Intervention de Denis Baupin

Réunion du 17 janvier 2015 à 15h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Baupin :

J'appelle l'attention du Gouvernement et des parlementaires sur le fait qu'en adoptant l'article 54, nous mettrions le doigt dans un engrenage dangereux qui pourrait remettre en cause l'indépendance de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Cet article comporte, en effet, deux dispositions qui permettraient à cette autorité de chercher les financements dont elle a besoin grâce à des « contrats » extérieurs.

Un premier alinéa vise la coopération de l'ASN avec ses homologues étrangers. Les revues entre pairs existent déjà – et nous ne contestons pas leur utilité – mais certains propos invitent à la prudence en la matière. C'est ainsi que le précédent président de l'ASN, M. André-Claude Lacoste, devant la commission des affaires économiques, en juillet 2012, a reconnu qu'il savait – longtemps avant la catastrophe de Fukushima et parce que l'Autorité avait été mandatée pour une revue par les pairs au Japon – que « le modèle japonais de contrôle de sûreté nucléaire ne fonctionnait pas ». Á cette époque, AREVA envoyait pourtant du MOX en provenance de La Hague à Fukushima. M. Lacoste a encore admis : « Nous avons adouci notre propos suite à des discussions compliquées avec les autorités japonaises [...] » Permettez-moi de souligner la gravité de ces paroles : l'Autorité de sûreté nucléaire française a officiellement et publiquement laissé entendre que la sûreté nucléaire japonaise fonctionnait, alors qu'elle savait manifestement que ce n'était pas le cas.

Sachant ce qui s'est produit quelques mois après ce contrôle, nous voyons bien les limites de l'exercice des revues entre pairs, lorsque ces derniers veulent éviter de porter un jugement trop négatif sur leurs homologues. Si, en plus de cela, nous introduisions dans le code de l'environnement une disposition permettant à l'ASN d'être financée pour des prestations de conseil et des missions d'appui technique, le risque que son indépendance en pâtisse serait réel.

Le second alinéa pose encore plus problème. Il dispose que l'ASN « examine la conformité des options de sûreté des modèles d'installations nucléaires destinées à l'exportation aux exigences s'appliquant en France pour le même type d'installation. Les frais correspondants sont à la charge de l'entreprise intéressée. » Il me semble légitime que l'autorité de sûreté française, qui est l'une des meilleures au monde, s'intéresse aux exportations de centrales nucléaires françaises. À mon sens, elle devrait même se préoccuper de la sécurité des installations, sachant que nous envisageons de vendre des centrales en Jordanie, en Turquie ou en Inde, pays où la stabilité politique n'est pas toujours parfaite et où les risques de violence existent – je ne parle même pas de la situation actuelle en Ukraine.

Je souligne tout d'abord que l'ASN n'est pas un bureau d'études – l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) aurait parfaitement pu tenir ce rôle. C'est une autorité qui a pour vocation de prendre des décisions. Or, rien dans la rédaction de l'article 54 ne précise ce qu'il sera fait de ses avis, ni s'ils seront suivis, et l'on ne lui donne pas les moyens de s'opposer à l'exportation d'une centrale nucléaire. Je relève ensuite que l'autorité sera rémunérée par l'entreprise concernée : autrement dit l'ASN, qui doit être totalement indépendante des entreprises qu'elle contrôle, comme EDF ou AREVA, deviendra en quelque sorte la cliente de ces dernières. Je ne prétends pas que ces dispositions aient été rédigées dans cet esprit ; il n'en demeure pas moins qu'elles affaiblissent l'autorité et l'indépendance de l'ASN.

Nous demandons en conséquence la suppression de cet article.

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