Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la victoire de François Hollande, à laquelle les électeurs du Front de gauche ont largement participé, a suscité parmi nos concitoyens, je l'ai déjà dit, des attentes fortes.
L'adhésion populaire était acquise au Gouvernement, et elle le reste, pour tourner la page de dix années de gestion catastrophique de nos finances sociales par la droite, pour rompre avec les logiques que nous avions dénoncées ensemble ici et pour revenir sur des dispositions que nous avions ensemble combattues.
Il ne s'agit pas de renverser la table, comme on dit, mais de poser clairement les jalons d'un projet ambitieux de redressement, de renforcement et de consolidation de notre système de protection sociale.
Nous ne nions pas que ce PLFSS comporte des mesures positives – nous les avons bien sûr saluées et votées : prise en charge à 100 % de l'IVG, gratuité d'une partie des modes de contraception ; fin de la convergence tarifaire, annonces concernant la T2A, mesures en faveur des travailleurs de l'amiante et des non-salariés agricoles, expérimentation du tiers payant pour les parents ayant recours à une assistante maternelle et d'autres mesures encore, que je n'ai pas le temps de citer ici.
Il ne s'agit pas pour nous de taire ou de minimiser ces points qui, face à la situation très difficile rencontrée par un nombre grandissant de nos concitoyens, présentent indiscutablement un intérêt.
Mais justement, compte tenu de cette situation, nous sommes surpris que vous n'ayez pas commencé à remettre en cause les mesures les plus injustes telles que la fiscalisation des indemnités journalières des accidents du travail ou d'autres encore, qui portent gravement atteinte à l'accès aux soins, comme les franchises médicales et les forfaits hospitaliers, qui sont maintenus, ou encore la restriction de la prise en charge des affections de longue durée – l'hypertension artérielle, entre autres.
Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence notre déception devant le fait que vous ne remettez pas en cause la loi HPST qui a fait, et continue de faire, tant de mal à nos hôpitaux publics.
Tout ceci est préoccupant mais le plus grave à nos yeux porte sur les aspects financiers dans la mesure où vous avez refusé de prendre des dispositions sérieuses pour créer des recettes nouvelles et repoussé tous nos amendements sur ce point pourtant essentiel.
C'est ce qui vous conduit à maintenir des ONDAM insuffisants au regard de ce qu'exige la situation, notamment l'ONDAM hospitalier qui, avec une revalorisation de 2,6 % au lieu des 3 % au minimum qui s'imposeraient, conduira de fait à poursuivre les restructurations hospitalières et les fermetures de services. D'ailleurs, eu égard à ces restrictions financières, véritable déficit organisé, nous ne voyons pas bien comment vous allez pouvoir faire appliquer la mesure positive que constitue le repos de sécurité pour les médecins de garde dans les hôpitaux, comme vous vous y êtes engagée auprès des internes.
Un autre point est pour nous inacceptable : la création de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie.
Cette mesure, dont la paternité revient à la droite, est reçue comme un coup de massue par celles et ceux de nos concitoyens retraités qui se sont prononcés pour le changement.
C'est également un très mauvais signe donné par le Gouvernement sur la manière dont il envisage la forme que prendra la prise en charge de la perte d'autonomie et de la dépendance. Nous avons pu déduire des déclarations de Mme la ministre que cette prise en charge ne relèverait certainement pas de la sécurité sociale comme on aurait pu l'attendre d'un gouvernement de gauche.
Tout cela, je l'ai déjà dit lors de la première lecture.
Depuis, je constate que de nouveaux signaux tout aussi inquiétants montrent l'intention du Gouvernement de poursuivre sur la voie d'une maîtrise comptable des dépenses de santé qu'ont tracée ses prédécesseurs.
Je m'inquiète ainsi des annonces qui ont suivi la présentation du rapport Gallois, notamment des mesures d'économies qu'il a été envisagé de faire sur l'assurance maladie alors que la situation actuelle est déjà à la limite de la rupture, notamment pour ce qui est du fonctionnement des hôpitaux et de l'accès aux soins.
