Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis ce matin pourrait être l’occasion d’évoquer l’importance, selon le terme utilisé par le rapporteur, ainsi que les enjeux de la diffusion de la francophonie dans une région où, historiquement, la France a été peu présente mais où l’on constate aujourd’hui une demande croissante de culture française.
Que la France ait créé et financé depuis 2004, à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, un centre culturel où sont dispensés des cours de français, ne manque pas d’intérêt et ne pose, en soi, aucune difficulté. Il est donc tout naturel que cet Institut français d’Azerbaïdjan fasse, demain, l’objet d’une reconnaissance internationale.
L’accord qui nous est présenté ne suscite, pour ce qui nous concerne, aucune réserve ni remarques particulières, mais, chacun l’aura compris, le débat ne saurait se limiter à ce seul aspect culturel des relations franco-azerbaïdjanaises.
C’est d’ailleurs pourquoi, contrairement à l’habitude, l’examen du projet de loi autorisant l’approbation de cet accord de partenariat fait l’objet, ce matin, d’une discussion en séance publique et non de la procédure dite simplifiée qui limite les interventions aux travaux en commission.
Le rapporteur a élargi le débat, puisqu’il a cru bon de souligner certaines particularités de l’Azerbaïdjan, notamment sur le plan des droits de l’homme et de la démocratie. Il est parti de l’idée que l’Azerbaïdjan est, je cite ses propos en commission, « un partenaire politique important pour notre pays, lequel s’implique traditionnellement dans le règlement du conflit du Haut-Karabagh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. C’est aussi un pays où les entreprises françaises s’implantent, du fait principalement de sa richesse en hydrocarbures. »
On le comprend, l’Azerbaïdjan est perçu comme un partenaire stratégique, et sa politique étrangère est, de l’avis de bien des experts, profondément déterminée par le conflit du Haut-Karabagh.
Ce ne sont malheureusement pas les informations en provenance de la République du Haut-Karabagh qui peuvent nous rassurer, avec encore, dans la nuit du 19 au 20 janvier dernier, huit nouvelles tentatives d’incursion par les forces azéries. Nous en sommes ainsi à deux cent vingt violations du cessez-le-feu, accompagnées de tirs, avec plus de deux mille tirs de projectiles en quelques heures. Ces tirs ont provoqué la mort de plusieurs soldats.
Ces agressions se multiplient et les forces azéries ne se contentent plus de tirs isolés. Ainsi, cet été, elles ont abattu un hélicoptère.
À peine vingt ans après le cessez-le-feu, on ne peut que déplorer ce climat de guerre entretenu et ces violations répétées du cessez-le-feu de 1994. Jamais la paix n’a paru aussi fragile.
La France n’a jamais été indifférente à ce conflit. Elle l’a montré en maintes occasions. Cela a été notamment le cas, dernièrement, lorsque le Président de la République a reçu à Paris, le 27 octobre dernier, les Présidents d’Azerbaïdjan et d’Arménie.
La France a toujours oeuvré en faveur de la recherche d’une solution de paix durable, ne serait-ce qu’en participant activement aux travaux du groupe de Minsk, dont je sais qu’il assure un contact indispensable entre belligérants et qu’il empêche la reprise du conflit ouvert.
Nous sommes conscients qu’il n’y aura pas de paix durable tant que l’on ne parviendra pas à assurer la sécurité des peuples de cette région du monde. Pour cela, il convient d’agir pour le développement d’un espace de dialogues et d’échanges, ce qui suppose, au préalable, de mettre un terme à l’isolement international que l’on impose au peuple du Haut-Karabagh.
Je vous ai attentivement écouté, monsieur le rapporteur, cher collègue. Lorsque vous délaissez le champ culturel, comme ce fut le cas lors de votre présentation en commission, vous mettez en perspective d’autres considérations moins consensuelles. Vous comprendrez que, sur un sujet aussi sensible, on puisse apporter un éclairage complémentaire. Aussi, je me permets de dire sans détour que l’Azerbaïdjan, dans les faits, est manifestement loin d’être le pays démocratique que certains veulent décrire.
D’ailleurs, il n’y a qu’à regarder les classements de ce pays à partir de différents critères permettant d’évaluer la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Ainsi, le classement établi par l’organisation Freedom House désigne l’Azerbaïdjan parmi les pays « non libres », le classement sur la liberté d’informer, publié chaque année par l’organisation Reporters sans frontières place l’Azerbaïdjan dans le cercle des États les moins libres, en cent soixantième position sur 180 pays. Le Président Aliyev figure quant à lui parmi les dix « prédateurs mondiaux de la presse ». À titre d’exemple, la Biélorussie, l’Irak, la Birmanie sont mieux classés que l’Azerbaïdjan.
