La réunion

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L'audition débute à neuf heures dix.

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Je vous remercie, messieurs les préfets, d'avoir répondu à l'invitation de notre commission d'enquête créée à la suite des opérations qui se sont produites sur le théâtre de Sivens. Une information judiciaire ayant été ouverte, nous ne nous intéresserons pas aux décisions prises par la chaîne de commandement. Nous cherchons à savoir, de manière plus générale, de quelle manière le maintien de l'ordre peut être mieux assuré, soit en amont, par la préparation et le dialogue avec les organisateurs des manifestations, soit sur le terrain, pendant le déroulement des opérations. Nous nous demanderons également s'il existe, dans ce domaine, une spécificité française et comment le maintien de l'ordre est assuré dans les autres pays européens.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, je dois vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(MM. Patrice Bergougnoux et Dominique Bur prêtent serment.)

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Patrice Bergougnoux, préfet honoraire

L'objet du maintien de l'ordre républicain est de permettre l'expression des libertés publiques, dont celle de manifester, dans les meilleures conditions de sécurité pour les personnes et les biens.

La force publique a pour mission de faciliter et de permettre l'exercice de ce droit. Elle le fait sous l'autorité du préfet de police à Paris, du préfet de police dans les Bouches-du-Rhône et du préfet de département sur le reste du territoire. L'article 11 du décret 2004-374 du 29 avril 2004 confie en effet au préfet de département la charge de l'ordre public et de la sécurité de la population.

La force publique se compose de formations civiles : les compagnies républicaines de sécurité (CRS), les compagnies d'intervention ou sections d'intervention, les compagnies de sécurisation, les unités de voie publique et les unités mobiles d'intervention et de protection dans les grandes agglomérations. Elle comporte aussi des unités militaires, comme la gendarmerie départementale et la garde républicaine, les escadrons de gendarmerie mobile (EGM) et, dans certaines circonstances, les forces armées de troisième catégorie (FA3). Les CRS et les EGM constituent l'essentiel du dispositif de maintien de l'ordre.

Ces formations sont parfaitement professionnalisées, entraînées et formées. Leur savoir-faire est reconnu de tous. Cependant, leur potentiel opérationnel se trouve dégradé du fait de la réduction massive de leurs effectifs intervenue en 2009 et 2010. Quinze escadrons de gendarmerie mobile ont été supprimés, soit environ 2 000 hommes. Le même effectif a été supprimé dans les CRS, à nombre d'unités constant. Cette situation fragilise les unités, qui comportent désormais soixante fonctionnaires, alors qu'elles en réunissaient une centaine il y a quinze ans.

La règle d'or en matière de maintien de l'ordre est que la force doit se manifester sans s'exercer. Ce n'est que dans l'hypothèse de troubles graves à l'ordre public qu'il en sera fait usage, ce qui peut entraîner le recours à certaines armes en dotation dans les unités de maintien de l'ordre.

Le recours à des opérations de maintien ou de rétablissement de l'ordre public se justifie en cas de trouble à l'ordre public lors d'un attroupement. Il s'agit de prévenir les troubles pour ne pas avoir à les réprimer et, si cela s'avère nécessaire, de disperser les individus présents. En maintien de l'ordre, le recours à la force n'est donc pas systématique. D'ailleurs, dans un premier temps, les responsables de la force publique invitent les manifestants à se disperser par le biais d'une annonce : « Obéissance à la loi, dispersez-vous ».

En cas de persistance du trouble, il est possible de recourir à l'usage de la force de manière « absolument nécessaire » et « proportionnée », conditions mentionnées à l'article R211-13 du code de la sécurité intérieure.

L'emploi de la force est conditionné à une gradation des moyens et des matériels qui peut se décliner en trois phases.

La première prévoit l'usage de la force dite « simple », par opposition à la force résultant de l'usage d'armes à feu. Les moyens et les procédés à utiliser relèvent de l'appréciation du commandant de la force publique engagé sur les lieux ou du chef d'escadron engagé dans l'opération, au sein d'une gamme de moyens autorisés par les textes en fonction des situations rencontrées. Il s'agit de la force physique ou de l'utilisation de divers matériels tels que tonfas, boucliers et grenades lacrymogènes.

La deuxième phase admet le recours aux armes à feu sur la décision de l'autorité civile. Celles qui peuvent être déployées à ce stade sont strictement définies à l'article D211-17 du code de la sécurité intérieure. Il s'agit des différents types de grenades en dotation dans les services et les unités de maintien de l'ordre.

