Je vous remercie toutes et tous d'être présents ce dimanche matin, après une semaine intense et très intéressante. La discussion qui a eu lieu lors de la séance précédente a soulevé nombre de questions intéressantes qui, par le débat qu'elles suscitent, vont permettre d'éclairer ce projet de loi et nous montrer de quelle manière nous pourrions l'améliorer.
Je commencerai par souligner que le fait pour notre majorité de défendre ce texte est cohérent, et n'est en rien contradictoire avec les réactions qu'elle a pu montrer face à la loi Mallié de 2009. Cette loi a eu trois effets essentiels : repousser de douze heures à treize heures la fermeture des commerces alimentaires le dimanche, élargir la définition des commerces éligibles aux zones touristiques, instaurer les périmètres d'usage de consommation exceptionnel – PUCE –, ce qui revenait pour l'essentiel à régulariser des situations de fait, illégales, dans des zones commerciales. Ce faisant, la loi Mallié a amélioré la situation des grandes surfaces au détriment des commerces de centre-ville, puisque son principal apport a résidé dans l'ouverture dominicale au sein des quarante et une PUCE ; mais ce faisant, elle a déstabilisé les écosystèmes des centres-villes. Elle n'a en revanche rien réglé des inégalités géographiques et sectorielles ni de la problématique de compensation : elle a donc laissé perdurer des situations d'injustice entre les différentes zones.
Aujourd'hui, quand on dit que 30 % des Français travaillent le dimanche, il est bien évident que le commerce de détail n'est pas le seul secteur concerné. Dans le commerce de détail, plusieurs dispositions prévoient le travail dominical : les « dimanches du maire », cinq dimanches possibles, sans volontariat mais payés double ; l'ouverture dans les zones touristiques, sans volontariat ni compensation – il y en a plus de 600 ; l'ouverture dans les PUCE, selon un principe de volontariat et avec des heures payées double en l'absence d'accord – les accords, quand ils existent, pouvant prévoir d'autres formes de compensation ; l'ouverture dérogatoire de droit pour les commerces alimentaires jusqu'à treize heures, sans compensation prévue par la loi ; enfin, l'ouverture en vertu de dérogations sectorielles, dont la liste est loin d'être négligeable. Face à une situation très complexe, pour ne pas dire illisible, et injuste, la réforme de 2009 a essentiellement consisté à régulariser, au prix de certaines fragilités juridiques, de grandes zones commerciales. S'opposer à la loi Mallié, c'était s'opposer à un modèle basé sur le consumérisme dans les hypermarchés et les grandes zones commerciales, préservant des formes d'inégalité en termes de compensation réelle et fragilisant les centres-villes.
Pourquoi rouvrir le dossier aujourd'hui ? Parce que plusieurs choses ont changé depuis 2009, à commencer par le commerce en ligne, qui a pris un essor considérable – il enregistre chaque année une croissance à deux chiffres. Le Printemps, qui a créé son site de commerce en ligne, réalise 20 % à 25 % de son chiffre d'affaires le dimanche ; Amazon réalise également environ 20 % de son chiffre d'affaires le dimanche. On peut toujours affirmer que l'on ne veut pas d'une société où l'on consomme le dimanche, mais il faut savoir regarder la réalité : les Français consomment déjà le dimanche. Dès lors, la vraie question est de savoir si l'on préfère que cela se fasse dans de vrais commerces, ou sur des sites internet qui créent beaucoup moins d'emplois et de richesse en France, et présentent une base taxable très différente. Quant au développement des drive, qui s'est largement accéléré ces dernières années, il est une autre preuve de la mutation des modes de consommation. Les chiffres montrent d'ailleurs que, lorsque ces fenêtres d'ouverture supplémentaires que sont les soirées ou les dimanches sont perdues, cela n'entraîne pratiquement pas de report de la consommation : ainsi, quand l'enseigne Monoprix a ramené sa fermeture de vingt-deux heures à vingt et une heures, 85 % du chiffre d'affaires réalisé durant cette heure s'est perdu. Le report sur les autres plages horaires n'a été que de 15 %.
