Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, à l’évidence, ce sujet n’est pas un sujet comme un autre. L’émotion qui s’empare de cet hémicycle au terme de votre intervention, madame la rapporteure, montre bien que nous touchons là à des sujets qui ne portent pas simplement sur des questions de droit, ils sont liés à notre intimité profonde et renvoient à notre vie, à ce que nous avons vécu, à ce que beaucoup d’entre nous vivront, par nous-même ou par nos proches. Nous avons à faire preuve, non seulement de compassion, mais d’attention et d’imagination. Nous avons à faire preuve de beaucoup d’humilité, comme vous l’avez fait vous-même. Vous avez d’ailleurs indiqué que votre propre position avait changé au fur et à mesure des auditions.
En écrivant : « Avant le jour de sa mort, personne ne sait exactement son courage », Jean Anouilh illustrait ce qui est sans doute l’une des plus anciennes appréhensions à laquelle nous soyons confrontés, celle de la mort, celle du moment où la vie s’arrête.
Ces dernières années, la fin de la vie, tout comme le rapport que nous entretenons avec elle, ont profondément évolué. On n’appréhende plus la fin de vie comme on le faisait hier : aujourd’hui, ce n’est pas tant le jour de sa mort que l’on redoute que les jours de sa mort, ce moment qui peut être assez long et qui précède la fin de la vie.
Nous vivons en moyenne plus longtemps et en meilleure santé. La prise en charge de la souffrance et de la douleur a fait l’objet d’importantes avancées. Dans le même temps, les progrès scientifiques de la médecine génèrent des situations parfois plus longues et plus complexes à assumer.
Les aspirations de tous nos concitoyens ont elles aussi évolué au fur et à mesure que le regard sur la mort s’est transformé. Nous avons tous à l’esprit des situations individuelles fortement médiatisées qui ont interpellé l’opinion. Si importantes que soient les questions soulevées par ces situations, elles ne peuvent résumer les cas auxquels nous avons à répondre.
Comment s’étonner que le rapport à la fin de vie ait évolué alors que notre société tout entière s’est profondément transformée au cours des dernières décennies ? Nous devons constater qu’en quelques années, le rapport à la fin de la vie a profondément bougé, probablement plus qu’au cours des siècles passés.
C’est à cette attente, à ces préoccupations et à ces interrogations que vous voulez répondre, madame la rapporteure, par votre proposition de loi. Sur cette question sans doute plus que sur toute autre, personne ne peut prétendre détenir la vérité et le regard de chacun d’entre nous doit pouvoir être exprimé. Le débat que nous avons eu dans cet hémicycle la semaine dernière a été un moment important, celui que nous avons aujourd’hui sur votre texte l’est tout autant, et celui que nous aurons sur d’autres textes à l’avenir le sera aussi.
Vous soutenez vos propositions de manière forte et constante, mais aussi avec beaucoup de sobriété et beaucoup d’émotion. Je veux saluer votre position et votre engagement, dans lesquels se reconnaît une grande partie de nos concitoyens.
La société, aujourd’hui, nous demande de considérer deux valeurs fortes : la dignité, puisque chacun entend mourir dans la dignité, selon la définition qu’il donne lui-même de ce terme ; et le respect de l’autonomie de chacun. C’est le droit auquel nous pouvons aspirer d’être respectés dans nos choix, dans nos volontés, tout au long de notre vie et particulièrement à la fin de celle-ci.
Les rapports comme les enquêtes le montrent : au moment de leur fin de vie, les Français veulent pouvoir choisir. Choisir les conditions de sa fin de vie, c’est notre ultime liberté. Choisir de ne pas souffrir, cela devrait être une évidence ; choisir de mettre un terme aux traitements lorsque son pronostic vital est engagé, si on le souhaite ; choisir au contraire de les poursuivre ; choisir en amont, afin de ne pas laisser à d’autres le soin de le faire à sa place.
En 2005, la loi Leonetti, votée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, a constitué une avancée importante. Droit à disposer d’une information transparente, droit au consentement, droit d’accès au dossier, droit au traitement de la douleur. C’est un tournant dans la relation qui existe entre le soignant et le soigné. La prise en charge de la maladie n’est plus la seule affaire des soignants. Les patients, leur famille, leurs proches doivent y être étroitement associés.
En encadrant l’arrêt des traitements, cette loi fut une étape décisive dans ce mouvement. Elle s’est accompagnée d’un développement des unités de soins palliatifs puisque le nombre de lits a été multiplié par vingt en dix ans, et c’est évidemment un élément important.
Ces progrès ne sont nullement contestés. Pour autant, de fortes aspirations demeurent et s’expriment dans la société pour faire évoluer ce droit. C’est à ces aspirations que le Président de la République a choisi de répondre, par son vingt et unième engagement lors de la campagne présidentielle, et en demandant à plusieurs personnalités, au Comité consultatif national d’éthique et à des citoyens, de s’exprimer et d’identifier les évolutions possibles de la législation actuelle.
