part à ces pays qu’ils bénéficieraient d’une solidarité et qu’une aide viendrait, mais on n’était pas capable de le montrer et de doter un fonds ; d’autre part, on disait qu’il fallait signer l’accord tout de suite et que l’aide viendrait plus tard.
En septembre, le Président de la République a décidé d’annoncer que la France apporterait une contribution d’1 milliard d’euros. D’autres pays se sont alors engagés, comme vous l’avez rappelé – d’abord d’autres États européens : l’Allemagne et le Royaume-Uni, et d’autres à l’échelle internationale.
Nous allons donc continuer à travailler. L’un des objectifs que poursuit M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, dans la tournée internationale qu’il a engagée et qui comprendra notamment un déplacement en Asie dans les prochains jours, est précisément de nous assurer que tous apporteront leur juste contribution à la constitution de ce Fonds vert. Cette capitalisation initiale reste ouverte à tous les contributeurs intéressés du Nord et du Sud, y compris d’ailleurs à ceux du secteur privé. Le fonds pourra donc programmer ses premiers investissements d’ici à la COP 21 de Paris.
Nous en avons terminé avec les questions.
Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour votre participation à ces travaux.
Le débat est clos.
La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.
L’ordre du jour appelle le débat sur le rapport de la mission d’information sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
La Conférence des présidents a décidé d’organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons le Gouvernement, puis les orateurs des groupes. Nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. le secrétaire d’État chargé du budget.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, vous avez souhaité que nous ayons un débat sur le crédit d’impôt compétitivité emploi, et je vous en remercie. Le CICE constitue en effet l’un des piliers de la politique économique du Gouvernement.
Il est important avant tout de replacer le CICE dans le contexte du pacte de responsabilité et de solidarité. Le CICE a été voté fin 2012 et ses premiers effets se sont concrétisés dès 2013 pour les entreprises ayant souhaité bénéficier du préfinancement, soit plus de 15 000 entreprises pour 1,9 milliard d’euros de créances en 2013. Puis, en 2014, les premiers versements au titre des créances acquises en 2013 ont eu lieu. En tout, ce sont près de 10 milliards d’euros de marge qui ont été redonnés aux entreprises dès 2014.
Le pacte de responsabilité et de solidarité a, quant à lui, été annoncé par le Président de la République le 31 décembre 2013, puis a été discuté avec les syndicats et les organisations patronales avant d’être voté à l’été 2014. Il est désormais en vigueur depuis le 1erjanvier de cette année, de sorte par exemple que plus aucune cotisation URSSAF n’est due pour un salarié rémunéré au niveau du SMIC aujourd’hui. D’autres mesures du pacte entreront en vigueur en 2016, puis en 2017.
Au final, cette montée en puissance permettra d’atteindre près de 40 milliards d’euros de marges de manoeuvre nouvelles pour les entreprises d’ici à 2017, dont environ 30 milliards au titre de la baisse du coût du travail.
L’objectif est clair : redonner de la compétitivité à nos entreprises afin que celles-ci puissent se développer, exporter, investir, embaucher. Cet objectif, rappelons-le, s’inscrit dans la stratégie économique globale décidée par le Président de la République et le Premier ministre, qui repose sur trois piliers : améliorer la compétitivité des entreprises ; réduire le déficit public et assainir nos comptes publics ; réformer en profondeur l’économie par des réformes de structure telles que la loi pour la croissance et l’activité, la loi santé ou la réforme territoriale. Le CICE est bien l’une des clés de cette stratégie d’ensemble.
L’année 2014 a donc été la première année où les créances pour le CICE ont été enregistrées et où les premiers versements envers les entreprises éligibles ont été effectués. Je me permets de vous rappeler qu’en règle générale, une créance n’est pas immédiatement remboursable : les versements peuvent être étalés sur les trois années suivant celle au titre de laquelle elle est constatée et imputés lors du paiement de l’impôt dû chaque année. Seules certaines entreprises peuvent bénéficier d’un remboursement immédiat et en totalité de leur créance : ce sont par exemple les PME, les jeunes entreprises innovantes ou encore les entreprises en difficulté.
Nous sommes donc véritablement un an après la réforme. Il est un peu tôt pour dresser un bilan précis de son impact, mais plusieurs travaux ont déjà été remis en fin d’année dernière pour effectuer un premier bilan, notamment une mission parlementaire, que vous avez présidée, monsieur le député Yves Blein, et une étude menée sous l’égide de France Stratégie.
Avec ces deux rapports, remis à quelques semaines d’intervalle, les acteurs économiques, politiques et sociaux ont été consultés sur leur vision du CICE : les parlementaires, les partenaires sociaux, les entreprises.
Quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Tout d’abord, ces deux rapports dressent un bilan encourageant du CICE. Votre rapport, monsieur le député Blein, fait état d’un « bilan d’étape positif », pour un dispositif dont vous soulignez la « nouveauté », en particulier de par son mécanisme de préfinancement.
Bien sûr, des critiques existent. Le ciblage a fait l’objet de beaucoup de remarques. Pour certains, le dispositif gagnerait à être plus centré sur les bas salaires au lieu d’aller jusqu’à 2,5 SMIC. D’autres souhaitent un élargissement au-delà, pour concerner plus spécifiquement les entreprises à caractère industriel. Pour d’autres encore, il faudrait se concentrer sur les entreprises exportatrices.
Je le dis de manière très simple : les entreprises ont besoin de stabilité et de visibilité. Un dispositif simple, lisible, large est un gage de réussite et de confiance, qui permet une adoption rapide par les entreprises. Les chiffres le démontrent : ce sont d’ores et déjà 9,9 milliards d’euros de créances qui ont été enregistrés au 31 décembre 2014, dont 6,3 milliards sont déjà touchés par les entreprises, pour plus de 860 000 bénéficiaires.
Ce résultat est en ligne avec notre estimation des droits ouverts au titre des salaires versés en 2013. Cette estimation était de 10,6 milliards d’euros, certaines entreprises pouvant déclarer tardivement leurs impôts. Notons que ce compteur pour l’année 2014 devrait cependant en rester globalement là du point de vue de l’impact sur nos comptes publics, compte tenu de la décision récente de l’INSEE de modifier à nouveau sa méthodologie comptable.
Au final, dès la première année de mise en oeuvre du dispositif, il semble clair que les entreprises ont véritablement et massivement adopté le CICE et je crois, mesdames et messieurs les députés, qu’il faut s’en féliciter.
D’autres critiques ont aussi porté sur ce que font les entreprises du CICE. Les actionnaires vont-ils en profiter pour augmenter leurs dividendes ? Les grandes entreprises vont-elles tenter de capter le crédit d’impôt dont bénéficient les PME, et notamment leurs sous-traitants ? Les salariés les mieux payés vont-ils voir leur rémunération augmenter, avec un accroissement des inégalités salariales ? Sur toutes ces craintes, légitimes, les premiers bilans effectués dans les deux rapports d’étape sont, je pense, de nature à nous rassurer.
L’analyse basée sur les enquêtes de conjoncture de l’INSEE montre que les entreprises comptent utiliser le CICE en premier lieu pour l’investissement : plus de la moitié des entreprises interrogées disent que si leur résultat d’exploitation augmente grâce au CICE, celui-ci sera affecté majoritairement à l’investissement. Alors que cet investissement a chuté de 10 % en France et de 18 % en Europe depuis la crise de 2008, un tel résultat va, cela ne fait aucun doute, dans la bonne direction.
Par ailleurs, dans sa note de conjoncture du mois de décembre, l’INSEE montre que le CICE a permis de créer 15 000 emplois par trimestre en 2014 et, avec l’entrée en vigueur du pacte de responsabilité, ce sont 20 000 emplois par trimestre qui pourraient être créés en 2015. Cette même note affirme également que le taux de marge des entreprises augmentera au premier semestre 2015, passant de 29,6 % fin 2014 à 30,8 % mi 2015, grâce au CICE, au pacte de responsabilité mais aussi à la relative modération salariale des entreprises.
Investissement, emploi, rétablissement des marges : le CICE va dans la bonne direction et respecte ses objectifs. La montée en puissance du dispositif cette année, qui passe de 4 à 6 % de la masse salariale en-dessous de 2,5 SMIC, est donc une bonne nouvelle, qui confortera les entreprises dans leurs décisions d’embauche et d’investissement.