En troisième lieu, dans l'hypothèse où les manifestants ouvrent le feu sur les personnels, ceux-ci peuvent riposter en utilisant leurs armes de service collectives ou individuelles.

En dehors du schéma ainsi décrit, en cas de violence exercée contre les forces de l'ordre ou si celles-ci ne peuvent défendre autrement le terrain qu'elles occupent, le commandant de la force publique peut décider lui-même de l'usage des armes.

Ce rappel trop sommaire souligne la complexité des dispositions réglementaires de maintien de l'ordre. Aucun critère n'est véritablement défini, qui permette de conditionner le passage d'une phase à une autre. Si la transition entre les postures est organisée par le protocole des sommations ou les annonces, les manifestants ne sont pas nécessairement en situation de connaître en permanence la posture adoptée par la force publique.

Le maintien de l'ordre est une prérogative de puissance publique qui incombe au représentant du pouvoir exécutif dans le département, en l'occurrence le préfet. Celui-ci dispose de forces de police ou de gendarmerie mises à sa disposition par le ministère de l'intérieur et responsables de l'exécution de la mission qui leur a été confiée, sans autre limite que le refus des ordres manifestement illégaux et le respect des lois. Les autorités habilitées à décider de l'emploi de la force sont le préfet, le sous-préfet, le commandant de police, l'officier de police chef de circonscription, le maire et, depuis l'adoption de la loi sur la gendarmerie de 2009, le commandant de groupement de gendarmerie ou le commandant de compagnie de gendarmerie départementale.

Quelle qu'elle soit, l'autorité qui décide du recours à la force en vue de dissiper un attroupement doit être présente sur les lieux « en vue le cas échéant de décider de l'emploi de la force après sommation », comme le prévoit l'article R211-21 du code de la sécurité intérieure.

Cette obligation soulève deux interrogations. La première tient à la permanence de la présence de l'autorité civile, si les troubles s'inscrivent dans la durée. Les opérations de maintien de l'ordre peuvent durer tantôt quelques heures tantôt des jours, voire des semaines, sinon plus. La seconde interrogation découle du fait que l'article R211-21, qui vise la décision initiale d'engagement de la force, n'évoque pas l'évolution de la situation. Or, aux termes de l'article R211-13 du code de la sécurité intérieure, « la force déployée doit être proportionnée au trouble à faire cesser et son emploi doit prendre fin si celui-ci a cessé », ce qui suppose que le contrôle de l'autorité habilitée soit effectif et permanent du début à la fin de l'opération.

Cette double interrogation devrait conduire à préciser le rôle de l'autorité civile et à prévoir sa présence permanente auprès du commandant de la force publique tout au long de l'opération.

Encore un mot, pour répondre à votre question liminaire : oui, il est toujours possible d'améliorer le maintien de l'ordre public.

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Dominique Bur, préfet honoraire

En quarante ans de service public dans le corps préfectoral, j'en ai passé vingt en administration centrale, dans des postes de direction, dont celui de directeur général des collectivités locales. Pendant les vingt autres, j'ai travaillé sur le terrain, dans le préfectoral territorial. J'ai notamment été préfet, préfet de région et préfet de zone, poste que j'ai occupé à Lille avant de prendre ma retraite en août dernier. Si je n'ai pas exercé de responsabilités au niveau national, comme M. Bergougnoux, j'ai une expérience certaine du maintien de l'ordre public au niveau territorial.

La responsabilité du maintien de l'ordre, qui incombe en grande partie au préfet, n'est ni anodine ni secondaire. Elle touche aux libertés publiques. Elle s'exerce sous le contrôle détaillé du juge, qui en examine la proportionnalité et la mise en oeuvre. Une mauvaise gestion peut avoir des conséquences très lourdes sur les personnes ou sur les biens.

Le droit constitutionnel de manifester, que le préfet doit concilier avec le maintien de l'ordre public, me semble garanti dans son principe. En vingt ans de terrain, je ne me souviens pas avoir interdit aucune manifestation. Les dernières mesures de ce type concernaient les « apéros saucisson-pinard », dont le principe avait été largement débattu.

Il est toujours moins dangereux pour le préfet d'autoriser une manifestation que de prendre le risque qu'elle se déroule malgré l'interdiction, et de se retrouver démuni. Mieux vaut assumer l'autorisation, à moins, bien entendu, que la manifestation ne viole les grands principes républicains.

