Intervention de Estelle Grelier

Réunion du 20 novembre 2012 à 17h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEstelle Grelier :

Nous examinons aujourd'hui le projet de cadre financier pluriannuel pour 2014-2020, qui sera discuté au Conseil européen des 22 et 23 novembre prochains, ainsi que le projet d'accord interinstitutionnel sur la coopération en matière budgétaire et la bonne gestion financière, et les projets de textes relatifs au système des ressources propres de l'Union. L'évolution du cadre financier ne peut en effet être envisagée sans évolution du système des ressources propres, qui atteint aujourd'hui ses limites.

Les négociations sur le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 s'inscrivent dans un contexte marqué par plusieurs nouveautés. C'est tout d'abord le premier cadre financier négocié à 27 États membres, avec, en outre, la perspective de l'adhésion d'un vingt-huitième État, la Croatie, au 1er juillet 2013.

Il s'agit ensuite du premier cadre à être adopté sous l'empire du traité de Lisbonne, ce qui emporte deux conséquences :

– la prise en compte par le budget des nouvelles prérogatives confiées à l'Union, en matière d'action extérieure, de changement climatique ou de sport, par exemple ;

– l'évolution de la procédure d'adoption du cadre financier, avec la volonté affichée du Parlement européen d'utiliser pleinement le pouvoir d'approbation qui lui est confié et l'affirmation du rôle du président du Conseil, qui entend l'assumer avec détermination puisque c'est lui, et non la présidence chypriote, qui a formulé la dernière proposition de compromis soumise au Conseil.

C'est enfin la première fois que les négociations s'engagent dans un contexte marqué à la fois par des difficultés économiques d'une ampleur jamais atteinte et un désamour des citoyens pour l'Europe. A cet égard, la position du Royaume-Uni ne peut que nous interroger : il n'a jamais été autant en retrait du projet européen que depuis quelques mois. Ainsi, sur la taxe sur les transactions financières, le Royaume-Uni pourrait ne pas se contenter de ne pas participer à la coopération renforcée mais monnayer cher son accord au lancement de la coopération renforcée, qui requiert l'unanimité.

Dans ce contexte, les discussions sur le cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 mettent en évidence une radicalisation des positions, au sein du Conseil, mais également de la part du Parlement européen, dont témoigne l'échec de la procédure de conciliation sur le budget rectificatif pour 2012 et le budget pour 2013. En réalité, le cadre financier pluriannuel est la caisse de résonnance des difficultés de l'Union. C'est le cadre financier de tous les dangers.

La proposition de la Commission européenne, qui raisonne en euros constants, visait, en juin 2011, à bâtir le cadre financier en multipliant le plafond de l'année 2013 par 7, afin d'afficher une stabilisation de la part des crédits d'engagement dans le RNB de l'Union à 1,05 %.

Depuis, elle a dû revoir sa proposition à la hausse en juillet dernier, afin de tenir compte de l'adhésion de la Croatie et des nouvelles données macro-économiques. Sa proposition s'établit ainsi à 1 061 milliards d'euros, 1 091 milliards d'euros avec le Fonds européen de développement. La progression des crédits serait ainsi de l'ordre de 5 % par rapport au cadre financier actuel.

De son côté, le Parlement européen vise une progression d'au moins 5 % par rapport au plafond de 2013. Cette exigence a été confirmée de manière très ferme par la présidente de la Commission spéciale sur les défis politiques et les ressources budgétaires pour une Union européenne durable après 2013, Jutta Haug, lors du déplacement de la mission à Bruxelles. Après tout, a-t-elle souligné, une absence d'accord sur le cadre financier n'empêcherait pas le budget européen de fonctionner : les plafonds du budget 2013 seraient simplement reconduits. Pour autant, cela aurait un coût politique important et empêcherait la mise en oeuvre de la programmation à venir.