Il serait toutefois déplacé de se réjouir de manière définitive, quand tant de nos concitoyens sont en situation précaire et quand tant d’entreprises peinent à se maintenir à flot. Il est nécessaire d’être à l’écoute des uns et des autres sur les forces et les défis que représente un tel dispositif. Il est nécessaire de comprendre l’évolution des attentes et des usages. Il est nécessaire de toujours veiller à son efficacité.
C’est le but du comité de suivi des aides qui a été installé par le Premier ministre début novembre 2014. Je note avec la plus grande satisfaction que ce comité a été ouvert aux députés et aux sénateurs, puisqu’il comporte deux représentants de chaque assemblée. Je le répète, la confiance et la transparence sont les clés du succès de cette politique économique. La présence de la représentation nationale est le gage, j’en suis convaincu, que s’instaure un échange concret et constructif sur le sens et l’utilisation des aides aux entreprises, et en particulier du CICE.
Désormais, mesdames et messieurs les députés, il nous appartient de poursuivre et de renforcer notre politique de soutien à l’emploi et à l’investissement. Certes, les entreprises se sont appropriées le CICE et ses premiers effets se font déjà sentir. Cela ne signifie pas que le dispositif soit figé et ne doive pas évoluer. Cela signifie tout simplement que la direction que nous avons prise est la bonne et qu’il faut continuer dans cette voie.
Pour aller plus loin, le Président de la République a annoncé la mise à l’étude de la transformation du crédit d’impôt en allégement de cotisations à compter de 2017. Cette perspective rejoint certaines des propositions d’évolution du dispositif que préconisait le député Blein dans son rapport.
Cette évolution est de nature à rendre le dispositif encore plus lisible pour les entreprises, qui voient directement les effets de la réduction du coût du travail. C’est aussi une solution pour accentuer la politique poursuivie par le pacte de responsabilité, puisque celui-ci consiste aussi en un allégement des cotisations patronales.
Simplifier et mettre en cohérence : deux objectifs sur lesquels, je l’espère, nous pouvons facilement tomber d’accord.
Les modalités précises de ce basculement, néanmoins, sont encore en cours d’élaboration, sachant que le Président de la République a fixé le calendrier pour 2017. C’est dans cette optique que nous travaillons activement. Donner plus de précisions, à ce stade, sur les modalités de cette bascule, reste difficile.
En effet, plusieurs éléments importants doivent être pris en considération : en particulier, le passage d’un dispositif versé avec un an de décalage à un dispositif versé l’année même où les salaires ouvrant droit à cette aide sont payés nécessite d’étudier tous les scénarios de transition, compte tenu des enjeux budgétaires importants qu’il comporte. Il faudra aussi trouver un juste équilibre entre trois contraintes : le cadrage budgétaire de nos finances publiques d’une part, le besoin légitime de stabilité exprimé par les entreprises d’autre part, et enfin les nécessaires évolutions du champ de cette nouvelle aide, dans la mesure où seules les entreprises assujetties à l’impôt sur les sociétés sont concernées par le CICE aujourd’hui, alors que toutes les entreprises ayant des salariés sont concernées par les charges patronales.
Avant la finalisation de ce chantier, il est important que nous poursuivions tous nos efforts pour que le CICE continue à produire ses effets. À ce titre, je vous confirme, mesdames et messieurs les députés, que la demande qui avait été faite par plusieurs d’entre vous de permettre l’imputation du CICE sur les acomptes d’impôt des sociétés, afin d’éviter des mouvements de trésorerie dans les entreprises, va être mise en oeuvre à très brève échéance. Une instruction fiscale en cours de finalisation viendra le préciser, de sorte que les entreprises pourront en bénéficier dès la prochaine échéance d’impôt sur les sociétés, c’est-à-dire à l’acompte du 15 mars. Cette mesure, tout comme le préfinancement qui était déjà en place, vient atténuer le décalage d’un an dans le versement du CICE et donne donc plus de visibilité aux entreprises pour se développer dès aujourd’hui.
Simplifier, renforcer, donner de la visibilité, c’est cela, mesdames et messieurs les députés, la politique qui est celle du Gouvernement.
Pour terminer, j’aimerais rappeler ma détermination, comme celle de l’ensemble du Gouvernement, à faire en sorte que 2015 soit une année de résultat. Les dispositifs sur lesquels nous nous sommes engagés sont maintenant votés et mis en place. La balle est donc aussi dans le camp des entreprises, qui bénéficient également d’un euro faible et de la baisse des prix du pétrole. Mais je n’ai pas l’intention de rejeter la responsabilité sur tel ou tel. C’est par le rassemblement de toutes les forces de notre pays que nous réussirons collectivement à lutter contre le chômage et notamment celui des jeunes, à redonner aux entreprises des capacités pour investir et innover, et à créer un climat de confiance propice à une reprise économique solide et durable.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est en effet à la demande de notre groupe qu’un débat sur le crédit d’impôt compétitivité-emploi a été inscrit à l’ordre du jour.
Il nous paraît en effet indispensable de faire toute la lumière sur ce dispositif fiscal. Certes, il est normal d’aider les entreprises en période de crise, mais jamais un dispositif d’un tel coût – 41 milliards d’euros en trois ans – n’avait été créé dans de telles conditions d’impréparation, d’improvisation.
En disant cela, je ne mets nullement en cause Christian Eckert, qui n’était pas à l’époque dans le secteur des finances, en tout cas pas au niveau gouvernemental. Ces propos ne le visent absolument pas.
Chacun s’en souvient : le Gouvernement d’alors a déposé in extremis un amendement au dernier projet de loi de finances rectificative de 2012. Puisqu’il s’agissait d’un simple amendement, cette disposition n’a donné lieu ni à un avis du Conseil d’État, ni à une étude d’impact qui auraient pu utilement nous éclairer. L’objectif était d’aller vite, à tout prix et quoi qu’il en coûte.
Résultat, ce dispositif, élaboré à la hâte, présente à mon sens trois lacunes majeures : l’absence de sélectivité, l’inapplication fréquente des contreparties et le manque de contrôle.
D’abord, l’absence de sélectivité. Ce soutien s’adresse indifféremment, indistinctement, à toutes les entreprises, qu’elles soient délocalisables ou non, exportatrices ou non, bénéficiaires – même très largement – ou non.
Ainsi, pour 2014, le secteur bancaire recevra 450 millions d’euros et la grande distribution, 400 millions.
Pour éviter cet effet d’aubaine, il faudrait cibler les secteurs à qui le CICE est vraiment nécessaire. On assure parfois qu’une certaine sélectivité dans son attribution serait contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Or, pour celui-ci, le principe d’égalité devant l’impôt n’empêche pas la loi d’établir une différence de traitement quand il y a différence de situation.
Parfois, et même souvent, on évoque aussi le droit communautaire et l’article 87 du traité instituant la Communauté européenne, dans sa version consolidée issue du sommet de Nice, qui paraît prohiber les aides publiques susceptibles de « fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions ».
Pourtant, une expertise juridique plus précise s’impose, car l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui a remplacé l’ex-article 87, juge « compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ».
Deuxième défaut majeur du CICE : l’inapplication fréquente des contreparties. En effet, le CICE a été conçu comme comportant des engagements réciproques de l’État et des entreprises et devant s’accompagner de contreparties pour celles-ci. Les entreprises doivent consacrer les ressources dont elles bénéficient par ce dispositif à des objectifs définis par l’article 244 quater C du code général des impôts, qui concernent surtout l’emploi et l’investissement.
Le chef de l’État a insisté sur cette notion de contrepartie dans sa conférence de presse du 14 janvier 2014, il y a un an presque jour pour jour : « Ces contreparties doivent être définies au plan national et déclinées par branches professionnelles. Elles porteront sur des objectifs chiffrés d’embauche, d’insertion des jeunes, de travail des seniors. […] Un Observatoire des contreparties sera mis en place. »
De même, le 21 janvier 2014, François Hollande disait que ces contreparties devaient être « claires, précises, mesurables, vérifiables ».
Mais en fait, aujourd’hui, seulement sept ou huit des cinquante principales branches ont conclu les négociations entre partenaires sociaux, pourtant décidées dès le 5 mars 2014.
Cet immobilisme n’est pas acceptable. Quand il s’agit de combattre le chômage, la démarche de certaines entreprises ne peut rester celle-là : tarder, traîner, temporiser.
Dernier défaut majeur de ce dispositif : l’absence d’un véritable contrôle sur l’utilisation de ce crédit d’impôt par les entreprises.
