Intervention de Pierre Gattaz

Réunion du 22 novembre 2012 à 10h30
Mission d'information sur les coûts de production en france

Pierre Gattaz, président du Groupe des fédérations industrielles, GFI :

Je commencerai, si vous le voulez bien, par ce dernier sujet, qui est bien loin de se limiter à la compétitivité-coûts.

En effet, la compétitivité dépend à la fois de facteurs internes et de facteurs externes à l'entreprise. Les premiers, dits aussi facteurs endogènes, sont constitués par l'innovation, par la qualité des produits, en somme par tout ce que nous pouvons maîtriser. Les seconds, facteurs exogènes, renvoient à ce que nous ne maîtrisons pas, ou même subissons : le coût du travail, celui du capital, la fiscalité et les prix des matières premières, dont l'énergie.

L'industrie française a perdu 700 000 emplois au cours des dix dernières années. Elle ne contribue plus que pour 14 ou 15 % à notre produit intérieur brut (PIB), ce qui est un peu plus qu'aux États-Unis, où cette proportion s'établirait à 12 %, mais beaucoup moins qu'en Allemagne, où elle se situe entre 24 et 25 %.

Une grande partie des emplois perdus l'a été dans les services, dont l'industrie est la fois cliente et fournisseuse – c'est d'ailleurs pourquoi il ne faut pas opposer ces deux secteurs. Depuis une vingtaine d'années, nous sous-traitons en effet de nombreuses activités, comme la logistique, le recours aux personnels intérimaires, le transport, l'informatique, la restauration, la maintenance et l'entretien des locaux… Pour un emploi industriel créé, il s'en crée deux ou trois dans ces services dits associés, pour lesquels nous formons des professionnels qui y trouvent de meilleures rémunérations que dans les centres d'appels, par exemple. D'où l'importance de l'industrie en tant que noyau dur d'une économie innovante et exportatrice.

Le rapport Gallois, dont nous saluons la qualité, l'intégrité, la neutralité et le souci d'équilibre entre l'économique et l'humain, insiste à juste titre sur la question des marges qui se pose à notre économie. La marge brute des entreprises, soit le rapport entre valeur ajoutée et chiffre d'affaires, s'établit à 27 % en France, contre 37 % en Allemagne, et n'est même que de 21 % dans l'industrie. Depuis dix à quinze ans, elle n'a cessé de se réduire, ce qui entraîne une contraction de nos capacités à nous autofinancer, à investir et à innover. Dès lors, le tissu industriel ne pouvait que s'atrophier, faute d'oxygène.

Le coût actuel de la main-d'oeuvre souffre d'une explosion des charges sociales, qui a conduit à un écart global de 70 milliards d'euros avec l'Allemagne. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi, auquel nous sommes bien sûr favorables mais dont le montant a été fixé à 20 milliards, laisse donc un important fossé à combler. D'où une certaine déception du GFI, qui s'attendait plutôt à un allégement des charges sociales d'environ 50 milliards d'euros, au prix d'un transfert à la fois sur la CSG et sur la TVA. Le fait de jouer sur cette dernière aurait en particulier eu l'avantage de renchérir les importations, notamment en provenance des pays asiatiques, cependant que les taux intermédiaires auraient permis une modulation évitant de trop taxer les matières premières.

Ce crédit d'impôt constitue donc un premier pas dans la bonne direction, mais un pas encore insuffisant pour améliorer sensiblement la compétitivité de nos entreprises.

Nos homologues allemands ont su modérer l'évolution des rémunérations, en la contenant en général en deçà de l'inflation. Des accords sociaux en faveur de la compétitivité et de l'emploi ont été conclus en Italie et en Allemagne. Des réductions de salaires ont été pratiquées dans le secteur privé en Espagne, en Italie, au Portugal et en Grèce. Des efforts ont été consentis dans le secteur public au Royaume-Uni, en Espagne et au Portugal.

Nous avons ramené la durée légale du travail de 39 heures hebdomadaires à 35 heures, mais la durée annuelle effective du travail est également plus brève en France que dans les pays comparables. Cependant, nous avons éprouvé tant de mal à mettre en place les 35 heures en 2000 et 2001 que nous ne sommes pas favorables à leur remise en cause : le « détricotage » d'une telle mesure, avec son lot de négociations sociales, soulèverait aujourd'hui plus de problèmes qu'il n'en résoudrait. Mais il est certain qu'on ne travaille pas assez en France.