Reimer Böge, chargé avec Ivailo Kalfin des négociations pour le Parlement sur le cadre financier pluriannuel, a, de son côté, laissé entrevoir la possibilité d'un accord sur la proposition de la Commission européenne, voire à un niveau de crédits inférieur, à condition que des avancées significatives soient faites sur les autres sujets du « paquet de négociation », en particulier en matière de flexibilité et de souplesse du budget.

Au Conseil, les divergences sont fortes entre les pays dits « amis de la politique de la cohésion » (Pologne, Portugal, Grèce, Slovénie, Hongrie…) et les contributeurs nets, qui se sont auto-proclamés « amis du mieux dépenser », mais sont souvent qualifiés, en langage bruxellois, de « club des radins » (Allemagne, Royaume-Uni, France, Pays-Bas, Suède, Danemark, Autriche…). La présidence chypriote a formulé, le 29 octobre 2012, une proposition visant à réduire d'au moins 53 milliards d'euros le scénario de la Commission européenne tout en laissant ouverte l'option d'une réduction supplémentaire des dépenses administratives, non concernées par les baisses à ce stade. Sur ce dernier point, je vous mets en garde devant le risque de trop aller sur le sujet de la réduction des dépenses administratives, car la question du siège du Parlement à Strasbourg vous reviendrait en boomerang. L'enveloppe totale proposée s'élève ainsi à 1 008 milliards d'euros. Les diminutions touchent surtout les dépenses en faveur de la compétitivité, puis celles de cohésion et, enfin, celles de la politique agricole commune.

A la suite du tollé provoqué par cette proposition, les uns déplorant l'insuffisance de la baisse générale, les autres critiquant le ciblage même des réductions opérées, le Président Herman Van Rompuy a soumis, le 13 novembre, une nouvelle proposition qui réduit de près de 80 milliards d'euros le scénario de la Commission européenne pour le porter à 983 milliards. Parmi les réductions proposées, les dépenses en faveur de la croissance et de la compétitivité sont relativement épargnées, alors que celles en faveur de la cohésion et de la rubrique 2, pourtant déjà réduite dans la proposition de la Commission européenne, sont plus particulièrement visées. Si le montant global pourrait constituer un point d'équilibre pour un bon nombre d'États membres, la répartition des coupes proposées est vivement contestée, notamment par la France.

Pour ma part, je pense que la proposition de la Commission européenne, à 1 061 milliards d'euros, est juste. La Commission européenne a en effet procédé à une évaluation précise des besoins. Sa proposition permet en outre de mettre l'accent sur la compétitivité et d'accroître fortement les moyens en faveur des grands projets d'infrastructures européens, tout en assurant un montant suffisant pour la cohésion et la PAC. Cela doit bien entendu s'accompagner d'un développement des ressources propres.

Je conclurai en appelant votre attention sur quatre sujets transversaux. Le premier, c'est la nécessité d'arrêter d'avoir une vision purement comptable du budget européen, qui aboutit à ce que chaque État ne regarde que son solde net, sans prendre en considération les bénéfices, directs et indirects, apportés de manière plus générale par l'Europe. À force de privilégier la notion du taux de retour, le projet européen perd son identité. Le succès de la réforme du système des ressources propres, qui doit permettre de mettre fin à un mode de financement assis essentiellement sur le RNB, est à cet égard essentielle.

Le deuxième point, c'est la priorité qu'il convient d'accorder à tous les dispositifs en faveur de la croissance et de l'emploi, notamment ceux de la rubrique 1A.

Le troisième sujet est l'impératif qu'il y a à traiter, dans le cadre financier pluriannuel 2014-2020 la question des restes à liquider, qui devraient s'élever à 207 milliards fin 2013. Il s'agit des engagements non convertis en paiements qui ne cessent de progresser et obèrent d'autant les capacités financières à venir.

Le quatrième point est celui relatif au fonctionnement du budget, dont il faut impérativement accroître la flexibilité. En particulier, il serait utile de prévoir la possibilité de reporter les marges du plafond des crédits d'engagement d'un exercice sur le suivant et de les considérer comme une marge globale du cadre financier.

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