C’est vrai d’abord au plan national. En juillet 2013, on a installé un comité de suivi, qui est « chargé de veiller au suivi de la mise en oeuvre et à l’évaluation du CICE ». Ce comité de suivi est essentiellement composé, pour moitié, de représentants des partenaires sociaux et, pour moitié, de représentants des administrations concernées.
Avant le dépôt au Parlement du projet de loi de finances de l’année, ce comité de suivi doit établir « un rapport public exposant l’état des évaluations réalisées ».
Le deuxième rapport de ce comité, présenté le 30 septembre 2014, semble plutôt d’ordre théorique ou méthodologique. Il apparaît assez pauvre en informations précises – à la différence du rapport réalisé par la mission d’information de notre assemblée animée par nos collègues Blein et Carré, rapport déposé le 2 octobre 2014, qui apporte, lui, beaucoup d’éléments d’information.
La loi de finances rectificative du 29 décembre 2012 dispose, à l’article 66 : « Un comité de suivi régional, composé sur le modèle du comité national, est chargé de veiller au suivi de la mise en oeuvre et à l’évaluation du CICE dans chacune des régions. »
Fin 2014, deux ans après, ces comités de suivi régionaux n’avaient toujours pas été mis en place. Cette extrême lenteur est d’autant plus gênante que la saisine du comité régional de suivi est la seule véritable procédure d’alerte dont dispose le comité d’entreprise.
L’employeur, en effet, doit informer et consulter le comité d’entreprise sur l’utilisation du CICE. Selon la loi du 14 juin 2013, si le comité d’entreprise estime que ce crédit d’impôt n’a pas été utilisé conformément à la loi et qu’il n’a pu obtenir d’explications suffisantes de l’employeur, il établit un rapport. Ce rapport est transmis au comité de suivi régional.
Fin 2014, les comités de suivi régionaux n’ayant toujours pas été installés, ce droit d’alerte reconnu par la loi aux comités d’entreprise ne peut donc pas être effectivement exercé.
Récemment, le comité de suivi national a vu son champ étendu aux autres dispositifs de soutien public aux entreprises. Installé par le Premier ministre le 4 novembre 2014, il s’intitule désormais « Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements ».
Toujours présidé par M. Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, ce comité compte onze représentants des partenaires sociaux, onze représentants d’administrations et organismes publics, deux experts et quatre parlementaires. Quatre parlementaires, c’est-à-dire seulement un septième de l’effectif de ce comité, alors que le Parlement a vocation naturelle à décider et à suivre l’usage de l’argent public, c’est-à-dire de l’argent des contribuables.
Le CICE représente à lui seul un tel coût – 41 milliards en trois ans – qu’il vaudrait mieux lui consacrer un organe de contrôle particulier, spécifique, qui ne traite pas de tout à la fois.
L’ « Observatoire des contreparties » annoncé par le chef de l’État il y a un an lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014 serait la structure la plus efficace pour assurer la transparence.
Notre groupe a fait adopter et inscrire dans la loi de finances rectificative du 8 août 2014 un article 29 ainsi rédigé : « Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er mars 2015, un rapport sur la création d’un Observatoire des contreparties dont le rôle sera de suivre l’utilisation par les entreprises des allégements de charges. »
Par ailleurs, lors du vote du budget 2015, notre groupe a fait aussi adopter un amendement complétant cet article et ainsi conçu : « Le Parlement est associé à l’Observatoire des contreparties. »
En définitive – et je terminerai par cela –, pour rendre le CICE plus équitable et plus efficace, trois mesures paraissent nécessaires.
En premier lieu, accélérer les négociations entre partenaires sociaux sur leurs obligations réciproques, négociations qui ont été décidées dès mars 2014, il y a dix mois. Pourtant, aujourd’hui – on l’a rappelé –, sept seulement des cinquante principales branches ont conclu ces négociations. Il conviendrait de fixer une date butoir en décidant que les branches qui n’auraient pas conclu ces accords avant, par exemple, le 30 avril prochain, ne pourraient bénéficier de ce crédit d’impôt.
En second lieu, il faut doter l’Observatoire des contreparties de compétences accrues par rapport à celles du comité de suivi national, même rebaptisé. En cas d’utilisation du CICE non conforme aux objectifs fixés par la loi, le comité d’entreprise pourra, on le sait, saisir le comité de suivi régional, du moins lorsque cette instance existera effectivement.
La règle suivante pourrait être adoptée : s’il partage la même position, ce comité de suivi devra pouvoir saisir l’Observatoire des contreparties. Après instruction approfondie, cet Observatoire rendra une décision définitive validant ou censurant l’utilisation faite par l’entreprise du crédit d’impôt.
Enfin, troisième et dernière mesure : en cas d’usage estimé irrégulier du CICE, l’Observatoire devra pouvoir transmettre le dossier à l’administration fiscale en vue de la restitution des avantages utilisés indûment par l’entreprise.
Cette fois, monsieur le président, je m’apprête vraiment à terminer – veuillez me pardonner car j’ai peut-être été un peu long.
Merci.
Le Premier ministre a récemment et très justement déclaré : « Quand la nation consent un effort de 40 milliards d’euros pour les entreprises, chacun doit être à la hauteur de ses responsabilités. Je le dis, notamment, aux dirigeants du patronat, un certain nombre de propositions, de provocations, ne sont pas à la hauteur de cette responsabilité. »
Si la situation reste la même et si la majorité des organisations patronales ou des entreprises n’appliquaient pas les engagements prévus au moment du lancement du CICE, alors, que conviendrait-il de faire ? Faudrait-il conserver tel quel, sans modification, un dispositif très coûteux pour l’État et très peu efficace pour l’emploi en continuant à vanter, malgré tout, ses prétendus mérites, ses supposées vertus ? Le déni de la réalité ne peut faire une politique économique.
Applaudissements sur les bancs du groupe RRDP.
Monsieur le secrétaire d’État, voilà maintenant plus d’un an que le Président de la République proposait son pacte de responsabilité, voulant, je le cite, « moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leur activité et, en contrepartie, plus d’embauches et plus de dialogue social. » Le crédit d’impôt compétitivité emploi était né.
Écrit à la va-vite, le CICE est une déclinaison de cette multitude de dispositifs d’allégements de charges et d’exonérations d’impôts au bénéfice des entreprises, devenus pierre philosophale des politiques publiques, et dont les résultats sont plus que contestables, comme l’INSEE l’a indiqué.
Mes chers collègues, les baisses de charges issues du CICE sont aujourd’hui effectives, les chiffres sont là : 11 milliards d’euros de crédit d’impôt pour 2014, 16 milliards d’euros attendus pour cette année et 17 milliards d’euros prévus pour 2016 et 2017.
Alors que le Gouvernement prétend faire la chasse aux déficits et aux dépenses prétendues inutiles, ces baisses massives de charges sont incontestablement à l’origine d’un trou massif dans nos finances publiques, trou amené à se creuser encore davantage cette année et jusqu’à la fin de ce quinquennat comme ces chiffres viennent le rappeler.
Mais, mes chers collègues, ma question est aujourd’hui simple et claire : où sont les embauches ? Où sont les créations d’emplois que devait générer un tel sacrifice de l’argent public ? En quoi le dialogue social dans les entreprises est-il renforcé ?
À ce jour, les résultats sont étiques : peu de créations d’emplois au regard du coût du dispositif et une situation de l’emploi qui ne fait que s’aggraver ; un crédit d’impôt dont bénéficient en grande partie des entreprises qui n’en ont pas besoin, comme nous le craignions – je pense au secteur de la grande distribution, peu exposé à l’international, qui emploie nombre de nos concitoyens à des salaires très bas et qui, pour certaines enseignes, supprime des postes ; un dispositif détourné de son objectif initial, avec des entreprises privilégiant le versement de dividendes sur l’investissement – pourtant en berne aujourd’hui – ou sur la création d’emplois ; enfin, le nombre d’accords de branches signés apparaît bien faible au regard des prévisions initiales.
Qualifié d’ « échec » par le ministre de l’économie, l’inefficacité de ce totem gouvernemental semble aujourd’hui avérée.
Ces dizaines de milliards d’euros pourraient pourtant être utilisées à d’autres fins, bien plus utiles et efficaces pour faire redémarrer notre économie, notamment à travers des dépenses d’intervention à destination des filières rencontrant de fortes difficultés économiques aujourd’hui, ou bien encore l’amélioration des services publics.
