Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 15 janvier 2015 à 15h00
Débat sur le rapport de la mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est en effet à la demande de notre groupe qu’un débat sur le crédit d’impôt compétitivité-emploi a été inscrit à l’ordre du jour.

Il nous paraît en effet indispensable de faire toute la lumière sur ce dispositif fiscal. Certes, il est normal d’aider les entreprises en période de crise, mais jamais un dispositif d’un tel coût – 41 milliards d’euros en trois ans – n’avait été créé dans de telles conditions d’impréparation, d’improvisation.

En disant cela, je ne mets nullement en cause Christian Eckert, qui n’était pas à l’époque dans le secteur des finances, en tout cas pas au niveau gouvernemental. Ces propos ne le visent absolument pas.

Chacun s’en souvient : le Gouvernement d’alors a déposé in extremis un amendement au dernier projet de loi de finances rectificative de 2012. Puisqu’il s’agissait d’un simple amendement, cette disposition n’a donné lieu ni à un avis du Conseil d’État, ni à une étude d’impact qui auraient pu utilement nous éclairer. L’objectif était d’aller vite, à tout prix et quoi qu’il en coûte.

Résultat, ce dispositif, élaboré à la hâte, présente à mon sens trois lacunes majeures : l’absence de sélectivité, l’inapplication fréquente des contreparties et le manque de contrôle.

D’abord, l’absence de sélectivité. Ce soutien s’adresse indifféremment, indistinctement, à toutes les entreprises, qu’elles soient délocalisables ou non, exportatrices ou non, bénéficiaires – même très largement – ou non.

Ainsi, pour 2014, le secteur bancaire recevra 450 millions d’euros et la grande distribution, 400 millions.

Pour éviter cet effet d’aubaine, il faudrait cibler les secteurs à qui le CICE est vraiment nécessaire. On assure parfois qu’une certaine sélectivité dans son attribution serait contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Or, pour celui-ci, le principe d’égalité devant l’impôt n’empêche pas la loi d’établir une différence de traitement quand il y a différence de situation.

Parfois, et même souvent, on évoque aussi le droit communautaire et l’article 87 du traité instituant la Communauté européenne, dans sa version consolidée issue du sommet de Nice, qui paraît prohiber les aides publiques susceptibles de « fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou productions ».

Pourtant, une expertise juridique plus précise s’impose, car l’article 107 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui a remplacé l’ex-article 87, juge « compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ».

Deuxième défaut majeur du CICE : l’inapplication fréquente des contreparties. En effet, le CICE a été conçu comme comportant des engagements réciproques de l’État et des entreprises et devant s’accompagner de contreparties pour celles-ci. Les entreprises doivent consacrer les ressources dont elles bénéficient par ce dispositif à des objectifs définis par l’article 244 quater C du code général des impôts, qui concernent surtout l’emploi et l’investissement.

Le chef de l’État a insisté sur cette notion de contrepartie dans sa conférence de presse du 14 janvier 2014, il y a un an presque jour pour jour : « Ces contreparties doivent être définies au plan national et déclinées par branches professionnelles. Elles porteront sur des objectifs chiffrés d’embauche, d’insertion des jeunes, de travail des seniors. […] Un Observatoire des contreparties sera mis en place. »

De même, le 21 janvier 2014, François Hollande disait que ces contreparties devaient être « claires, précises, mesurables, vérifiables ».

Mais en fait, aujourd’hui, seulement sept ou huit des cinquante principales branches ont conclu les négociations entre partenaires sociaux, pourtant décidées dès le 5 mars 2014.

Cet immobilisme n’est pas acceptable. Quand il s’agit de combattre le chômage, la démarche de certaines entreprises ne peut rester celle-là : tarder, traîner, temporiser.

Dernier défaut majeur de ce dispositif : l’absence d’un véritable contrôle sur l’utilisation de ce crédit d’impôt par les entreprises.

C’est vrai d’abord au plan national. En juillet 2013, on a installé un comité de suivi, qui est « chargé de veiller au suivi de la mise en oeuvre et à l’évaluation du CICE ». Ce comité de suivi est essentiellement composé, pour moitié, de représentants des partenaires sociaux et, pour moitié, de représentants des administrations concernées.

Avant le dépôt au Parlement du projet de loi de finances de l’année, ce comité de suivi doit établir « un rapport public exposant l’état des évaluations réalisées ».