Se pose en particulier la question de la durée du travail sur l'ensemble d'une carrière professionnelle, avec, à la fois, des arrivées tardives des jeunes sur le marché du travail et des départs en retraite trop précoces. Je n'ai pas de solution à proposer car il s'agit d'une question sensible, mais il faudra s'y pencher un jour ou l'autre.

Pour aller au-delà du CICE, nous proposons de transférer une partie des charges sociales pesant sur les entreprises vers la CSG et la TVA. Nous sommes également favorables à une politique de modération des salaires, dans le secteur public comme dans le secteur privé, et à l'ouverture d'une réflexion sur la durée globale du travail ainsi que sur les régimes de protection sociale, dont il faut améliorer l'efficacité.

Les dépenses publiques doivent être réduites si l'on veut alléger une fiscalité qui tend à s'alourdir un peu plus chaque année. Pour cela, l'expérience des entreprises peut être mise à profit : nous nous attachons en permanence à réduire nos coûts structurels en appliquant les techniques de lean manufacturing et de recherche de la qualité totale inspirées du système de production de Toyota ; nous mobilisons également nos troupes, appelées, elles aussi, à fournir des idées d'économie et de plus grande efficacité. Il faudrait agir de même avec les fonctionnaires. Il ne s'agit nullement de contraindre : cette mobilisation est au contraire facteur de motivation en même temps qu'elle contribue à la formation.

Le coût du capital comprend celui du crédit – le « bas de bilan » – et celui des fonds propres – le « haut de bilan ». Le crédit est devenu plus rare et plus difficile à obtenir depuis la crise des subprimes. Un contrat qui, avant 2007, tenait en une dizaine de pages en comporte aujourd'hui une centaine, tellement les garanties exigées sont lourdes et complexes. Ce sont les PME industrielles qui ressentent le plus ce durcissement. Pour l'ensemble des PME, PMI et ETI, l'encours national de crédit s'est contracté de 50 milliards d'euros depuis 2008 et, entre 2000 et 2010, il est passé de 16 % de la valeur ajoutée à 12 %. L'évolution a été similaire pour les financements « export ». Il en résulte un ralentissement des investissements et de l'innovation, au détriment donc du renouvellement du parc industriel et de la montée en gamme de nos produits.

Or l'industrie française est très faiblement automatisée. Nous manquons de robots : nous n'en avons que 35 000, contre 70 000 en Italie et 150 000 en Allemagne. Je souligne à ce propos que ces pays n'ont pas pour autant perdu des emplois : l'automatisation, dans l'industrie, n'accroît pas le chômage mais elle améliore la fiabilité des fabrications et la qualité des produits, et donc la compétitivité hors coûts. Le fait que nos robots datent des années quatre-vingt ou quatre-vingt-dix ne fait qu'ajouter à nos handicaps.

Quant aux fonds propres, ils font structurellement défaut aux PMI. La collecte de capital risque a chuté de 12 milliards d'euros en 2006 à moins de 6 milliards en 2012.

Pour améliorer le financement de l'industrie, la Banque publique d'investissement (BPI) ne doit surtout pas être une structure trop complexe. Les patrons de PME, accaparés par de multiples tâches, ont besoin de systèmes simples, comme l'est Oséo. Mais beaucoup d'autres questions se posent encore à propos de cette nouvelle banque : peut-on en attendre des financements à court terme ? Quelle sera l'articulation avec Oséo et avec le Fonds stratégique d'investissement (FSI) ? Quelle gouvernance va-t-on mettre en place ? Quel sera le rôle des régions ? Il est important que les entreprises trouvent des interlocuteurs à ce niveau, mais attention aux clientélismes locaux et aux dérives politiques ! La fâcheuse expérience des sociétés de développement régional (SDR), qui s'est soldée par un gouffre financier, doit nous inciter à contrôler de près les investissements.

Il faut également agir sur les délais de paiement dans les filières : autrement dit, appliquer enfin la loi sur la modernisation de l'économie (LME), qui a fixé un délai maximal de 60 jours.

Troisième point : il faut orienter l'épargne à long terme vers l'industrie. Cela exige de ne pas commettre d'erreur, comme on l'a fait en septembre, dans la taxation des plus-values. Nous ne sommes pas contre le fait de taxer la rente et la spéculation financière, mais en envoyant de mauvais signaux aux épargnants, nous allons les détourner d'investir dans les PME.

Enfin, il faut assouplir et simplifier la réglementation bancaire en matière de prêts, car les entreprises sont aujourd'hui enclines à chercher des sources de financement alternatives, parfois à l'étranger.

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