A minima, le CICE devrait être ciblé, ce qui n’est absolument pas le cas aujourd’hui, vers les entreprises qui en ont le plus besoin – je pense en particulier à nos entreprises industrielles confrontées à une forte concurrence à l’international.
Il devrait l’être également vers les entreprises qui réalisent des investissements car notre économie souffre de l’insuffisance de l’investissement privé.
Enfin, il devrait l’être vers les entreprises qui, plutôt que de verser des dividendes massifs à leurs actionnaires, créent de l’emploi de qualité – en limitant notamment l’assiette du calcul du CICE aux seules rémunérations versées au titre de contrats à durée indéterminée et à temps plein.
Alors que les inégalités se creusent dans notre pays, alors que notre système de protection sociale est progressivement détricoté, alors que les moyens alloués aux collectivités territoriales – pourtant principales contributrices à l’investissement public – seront copieusement réduits cette année, alors que les carnets de commandes des entreprises sont vides et alors que la demande et les salaires stagnent, bref, alors que tous les signaux sont aujourd’hui au rouge, il y va de l’intérêt de la France et de l’Europe de mener une autre politique que celle, ultralibérale, mortifère, uniquement tournée vers l’offre et la réduction des dépenses, qui est actuellement menée.
En guise d’introduction, je souhaite rendre un bref hommage à Olivier Carré qui, monsieur le secrétaire d’État, a en fait présidé la mission dont j’étais rapporteur.
Le crédit d’impôt compétitivité emploi entre en 2015 dans sa deuxième année réelle de mise en place.
À ceux qui s’impatientent des résultats espérés pour cette mesure massive et particulièrement ambitieuse, il faut en effet rappeler que le principe même d’un crédit d’impôt est de n’être opérant qu’au moment où les impôts sont payés par les entreprises.
C’est donc à partir du mois de juin 2014, hormis pour celles qui avaient sollicité une avance – rendue possible par la BPI – que les entreprises dont les comptes sont clos au 31 décembre ont pu bénéficier des premiers versements.
Ce n’est pas le cas de toutes les entreprises, certaines relevant de formes juridiques différentes, d’autres réalisant des pertes supérieures au produit espéré du CICE – le bénéfice en a donc été reporté –, d’autres encore ayant opté pour des dates de clôtures différentes.
C’est dire qu’il est tôt, bien trop tôt encore – je l’avais souligné dans mon rapport – pour tirer de réels enseignements quant à l’impact du crédit d’impôt compétitivité emploi sur l’économie française.
À tous ceux qui parlent de ciblage et de conditionnalité, je répondrai stabilité et durée. Il faudra attendre qu’il ait atteint son plein effet et ce sera le cas en 2015, en passant d’une réduction d’impôt de 4 % à 6 % de l’assiette des salaires concernés.
Les chefs d’entreprise interrogés par le questionnaire trimestriel de l’INSEE – que nous avions alors regardé – assuraient en outre que les premiers versements du CICE, en 2014, contribueraient sans doute très majoritairement à reconstituer des trésoreries tendues, rendues exsangues par l’effondrement des marges des entreprises, ce qui était d’ailleurs un des buts du CICE. Il y a donc fort à parier que la restauration des marges, donc des capacités d’investissement, sera l’objectif prioritaire que les entreprises se donneront à partir de l’année 2015.
La relance de l’investissement, que l’on ne décèle pas encore aujourd’hui dans les données macro-économiques connues, pourrait donc intervenir dans la seconde partie de l’année, entraînant à sa suite une reprise de l’emploi et un regain de compétitivité de l’économie française.
On ne dira jamais assez que le parti pris du CICE vise d’abord et avant tout à restaurer la compétitivité de l’ensemble des entreprises françaises, de toutes les entreprises, même si le ciblage de l’aide sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC concerne de fait davantage les entreprises de main-d’oeuvre à bas coût.
C’est une mesure de moyen terme, vertueuse, financée par des économies sur la dépense publique, qui préserve donc le pouvoir d’achat des ménages de façon à ne pas pénaliser la demande au moment où l’on s’efforce de rendre l’offre plus compétitive.
On peut d’ailleurs légitimement espérer qu’en 2015, le CICE atteignant progressivement son plein effet, l’économie bénéficie en outre de deux effets espérés : la baisse de l’euro par rapport au dollar, qui va enfin soutenir nos exportations, et la baisse à peine croyable des prix du baril de pétrole – moins de 50 dollars le baril alors qu’il se situait à plus de 110 dollars il y a encore quelques semaines.
Cette baisse, qui semble être durable, allégera la facture énergétique de la France. Ce double événement – parité avec le dollar, baisse du baril de pétrole – permettra en outre à nos industries amont, souvent énergo-intensives, de bénéficier d’un regain de compétitivité particulièrement bienvenu.
Le rapport, voilà quelques semaines, recommandait donc la patience. Si peu de nouveaux indices permettraient aujourd’hui d’apprécier différemment l’impact du CICE, des éléments néanmoins substantiels ont évolué depuis, en écho à ses conclusions.
En tout premier lieu, le Président de la République a confirmé que le CICE avait vocation, en 2017, à basculer d’un crédit d’impôt vers un allégement de charges.
C’est sa vocation, mais cet élément est important car il était attendu pour « ancrer » définitivement la mesure et permettre à l’économie sociale notamment – qui en était statutairement exclue – de rentrer dans le périmètre de son application.
La possibilité pour les entreprises de solliciter des acomptes sur le CICE en même temps qu’elles paient leurs acomptes IS a également été mise en place.
L’obligation, enfin, pour les entreprises d’assurer la traçabilité de l’usage qu’elles font du CICE par une note écrite dans les annexes a été inscrite en loi de finances, clarifiant définitivement la nécessaire lisibilité à donner à la mesure.
Un point, néanmoins, reste à ma connaissance à traiter – vous l’avez souligné, chers collègues –, qui faciliterait grandement le dialogue social : la mise en place de comités régionaux de suivi. Toujours à ma connaissance, ceux-ci tardent à être mis en place et leur absence favorise malheureusement les faux procès faits au dispositif.
Monsieur le secrétaire d’État, le CICE s’inscrit dans un ensemble, vous l’avez rappelé : le pacte de responsabilité, sur le plan fiscal, les charges engagées suite à diverses dispositions, l’absence de charge de Sécurité sociale jusqu’à 1,6 SMIC au 1er janvier, la suppression de la surtaxe IS en 2015 ou 2016, la suppression progressive de la C3S jusqu’en 2017 et, à partir du 1er janvier 2017, l’allégement progressif de l’IS qui se situe aujourd’hui dans notre pays de cinq à sept points au-dessus des autres pays européens.
Il serait utile, monsieur le secrétaire d’État, que vous puissiez nous confirmer l’effectivité de ce calendrier.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, je remercie le rapporteur de la mission d’information, avec qui nous avons pu conduire ces travaux dans un esprit positif, permettant ainsi de lever un certain nombre d’interrogations que je n’ai pas manqué de noter dans les propos de M. le président Schwartzenberg.
Ces interrogations étaient d’autant plus difficiles à cerner que, si l’on parle du CICE depuis longtemps, il n’est effectif que depuis peu pour les entreprises, de même que les processus qui ont été évoqués, notamment ceux concernant le contrôle et le dialogue social afférent.
Il a en effet été prévu un contrôle a posteriori, qu’il est rare de prévoir dans une loi – mais tel est le cas s’agissant du CICE, point sur lequel je n’ai jamais hésité à rendre hommage à ses concepteurs. Il a également prévu un contrôle au jour le jour, si j’ose dire, par les organisations représentatives du personnel à l’intérieur même des entreprises.
Ces dispositifs n’ont pu entrer en vigueur qu’après que les entreprises ont elles-mêmes reçu ce fameux CICE.
C’est donc quasiment in vivo que nous avons pu conduire un certain nombre d’auditions. Celles-ci nous ont d’ailleurs permis de constater que l’appréciation et la perception de ce dispositif n’étaient pas les mêmes au mois de septembre et au mois de juin, lorsque nous avons commencé nos travaux.
Permettez-moi de revenir brièvement sur ce dispositif. Comme cela a été dit, il résulte d’un processus qui a commencé avant le vote du projet de loi de finances fin 2012. En effet, c’est dès 2010 que les organisations syndicales et patronales ont alerté la communauté politique sur le problème de la compétitivité, par le biais d’un rapport assez rare en son genre, puisqu’il faisait la quasi-unanimité parmi ces organisations.
