Intervention de Alain Bocquet

Séance en hémicycle du 27 janvier 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 2

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Bocquet :

Monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, nous abordons, avec cet article 2, l’une des mesures phares du projet de loi : la mise en place de services librement organisés de transport public routier par autocar.

Comme nous avons eu l’occasion de le souligner à plusieurs reprises, nous sommes tout à fait opposés à cette réforme. Si nous ne sommes pas, par principe, hostiles au développement du transport par autocar – rappelons du reste que l’autocar représente déjà près d’un quart de l’offre de transport mise en place par les régions – la réforme que vous nous proposez n’est pas acceptable en l’état.

En premier lieu, rien n’est prévu dans le texte pour limiter les risques évoqués par plusieurs collègues de voir ces services librement organisés fragiliser notre système ferroviaire, sinon la possibilité offerte aux autorités de transport de saisir l’autorité de régulation.

En second lieu, vous dessaisissez de fait les autorités organisatrices de transport de leur pouvoir de coordination de l’offre. Vous les privez de leur rôle de garants de la cohérence des politiques d’aménagement et de l’intérêt général. À nos yeux, vous sous-estimez gravement l’impact que l’ouverture de services librement organisés d’autocar va avoir sur l’offre de transport ferroviaire.

Le transport ferroviaire a été considérablement fragilisé en France ces dernières années. Ce secteur est tout d’abord structurellement dépendant de l’offre. Il présente des coûts d’investissement et d’exploitation importants, nécessitant le soutien par d’importants fonds publics. C’est aussi, au plan technique, un système de transport qui représente des contraintes techniques importantes au regard du mode routier.

Depuis plusieurs années, les différents acteurs du ferroviaire estiment que la régénération des infrastructures implique des investissements jugés trop importants, ou bien jugent excessifs le coût de l’exploitation. Cela a eu pour effet un abandon progressif du ferroviaire qui s’est accompagné d’une dégradation continue de la qualité du service offert aux usagers, ainsi qu’un niveau élevé des prix.

Le manque d’ambition des pouvoirs publics se traduit encore dans la volonté d’abandonner la politique des transports au régime de la concurrence et des intérêts privés. La mise en place de services librement organisés de transport par autocar s’inscrit dans ce mouvement d’ensemble qui dure depuis des années. Déjà, en novembre 2009, la Cour des comptes proposait de transférer massivement sur route 7 800 kilomètres de lignes TER régionales. La direction générale du trésor et de la politique économique estimait de son côté qu’il convenait désormais de décourager l’usage du train sur certaines liaisons jugées trop coûteuses.

Il faut rappeler que nous devons en grande partie cette situation au fait que l’État refuse de s’attaquer au fardeau insupportable de la dette qui plombe le système ferroviaire et s’accompagne d’une politique de sous-investissement, de réduction et de détérioration de l’offre, de suppression d’emplois de cheminots par centaines et de pratiques commerciales contraires aux attentes des usagers.

Pour stabiliser la dette, qui s’élève à 44 milliards d’euros, la dernière loi de réforme ferroviaire a proposé la mise en place d’une règle de rétablissement des équilibres financiers qui aggrave encore la situation, puisqu’elle impose une logique d’autogestion par la SNCF de ces milliards de dettes par la seule recherche de gains de productivité et de compression des investissements. Ce carcan financier conforte la stratégie de la SNCF consistant à chercher en dehors du transport ferroviaire les ressorts de son développement, notamment dans le transport routier. On oublie souvent que la SNCF est, par sa filiale Géodis, le plus grand transporteur routier en France. Le transport ferroviaire ne représente déjà plus que 40 % du chiffre d’affaires de la SNCF.

Nous avions proposé, au cours des débats sur la réforme ferroviaire, que le Gouvernement s’attaque enfin à la question de la dette ferroviaire par la création d’un organisme qui, à l’image de la Caisse d’amortissement de la dette sociale, se verrait transférer le montant de la dette de RFF avec pour mission de la rembourser à une échéance fixée par ordonnance. Pour son financement, nous avions proposé que cette caisse de défaisance soit abondée par la réaffectation de taxes sur les autoroutes ou la remise à l’ordre du jour d’une taxe à l’essieu sur les grandes entreprises du transport routier. Parmi nos autres propositions en faveur du ferroviaire figuraient l’établissement d’un plan pluriannuel de financement ; le maintien de manière pérenne des ressources budgétaires ; l’attribution de nouvelles ressources fiscales avec par exemple un versement transport ; la création d’une épargne populaire affectée aux infrastructures.

À l’évidence, en dépit du rôle majeur que peut jouer le rail dans la transition énergétique, vous n’avez pas la volonté politique de sortir notre système ferroviaire de l’ornière. Vous cherchez au contraire à continuer de désengager l’État.

Nous en avons une illustration avec le sort réservé aux trains d’équilibre du territoire pour lesquels l’État rationne les investissements. Le Gouvernement a confié en novembre dernier à notre collègue Philippe Duron le soin de conduire les travaux de la commission « Avenir des trains d’équilibre du territoire ». Le ministre Alain Vidalies en a clarifié les objectifs, demandant à la commission de réfléchir à une meilleure articulation entre les TET et les TER mais également avec « les nouvelles alternatives que représentent les autres modes de transport comme l’autocar » appelées à se développer dans le cadre de la prochaine loi Macron.

En clair, il ne faut pas s’attendre au déploiement de nouvelles liaisons mais à ce que certains services TER et TET redondants fusionnent et que dans certains cas, l’autocar vienne en complément, le tout dans le cadre des compétences futures des grandes régions. On le sait, l’enjeu pour l’État est de réaliser des économies. Les subventions aux TET coûtent chaque année à l’État 300 millions d’euros. Ces 300 millions d’euros pour trente-trois lignes n’ont d’ailleurs rien d’exorbitant.

De la même manière, les régions, soumises à d’importantes contraintes budgétaires et dont un quart du budget passe dans les transports, ou la SNCF, qui a développé sa propre filiale de transport par autocar, vont être tentées de fermer des milliers de kilomètres de lignes ferroviaires pour leur substituer des liaisons par autocar. Je rappelle qu’en 2009, la Cour des comptes proposait déjà de transférer massivement sur route 7 800 km de lignes TER régionales. Votre réforme s’inscrit dans cette logique. Elle va moins permettre à des automobilistes de prendre l’autocar que contraindre nombre d’usagers du train à prendre l’autocar.

Quelles seront les conséquences sur l’activité de ce déclin programmé du ferroviaire ?

Tout d’abord, quelles seront ses conséquences sur l’emploi dans le secteur et dans l’industrie ferroviaire ? Vous parlez de créer 20 000 emplois, mais vous allez déjà en supprimer 10 000 dans l’industrie ferroviaire française, et vous en serez le premier responsable. Il s’agit pourtant d’une filière industrielle majeure, déjà durement éprouvée, fleuron de notre industrie, qui fabrique des métros, des trains, des TGV pour le monde entier.

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