Les moyens dont il dispose lui sont alloués tant au niveau zonal, dans un espace restreint, qu'au niveau national, lors d'arbitrages que Monsieur Vaillant, en tant qu'ancien ministre de l'intérieur, connaît fort bien. Une région comme Paris se voit attribuer beaucoup plus d'unités que d'autres, plus éloignées. Le préfet doit procéder à des choix, quand il fait face à un cumul de situations. Ainsi, j'ai eu à gérer le maintien de l'ordre lors de la visite simultanée de plusieurs ministres. Les situations sont rarement pures ou nettes. Elles se combinent au sein d'un environnement compliqué. Dans de tels cas, le préfet met à contribution les moyens locaux, comme les compagnies départementales d'intervention, qui sont plus ou moins étoffées.

La gestion de l'ordre public n'est pas une situation théorique. On ne peut prévoir les différents cas de figure susceptibles de se présenter dans le temps ou les territoires. J'ai connu des situations très diverses. Ainsi, quand j'ai été quatre ans en poste en Nouvelle-Calédonie, j'ai fait face, lors de la signature de l'accord de Nouméa, à de grandes tensions créées par des mineurs qui utilisaient d'énormes engins pour troubler l'ordre public.

Au fil du temps, la nature des manifestations a beaucoup évolué. Les importantes manifestations syndicales, groupées et encadrées, que j'ai connues au début de ma carrière ne donnaient pas lieu à des débordements. Leur parcours avait été fixé avec les organisateurs, leur déroulement était bordé et l'on n'avait pas à redouter les trublions que l'on a vus surgir par la suite.

Les manifestations se déroulaient rarement en milieu rural. Quand les agriculteurs voulaient marquer leur présence, ils se déployaient en ville, souvent devant la préfecture ou l'hôtel de ville, ce qui pose peu de problèmes majeurs. L'espace urbain est clos par les habitations. On peut toujours fermer une rue et canaliser les manifestants.

Les manifestations que nous avons connues se déroulaient dans l'après-midi, voire dans la journée. Elles se dispersaient le soir, même quand leur fin posait problème. À Toulouse, à la queue de la manifestation contre la réforme des retraites, qui a réuni 30 000 à 40 000 personnes, sont apparus une centaine d'autonomes très mobiles et organisés, avec lesquels s'est engagée une sorte de course-poursuite. À Nantes ou sur d'autres sites, les forces de l'ordre, confrontées à une sorte de harcèlement, ont eu pour tâche de protéger des lieux dans la durée.

À mon sens, le préfet doit s'impliquer personnellement dans la gestion de l'événement. J'ai toujours porté une grande attention aux opérations de maintien de l'ordre, car toute manifestation risque de dégénérer pour une raison qu'il n'est pas facile d'identifier au départ. Je présidais les réunions préparatoires avec les responsables des forces. Je me faisais expliquer le dispositif, que je discutais. Je cherchais à en connaître les fragilités.

L'obligation de déclaration à la préfecture, que prévoit le code de la sécurité intérieure, est diversement respectée. À cet égard, les Toulousains sont moins obéissants que les Lillois. Il existe en outre des manifestations qui n'ont pas réellement d'organisateurs. Dans le cas des rave parties, ceux-ci s'évanouissent dans la nature. Chaque fois que cela m'a été possible, j'ai établi un contact personnel avec les organisateurs, notamment les responsables agricoles, qui acceptaient de discuter de l'endroit où les manifestants déverseraient de la paille.

Quand une manifestation se déroulait l'après-midi, je me suis toujours rendu disponible afin de pouvoir être alerté à tout moment si la situation devenait difficile ou dramatique, ou qu'il faille prendre une décision. Le territoire du Nord étant vaste, j'ai souvent délégué la responsabilité locale au sous-préfet de Dunkerque ou de Valenciennes, tout en restant à l'écoute, car il est nécessaire que les informations remontent.

À l'origine, la gendarmerie, compte tenu de son statut de force militaire, devait être réquisitionnée, alors la police nationale dépendait – comme nous – du ministère de l'intérieur. L'intégration de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, en 2009, a permis d'uniformiser nos relations avec les deux forces. La situation administrative et la relation d'autorité sont désormais clarifiées. J'ai toujours associé le colonel ou le général de gendarmerie aux réunions que j'organisais.

Enfin, comme Monsieur Bergougnoux, je pense que certains éléments peuvent être améliorés. Nous y reviendrons sans doute au cours de la discussion.

