Intervention de Dominique Bur

Réunion du 15 janvier 2015 à 9h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Dominique Bur, préfet honoraire :

En quarante ans de service public dans le corps préfectoral, j'en ai passé vingt en administration centrale, dans des postes de direction, dont celui de directeur général des collectivités locales. Pendant les vingt autres, j'ai travaillé sur le terrain, dans le préfectoral territorial. J'ai notamment été préfet, préfet de région et préfet de zone, poste que j'ai occupé à Lille avant de prendre ma retraite en août dernier. Si je n'ai pas exercé de responsabilités au niveau national, comme M. Bergougnoux, j'ai une expérience certaine du maintien de l'ordre public au niveau territorial.

La responsabilité du maintien de l'ordre, qui incombe en grande partie au préfet, n'est ni anodine ni secondaire. Elle touche aux libertés publiques. Elle s'exerce sous le contrôle détaillé du juge, qui en examine la proportionnalité et la mise en oeuvre. Une mauvaise gestion peut avoir des conséquences très lourdes sur les personnes ou sur les biens.

Le droit constitutionnel de manifester, que le préfet doit concilier avec le maintien de l'ordre public, me semble garanti dans son principe. En vingt ans de terrain, je ne me souviens pas avoir interdit aucune manifestation. Les dernières mesures de ce type concernaient les « apéros saucisson-pinard », dont le principe avait été largement débattu.

Il est toujours moins dangereux pour le préfet d'autoriser une manifestation que de prendre le risque qu'elle se déroule malgré l'interdiction, et de se retrouver démuni. Mieux vaut assumer l'autorisation, à moins, bien entendu, que la manifestation ne viole les grands principes républicains.

Les moyens dont il dispose lui sont alloués tant au niveau zonal, dans un espace restreint, qu'au niveau national, lors d'arbitrages que Monsieur Vaillant, en tant qu'ancien ministre de l'intérieur, connaît fort bien. Une région comme Paris se voit attribuer beaucoup plus d'unités que d'autres, plus éloignées. Le préfet doit procéder à des choix, quand il fait face à un cumul de situations. Ainsi, j'ai eu à gérer le maintien de l'ordre lors de la visite simultanée de plusieurs ministres. Les situations sont rarement pures ou nettes. Elles se combinent au sein d'un environnement compliqué. Dans de tels cas, le préfet met à contribution les moyens locaux, comme les compagnies départementales d'intervention, qui sont plus ou moins étoffées.

La gestion de l'ordre public n'est pas une situation théorique. On ne peut prévoir les différents cas de figure susceptibles de se présenter dans le temps ou les territoires. J'ai connu des situations très diverses. Ainsi, quand j'ai été quatre ans en poste en Nouvelle-Calédonie, j'ai fait face, lors de la signature de l'accord de Nouméa, à de grandes tensions créées par des mineurs qui utilisaient d'énormes engins pour troubler l'ordre public.

Au fil du temps, la nature des manifestations a beaucoup évolué. Les importantes manifestations syndicales, groupées et encadrées, que j'ai connues au début de ma carrière ne donnaient pas lieu à des débordements. Leur parcours avait été fixé avec les organisateurs, leur déroulement était bordé et l'on n'avait pas à redouter les trublions que l'on a vus surgir par la suite.

Les manifestations se déroulaient rarement en milieu rural. Quand les agriculteurs voulaient marquer leur présence, ils se déployaient en ville, souvent devant la préfecture ou l'hôtel de ville, ce qui pose peu de problèmes majeurs. L'espace urbain est clos par les habitations. On peut toujours fermer une rue et canaliser les manifestants.

Les manifestations que nous avons connues se déroulaient dans l'après-midi, voire dans la journée. Elles se dispersaient le soir, même quand leur fin posait problème. À Toulouse, à la queue de la manifestation contre la réforme des retraites, qui a réuni 30 000 à 40 000 personnes, sont apparus une centaine d'autonomes très mobiles et organisés, avec lesquels s'est engagée une sorte de course-poursuite. À Nantes ou sur d'autres sites, les forces de l'ordre, confrontées à une sorte de harcèlement, ont eu pour tâche de protéger des lieux dans la durée.

À mon sens, le préfet doit s'impliquer personnellement dans la gestion de l'événement. J'ai toujours porté une grande attention aux opérations de maintien de l'ordre, car toute manifestation risque de dégénérer pour une raison qu'il n'est pas facile d'identifier au départ. Je présidais les réunions préparatoires avec les responsables des forces. Je me faisais expliquer le dispositif, que je discutais. Je cherchais à en connaître les fragilités.

L'obligation de déclaration à la préfecture, que prévoit le code de la sécurité intérieure, est diversement respectée. À cet égard, les Toulousains sont moins obéissants que les Lillois. Il existe en outre des manifestations qui n'ont pas réellement d'organisateurs. Dans le cas des rave parties, ceux-ci s'évanouissent dans la nature. Chaque fois que cela m'a été possible, j'ai établi un contact personnel avec les organisateurs, notamment les responsables agricoles, qui acceptaient de discuter de l'endroit où les manifestants déverseraient de la paille.

Quand une manifestation se déroulait l'après-midi, je me suis toujours rendu disponible afin de pouvoir être alerté à tout moment si la situation devenait difficile ou dramatique, ou qu'il faille prendre une décision. Le territoire du Nord étant vaste, j'ai souvent délégué la responsabilité locale au sous-préfet de Dunkerque ou de Valenciennes, tout en restant à l'écoute, car il est nécessaire que les informations remontent.

À l'origine, la gendarmerie, compte tenu de son statut de force militaire, devait être réquisitionnée, alors la police nationale dépendait – comme nous – du ministère de l'intérieur. L'intégration de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, en 2009, a permis d'uniformiser nos relations avec les deux forces. La situation administrative et la relation d'autorité sont désormais clarifiées. J'ai toujours associé le colonel ou le général de gendarmerie aux réunions que j'organisais.

Enfin, comme Monsieur Bergougnoux, je pense que certains éléments peuvent être améliorés. Nous y reviendrons sans doute au cours de la discussion.

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