Ce rapport de trente pages a nourri les débats que nous avons eus pendant des heures, dans cette enceinte, au sein de la mission d’information sur la compétitivité de l’économie française, diligentée par l’ancienne majorité. Cette mission a abouti, au mois de février 2012, à l’adoption du mécanisme de TVA sociale, lequel a été supprimé en juillet de la même année, puis rétabli, sous une autre forme, au mois de décembre, avec des effets un peu tardifs – nous l’avons suffisamment regretté à l’époque.
Cela étant dit, c’est le futur qui m’intéresse, pas le passé, et nous avons aujourd’hui un dispositif qui monte en puissance. Les caisses des entreprises recevront, d’après ce que nous avons pu mesurer et apprécier, à peu près 10 milliards d’euros en 2015, qui feront suite aux 6,5 milliards d’euros qui leur ont été servis en 2014. Cela devrait aboutir, mais en 2019 seulement, à une créance versée de 20 milliards d’euros.
Ces créances, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État, sont exigibles à tout moment, dans des conditions qui ont été fixées et qui sont relatives à l’acquittement de l’impôt sur le revenu. Je remercie d’ailleurs le Gouvernement d’avoir retenu l’une des propositions issues de nos auditions, relative aux acomptes : ceux-ci faisaient l’objet d’un problème d’interprétation et nous avons estimé qu’il importait d’éclairer les comptables, et notamment les services des impôts, sur ce sujet. Nous vous remercions de l’avoir fait. Je pense que cela va accélérer les choses et améliorer la lisibilité du système.
Même si l’on peut se féliciter qu’un certain nombre de dispositions aient été adoptées pour favoriser le rétablissement des marges des entreprises, le caractère un peu hybride du mécanisme est néanmoins problématique, puisqu’il prend comme assiette le coût du travail, la masse salariale, mais qu’il s’applique sur la marge nette de l’entreprise – il consiste en effet en une réduction de l’impôt sur les sociétés. C’est ce côté un peu hybride qui fait souvent dire aux entreprises, aujourd’hui encore, que si le mécanisme est simple en apparence, il reste tout de même un peu obscur et complexe dans son application.
Cela étant dit, il faut reconnaître que vos services ont été efficaces et que nos entreprises s’y retrouvent : les chèques sont versés, l’argent est là et, sous certaines conditions, mais qui sont larges, il est mis à la disposition des entreprises, qui peuvent ainsi investir ou embaucher. Dans le contexte actuel, on constate que ces mécanismes ne sont pas encore en oeuvre et que le CICE a surtout été utilisé pour faire de la trésorerie, mais je suis sûr que les choses changeront si la conjoncture s’améliore, ce qui sera le cas, je l’espère, au regard des critères que vous avez rappelés. Baisse de l’euro, prix de l’énergie favorable, amélioration de l’environnement économique, en tout cas aux États-Unis : tous ces éléments pourraient amener les entreprises à relancer l’investissement, première étape préalable d’un retour vers l’emploi.
Je partage tout à fait les conclusions du rapporteur, et notamment l’idée selon laquelle il est nécessaire de faire évoluer ce dispositif. En économie, comme en politique, il faut toujours se méfier des produits dits hybrides. Il faut aller vers une simplification de tous les dispositifs, vers une refonte des différentes aides qui aujourd’hui font que l’on passe d’un SMIC non chargé à un montant allant jusqu’à 2,5 fois le SMIC, en cumulant toute une série d’allégements. Ou l’on décide de mettre en place un barème, ou l’on décide de garder des allégements, mais il importe, en tout cas, de consolider l’ensemble.
Ce sera une tâche difficile, car les avantages qui avaient présidé au choix de la méthode, et qui ont permis à l’État d’économiser en trésorerie pendant les premières années de mise en place du dispositif, vont nous revenir comme un boomerang. Cela a déjà été évoqué : l’année dite de tuilage entre les différents dispositifs sera d’autant plus difficile que les masses ne sont pas neutres. Ce sont à peu près 20 milliards d’euros qui ont été sortis, mais en termes de créances exigibles, les montants n’avoisinent pas loin du double. Cette année-là, la mise en oeuvre sera donc difficile.
En tout état de cause, et ce sera ma conclusion, je milite et j’ai milité pendant l’examen du projet de loi de finances, pour que ce dispositif, certes imparfait, et sans doute éloigné de ce que l’on avait imaginé au départ au sein de la précédente majorité, reste stable, en tout cas jusqu’à cette refondation totale, parce que c’est sans doute ce à quoi sont le plus attachées les entreprises elles-mêmes.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, le Président de la République, à l’occasion de ses voeux aux Français, avait déclaré : « La France est un grand pays, elle est la cinquième puissance économique du monde. » Malheureusement, quelques jours après, la Commission européenne avait relégué à la sixième place notre pays, derrière le Royaume-Uni. Nous le savons tous, cela a été réaffirmé à plusieurs reprises tout au long de nos débats, et pas seulement aujourd’hui : notre pays souffre d’un véritable déficit de compétitivité, du fait notamment d’un niveau de prélèvement sur le travail comparativement plus élevé que chez nos principaux partenaires et concurrents.
Dans le contexte de crise que la France connaît depuis des années, et dont nous ne sommes toujours pas sortis, il est impératif de redonner des marges de manoeuvre aux entreprises, afin que celles-ci soient en mesure de renouer avec la confiance et avec la croissance, et donc avec l’emploi.
La mise en place de la TVA compétitivité par la précédente majorité avait pour but de répondre à ce handicap de nos entreprises dans la compétition mondiale, en allégeant massivement leurs charges. Cette mesure présentait de nombreux avantages. Tout d’abord, elle aurait permis un gain de compétitivité majeur pour nos entreprises, avec une baisse du coût de la masse salariale pouvant aller jusqu’à 5,4 %. Elle aurait également engendré une baisse des charges ciblée sur les secteurs les plus exposés à la concurrence – il a été rappelé tout à l’heure que la grande distribution et les banques prélèvent aujourd’hui jusqu’à 1 milliard d’euros sur l’ensemble des finances affectées au CICE. Enfin, elle aurait constitué un avantage pour les TPE et les PME par rapport aux grands groupes, puisqu’elles auraient bénéficié de la moitié de la baisse du coût du travail, soit 6,5 milliards d’euros.
Le Premier ministre actuel indiquait d’ailleurs en septembre 2011 qu’une telle mesure permettrait de sauvegarder notre système de protection sociale, de servir au réarmement industriel du pays, et de créer 60 000 emplois par an.
La TVA compétitivité a pourtant été la première cible des promesses de campagne de François Hollande. En la supprimant purement et simplement, les entreprises ont ainsi été privées de 13,2 milliards d’euros d’allégements de charges. Et en parallèle, depuis juin 2012, la fiscalité des entreprises a été alourdie de 14 milliards d’euros d’impôts supplémentaires, soit, au total, entre les avantages fiscaux supprimés et les impôts supplémentaires, 27 milliards de punition fiscale infligés aux entreprises du pays. On se doute qu’il était ensuite difficile pour elles de s’inscrire dans le contexte de concurrence que nous connaissons aujourd’hui. En conséquence, leur taux de marge a atteint son plus bas niveau depuis 1985, à savoir 28,1 % seulement, bien loin derrière tous nos voisins européens.
Le Gouvernement, se rendant compte de son erreur et de la gravité de la situation, dans le prolongement du rapport Gallois, a promis un grand choc de compétitivité de 40 milliards d’euros. Cependant, loin de suivre les recommandations de ce rapport, le Gouvernement a décidé d’instaurer le crédit d’impôt compétitivité emploi – six mois, donc, après la suppression de la TVA compétitivité, dans des conditions d’improvisation qui ont été rappelées à juste titre.
Ce sont donc en réalité deux ans qui ont été perdus pour la compétitivité car, comme cela a été dit, le CICE n’est devenu une réalité fiscale pour nos entreprises qu’en 2014, lorsqu’elles ont déclaré leur impôt. La mise en place de ce dispositif s’est accompagnée d’interrogations profondes, alimentées par l’absence de toute transmission ou d’évaluation préalable au Parlement, eu égard à la procédure d’amendement qui a été utilisée. Ces interrogations portaient sur le financement du dispositif, ses contours, et même ses objectifs.