N'oublions pas le problème des dépassements d'honoraires que le récent accord ne va nullement résoudre même s'il limitera les dépassements les plus exorbitants. Plutôt qu'un accord conclu sur le dos des patients, mieux aurait valu limiter plus drastiquement, voire interdire, les dépassements d'honoraires en contrepartie d'une revalorisation des actes du secteur l et de la création d'une assurance civile professionnelle publique ou, à tout le moins, d'une forte régulation des assurances privées.
Nous sommes également préoccupés par votre positionnement vis-à-vis des industries pharmaceutiques. Comme j'ai eu souvent l'occasion de le dire, les médicaments ne sont pas une marchandise banale : d'une part, parce qu'ils peuvent améliorer ou détériorer gravement la santé, d'autre part parce qu'ils sont remboursés par la sécurité sociale, ce qui justifie qu'ils fassent l'objet d'un contrôle strict de la part de la puissance publique. Dans ces conditions, pourquoi autoriser la mise sur le marché et même le remboursement par la sécurité sociale de molécules onéreuses qui font doublon avec d'autres bien moins coûteuses ? Pourquoi ne pas imposer la baisse du prix des génériques ? Comment se fait-il que des molécules identiques soient deux à trois fois moins chères en Angleterre qu'en France ? Il est temps, je crois, de réguler cette industrie d'autant que sa situation florissante n'empêche pas ses dirigeants d'envisager des licenciements, chez Sanofi, par exemple, et ailleurs.
Dans le même registre, je suis préoccupée par le contenu, annoncé dans la presse, des prochains textes réglementaires d'application de la loi sur le renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, adoptée l'an dernier. Alors que le groupe socialiste avait défendu des positions très fermes, guidées par l'intérêt général, sous impulsion notamment de notre collègue Catherine Lemorton, ces textes réglementaires – un décret et une circulaire – risquent de détricoter les dispositions précisément votées pour prévenir tout conflit d'intérêt !
Ainsi, pour ne prendre qu'un seul exemple, il est prévu que les déclarations d'intérêt soient non plus centralisées mais disséminées sur les sites des différents laboratoires. Les rédacteurs de cette circulaire envisageraient même de faire en sorte que les moteurs de recherche ne puissent pas procéder à l'indexation des bénéficiaires.
Je vous saurai gré, madame la ministre, de nous éclairer sur ces points et de nous préciser votre position.
Vous le voyez, mes chers collègues, nos préoccupations sont vives et ne cessent de s'accentuer.
Si les députés et sénateurs du Front de gauche défendent si résolument la sécurité sociale, ce n'est pas par archaïsme ou par posture idéologique, mais bien parce que nous considérons, comme une majorité de nos concitoyens, qu'elle est d'une brûlante actualité dans la mesure où elle offre à chaque assuré une protection efficace contre les aléas économiques, sanitaires et sociaux.
Le contexte nous donne d'ailleurs raison, n'en déplaise aux partisans de l'économie de marché : tout ce qui peut être soustrait au secteur commercial et confié à un système solidaire et socialisé constitue un bien commun pour les assurés et représente un atout majeur pour le pays, pour l'économie et pour les entreprises elles-mêmes. C'est pourquoi nous déplorons votre rejet systématique de toutes nos propositions.
La majorité est diverse et pour réussir le changement annoncé, vous avez impérativement besoin de tous ; il est donc nécessaire que cette diversité soit respectée et entendue. Inutile de faire allégeance aux milieux financiers patronaux, dont il n'y a rien à attendre : nous vous invitons plutôt à vous appuyer sur les forces qui vous ont soutenus pour permettre votre élection.
Vous ne pouvez d'un côté dénoncer notre défaut de solidarité avec la majorité, et de l'autre repousser – avec la droite – des amendements que vous-même défendiez, madame la ministre, il y a encore un an. Il est impératif d'assumer ses choix et d'avoir le courage de choisir son camp. Pour notre part, nous n'en avons pas changé ; je veux croire qu'il en va de même pour vous.
Certes, la situation n'est pas facile et le changement ne peut se faire en un jour. Mais si nous voulons faire gagner la gauche – et c'est possible –, nous devons redéfinir ensemble le niveau de solidarité que nous voulons collectivement atteindre et le chemin pour y parvenir. Il n'est pas trop tard pour ce faire.