Intervention de Jean Launay

Séance en hémicycle du 29 janvier 2015 à 15h00
Nouveaux indicateurs de richesse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Launay :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la rapporteure, mes chers collègues, la notion de produit intérieur brut concentre depuis longtemps les critiques dès lors qu’il s’agit de mesurer l’évolution du bien-être et de la croissance soutenable d’un pays. Il y a juste un an, c’est sur ce constat que j’avais débuté mon intervention sur la question des nouveaux indicateurs de richesse soulevée par Eva Sas. Cette séance du 23 janvier 2014 lui avait déjà permis de présenter un texte et de démontrer le lien indispensable entre indicateurs de richesse et définition des politiques publiques.

Un an après, le sujet est toujours d’actualité. S’il n’est pas prégnant, il mérite d’être pris en compte à l’aune de la méfiance des citoyens face aux mesures statistiques classiques, ce que la commission Stiglitz-Sen-Fitoussi avait d’ailleurs pointé dans son rapport de septembre 2009 : « Il semble souvent exister un écart prononcé entre, d’une part, les mesures habituelles des grandes variables socio-économiques comme la croissance, l’inflation, le chômage, etc., et, d’autre part, les perceptions largement répandues de ces réalités. » Je salue donc le travail et l’opiniâtreté de notre collègue Eva Sas. Sa présentation du texte, motivée et détaillée, devant la commission des finances le 21 janvier dernier, reposait sur de multiples auditions et sur de nombreux travaux concordants, dont certains déjà anciens, et concluait à la nécessité non pas de remettre en cause la mesure du PIB, mais de la compléter.

Déjà en 1972, James Tobin, que j’apprécie par ailleurs pour l’idée d’une taxe sur les transactions financières qu’il a promue, construisait un indicateur du bien-être économique durable. La démarche était certes expérimentale, mais posait déjà le principe du caractère non immuable des conventions comptables ainsi que le constat que notre conception de la richesse pouvait évoluer dans le temps. En 1990, le programme des Nations unies pour le développement, le PNUD, poussait à l’intégration du pouvoir d’achat, de l’espérance de vie et du niveau d’instruction dans l’indice de développement humain. Lors des auditions menées par Eva Sas, Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, constatait que la réflexion sur les indicateurs avait été relancée dans notre pays dans le cadre des réflexions sur « Quelle France dans dix ans ? ». Il ajoutait, non sans raison, que quand on a observé les dégâts de la crise financière dus à un système bancaire défaillant sur ses missions premières du financement de l’économie et tourné vers les subprimes, il apparaît que les crises grecques, espagnole et irlandaise ont montré qu’une croissance soutenue du PIB pouvait être non soutenable et suivie d’un effondrement.

La croissance du PIB peut donc masquer une période de pré-crise. Voici ce que je disais mot pour mot l’an dernier : « Comment considérer que les performances de croissance apparemment brillantes de l’économie mondiale entre 2004 et 2007 étaient obtenues au détriment de la croissance à venir ? Comment ne pas être d’accord avec le constat qu’elles tenaient en partie au mirage de profits reposant sur des prix dont la hausse était due à une bulle spéculative ? À tout le moins, l’euphorie suscitée par les performances économiques antérieures à la crise aurait été moindre si l’on avait été davantage conscient des limites de la mesure classique qu’est le PIB. Des outils de mesure intégrant des évaluations de la soutenabilité, comme l’endettement privé croissant, nous auraient donné une vision plus prudente de ces performances. »

La séance du 23 janvier 2014 avait débouché sur le rejet de la proposition de loi présentée par Eva Sas. En effet, telle que rédigée à l’époque, elle contenait des dispositions de caractère organique se rapportant à la LOLF que le Gouvernement ne souhaitait pas voir modifiée par touches successives et partielles.

Le texte présenté aujourd’hui stabilise la question : après concertation avec le Gouvernement, il prévoit la présentation d’un rapport qui explicitera, d’une part, l’évolution à moyen terme d’indicateurs de qualité de vie et de développement durable, et, d’autre part, l’évaluation qualitative et quantitative de l’impact des réformes engagées ou envisagées.

Il vient à point nommé car la France, après avoir été pionnière sur les nouveaux indicateurs de richesses, aurait pris du retard. De plus, notre pays est assez prolixe en débats et en organisations qui débouchent sur des documents-cadre qu’il serait judicieux de rationaliser pour élaborer un tableau de bord de référence. Jugez-en, mes chers collègues : le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances contient des indicateurs de soutenabilité environnementale et sociale ; le programme national de réformes, présenté dans le cadre du Semestre européen conjointement avec le programme de stabilité, comporte des indicateurs sur la dette publique, mais aussi sur l’actif et la pauvreté dans le cadre des mesures des progrès réalisés dans l’atteinte des objectifs nationaux de la stratégie Europe 2020 ; le débat d’orientation des finances publiques intègre des fiches thématiques sur le chômage et sur le revenu des ménages par exemple. De surcroît, les régions ont mis au point trois indicateurs stratégiques et pédagogiques qui orientent leurs politiques publiques : l’empreinte écologique, l’indicateur de développement humain et l’indicateur de santé sociale.

Le groupe SRC votera la proposition de loi d’Eva Sas, d’autant plus que notre collègue Serge Bardy avait déjà lui-même beaucoup travaillé sur le sujet et a contribué à nous convaincre. Restera la question du délai pour porter les indicateurs à la connaissance de tous. Je pense que cela n’est en rien rédhibitoire. L’éclairage de l’opinion publique est nécessaire. Dès lors que nous aurons entamé la démarche proposée par ce texte, j’ai la conviction qu’elle s’affinera et s’améliorera au fil du temps.

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