En effet, son financement, par l’augmentation, notamment, du taux intermédiaire de TVA, est un non-sens, puisque, comme chacun sait, nous avons décidé ainsi de taxer notre activité intérieure, et notamment des secteurs vitaux pour l’emploi, comme celui de la construction. On connaît aujourd’hui les dégâts que cette mesure complètement inappropriée a produits sur l’emploi dans ce secteur.
En outre, au dispositif simple et lisible que constituait la TVA compétitivité, le Gouvernement a substitué, même si le mot est galvaudé, une « usine à gaz » complexe, qui requiert des démarches administratives, au moment où l’on envisage de simplifier la vie des entreprises dans le cadre d’un autre choc, de simplification celui-là…
…et alors même que les entreprises françaises se plaignent à juste titre d’être parasitées par l’excès de normes et de contraintes.
C’est pourquoi certaines entreprises ont hésité, voire renoncé, à en faire la demande. Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d’État, que lorsque ce CICE a été instauré, vous avez dénoncé, avec le ton définitif qui vous caractérise, ses « effets pervers assurés ». Cette formule, aujourd’hui, a visiblement disparu de votre discours.
Enfin, les travailleurs indépendants, les entreprises au forfait, ou encore les coopératives, sont exclus de ce dispositif. Les députés du groupe UDI n’ont pas cessé de demander que ces derniers puissent en bénéficier pour mettre fin à cette situation injuste.
La mission d’information – et je salue le travail qui a été effectué par son rapporteur, son président, et l’ensemble de ses membres – a véritablement fait oeuvre utile et le groupe UDI remercie ceux qui ont été à son initiative et qui en ont également été les chevilles ouvrières. Toutefois, nous considérons qu’aujourd’hui ce dispositif est loin d’être à la hauteur de la situation et qu’il ne permettra pas de répondre véritablement au déficit de compétitivité des entreprises françaises.
Merci pour cette note d’optimisme.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le pacte de responsabilité représente un engagement historique de l’État français en faveur des entreprises. Cette politique, certes précipitée, n’a pas été décidée à la légère, mais en raison d’une situation en constante dégradation de l’emploi, du commerce extérieur et des marges de manoeuvre de nos entreprises.
Le débat sur les solutions à apporter a été riche. Les écologistes y ont activement participé, demandant notamment un ciblage prioritaire du CICE vers les petites et moyennes entreprises et vers les entreprises ayant des activités participant à la transition écologique. Bref, avec le souci que ces aides publiques soient bien utilisées. Sur la sélectivité, nous sommes émus, comme d’autres collègues sur ces bancs, de l’effet d’aubaine dont bénéficient certains secteurs comme les banques et la grande distribution. Mais on doit tout de même rappeler, à cet égard, que d’autres dispositifs, et notamment pour la grande distribution, sont venus complètement effacer les effets du CICE – je pense notamment à l’assimilation des heures de pause aux autres heures et à l’augmentation de 50 % de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM.
À la suite de ces débats, notre assemblée a donc créé une mission d’information sur le CICE, à laquelle j’ai eu l’honneur de participer, aux côtés d’Yves Blein et d’Olivier Carré. Avant de parler plus avant du rapport, je souhaite tout d’abord indiquer, au regard de l’urgence de la situation, qu’il est évidemment compréhensible que s’exprime une impatience, mais qu’on ne peut pas non plus s’attendre à un impact rapide sur l’emploi, dès lors que les entreprises n’ont majoritairement bénéficié de ces aides que depuis quelques mois, et que seuls les carnets de commandes donneront des perspectives d’emploi.
Le processus est simple : il faut d’abord dégager des marges de manoeuvres pour innover, puis investir, se développer, gagner des marchés, remplir les carnets de commandes, et après vient l’emploi. Ce processus met en évidence l’inertie du dispositif, ce qui éclaire par ailleurs le sens de la loi Macron ou les processus de simplification en cours.
Une des préconisations du rapport consiste à transformer le crédit d’impôt en baisse de cotisations sociales. Sur ce point, je veux uniquement indiquer que dans ce cas, les débats qui ont agité notre assemblée – particulièrement la majorité parlementaire – et la société autour de la question des contreparties deviendraient instantanément caducs, même si la question des aides aux entreprises garderait tout son sens.
Et puisqu’il sera question d’amplifier la baisse des cotisations sociales, j’espère que nous ne passerons pas à côté d’une réflexion plus globale sur le financement de la protection sociale afin d’amorcer la transition d’une fiscalité assise sur le travail, c’est-à-dire sur l’énergie humaine, vers une fiscalité assise sur l’énergie fossile susceptible de doper l’innovation et la compétitivité des entreprises. J’ai déjà évoqué cette question lors d’un débat précédent sur la fiscalité des carburants. La compétitivité hors coût compte au moins autant que la compétitivité coût.
Le débat reste également ouvert sur le niveau de salaire à prendre en compte. Initialement, dans le rapport Gallois, il s’agissait de soutenir l’emploi industriel qualifié et la compétitivité à l’exportation, et donc les moyens et hauts salaires. Mais l’urgence du chômage a conduit à privilégier les bas salaires, pour lesquels l’élasticité et l’efficience des aides sur l’emploi sont a priori les plus fortes et les plus rapides. Dès lors, pour atténuer le moindre effet sur la compétitivité industrielle de ce changement de cap et soutenir plus fortement l’industrie et l’innovation technologique, le pacte de responsabilité prévoit une baisse des cotisations familiales en 2016 sur les salaires compris entre 1,6 et 3,8 SMIC. Tout cela n’est pas très facile à suivre.
Le deuxième point que je souhaite développer concerne la troisième proposition du rapport, visant au renforcement du dialogue social. Les dispositions actuelles prévoient une consultation du comité d’entreprise sur l’utilisation par l’entreprise du crédit d’impôt. Le choix a été fait de faire confiance aux entreprises, et les premières études indiquent que cette aide se partagerait entre la formation, l’investissement, l’emploi et les salaires. Il n’en reste pas moins que le dialogue social est l’une des meilleures garanties pour que le CICE soit utilisé dans l’intérêt de l’entreprise et de l’emploi, conformément à l’intention du législateur. Le dialogue social constitue effectivement un garde-fou contre les utilisations abusives du CICE au profit des dividendes et des rémunérations élevées des dirigeants.
L’enjeu de l’approfondissement du dialogue social est donc essentiel. C’est par ailleurs un élément important de la compétitivité – encore une fois, la compétitivité hors coût –, qui se trouvera renforcée par des salariés plus concernés par le destin de l’entreprise.
Enfin, je reviendrai plus longuement sur le troisième sujet, celui de l’optimisation fiscale, dans ma question. En effet, un tel effort de soutien de la collectivité nationale aux entreprises les oblige. Lorsque 40 milliards de budget public – une vingtaine de milliards en 2015 – sont apportés aux entreprises, elles comprendront, et chacun comprendra aisément que la société attende en retour qu’elles répondent à leurs obligations et honorent l’ensemble de leurs impôts. Sur cette question, nous devons être intraitables.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
Nous en venons maintenant aux questions.
La parole est à Mme Jeanine Dubié, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur les effets indésirables du CICE dans le secteur médico-social, et plus particulièrement sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, du fait du bénéfice du CICE pour les EHPAD à caractère commercial.
Ces effets indésirables ou pervers, comme on les qualifie en économie, entre public et privé, ne sont plus à démontrer dans le secteur. Ils sont inhérents à la non-sélectivité évoquée par le président Schwartzenberg.
Ils ont été repérés dès l’origine dans les débats parlementaires de l’hiver 2012, et des rééquilibrages ont été apportés, notamment pour les EHPAD associatifs à but non lucratif, par l’augmentation de l’abattement de la taxe sur les salaires de 6 000 à 20 000 euros. Cela étant dit, il reste insuffisant pour les plus grandes structures. Mais pour les EHPAD à caractère public, aucune solution n’a été envisagée pour pallier cette distorsion de concurrence, et aucune mesure compensatoire ne semble prévue.
Pourtant, le bénéfice de l’application du CICE pour les EHPAD à caractère commercial est loin d’être négligeable quand on sait que la masse salariale représente près de 70 % des charges d’exploitation. Une compensation ayant été trouvée pour le secteur associatif à but non lucratif, il n’est pas compréhensible que le secteur public ne soit pas concerné, tant une baisse des charges a une incidence directe sur le prix de journée à la charge du résident – et donc sur l’attractivité de l’établissement –, mais aussi en matière d’emploi.
