Intervention de Patrice Bergougnoux

Réunion du 15 janvier 2015 à 9h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Patrice Bergougnoux, préfet honoraire :

L'objet du maintien de l'ordre républicain est de permettre l'expression des libertés publiques, dont celle de manifester, dans les meilleures conditions de sécurité pour les personnes et les biens.

La force publique a pour mission de faciliter et de permettre l'exercice de ce droit. Elle le fait sous l'autorité du préfet de police à Paris, du préfet de police dans les Bouches-du-Rhône et du préfet de département sur le reste du territoire. L'article 11 du décret 2004-374 du 29 avril 2004 confie en effet au préfet de département la charge de l'ordre public et de la sécurité de la population.

La force publique se compose de formations civiles : les compagnies républicaines de sécurité (CRS), les compagnies d'intervention ou sections d'intervention, les compagnies de sécurisation, les unités de voie publique et les unités mobiles d'intervention et de protection dans les grandes agglomérations. Elle comporte aussi des unités militaires, comme la gendarmerie départementale et la garde républicaine, les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et, dans certaines circonstances, les forces armées de troisième catégorie (FA3). Les CRS et les EGM constituent l'essentiel du dispositif de maintien de l'ordre.

Ces formations sont parfaitement professionnalisées, entraînées et formées. Leur savoir-faire est reconnu de tous. Cependant, leur potentiel opérationnel se trouve dégradé du fait de la réduction massive de leurs effectifs intervenue en 2009 et 2010. Quinze escadrons de gendarmerie mobile ont été supprimés, soit environ 2 000 hommes. Le même effectif a été supprimé dans les CRS, à nombre d'unités constant. Cette situation fragilise les unités, qui comportent désormais soixante fonctionnaires, alors qu'elles en réunissaient une centaine il y a quinze ans.

La règle d'or en matière de maintien de l'ordre est que la force doit se manifester sans s'exercer. Ce n'est que dans l'hypothèse de troubles graves à l'ordre public qu'il en sera fait usage, ce qui peut entraîner le recours à certaines armes en dotation dans les unités de maintien de l'ordre.

Le recours à des opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre public se justifie en cas de trouble à l'ordre public lors d'un attroupement. Il s'agit de prévenir les troubles pour ne pas avoir à les réprimer et, si cela s'avère nécessaire, de disperser les individus présents. En maintien de l'ordre, le recours à la force n'est donc pas systématique. D'ailleurs, dans un premier temps, les responsables de la force publique invitent les manifestants à se disperser par le biais d'une annonce : « Obéissance à la loi, dispersez-vous ».

En cas de persistance du trouble, il est possible de recourir à l'usage de la force de manière « absolument nécessaire » et « proportionnée », conditions mentionnées à l'article R211-13 du code de la sécurité intérieure.

L'emploi de la force est conditionné à une gradation des moyens et des matériels qui peut se décliner en trois phases.

La première prévoit l'usage de la force dite « simple », par opposition à la force résultant de l'usage d'armes à feu. Les moyens et les procédés à utiliser relèvent de l'appréciation du commandant de la force publique engagé sur les lieux ou du chef d'escadron engagé dans l'opération, au sein d'une gamme de moyens autorisés par les textes en fonction des situations rencontrées. Il s'agit de la force physique ou de l'utilisation de divers matériels tels que tonfas, boucliers et grenades lacrymogènes.

La deuxième phase admet le recours aux armes à feu sur la décision de l'autorité civile. Celles qui peuvent être déployées à ce stade sont strictement définies à l'article D211-17 du code de la sécurité intérieure. Il s'agit des différents types de grenades en dotation dans les services et les unités de maintien de l'ordre.

En troisième lieu, dans l'hypothèse où les manifestants ouvrent le feu sur les personnels, ceux-ci peuvent riposter en utilisant leurs armes de service collectives ou individuelles.

En dehors du schéma ainsi décrit, en cas de violence exercée contre les forces de l'ordre ou si celles-ci ne peuvent défendre autrement le terrain qu'elles occupent, le commandant de la force publique peut décider lui-même de l'usage des armes.

Ce rappel trop sommaire souligne la complexité des dispositions réglementaires de maintien de l'ordre. Aucun critère n'est véritablement défini, qui permette de conditionner le passage d'une phase à une autre. Si la transition entre les postures est organisée par le protocole des sommations ou les annonces, les manifestants ne sont pas nécessairement en situation de connaître en permanence la posture adoptée par la force publique.

Le maintien de l'ordre est une prérogative de puissance publique qui incombe au représentant du pouvoir exécutif dans le département, en l'occurrence le préfet. Celui-ci dispose de forces de police ou de gendarmerie mises à sa disposition par le ministère de l'intérieur et responsables de l'exécution de la mission qui leur a été confiée, sans autre limite que le refus des ordres manifestement illégaux et le respect des lois. Les autorités habilitées à décider de l'emploi de la force sont le préfet, le sous-préfet, le commandant de police, l'officier de police chef de circonscription, le maire et, depuis l'adoption de la loi sur la gendarmerie de 2009, le commandant de groupement de gendarmerie ou le commandant de compagnie de gendarmerie départementale.

Quelle qu'elle soit, l'autorité qui décide du recours à la force en vue de dissiper un attroupement doit être présente sur les lieux « en vue le cas échéant de décider de l'emploi de la force après sommation », comme le prévoit l'article R211-21 du code de la sécurité intérieure.

Cette obligation soulève deux interrogations. La première tient à la permanence de la présence de l'autorité civile, si les troubles s'inscrivent dans la durée. Les opérations de maintien de l'ordre peuvent durer tantôt quelques heures tantôt des jours, voire des semaines, sinon plus. La seconde interrogation découle du fait que l'article R211-21, qui vise la décision initiale d'engagement de la force, n'évoque pas l'évolution de la situation. Or, aux termes de l'article R211-13 du code de la sécurité intérieure, « la force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin si celui-ci a cessé », ce qui suppose que le contrôle de l'autorité habilitée soit effectif et permanent du début à la fin de l'opération.

Cette double interrogation devrait conduire à préciser le rôle de l'autorité civile et à prévoir sa présence permanente auprès du commandant de la force publique tout au long de l'opération.

Encore un mot, pour répondre à votre question liminaire : oui, il est toujours possible d'améliorer le maintien de l'ordre public.

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