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Comment les atteintes à l'ordre public ont-elles évolué au cours des dernières décennies, lors de manifestations sociales, politiques, sportives, culturelles ou environnementales ? Le cadre juridique est-il adapté aux nouvelles contraintes que rencontre l'autorité publique ?

Les nouvelles manifestations sont-elles moins guidées par le désir d'exprimer des revendications que par celui d'en découdre avec l'ordre public ? Ne sont-elles pas plus violentes et plus désordonnées que les précédentes ? Peut-on distinguer, parmi les actes délictueux, ceux qui relèvent d'une atteinte à l'ordre public – violence et dégradation de biens avec ou sans danger pour les personnes – et ceux qui relèvent du droit commun, comme les vols ?

La possibilité d'interdire une manifestation préalablement déclarée a-t-elle une portée concrète ? Est-il facile pour un préfet de gérer les conséquences d'une interdiction, notamment quand le juge porte une appréciation différente de la sienne ?

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Dominique Bur, préfet honoraire

J'ai observé trois évolutions essentielles. La première tient à une baisse de l'encadrement. Lors des grandes manifestations syndicales des années soixante ou soixante-dix, il y avait des responsables et un service d'ordre. Ceux-ci avaient pris contact avec les forces de l'ordre, par l'intermédiaire des renseignements généraux, et il était facile de leur faire passer un message. La situation est très différente lors des manifestations spontanées. À Lille, les sans-papiers manifestaient presque chaque semaine sans cadre juridique et sans que nous ayons d'interlocuteurs, puisqu'il n'existait même pas d'association. On a vu également des manifestations spontanées éclater dans les entreprises.

Une autre évolution tient à l'apparition de personnes mues par d'autres intentions que celle d'exprimer un point de vue ou une revendication. Le but des autonomes est de casser. On l'a mesuré à Toulouse. Certains éléments, parfois venus d'ailleurs, s'infiltrent dans la masse des manifestants paisibles.

Une dernière évolution tient au lieu et à la durée des manifestations. Il est très difficile de maintenir l'ordre dans le milieu rural, qui est très ouvert, et dans la durée. Peut-on même parler de manifestation pour désigner non le regroupement de personnes qui se réunissent un jour pour déposer des revendications à la préfecture ou à la mairie, mais l'attaque dans la durée – jour et nuit – de positions tenues par les forces de l'ordre ?

Des mesures sont prises, en cours de manifestation, pour que les agents de la police judiciaire puissent établir des constats, qui seront ensuite transmis aux juges. Ceux-ci ont besoin d'éléments d'informations tangibles – procès-verbaux et photos – pour déterminer les responsabilités, par exemple si une devanture est brisée ou un local saccagé. Il existe des incriminations spécifiques en cas de manifestation violente ou quand les manifestants passent outre une interdiction. Reste qu'il est très difficile de sanctionner les responsables, à moins que l'on ait décidé en amont d'accentuer fortement le dispositif.

Je le répète, il est exceptionnel qu'une manifestation soit interdite. Du fait de la médiatisation, une telle mesure devient aussitôt nationale et remonte au ministère de l'intérieur. Le juge peut vérifier si, compte tenu des moyens dont elle dispose, la préfecture est en mesure de faire face à la situation. Il n'est jamais agréable à un préfet de voir sa décision cassée par une décision de justice.

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Patrice Bergougnoux, préfet honoraire

Les atteintes à l'ordre public évoluent comme les autres formes de délinquance et de criminalité. Comme on voit apparaître dans les cités un banditisme très différent du banditisme classique, on constate dans les manifestations une violence plus importante et plus spontanée, qui oblige la force publique – CRS ou gendarmerie mobile – à disposer d'équipements de protection plus importants et de moyens particuliers.

Une condition capitale du maintien de l'ordre républicain est que les autorités disposent des informations nécessaires pour apprécier la situation et adopter les bons dispositifs. C'est pourquoi je regrette que les réorganisations intervenues récemment dans le renseignement aient réduit la capacité d'information des autorités préfectorales.

Heureusement, le renseignement territorial s'est développé. Il permet le recueil, l'exploitation et la transmission de l'information au préfet dans le département et, au niveau national, au ministère de l'intérieur, ce qui permet de choisir les bons dispositifs. L'information est à la base de toutes les solutions qui permettent aux citoyens de manifester dans les meilleures conditions de sécurité.