Proposer des évolutions de la loi dans un esprit de rassemblement, c’est le sens de la mission confiée par le Premier ministre en juin dernier à Alain Claeys et Jean Leonetti, parlementaires reconnus, de sensibilités politiques différentes. L’ambition de ce travail a été clairement affirmée : parvenir à trouver un consensus aussi large que possible afin d’aborder ce débat de manière dépassionnée. Les travaux de cette mission ont été remis au Président de la République en décembre dernier.
Je veux insister sur le fait que l’on trouve, entre les travaux de cette mission et ceux que vous avez vous-même portés, madame Véronique Massonneau, des points de convergence importants. Vous avez d’ailleurs rappelé ces convergences à plusieurs reprises. Vous avez indiqué que vous partagiez les mêmes constats, et pour une partie d’entre eux, les réponses qui y sont apportées.
De quoi s’agit-il ? Tout d’abord, le constat de l’accès insuffisant aux soins palliatifs. Aujourd’hui, deux tiers des Français qui meurent de maladie auraient besoin de soins palliatifs, mais une grande partie d’entre eux n’y a pas accès, ou trop tardivement. C’est pour moi une priorité, garantir l’accès à cet accompagnement qui reste très inégal, notamment en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, ou à domicile, là où la majorité de nos concitoyens souhaite pouvoir finir ses jours.
Le nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs accorde une importance majeure à la formation des personnels soignants. Ainsi, dès la prochaine rentrée universitaire, un enseignement spécifique consacré à l’accompagnement des malades sera intégré à toutes les formations sanitaires, Geneviève Fioraso s’y est engagée. Le projet de loi de santé consacre les soins palliatifs comme l’une des missions des établissements de santé, au même titre que les soins curatifs.
Votre proposition de loi prévoit, comme celle d’Alain Claeys et Jean Leonetti, un renforcement des soins palliatifs en consacrant pour toute personne malade un droit universel à y accéder sur l’ensemble du territoire.
Le deuxième constat que vous partagez, c’est que la législation en vigueur est mal connue. Ainsi, seulement 2,5 % de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées, qui étaient un des points forts de la loi de 2005. Sans doute cette méconnaissance fait-elle écho au fait que la loi de 2005 est d’abord et avant tout perçue pour ce qu’elle est, c’est-à-dire une loi à destination des professionnels plus qu’à destination des patients.
Alors que les directives anticipées ne constituent aujourd’hui que l’un des éléments à prendre en compte dans la décision médicale, votre proposition de loi prévoit, comme la mission parlementaire, de les rendre contraignantes pour les médecins et de supprimer leur durée de validité, c’est une convergence importante.
Le troisième constat, c’est qu’il faut faire évoluer la loi dans le sens d’une plus grande autonomie des personnes. Ce constat, là aussi, est partagé, mais nous savons que la réponse qu’il est proposé d’y apporter diffère entre la proposition issue de la mission d’Alain Claeys et Jean Leonetti et votre proposition de loi. Alain Claeys et Jean Leonetti proposent d’instaurer un droit à bénéficier d’une sédation continue en phase terminale, lorsque le pronostic vital est engagé. C’est une avancée importante, c’est un droit nouveau qui est proposé à la suite d’un long processus de concertation, et dans un esprit de rassemblement.
Votre proposition de loi va plus loin, en ouvrant le droit à l’euthanasie et au suicide médicalement assisté. Concrètement, vous proposez de donner la possibilité à une personne majeure et capable, en phrase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause, infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable, de demander à son médecin le bénéfice d’une euthanasie ou d’un suicide médicalement assisté. Une procédure très encadrée est proposée. Le médecin doit faire appel à un autre praticien de son choix pour l’éclairer. Le caractère libre, éclairé, réfléchi et explicite de la demande présentée doit être vérifié. Le patient peut, à tout moment et par tout moyen, révoquer sa demande.
Le Premier ministre l’a rappelé ici même la semaine dernière : le Gouvernement soutient la proposition d’Alain Claeys et Jean Leonetti qui correspond aujourd’hui à un point d’équilibre. Cette proposition représente une avancée majeure, en ce qu’elle change radicalement de perspective en partant désormais de la volonté du malade, là où la loi de 2005 se contentait d’encadrer les pratiques des médecins. C’est une avancée majeure et un changement de perspective qui correspondent à ce que vous appelez de vos voeux, madame la rapporteure, même si vous souhaitez aller plus loin.
Mesdames et messieurs les députés, nous le savons, le cadre légal actuel n’est pas suffisant. Il ne permet pas de répondre aux souhaits de certains patients. Nous devons donc nous attacher à apporter des réponses.
Vous le savez et vous l’avez dit, madame la rapporteure, le Gouvernement ne soutient pas votre proposition de loi.