Comment qualifier un État où l’on se transmet le pouvoir de père en fils, où un véritable clan, le clan Aliyev, détient depuis des décennies l’ensemble des leviers décisionnels, aussi bien au plan politique ou militaire qu’au plan économique ?
En 2009, le chef de l’État est parvenu à faire abolir par référendum populaire, ratifié par 90 % du corps électoral, la limitation du nombre de mandats présidentiels. Il est ainsi assuré de rester indéfiniment au pouvoir. Comment, dans ces conditions très particulières, analyser des résultats où le président sortant est systématiquement réélu à plus de 80 ou 90 % ?
Où sont les progrès démocratiques dans un pays où la presse est muselée, où toute contestation publique du régime est impossible sous peine de sanctions sévères ? J’en veux pour preuve les innombrables atteintes contre les droits de l’Homme, les partis politiques d’opposition, les ONG, etc., ce qui fait régulièrement l’objet de rapports ou de communications par des organisations de défense des droits fondamentaux, comme Human Rights Watch, qui dénonce l’existence de prisonniers d’opinion dans ce pays.
Tout récemment, le bureau de Radio Free EuropeRadio Liberty à Bakou a été frappé à son tour par la répression. Le 26 décembre dernier, le bureau à Bakou de radio Azadliq et le service azerbaïdjanais de RFERL ont été perquisitionnés et placés sous scellés.
Je ne peux passer sous silence le sort réservé à Mme Leyla Yunus, éminente défenseure des droits de l’Homme, et à son mari Arif, analyste politique réputé, ce qui est révélateur. Mme Yunus est décorée de la Légion d’honneur et lauréate du prix international Theodor Haecher, remis en Allemagne, pour le courage et la sincérité politique. Elle et son mari ont été arrêtés à Bakou au printemps 2014 et ont subi un véritable harcèlement pour avoir dénoncé notamment l’arrestation du journaliste Hilal Mammadov, dont vous avez parlé, madame la secrétaire d’État. D’autres militants des droits humains comme Rasul Jafarov ou Intigam Aliyev ont fait l’objet de mesures arbitraires d’arrestation. Quotidiennement, la liberté de la presse, la liberté d’expression, la liberté d’opinion sont violées par le régime.
Comment ne pas évoquer ici également la bien triste affaire Safarov, du nom du meurtrier d’un officier arménien, tué dans son sommeil à Budapest lors d’un stage de l’OTAN auquel il participait, tout simplement parce qu’il était arménien ? L’assassin fut condamné par la justice hongroise, mais extradé dans son pays avant le terme de sa peine, puis gracié et promu héros national.
À cela s’ajoute la décision prise par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de ne plus tenir de réunion de commission en Azerbaïdjan pendant deux ans, à la suite de la décision des autorités azerbaïdjanaises d’annuler au dernier moment le visa d’un membre de cette assemblée, notre collègue et ami René Rouquet, président de la délégation française, l’empêchant ainsi d’assister aux réunions du bureau et de la commission permanente de l’APCE à Bakou les 22 et 23 mai derniers. Cette violation des règles du Conseil de l’Europe conduit à marginaliser un peu plus l’Azerbaïdjan en Europe.
Si nul d’entre nous n’ignore les enjeux économiques en présence, ni ce que peuvent sous-entendre certaines exigences pétrolières ou gazières dans le contexte mondial actuel, nous affirmons que cela ne doit en aucun cas conduire à passer sous silence toutes ces atteintes répétées aux droits humains, à la démocratie et aux valeurs universelles.
Face au choix qui nous est proposé, d’un côté les hydrocarbures et, de l’autre, les droits de l’homme, prenons garde à ne pas laisser s’installer l’idée selon laquelle seules compteraient les valeurs du marché. Ne fermons pas les yeux sur les manquements de certains dirigeants peu scrupuleux.
Il est du devoir de la France, berceau des droits de l’homme, de rappeler le caractère intangible et universel des grands principes. C’est en tenant ferme ce cap que notre diplomatie obtiendra des résultats et fera respecter notre vision du progrès et du développement humain.
Compte tenu de tous ces éléments, madame la secrétaire d’État, vous comprendrez que je ne puisse à titre personnel approuver ce projet de loi. Aussi, comme je l’ai fait en commission, je m’abstiendrai.