Parallèlement, les différences sectorielles sont devenues intenables. Les enseignes de bricolage n'ont eu de cesse d'alimenter la chronique à coup d'épisodes parfois croquignolesques ; c'est du reste à l'issue d'une énième chronique de ce genre que le gouvernement précédent, appuyé par l'actuelle majorité, avait demandé à M. Jean-Paul Bailly un rapport destiné à clarifier la situation. Les injustices croissantes et de plus en plus visibles en matière de compensation justifiaient également une action de notre part. Enfin, le consensus social français, évoqué hier par Mme Berger, a évolué. En 2008, 52 % des Français étaient favorables au travail dominical ; fin 2014, un sondage réalisé à la demande de la ville de Paris a montré que 75 % des Français étaient favorables à l'ouverture des commerces le dimanche et que 57 % n'étaient pas opposés à l'idée de travailler eux-mêmes le dimanche ; fin 2013, selon un sondage IFOP, 69 % des Français adhéraient à l'idée d'une ouverture des commerces le dimanche. Les Français ont donc un nouveau rapport au travail du dimanche, qu'ils perçoivent déjà comme une réalité. Ils exigent cependant qu'il soit encadré dans des conditions justes et ayant du sens.
Le nouveau modèle de consommation et le fonctionnement de nos villes le requièrent également, et nous devons collectivement en prendre conscience. Pour l'heure, entre les cinq dimanches du maire et les cinquante-deux dimanches des PUCE ou de la zone touristique, il n'y a pas d'alternative : c'est tout de suite le grand bain. À l'évidence, ce système avantage les grands centres commerciaux implantés dans les PUCE, et désavantage les centres-villes. Plusieurs dizaines de villes, dont dix-huit grandes agglomérations – Orléans, Vichy, Reims, Troyes, Dieppe, Le Havre, Rouen, Limoges, Nancy, Toulouse, Lille, Amiens, Beauvais, Marseille, Antibes, Cannes, Lyon et Annecy –, qui avaient adopté le système des cinq dimanches, ont déjà demandé des zonages. Les villes de Bordeaux et Avignon ont obtenu d'être considérées comme des zones touristiques en totalité, parce que les cinq dimanches ne leur suffisaient plus. Mais du coup, elles sont immédiatement passées à cinquante-deux dimanches.
M. Hetzel soulignait hier qu'ouvrir tous les dimanches n'avait aucun sens dans les communes proches de l'Allemagne, où les commerces sont fermés à ce moment-là ; M. Vercamer estimait à l'inverse qu'ouvrir cinquante-deux dimanches pour les communes voisines de la Belgique est pratiquement une nécessité ; pour M. Savary également, cela aurait beaucoup de sens dans les zones voisines de l'Espagne. Nous avons en fait besoin de plus d'intelligence au niveau des territoires, afin de sortir de ce dualisme « cinq – cinquante-deux ».
M. Poisson a indiqué hier que certaines grandes enseignes s'étaient déclarées sceptiques sur l'utilisation de ces cinquante-deux dimanches, dont elles n'ont pas forcément besoin. Les grandes enseignes de bricolage elles-mêmes considèrent que cela leur coûte trop cher d'ouvrir cinquante-deux dimanches par an, car tous les dimanches ne sont pas rentables ; une dizaine suffiraient. À Bordeaux, où certains enseignes ouvrent tous les dimanches de l'année, la ville estime qu'un dimanche par mois constituerait une bonne régulation : instituer un dimanche sans voitures par mois en ouvrant les commerces de centre-ville, c'est la rentabilité garantie. Offrir aux élus locaux la possibilité d'ouvrir, en fonction du lieu où ils vivent, jusqu'à douze dimanches par an, c'est leur rendre une liberté, celle de trouver leur propre modèle, le plus adapté à leur écosystème, sans basculer dans l'ouverture à tous crins.
Les grandes surfaces sectorielles, celles qui se sont retrouvées dans les PUCE, ont intérêt à travailler le dimanche. Mais pour nombre d'hypermarchés, ouvrir tous les dimanches de l'année n'est pas rentable, car cela les oblige à compenser. Passer à douze dimanches par an n'entrainera donc pas un détricotage du commerce de centre-ville : la plupart du temps, les hypermarchés et les surfaces moyennes de périphérie n'ouvriront pas, dissuadés par les compensations massives qui leur seraient demandées en contrepartie.