Le deuxième rapport de ce comité, présenté le 30 septembre 2014, semble plutôt d’ordre théorique ou méthodologique. Il apparaît assez pauvre en informations précises – à la différence du rapport réalisé par la mission d’information de notre assemblée animée par nos collègues Blein et Carré, rapport déposé le 2 octobre 2014, qui apporte, lui, beaucoup d’éléments d’information.

La loi de finances rectificative du 29 décembre 2012 dispose, à l’article 66 : « Un comité de suivi régional, composé sur le modèle du comité national, est chargé de veiller au suivi de la mise en oeuvre et à l’évaluation du CICE dans chacune des régions. »

Fin 2014, deux ans après, ces comités de suivi régionaux n’avaient toujours pas été mis en place. Cette extrême lenteur est d’autant plus gênante que la saisine du comité régional de suivi est la seule véritable procédure d’alerte dont dispose le comité d’entreprise.

L’employeur, en effet, doit informer et consulter le comité d’entreprise sur l’utilisation du CICE. Selon la loi du 14 juin 2013, si le comité d’entreprise estime que ce crédit d’impôt n’a pas été utilisé conformément à la loi et qu’il n’a pu obtenir d’explications suffisantes de l’employeur, il établit un rapport. Ce rapport est transmis au comité de suivi régional.

Fin 2014, les comités de suivi régionaux n’ayant toujours pas été installés, ce droit d’alerte reconnu par la loi aux comités d’entreprise ne peut donc pas être effectivement exercé.

Récemment, le comité de suivi national a vu son champ étendu aux autres dispositifs de soutien public aux entreprises. Installé par le Premier ministre le 4 novembre 2014, il s’intitule désormais « Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et des engagements ».

Toujours présidé par M. Pisani-Ferry, commissaire général de France Stratégie, ce comité compte onze représentants des partenaires sociaux, onze représentants d’administrations et organismes publics, deux experts et quatre parlementaires. Quatre parlementaires, c’est-à-dire seulement un septième de l’effectif de ce comité, alors que le Parlement a vocation naturelle à décider et à suivre l’usage de l’argent public, c’est-à-dire de l’argent des contribuables.

Le CICE représente à lui seul un tel coût – 41 milliards en trois ans – qu’il vaudrait mieux lui consacrer un organe de contrôle particulier, spécifique, qui ne traite pas de tout à la fois.

L’ « Observatoire des contreparties » annoncé par le chef de l’État il y a un an lors de sa conférence de presse du 14 janvier 2014 serait la structure la plus efficace pour assurer la transparence.

Notre groupe a fait adopter et inscrire dans la loi de finances rectificative du 8 août 2014 un article 29 ainsi rédigé : « Le Gouvernement remet au Parlement, avant le 1er mars 2015, un rapport sur la création d’un Observatoire des contreparties dont le rôle sera de suivre l’utilisation par les entreprises des allégements de charges. »

Par ailleurs, lors du vote du budget 2015, notre groupe a fait aussi adopter un amendement complétant cet article et ainsi conçu : « Le Parlement est associé à l’Observatoire des contreparties. »

En définitive – et je terminerai par cela –, pour rendre le CICE plus équitable et plus efficace, trois mesures paraissent nécessaires.

En premier lieu, accélérer les négociations entre partenaires sociaux sur leurs obligations réciproques, négociations qui ont été décidées dès mars 2014, il y a dix mois. Pourtant, aujourd’hui – on l’a rappelé –, sept seulement des cinquante principales branches ont conclu ces négociations. Il conviendrait de fixer une date butoir en décidant que les branches qui n’auraient pas conclu ces accords avant, par exemple, le 30 avril prochain, ne pourraient bénéficier de ce crédit d’impôt.

En second lieu, il faut doter l’Observatoire des contreparties de compétences accrues par rapport à celles du comité de suivi national, même rebaptisé. En cas d’utilisation du CICE non conforme aux objectifs fixés par la loi, le comité d’entreprise pourra, on le sait, saisir le comité de suivi régional, du moins lorsque cette instance existera effectivement.

La règle suivante pourrait être adoptée : s’il partage la même position, ce comité de suivi devra pouvoir saisir l’Observatoire des contreparties. Après instruction approfondie, cet Observatoire rendra une décision définitive validant ou censurant l’utilisation faite par l’entreprise du crédit d’impôt.

Enfin, troisième et dernière mesure : en cas d’usage estimé irrégulier du CICE, l’Observatoire devra pouvoir transmettre le dossier à l’administration fiscale en vue de la restitution des avantages utilisés indûment par l’entreprise.

Cette fois, monsieur le président, je m’apprête vraiment à terminer – veuillez me pardonner car j’ai peut-être été un peu long.

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