Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Séance en hémicycle du 2 février 2015 à 16h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 12

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec :

…nous avons essayé d’approfondir au maximum la question. Ces professions sont nos interlocuteurs habituels. Tous ceux qui ont présenté des rapports sur des projets de loi dans ce domaine ont été amenés à solliciter ces professions que nous connaissons tous.

Lorsque M. Urvoas a ouvert le champ de la mission d’information, c’était pour reprendre ce dialogue, déjà fortement marqué par la pertinence des questions soulevées.

Par ailleurs, après avoir bien travaillé sous l’autorité de Mme Cécile Untermaier et de M. Philippe Houillon, nous avons formulé 20 conclusions. Nous avons en effet entendu nos ministres et questionné tous les interlocuteurs possibles – tout le monde voulait venir et tout le monde est venu. Chaque fois donc que nous aborderons un sujet, je rappellerai celle de ces 20 propositions de notre commission qui s’y applique et vous verrez qu’il y en aura une pour chacun de ces sujets. Il est certes légitime qu’il y ait des évolutions et des stratégies – M. Houillon lui-même a évolué –, mais nous avons vu tous les problèmes et un grand nombre de solutions procèdent directement des propositions de la commission.

Pour ce qui concerne la définition d’une tarification « raisonnable », je rappelle que le fait, pour celui qui détient le savoir et qui va accompagner le justiciable, de ne pas abuser de cette situation prédominante s’inscrit depuis toujours dans la tradition des professions du droit qui rendent aux citoyens et aux justiciables le service de l’accès au droit. Le terme « raisonnable » figure ainsi dans les décisions de la chambre des notaires et celui de « modération », dans le vocabulaire de l’ordre des avocats.

Vous ne pouvez pas contester, chers collègues, l’introduction d’une notion qui existe déjà pour désigner le comportement des professionnels du droit face aux justiciables qui ont impérativement besoin d’eux. Le caractère « raisonnable » de la demande financière a, je le répète, la même portée que la notion de « modération » pour le calcul des honoraires des avocats et les éventuels manquements à cette modération relèvent de sanctions disciplinaires. Vous vous offusquez donc de termes que vous savez être couramment employés.

Pour ce qui est enfin de la péréquation, la profession de notaire doit adopter une stratégie de péréquation pour prendre en compte la diversité de son exercice sur tout le territoire. C’est là un impératif car, si elle ne le fait pas, une grande partie de ses membres rencontreront d’énormes difficultés et la désertifications sera la conséquence, non pas d’un manque d’attention portée à tel territoire, mais du refus de l’idée que la solidarité entre les professionnels est nécessaire pour maintenir l’accès aux droits – et donc aux professionnels – sur tous les territoires. Cette approche est du reste soutenue par de nombreuses autres professions, notamment les huissiers et les avocats – même si c’est un peu compliqué.

Je tiens à évoquer à cet égard le problème de l’aide juridictionnelle, à propos de laquelle j’ai déposé un rapport que je conclus par la nécessité de mobiliser l’ensemble des professions du droit pour permettre le financement de ce dispositif. En effet, si la plupart des professions ne veulent pas agir seules, elles se déclarent prêtes à le faire si le mouvement est général. Toutes les professions du droit nous ont demandé de recourir à la taxation des contrats d’assurance, qui contribuent certes au conseil juridique, mais ne participent actuellement que pour une part infime à l’accès aux juridictions, lequel est pourtant la préoccupation des professionnels et, surtout, de l’État et des pouvoirs publics – c’est-à-dire la nôtre.

Depuis plusieurs années, une multitude de rapports – le dernier en date émane du Sénat – ont donc conclu qu’on ne pouvait pas continuer à faire assumer par l’État l’élargissement de l’accès à l’aide juridictionnelle, compte tenu de l’ensemble des dispositions en jeu – garde à vue, comparution immédiate, hospitalisation sous contrainte et, demain, d’autres dispositifs, liés notamment aux obligations européennes qu’il nous faudra assumer. Le problème est donc réel, même s’il ne date pas d’aujourd’hui, et l’État peine à assumer la montée en charge du financement de l’aide juridictionnelle.

Les professions concernées conviennent donc, comme je l’ai constaté moi-même lorsque je les ai toutes interrogées pour ce rapport, puis à nouveau lors de la mission de préfiguration, que l’accès à l’aide juridictionnelle impose la mobilisation des professions, à condition que cette mobilisation soit partagée par tous. C’est dans cette perspective qu’est posée la question d’une solidarité entre les notaires – entre eux et pour leur profession – et d’une solidarité pour l’accès à l’aide juridictionnelle. De fait, un tel dispositif est également défini pour les avocats, auxquels nous demandons de le mettre en oeuvre, ainsi que pour les huissiers de justice. Ces derniers participent du reste déjà à l’aide juridictionnelle – il s’agit en effet des premiers professionnels impliqués, dès la loi de 1971, dans ce processus. Je tiens à rappeler cette réalité, car certains semblent nier toutes les difficultés – celles que relevait le rapport Darrois et celles que vous avez tenté de corriger, ce qui n’a pas été simple, car la matière ne l’est guère non plus.

Je rappelle enfin que l’objectif numéro un est l’accès aux professionnels du droit, car nos concitoyens ont besoin d’eux. De fait, il n’y a pas d’accès au droit sans accès aux professionnels du droit. Le problème financier ne doit pas y faire obstacle. Or on ne peut plus nier l’importance des questions économiques dans ce domaine.

Quand on connaît, comme bon nombre d’entre vous, la profession d’avocat, on sait quelle est la proportion de ceux qui ne portent jamais la robe et ne plaident pas. Cette profession connaît donc une situation entièrement nouvelle et très complexe. Comment, alors qu’elle absorbe 3 500 avocats par an, assumera-t-elle une réalité dans laquelle plus de la moitié des avocats, tout en exerçant pleinement la profession, ne savent pas ce qu’est un juge ? Que va-t-il se passer ? La question est la même pour les huissiers et pour les notaires.

C’est la raison pour laquelle, chers collègues, au lieu de vous draper dans des positionnements qui n’étaient pas les vôtres lorsque vous étiez en responsabilité – certains d’entre vous ont en effet formulé à cette époque des réflexions très pertinentes sur ce sujet –, mieux vaut entrer dans ces sujets et faire avancer les choses. À défaut de résoudre définitivement des problèmes d’une grande complexité, je vous propose au moins d’écarter les pressions que nous subissons tous pour entrer dans ce qui est à la fois le sujet et l’objet de ce dispositif : pouvons-nous faciliter l’accès au droit pour les justiciables ? C’est cela, le progrès.

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