Si l'on craint des troubles importants à l'ordre public, il est essentiel de prévoir des dispositifs de police judiciaire, ce qui permettra de réprimer les actes délictueux commis à l'occasion de la manifestation, du rassemblement ou de l'attroupement.

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J'ai été très frappée, lors des manifestations contre le contrat première embauche (CPE), de voir surgir des groupes qui attaquaient les manifestants, les battaient ou les volaient. C'est sans doute ce qui explique une certaine disproportion entre les forces déployées et le nombre de manifestants. Récemment, j'ai constaté que dix cars de CRS avaient été prévus pour encadrer une manifestation de quatre-vingts personnes pacifiques. On comprend l'importance d'un meilleur renseignement.

Si les services d'ordre, parfois appelé services d'accueil et de sécurité, des manifestations classiques sont moins efficaces, est-ce en raison d'une perte de leur savoir-faire, ou parce qu'ils sont confrontés à de nouveaux problèmes ?

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Il me semble important de favoriser le renseignement territorial, qui possède une dimension humaine. Il vise en effet non à ficher les gens mais à prévenir les heurts et les difficultés.

Nous sommes passés d'une culture de la manifestation réussie au désir de mettre les autorités en échec, ce qui représente une singulière évolution. Le préfet Gaudin a eu raison d'interdire l'apéro saucisson-pinard à la Goutte d'or, où la présence musulmane est assez forte, et le préfet Boucault la manifestation prévue à Barbès. Les renseignements montraient qu'il s'agissait moins de manifester sur la question israélo-palestinienne que de casser, de brûler, et de faire dégénérer, voire de s'attaquer à la synagogue de la rue Doudeauville.

Vous n'avez pas évoqué l'évolution des modes de communication. Comment les autorités sont-elles informées en temps réel de la volonté des organisateurs ou des intentions de ceux qui se greffent sur la manifestation ? Peut-on améliorer le renseignement du préfet, notamment grâce aux forces héliportées, ce qui suppose, il est vrai, quelques moyens ?

Monsieur Bergougnoux a souligné à juste titre le rôle de la police judiciaire, qui agit sur mandat. Le flagrant délit permet la sanction, ce qui est essentiel, car toute violence ou tout excès est une atteinte au droit de manifester.

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Monsieur Bur peut-il revenir sur la question de la remontée d'information du terrain vers le préfet ? Dans ma circonscription rurale, qui se distingue par sa capacité à incendier les centres des impôts ou la MSA, ou à prendre d'assaut les sous-préfectures, on n'utilise guère les nouvelles technologies de l'information, mais on peut faire débouler cent cinquante tracteurs en quatre heures sans que nul ne soit prévenu. Comment améliorer le renseignement, dont la défaillance assure l'impunité de ceux qui veulent tout casser ?

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Dès le début de l'audition, vous avez parlé du juge. Je n'avais pas perçu que celui-ci était en première ligne lors d'une manifestation. Pouvez-vous confirmer que celui-ci n'intervient qu'au cas où des éléments délictuels sont identifiés ?

Compte tenu des évolutions que vous avez signalées, tout organisateur craint aujourd'hui que sa manifestation ne soit infiltrée par des mouvements organisés ou spontanés provenant de quartiers sensibles. Existe-t-il sinon un fichier, du moins un répertoire des personnes, jeunes ou moins jeunes, qu'on retrouve toujours dans les mêmes secteurs ou les mêmes milieux, et qui, quand des mouvements écologistes et pacifistes sont annoncés, se déplacent sur tout le territoire pour occuper les terrains et entretenir la guérilla ? Les juges qui interviennent dans ce type d'affaires sont-ils qualifiés ou le procureur désigne-t-il, en fonction de ses convictions, le juge de permanence ?

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Lors des événements de Sivens, un débat s'est élevé dans la presse sur la présence des forces de l'ordre sur un terrain privé. Celle-ci était-elle légitime ? Faut-il modifier notre droit sur ce point ?

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Patrice Bergougnoux, préfet honoraire

Je ne sais pas si la qualité des encadrants a baissé. En revanche, il est certain que les manifestations se déploient dans un environnement très différent. Les technologies nouvelles vont très vite, mais les services mettent du temps à s'adapter à la nouvelle donne, alors même que le ministère de l'intérieur a doté ses services des moyens nécessaires. Dans les domaines de pointe, où les formations sont très coûteuses – je pense au big data –, l'État doit recruter les meilleurs spécialistes pour préserver le potentiel de ses capacités d'information.