On voit donc ici se dessiner, sur un même bassin de vie, une réelle distorsion de concurrence entre maisons de retraite privées à caractère commercial et celles qui relèvent du public. Cette distorsion dessert le secteur public, ce qui est quand même paradoxal. Pour la Fédération hospitalière de France, ce sont en effet 53 millions d’euros dont vont bénéficier 1 600 EHPAD commerciaux.
Monsieur le secrétaire d’État, il serait opportun que le Gouvernement porte un oeil attentif sur ce sujet, afin d’objectiver clairement cette inégalité de traitement. Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour remédier à ce traitement inégal et permettre aux EHPAD publics de bénéficier d’un allégement de charges équivalent aux 6 % du CICE ?
Le Gouvernement dispose-t-il d’une étude d’impact chiffrée qui lui permettrait – ainsi qu’à la représentation nationale – de formuler des réponses calibrées aux enjeux du terrain pour la préservation de l’attractivité du secteur public en matière d’établissements d’accueil pour personnes âgées dépendantes ? Dans le cas contraire, peut-on l’envisager ?
Applaudissements sur les bancs des groupes RRDP et écologiste.
Merci, madame la députée, pour cette question extrêmement pertinente. Ce n’est d’ailleurs pas la seule question de concurrence – mais je n’aime pas ce mot, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse d’un secteur vraiment concurrentiel, parlons plutôt d’une différence de situation. Vous avez parfaitement raison de souligner cet état de fait, mais il existe aussi dans le domaine sanitaire.
Nous l’avons réglé, ou au moins atténué, par la tarification. Elle n’est pas la même, dans le secteur sanitaire, pour les établissements publics et pour les établissements à caractère privé. Cela a été fait, c’était un engagement du Gouvernement.
Nous n’avons pas réglé complètement la situation pour le secteur médico-social. Faut-il pour autant, en se fondant sur cet exemple qui soulève une vraie question, rejeter l’ensemble du dispositif ? Je ne le crois pas. Il faut chercher des solutions. Nous avons évoqué, lors des débats parlementaires, le fait que la tarification, qui passe souvent par un travail avec les conseils généraux, peut être adaptée à cette différence de situation – pour ne pas utiliser le terme de concurrence dans un secteur qui est plutôt caractérisé par le défaut de l’offre.
En tout cas, les entreprises médico-sociales à caractère associatif, non lucratif, bénéficient depuis le 1er janvier 2015 des allégements de charges prévus dans le pacte, au même titre que les autres. Je pense que ce basculement évoqué pour 2017 permettra de régler la situation, mais c’est un des points qu’il est extrêmement difficile de régler. Celui du secteur de la grande distribution a été parfaitement évoqué par Éric Alauzet tout à l’heure, je n’y reviendrai pas.
Monsieur Gomes, vous avez dit que j’avais évoqué des « effets pervers assurés ». En effet, comme dans tout dispositif, il y a des effets de bord, que j’avais effectivement pointés. Nous les avons parfois résolus, mais nous ne sommes pas tout à fait parvenus à les résoudre dans d’autres situations, c’est la difficulté de la tâche qui nous occupe.
La parole est à M. Patrice Carvalho, pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
On nous assure aujourd’hui que 52 % des entreprises des services et 58 % des entreprises de l’industrie déclarent que le CICE est majoritairement utilisé pour l’investissement. Derrière l’investissement, l’emploi est lui aussi mentionné par une part significative d’entreprises.
Dans les faits, nous observons cependant que certaines entreprises utilisent le CICE de manière assez contestable. C’est le cas par exemple à la SNCF. Le groupe, faisant le choix du préfinancement, a ainsi décidé en 2013 de vendre son montant estimé de CICE au groupe Natixis, en contractant un emprunt de 181 millions d’euros pour un coût de 9,8 millions d’euros sur la durée totale de l’emprunt.
Nous pouvons nous interroger sur la conformité aux objectifs du CICE de cette opération de titrisation et l’opportunité du recours en l’espèce au préfinancement, conçu à l’origine comme un mécanisme de soutien aux PME-PMI confrontées à des tensions de trésorerie ou à des menaces de défaut de paiement.
Estimant que tout ou partie du crédit d’impôt n’avait pas été utilisé conformément à l’article 244 quater C du code des impôts, le comité d’entreprise a demandé à l’employeur, comme l’y autorise la loi, de lui fournir des explications. La direction financière du groupe a alors indiqué que le CICE avait joué un rôle d’amortisseur des effets de la récession de 2013, dans un contexte de croissance faible. Elle n’a fourni au comité central d’entreprise aucun élément d’évaluation permettant d’identifier les efforts en termes d’investissement et d’emploi. L’investissement a même reculé de près de 250 millions d’euros par rapport aux prévisions initiales, en 2013, à l’image des effectifs, qui ont même davantage reculé en 2013 que ce qui était initialement prévu.
Si nous prenons l’exemple de la SNCF, ce n’est pas pour charger spécifiquement cette entreprise, mais pour soulever un double problème : celui de l’encadrement de l’utilisation du CICE et celui de l’information des comités d’entreprise, dès lors que l’entreprise ne détaille pas l’utilisation du CICE.
Nous avons là deux difficultés majeures sur lesquelles nous souhaiterions connaître les intentions du Gouvernement.
Monsieur le député, vous évoquez un cas particulier. Vous comprendrez d’ailleurs que les questions de secret fiscal ne permettent pas de donner ici trop de détails chiffrés sur les volumes et les montants. Vous en avez évoqué vous-même, sous votre responsabilité.
Vous posez deux questions. La première est celle du préfinancement et de son coût. Vous assimilez cela à de la titrisation, je crois que c’est aller un peu loin.
Un préfinancement, qu’il soit fait par la BPI ou par une banque à caractère privé, a un coût. Vous évoquez 9,8 millions d’euros sur 181 millions d’euros de CICE, un rapide calcul révèle que cela représente 4,5 % de la somme. Si le prêt est sur trois ans, cela ne me semble pas un coût prohibitif compte tenu du coût de l’argent aujourd’hui. Cela veut dire très concrètement qu’au lieu de toucher 181 millions d’euros – ce sont vos propos, je ne valide pas ce chiffre –, la SNCF en toucherait 171 millions, ce qui est à vrai dire assez peu différent, mais elle les toucherait tout de suite.
Vous évoquez ensuite la question de l’utilisation. L’argent est fongible, dans une entreprise. Dès lors, il est toujours difficile et sujet à caution de flécher une utilisation. Je vous rappelle néanmoins que la loi de finances rectificative a introduit une obligation d’annexer aux comptes annuels un document faisant état de la nature de l’utilisation du CICE par l’entreprise. Je dois dire que compte tenu de la fongibilité des entrées et des sorties de recettes et de dépenses d’une entreprise, il faudra regarder de très près pour voir comment ce document ou ces déclarations de l’entreprise pourront permettre de valider ces déclarations. Voilà ce que je peux dire en l’état.
Nous aurons l’occasion de revenir sur les autres questions.
La parole est à M. Jean Grellier, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le secrétaire d’État, objectivement, les entreprises que nous rencontrons aujourd’hui reconnaissent le bien-fondé du CICE, mesure qui contribue à l’amélioration de leur compétitivité.
Cependant, un certain nombre d’entreprises viennent de découvrir des conséquences collatérales négatives dans l’application de certains dispositifs. Il s’agit de ceux qui concernent les procédures de révision de prix dans l’application de contrats publics et privés, et qui sont affectés par la prise en compte du CICE par l’INSEE comme une sorte de subvention intégrée dans l’indice du coût horaire du travail révisé.
Celui-ci est généralement utilisé à des fins d’indexation de contrat et porte sur l’ensemble des secteurs marchands non agricoles. Il suit en outre l’évolution de l’ensemble des rémunérations, des cotisations sociales et des taxes nettes de subvention.
Dans ce cas, les entreprises concernées ne bénéficient plus du CICE en totalité, puisque cela se traduit par une baisse du prix des contrats en cours, au bénéfice des donneurs d’ordre ou des cocontractants.
Par ailleurs, plus les entreprises emploient ou créent de l’emploi et plus elles sont affectées par ce phénomène.
Monsieur le secrétaire d’État, avez-vous la possibilité d’intervenir, de manière réglementaire ou par tout autre moyen, pour que le CICE ne soit plus intégré par l’INSEE dans l’indice du coût horaire du travail révisé, de façon à ne plus être pris en compte dans les modalités d’indexation des prix, sachant que pour certaines entreprises, et selon de premières évaluations, les effets pourraient aller jusqu’à plus de 50 % du montant du CICE, sommes qui ne sont plus affectées à l’investissement et à l’emploi ?
