L'habilitation proposée ne porte que sur une partie du délit d'entrave : il ne s'agit que des cas d'entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel – IRP –, et non d'entrave à leur constitution ou d'atteinte à la protection dont bénéficient les représentants du personnel.
Quand un employeur porte atteinte au statut d'un salarié protégé ou le licencie sans demander l'autorisation administrative de licenciement, il le fait de façon intentionnelle et prend un risque dont il sait qu'il est pénalement sanctionné. De même, lorsqu'il reçoit une lettre recommandée réclamant l'organisation de l'élection de délégués du personnel ou d'une autre instance représentative et qu'il ne le fait pas, il est dans l'intentionnalité de façon caractérisée.
S'agissant du fonctionnement, les choses sont un peu plus délicates. La jurisprudence de la chambre criminelle déduit l'intention de l'absence de diligence suffisante. En d'autres termes, manquer le délai de convocation d'une institution est un délit. Même chose lorsque l'on ne donne pas aux IRP toute l'information nécessaire, bien que le périmètre de cette information ne soit pas parfaitement établi par la jurisprudence. Il s'agit donc de délits formels. Même s'il peut y avoir, pour certains employeurs, une intention de les commettre, cette intention est beaucoup moins caractérisée que dans les autres cas. Il y a clairement une différence de degré entre l'entrave au fonctionnement et l'entrave à la constitution ou l'atteinte au statut d'un salarié protégé.
Les textes actuellement en vigueur relatifs au délit d'entrave sont rédigés institution par institution. Figurent dans un seul et même texte et sont assortis d'une seule et même peine les trois types d'entraves : à la constitution des instances représentatives du personnel, à leur fonctionnement et à la personne du salarié protégé. Il n'est donc pas inopportun d'introduire entre elles une distinction et de ne plus sanctionner par une peine d'emprisonnement l'atteinte au fonctionnement des instances représentatives du personnel, les délits commis en la matière n'étant souvent que d'ordre formel.
L'habilitation prévue par le projet de loi laisse entièrement le choix au Gouvernement entre dépénaliser ce délit ou maintenir son caractère pénal et dans ce cas, en conserver le caractère délictuel ou en faire une contravention. Compte tenu de la simplicité des mesures à prendre, j'ai demandé au Gouvernement que l'on parvienne à un accord en séance publique sur le choix à retenir. Si aucun accord n'a encore été trouvé à ce jour, il semble qu'on s'oriente plutôt vers le maintien du caractère délictuel de l'entrave au fonctionnement, quand bien même ce délit ne serait plus puni d'une peine d'emprisonnement.
S'agissant de l'inspection du travail, sans doute est-il nécessaire d'apporter des explications supplémentaires afin de lever tout malentendu. Contrairement à ce qui est indiqué dans l'exposé sommaire de l'un des amendements de suppression de cet article, en aucune façon nous n'avons de suspicion à l'égard des entreprises. Si nous avons besoin d'une police en France, ce n'est pas que l'on soupçonne le peuple français dans son entier, mais bien parce que des infractions sont commises. Nous avons besoin, auprès des entreprises, d'un corps de contrôle qui exerce notamment, mais pas uniquement, une mission de conseil. Certains employeurs, après avoir été dûment conseillés, persistent dans certaines attitudes, parfois de façon délibérée. Les phénomènes de travail dissimulé et de contournement des règles qui encadrent le détachement international constituent des infractions qu'il importe de pouvoir réprimer.
Si les inspecteurs du travail disposent déjà d'un arsenal de mesures, il reste que, lorsqu'ils dressent un procès verbal, celui-ci est classé sans suite dans quatre cas sur cinq. Il fallait donc que nous mettions à sa disposition d'autres moyens d'action. Tel était le sens de l'article 20 du projet de loi relatif à la réforme de la formation professionnelle, à l'emploi et à la démocratie sociale. Cet article 20 ayant été supprimé par le Sénat, il n'a pas été réintroduit dans le texte en commission mixte paritaire afin d'éviter l'échec de cette dernière, car nous souhaitions que la réforme de la formation professionnelle entre en vigueur rapidement. Puis a été déposée une proposition de loi reprenant les dispositions de l'article 20 précité : nous en avons débattu au sein de la Commission des affaires sociales. Et si l'UMP n'avait pas fait durer la discussion du projet de loi relatif à la famille, la proposition de loi précitée aurait pu être discutée en séance publique.
Pourquoi, aujourd'hui, ne pas reprendre cette proposition de loi par amendement ? D'abord parce que, comme l'a souligné le ministre, il est nécessaire de rediscuter de ces mesures afin de dissiper tout malentendu et éventuellement de les améliorer. D'autre part, l'état du droit international a évolué. La Cour européenne des droits de l'homme a rendu le 20 mai 2014 – soit juste après que nous avons discuté en Commission des affaires sociales de la proposition de loi précitée – quatre arrêts concernant la Finlande, dans lesquels elle a fait évoluer l'interprétation qu'elle faisait auparavant de la règle non bis in idem, s'agissant notamment du cumul entre sanctions pénales et administratives. La question de savoir dans quelle mesure ces arrêts nous concernent n'est pas parfaitement claire. C'est pourquoi il nous faudra peut-être modifier cette proposition de loi.