Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui nous propose de ratifier la convention no 181 de l’Organisation internationale du travail relative aux agences d’emploi privées. Cette convention, adoptée par la Conférence internationale du travail le 19 juin 1997 à Genève, est entrée en vigueur le 10 mai 2000. À ce jour, elle a été ratifiée par vingt-sept pays, dont douze États membres de l’Union européenne. À l’époque, la France n’avait pas ratifié cette convention en raison du monopole du placement détenu par l’Agence nationale pour l’emploi, devenue depuis Pôle emploi.
La France n’a pas non plus, au cours de ces dernières années, dénoncé la convention no 96 de l’OIT, ratifiée en 1952, qui interdit le recours aux opérateurs privés dans le placement des demandeurs d’emploi, alors même que ceux-ci sont utilisés depuis le début des années 1990. La loi de 2005 pour la cohésion sociale ayant mis fin au monopole de Pôle emploi, la France devait se conformer à la réglementation de l’OIT en la matière. C’est l’objectif premier du texte qui nous est présenté aujourd’hui : ratifier la convention no 181, et dénoncer la convention no 96.
Les agences d’emploi privées définies par cette convention fournissent trois catégories de services : agences de placement ; entreprises de travail temporaires ; services d’aides à la recherche d’emploi. Le recours à des opérateurs privés dans l’accompagnement des demandeurs d’emploi est un processus en développement depuis les années 1990. Ces agences, missionnées par les opérateurs publics, sont un moyen d’adaptation dans un contexte de chômage important, et ont beaucoup été utilisées au moment de la crise, entre 2008 et 2011. On constate toutefois depuis 2011 que Pôle emploi a moins recours à des opérateurs privés pour l’accompagnement et le placement des demandeurs d’emploi. Cela s’explique notamment par le coût de cette sous-traitance.
Le recours aux opérateurs privés de placement est par ailleurs évalué : c’est l’un des rôles du comité d’évaluation de Pôle emploi, présidé par un représentant des organisations syndicales. Le bilan des performances est clairement mitigé ; la Cour des comptes l’a notamment relevé dans un rapport. Mais c’est davantage le manque de pilotage public que les opérateurs privés de placement eux-mêmes qui est identifié comme source de dysfonctionnement. Il faut donc désormais que Pôle emploi intègre mieux le recours aux opérateurs privés dans sa stratégie.
Le recours à des agences d’emploi privées doit être encadré afin de prévenir les éventuels abus : c’est l’objectif de la convention dont nous débattons aujourd’hui. Ses différents articles définissent un cadre juridique, un socle de droits. La convention exige tout d’abord que les organismes privés concernés respectent les dispositions protégeant les travailleurs qui ont recours à leurs services. Les articles 4 et 5 garantissent, par exemple, la liberté syndicale et le droit à la négociation collective des travailleurs recrutés par les agences d’emploi privées ; ils les protègent également contre toute forme de discrimination.
Nous en sommes très satisfaits, mais s’il un est domaine où l’on constate un grand écart entre la théorie et la pratique, c’est bien celui des demandeurs d’emploi et des salariés précaires ! Renvoyer à la négociation collective des organismes qui ont en fait tout pouvoir et des personnes en situation précaire est souvent peu réaliste. On sait aussi qu’en réalité, dans ce genre de situation, les organisations syndicales sont souvent absentes. Il est donc nécessaire que la puissance publique continue d’encadrer ce secteur.
Il est très important aussi que le principe de gratuité du service public de l’emploi soit rappelé et garanti par l’article 7 de la convention.
Nous avons rappelé en commission notre attachement au fait que l’accompagnement des demandeurs d’emploi soit toujours une mission régalienne. À ce sujet, l’article 13 rappelle que les autorités publiques conservent la compétence de décider en dernier ressort de « la formulation d’une politique du marché du travail » comme de « l’utilisation et du contrôle de l’utilisation des fonds publics destinés à la mise en oeuvre de cette politique. »
Enfin, si cette convention reconnaît le rôle que les agences d’emploi privées peuvent jouer dans le bon fonctionnement du marché du travail, elle favorise également la coopération entre services d’emploi publics et privés. C’est grâce à des partenariats entre différents acteurs, par des innovations, que nous trouverons des solutions nouvelles au problème du chômage, et pas essentiellement par la sous-traitance des politiques de l’emploi.
En France, la ratification de cette convention aura une portée seulement théorique. Elle n’aura en effet aucun impact sur la législation sociale française, car les dispositions qu’elle propose sont inférieures à notre droit. C’est d’ailleurs un aspect que nous retrouvons assez souvent lors de nos débats sur la ratification de telle ou telle convention internationale. Cette convention a malgré tout une portée globale non négligeable. En ratifiant ce texte, la France encourage la ratification de la convention par des pays à la législation sociale moins développée. Cette convention de l’OIT participe à la fabrication d’un filet social universel : cela nous semble un élément important du débat.
L’adoption de cette convention doit permettre à la France, qui est le deuxième État à avoir ratifié le plus grand nombre de conventions, de réaffirmer son attachement aux missions et aux règles de l’OIT. Ainsi, dans la perspective de la négociation du partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, nous ne pourrons accepter que des conventions que nous avons ratifiées soient remises en cause, comme certaines organisations patronales le souhaitent.
Les agences d’emploi privées sont un élément d’accompagnement des demandeurs d’emploi, mais nous devons concentrer nos moyens sur l’amélioration du service offert par le service public de l’emploi. Nous devons améliorer l’articulation et la coopération avec les collectivités territoriales chargées du développement économique et de la formation. Nous devons également encourager d’autres réponses innovantes au chômage de masse. À cet égard, je pense notamment aux entreprises de l’insertion par l’activité économique, dont le rôle doit être renforcé aux côtés du service public de l’emploi.
Les députés socialistes voteront donc pour ce projet de loi de ratification, qui met en cohérence le droit interne et les engagements internationaux de la France.