La baisse des effectifs est un autre facteur à prendre en compte. Avec moins de personnel, il est plus difficile de maîtriser les situations. Le nombre d'hommes par unité ayant diminué, il faut désormais deux unités pour obtenir l'effet dissuasif qu'on obtenait il y a dix ans avec une seule.

Les dispositifs de la police judiciaire doivent accompagner ceux du maintien de l'ordre public, ce qui permet d'agir immédiatement et de réprimer tous les actes commis pendant les manifestations, en particulier par des groupes extérieurs.

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Dominique Bur, préfet honoraire

La question du renseignement est essentielle. Les décisions prises par le politique ont causé sur le terrain séparations et coupures, qui ont entraîné une perte de contact. Les renseignements généraux avaient tissé des liens avec les organisations syndicales et professionnelles, dont ils étaient bien connus. Ils servaient de relais avec la préfecture, à laquelle ils permettaient de faire passer des messages. Il a fallu reconstruire ces liens disparus. Des moyens y ont été consacrés, mais on ne tisse pas un réseau du jour au lendemain.

L'irruption des moyens modernes permet aux manifestants de se mobiliser très rapidement. Avec des téléphones portables, il suffit de quelques heures pour organiser un flash mob de plusieurs centaines de personnes devant une préfecture. Pour peu qu'on leur en donne les moyens, les services spécialisés, qui vont sur internet, savent sur quels sites il faut se rendre – à Lille, j'étais régulièrement informé des risques de manifestation –, mais il est très difficile de posséder une visibilité sur la totalité du spectre.

Actuellement, les services s'emploient à reconstruire les réseaux d'informations, notamment grâce aux services territoriaux, qui possèdent une connaissance fine et régulière du territoire et de ses habitants. Pour éviter que l'information ne se perde en route, le préfet doit rappeler, au niveau local, l'obligation qu'ont les services de la lui transmettre en même temps qu'à leur hiérarchie policière.

Quand une manifestation est interdite par le préfet, le juge saisi en référé peut le désavouer et annuler l'interdiction. Il intervient ensuite au cours de la procédure judiciaire. Dans toutes les grandes manifestations, des équipes sont dédiées pour établir les constats et déférer les contrevenants au tribunal.

Je n'ai pas suivi la polémique sur l'intervention de la police en terrain privé. À mon sens, la force publique est en droit d'y poursuivre les auteurs d'une infraction ou d'un fait délictueux.

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Dans le cadre du maintien de l'ordre, quelles consignes de sévérité ou d'apaisement un préfet peut-il donner ?

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Patrice Bergougnoux, préfet honoraire

Le préfet, représentant du ministre de l'intérieur sur le terrain, donne aux forces de police des consignes générales et particulières pour que la manifestation se déroule dans le bon ordre. Il leur indique l'attitude à adopter. Il prévoit leur temps de réaction, dans le cas où elles doivent intervenir sur des groupes qui perturbent la manifestation. Il y a toujours différentes façons de gérer la situation. Le préfet délivre ses consignes lors des réunions préparatoires qui précèdent obligatoirement le déroulement d'une manifestation sur le territoire d'un département.

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Dominique Bur, préfet honoraire

Le premier objectif du préfet est de garantir le droit de manifester sans heurt, car, dans notre métier, les sanctions sont rapides : elles peuvent intervenir dès le mercredi suivant les faits… Si l'on ne sait jamais quelle forme prendra une manifestation ni quels sont les risques de dérapage, on peut cependant donner des consignes. L'interdiction d'entrer dans une préfecture est une règle absolue. Pour le reste, si les forces sont harcelées et si elles subissent une pression, elles peuvent réagir, mais l'intérêt bien compris du préfet – et plus largement l'intérêt public – est que les choses se déroulent bien.

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Messieurs les préfets, je vous remercie d'avoir inauguré cette commission d'enquête.

L'audition s'achève à dix heures vingt.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Réunion du jeudi 15 janvier 2015 à 9 heures

Présents. – Mme Marie-George Buffet, M. Gwenegan Bui, M. Guy Delcourt, M. Pascal Demarthe, M. Philippe Folliot, M. Philippe Goujon, Mme Anne-Yvonne Le Dain, M. Noël Mamère, M. Pascal Popelin, M. Daniel Vaillant

Excusés. - M. Michel Ménard, Mme Clotilde Valter