Comme d’habitude, monsieur le député, vous soulevez une vraie question, une question intéressante et complexe. Selon que l’on se place d’un côté ou de l’autre, l’effet peut paraître très différent et l’entreprise peut être perçue comme perdante ou gagnante. S’il s’agit d’une entreprise qui fournit des prestations à une autre entreprise ou à une collectivité, le fait de réaliser une moins forte révision de prix issue des contrats, du fait de l’intégration du CICE, permet à celui qui achète d’être bénéficiaire ; le prestataire de services réalise quant à lui un moindre gain. Tout est dans tout, et réciproquement : selon que l’on se place du côté du fournisseur ou de celui de l’acheteur qui peut être, lui-même, fournisseur de quelqu’un d’autre, on peut conclure à un effet pervers ou, à tout le moins, un effet sur lequel on peut se poser des questions.
Je ne pense pas que l’INSEE ait l’intention de revenir sur cette notion, car elle traduit une réalité. S’agissant de la baisse du coût du travail, d’une certaine façon, le CICE doit être intégré comme un élément modérant l’augmentation du coût du travail et donc les révisions de prix issues de contrats pluriannuels.
Ceci dit, cela concerne les contrats en cours. Je pense que les contrats futurs prendront en compte ces situations et qu’il n’y aura plus d’évolution, de rupture au regard de la question que vous soulevez. Cette dernière pourrait être réglée en cas de basculement vers une réduction de charges, qui rendrait les choses plus automatiques.
La parole est à M. Philippe Gomes, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Ma question porte sur la transformation du CICE. J’ai indiqué tout à l’heure que le groupe UDI était favorable à ce que ce dispositif ne soit pas maintenu, pour des raisons que j’ai eu l’occasion d’exposer, et qu’un nouveau dispositif plus simple, plus efficace et plus puissant soit susceptible d’être mis en oeuvre.
Le Président de la République a affirmé, d’abord dans le cadre du pacte de responsabilité, puis lors de son intervention télévisée du 6 novembre dernier – je le cite : « Nous allons faire le CICE pendant trois ans ; ça va monter en régime, et après, en 2017, tout ce qui a été mis sur l’allégement du coût du travail, ça sera transféré en baisse de cotisations sociales pérennes ». Comme cela a déjà été indiqué, cette piste a d’ailleurs été reprise par le rapporteur de la mission d’information. Nous soutenons cette démarche. Nous considérons qu’effectivement, le transfert du mécanisme actuel vers une baisse directe des cotisations sociales semble efficace et plus pertinent.
Toutefois, nous nous interrogeons sur la possibilité d’accélérer ce calendrier. Nous avons bien noté les indications du ministre, notamment sur le dispositif transitoire qu’il fallait imaginer, étant donné son impact éventuel sur les finances publiques, mais une accélération de ce calendrier est-elle envisageable de façon à ce que, dès 2015, ou même dès 2016, la France puisse, au travers de ses entreprises, bénéficier d’un véritable choc de compétitivité ?
Monsieur le député, je vous le dis tout net : non, je ne pense pas que le Gouvernement accélère le calendrier qui a été annoncé par le Président de la République. Vous avez parlé tout à l’heure d’« usine à gaz », vous avez dit que c’était une faute d’avoir transformé ce que votre majorité avait imaginé et d’en avoir fait le CICE. Je veux vous rappeler deux choses. Premièrement, procéder à un allégement de charges, cela coûte tout de suite ; or, dans l’état où nous avons trouvé les finances publiques, nous étions dans l’incapacité de le faire – oui : dans l’incapacité de le faire – à hauteur des sommes en jeu. Deuxièmement, vous avez dit que c’était la même chose, que votre TVA sociale revenait au même ; je vous rappelle quand même que le CICE n’est financé que pour seulement un tiers par la majoration de taux de TVA qui a été faite, alors que l’allégement de charges que vous avez imaginé et mis en place d’une façon d’ailleurs assez perverse – vous l’avez voté mais ne l’avez pas mis en place tout de suite, reportant son application après les élections – était financé à 100 % par l’augmentation de TVA.
Voilà des différences fondamentales. Monsieur Carré, je suis affirmatif : votre dispositif était financé par l’augmentation de la TVA. En volume, notre mécanisme est sans commune mesure avec le vôtre : alors que, de mémoire, votre dispositif se traduisait par une augmentation de TVA de 13,5 milliards, nous en sommes restés à environ un tiers de ce montant. Il y a donc là des différences fondamentales.
Le basculement évoqué est prévu en fonction d’un calendrier qu’a indiqué le Président de la République et posera des difficultés du point de vue de sa mise en oeuvre, comme M. Carré l’a reconnu tout à l’heure à cette tribune, compte tenu du tuilage budgétaire – le mot est faible – qui sera nécessaire.
Monsieur le secrétaire d’État, en mettant en place le CICE, nous avons inscrit dans la loi le fait que le crédit d’impôt ne peut ni financer les hausses des bénéfices distribués, ni servir à augmenter les rémunérations des dirigeants de l’entreprise. De telles restrictions apparaissent évidentes afin de s’assurer que le crédit d’impôt est effectivement consacré à financer le développement des entreprises, par exemple par la formation et l’investissement, pour améliorer la compétitivité, conquérir des marchés et créer de l’emploi.
Néanmoins, à ce jour, il n’est pas inscrit dans la loi que le versement du CICE ou de toute aide aux entreprises est incompatible avec des pratiques d’optimisation fiscale agressive, alors même que ces pertes fiscales sont en cause dans la baisse des recettes de l’État, qui sont pourtant nécessaires au soutien même des entreprises.
Alors que l’État et les citoyens français consentent un effort sans précédent au bénéfice des entreprises, il serait incompréhensible que ces dernières ne s’acquittent pas de la totalité de leur impôt ou, plus précisément, qu’elles réduisent cet impôt comme peau de chagrin. De telles pratiques ne pourraient conduire, in fine, qu’à la remise en cause de cette politique de soutien aux entreprises.
Je souhaite donc savoir, monsieur le secrétaire d’État, l’avis du Gouvernement quant au fait d’intégrer dans la loi l’interdiction, s’agissant des entreprises recevant le CICE, du recours à l’optimisation fiscale agressive, au même titre que la hausse des dividendes et l’augmentation des rémunérations des dirigeants.
Merci de votre question, monsieur Alauzet. C’est un débat que nous avons souvent et qui, comme la plupart des débats, est légitime.
En premier lieu, nous nous chamaillons parfois, de façon tout à fait républicaine et normale, sur la définition de « l’optimisation fiscale agressive ». Je sais que l’OCDE a formaté un certain nombre de choses à ce sujet. Le Conseil constitutionnel n’est pas toujours du même avis. Vous avez pu constater qu’un certain nombre de nos tentatives pour calibrer ces notions sont souvent restées vaines.
En deuxième lieu, je ne crois pas qu’il faille mélanger les problèmes. Concernant l’optimisation fiscale agressive – on pourrait même enlever le mot « agressive » –, un travail est en cours entre différents pays de l’Union européenne. Il existe déjà des outils fiscaux ; je vous rappelle que l’article 209 B du code général des impôts permet de taxer les revenus d’une entreprise établie en France perçus par les filiales situées dans un paradis fiscal, ou l’inverse. Mélanger les deux questions – indépendamment des problèmes techniques, législatifs, voire constitutionnels ou de droit communautaire que cela peut poser – ne serait pas une bonne solution. Nous continuons notre travail, nous avons progressé, comme vous le dites vous-même. Certes, comme on l’a vu dans un débat précédent, des nuances peuvent exister entre nous quant à l’évaluation de notre rythme de progression, mais il ne faut pas, j’y insiste, mélanger ces deux notions.
Il y a des choses qui sont légales et d’autres qui sont illégales. Il y a également l’abus de droit, qui a donné lieu à des définitions jurisprudentielles. Je ne vois pas pourquoi la mise en oeuvre de procédés légaux empêcherait la perception d’un crédit d’impôt qui est égalitaire pour toutes les entreprises qui peuvent en bénéficier.
Prochaine séance, mardi 20 janvier 2015, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi portant adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique ;
Discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi autorisant l’approbation de la convention fiscale France-Andorre.
La séance est levée.
La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.
La Directrice du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Catherine Joly