Face à ces évolutions, la réforme propose de rendre aux élus la liberté de s'adapter aux spécificités de leurs territoires. Dans ce contexte, le système incitatif de cinq dimanches par an peut sembler paradoxal – pour certains territoires, je pense même que c'est déjà trop – et le chiffre de douze dimanches n'a pas été choisi au hasard : il résulte de la concertation approfondie menée par M. Bailly. On ne saurait le soupçonner d'être un crypto-libéral à la solde de la grande distribution : c'est un ancien haut fonctionnaire et grand dirigeant d'entreprise qui a été à la tête de La Poste et de la RATP, et il n'a fait que prendre note du consensus qui se dégageait sur ce chiffre de douze dimanches par an. Ce n'est donc pas un hasard si l'on voit ce chiffre réapparaître spontanément dans des villes telles que Bordeaux ou dans le secteur du bricolage, qui déclare y voir ce qui correspond à ses besoins réels.
Sans doute faut-il mieux définir le rôle de l'intercommunalité et des métropoles, trouver les bonnes régulations. Pour l'heure, tout se passe comme si l'on avait peur de donner cette liberté aux élus : et, de fait, ces douze dimanches par an, c'est bel et bien de la liberté donnée aux élus. Certes, il faudra peut-être chercher à corriger les comportements non coopératifs ou déstabilisants, mais ce ne peut être que le fruit d'un consensus. Pour ce qui est des règles de compensation, donc de justice, très justement pointées par Mme Fraysse, j'ai dressé tout à l'heure le tableau clinique des inégalités existant de fait selon les zones et les situations. Avec notre réforme, que va-t-il se passer ? Les dimanches du maire seront par définition payés double, tandis que tous les autres dimanches – que ce soit en zone touristique, en zone commerciale ou en ZTI – feront l'objet d'un accord ; à défaut d'accord définissant la compensation, il n'y aura pas d'ouverture.
Nous avons beaucoup travaillé sur cette question. Pour ma part, je suis assez hostile à l'idée de définir un niveau de compensation dans la loi car ce système, qui découle des dispositions actuellement en vigueur, est très paradoxal. Si l'on sait qu'en l'absence d'accord, les heures travaillées le dimanche seront payées double, quelle incitation y a-t-il à trouver un accord ? Si vous imposez par la loi de les payer double, qui allez-vous tuer ? Les petits commerces de centre-ville, incapables de compenser à plus de 30 %. Les secteurs ouvrant traditionnellement le dimanche – la boulangerie, la boucherie – s'alignent d'ailleurs tous peu ou prou sur ces 30 %. Il faut donc laisser les accords – de branche, d'entreprise ou de territoire – définir les règles de compensation. Et si l'on ne trouve pas d'accord, il n'y a pas d'ouverture. Dans les 600 zones touristiques, qui ne sont pour l'instant couvertes par aucune règle de compensation, on laisse trois ans de délai pour conclure ces accords. Comme l'ont dit M. Hetzel et M. Vercamer, il faut éviter l'effet couperet de délais trop courts, six mois ou un an, qui obligeraient certains commerces à fermer faute d'avoir trouvé un accord. Grâce au nouveau système, plus simple et plus juste, on va dans de nombreuses zones sortir d'une situation où il n'y avait jusque-là aucune compensation. Et la compensation va donner du pouvoir d'achat.
Les zones touristiques internationales – ZTI – constituent un dispositif spécifique, assumé et très circonscrit. La réforme proposée par notre texte n'est en rien comparable, madame Mazetier, à celle que le Conseil constitutionnel avait censurée en 2009 au motif qu'il n'était pas acceptable de traiter différemment certaines collectivités dans le cadre d'un régime commun : en l'occurrence, nous créons un régime à part. Sans doute est-il possible d'ajouter d'autres critères, mais en l'état actuel des choses, le dispositif répond à notre principale préoccupation : favoriser l'activité. Dans certains quartiers – essentiellement à Paris et sur la Riviera –, ainsi que dans une quinzaine de gares françaises à gros trafic, ouvrir le dimanche crée, on le sait, de l'activité, engendrée par le passage de touristes et d'hommes d'affaires français et étrangers. Ne pas ouvrir le soir et le dimanche dans ces zones très spécifiques se traduit forcément par une perte d'activité, dans la mesure où il n'y a aucun report possible.
Je me méfie un peu des chiffres ; au demeurant, une étude d'impact sur le travail du dimanche de droit commun n'aurait aucun sens, puisque notre préoccupation première est de donner dans ce domaine une plus grande liberté aux élus. On peut toutefois relever qu'en ce qui concerne les ZTI, l'ouverture d'une quinzaine de gares le dimanche en France créerait environ 2 000 emplois directs et indirects, et l'ouverture des quatre grands magasins parisiens – le Printemps, les Galeries Lafayette, le BHV et le Bon Marché – autant, ce qui correspond à une augmentation de 5 % du chiffre d'affaires. Et l'on sait que, ce faisant, on crée de l'emploi, on crée de l'activité.
Le travail en soirée dans les ZTI soulève un problème très spécifique. Nous proposons de repousser la fermeture des magasins situés dans ces zones de vingt et une heures à minuit. La question qui se pose est celle des gens qui, dans ces zones, vont travailler le dimanche et en soirée. Actuellement, il s'agit en majorité de femmes et de jeunes à qui l'on proposera des contrats courts. Je sais qu'on a du mal à accepter l'idée que des étudiants prennent un job d'appoint, mais le fait est que les étudiants travaillent, parfois même durant leurs heures de cours ou tous les soirs, au risque de compromettre leurs études. Or, de ce point de vue, travailler le dimanche en bénéficiant de compensations est beaucoup moins nocif en termes de réussite scolaire.
Il est prévu que le travail effectué dans les ZTI entre 21h00 et minuit soit payé double, qu'il fasse l'objet d'un accord obligatoire – pouvant donner lieu à rétractation –, que les transports effectués en toute sécurité soient pris en charge par l'employeur – sujet important, plusieurs amendements de M. Travers viendront en préciser les détails. Le volontariat fait d'ores et déjà l'objet d'un formalisme prévu par la loi : il nécessite un document écrit et signé, reconfirmé tous les ans. Un dispositif spécifique aux femmes enceintes sera prévu par amendement, afin qu'elles puissent bénéficier d'une protection similaire à celle qui les couvre pour le travail de nuit. Transport et garde d'enfant doivent également faire partie des accords collectifs qui protégeront les femmes appelées à travailler en soirée. Quand Sephora ouvrait le soir sur les Champs-Élysées, les accords collectifs prévoyaient des compensations sous la forme d'heures payées double et de repos supplémentaires, ainsi qu'un retour en taxi payé par l'employeur : c'est un exemple de ce que pourront prévoir les accords collectifs à venir.
Défendre cette réforme n'a rien à voir avec le fait de défendre la loi Mallié en 2009, car notre texte constitue une réforme de justice sociale, qui ne traite pas uniquement des grandes zones commerciales, mais rend aux élus locaux la capacité d'adapter leur territoire à la réalité de la société. Il s'agit aussi de répondre aux évolutions de la société, dont nous devons tirer les conclusions – en disant cela, je pense à la « chronique d'un dimanche normal » que nous a détaillée hier Mme Capdevielle de manière très pittoresque. Permettre davantage de respiration, de liberté locale, garantir davantage de compensations et de justice, s'adapter à la réalité : tels sont les objectifs que nous poursuivons.
Cela ne nous exonère pas d'un vrai débat sociétal – ouvert hier par M. Poisson dans l'une de ses interventions – qui, dépassant largement le cadre du travail dominical, concerne toute l'organisation du travail dans notre pays, et qu'il serait tout à notre honneur de conduire de manière transpartisane : comment resynchroniser les temps au sein de la famille ? Comment conçoit-on et vit-on le travail dans ce pays ? Autant de questions qu'il faudra se poser. On travaillera plus longtemps, on arrive plus tard sur le marché du travail, on travaille différemment. De fait, la vraie question n'est plus celle du travail le dimanche ; c'est celle de la désynchronisation des temps au sein de la famille. D'ores et déjà, avec les 30 % de Français qui travaillent de manière occasionnelle ou régulière le dimanche, la synchronisation de la vie familiale soulève des questions. Pour dire les choses de manière triviale, mieux vaut être à deux à travailler dans un commerce de détail le dimanche, être payé double et bénéficier du même jour de repos compensateur dans la semaine, que ne jamais se voir parce que l'homme travaille le dimanche et la femme en semaine !