L'affaire des BPC n'est pas un problème de la marine nationale, mais un problème industriel et politique. Nous avons défini, dans le cadre du Livre blanc, un format constitué de trois bâtiments de projection et de commandement avec un porte-avions et quinze frégates de premier rang.
À cet égard, les BPC russes et les BPC français n'ont de commun que le nom, les premiers étant alimentés électriquement à 50 hertz au lieu de 60, ce qui impliquerait d'installer des convertisseurs pour les adapter, sans compter qu'ils disposent d'une huile spéciale pour naviguer par grand froid. En tout état de cause, une telle adaptation ne pourrait donc se faire du jour au lendemain car elle exigerait des financements et des infrastructures d'accueil supplémentaires dans nos ports militaires.
Quant à l'opération Sentinelle, elle correspond au contrat de 10 000 hommes de l'armée de terre projetés sur le territoire national, prévu par le Livre blanc. Environ 10 % du personnel de la marine remplit déjà des tâches de protection et de défense des emprises. Alors que Sentinelle prévoit un plan de renforcement de la sécurité dans les rues, nous avons en même temps accru la protection des installations sensibles, qui sont nombreuses dans la marine, en particulier celles liées à la dissuasion nucléaire. L'ensemble de la force des fusiliers marins est d'ailleurs actuellement concentrée sur cette mission. Nous avons aussi indiqué à l'armée de terre que nous assurerons la sécurité des villes de Brest et Toulon, en raison de leur lien étroit avec la marine. J'utilise à cet effet les équipes de protection embarquées non employées pour les bâtiments à protéger. Cela dit, faire la police dans la rue n'est pas le métier de base des marins, même si nous nous adapterons si cela nous est demandé, comme toujours dans pareil cas. J'ai d'ailleurs passé une partie de la nuit du 31 décembre avec les personnels chargés de la protection et de la sécurité de nos approches maritimes et fait à cette occasion le tour des centres opérationnels de la marine à Brest et du CROSS Corsen, qui sont soumis à des astreintes très lourdes : je ne peux que vous encourager à leur rendre visite. Il faut rendre hommage à leur travail permanent.
Monsieur Folliot, nous sommes confrontés à la fois à l'extension des flux maritimes, ou maritimisation, et à la territorialisation, beaucoup de pays plaçant des drapeaux autour de leurs frontières maritimes pour marquer leur territoire. Je ne suis pas chargé de la politique étrangère de notre pays, mais il est certain que nous avons toujours des contentieux territoriaux, comme à Tromelin, Clipperton ou dans le canal du Mozambique. Si nous faisons tout ce que nous pouvons, il nous est impossible d'être partout. Nous appliquons à cet égard, en quelque sorte, les mêmes procédés que la gendarmerie nationale vis-à-vis de la sécurité routière, qui travaille à la fois avec des radars fixes et des radars mobiles. Nous devons être très vigilants concernant ces phénomènes de territorialisation, qui ne sont pas faciles à contrecarrer et vont à n'en pas douter s'amplifier. Pour le reste, la négociation des traités internationaux dépend du Quai d'Orsay et ils doivent être ratifiés par le Parlement.
Monsieur Moyne-Bressand, nous avons de nombreuses collaborations internationales, que nous essayons de développer, car nous n'avons pas les moyens de faire tout tout seuls. Le cas le plus significatif est Atalanta, qui a mobilisé de nombreux États au travers de l'OTAN et de l'Union européenne notamment. S'agissant de la drogue, nous avons par exemple un partenariat important avec la Colombie, ce qui nous permet d'effectuer des saisies grâce à l'action des marines et des États. Nous avons aussi une étroite collaboration avec le service de lutte contre la drogue des garde-côtes des États-Unis, à Miami, de même que nous menons avec le Brésil une forte action contre la pêche illégale en Guyane. Nous avons également depuis longtemps une coopération avec l'Australie.
Quant au porte-avions Charles-de-Gaulle, dès qu'il apparaît quelque part, il est démonstrateur de l'excellence des matériels français. Les Rafale qui sont à bord iront donc faire des démonstrations là où cela est nécessaire. D'une manière plus générale, nous sommes très présents dans le soutien à l'exportation. Nous entretenons notamment beaucoup de relations avec le Brésil, la Malaisie, l'Inde ou le Chili s'agissant des sous-marins. En ce qui concerne les frégates multimissions (FREMM), il en a déjà été ainsi avec le Maroc, comme peut-être demain avec l'Égypte. Reste que ce n'est pas toujours facile de répondre à toutes les demandes dans une période de réduction d'effectifs.
Monsieur Rouillard, la marine a développé depuis assez longtemps l'action de l'État en mer en Afrique, bien avant la stratégie de Yaoundé. Nous croyons beaucoup à la coopération pour régler les difficultés.
Si le golfe de Guinée est avant tout le problème des pays africains, il correspond pour nous à une zone d'intérêt justifiant une mission de protection et de prévention importante. Je rappelle que la mission Corymbe, au début, servait prioritairement à pouvoir évacuer le cas échéant les 75 000 ressortissants français répartis dans la région.
Nous avons mis en place depuis trois ans l'opération NEMO, qui est complémentaire de Corymbe et nous permet d'appuyer le développement des marines africaines. C'était plus compliqué avant le sommet de Yaoundé, car il n'y avait pas de véritable volonté politique de s'occuper de ce qui se déroulait dans cette zone. Ce sommet a été un tournant dans la mesure où il a permis aux autorités politiques africaines de prendre conscience de l'importance de ce qui se passait en mer et des impacts que cela pouvait avoir sur leurs côtes, qu'il s'agisse des problèmes de pollution, de pêche illégale, de piraterie ou de trafics en tous genres. L'opération NEMO a pour but de demander à chaque marine ce dont elle a besoin en termes de coopération et de profiter du bâtiment de la mission Corymbe pour travailler avec les pays riverains et mettre en place des formations ou des soutiens adaptés à chaque demande.
Aujourd'hui, le commandant en chef pour l'Atlantique a pour mission de coordonner cette action. Avant chaque départ d'un bâtiment dans le cadre de la mission Corymbe, il prend contact avec l'ensemble des chefs d'état-major des marines africaines, qui lui indiquent leurs besoins. Nous essayons aussi de faciliter leurs échanges entre eux.
La semaine dernière, nous avons ainsi conduit un exercice mettant en oeuvre tous les moyens africains présents sur zone de tous les pays – soit sept en plus de la France –, ainsi que les centres de coordination maritime qui viennent d'être créés – celui de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), le CRESMAO, et celui de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale (CEEAC), le CRESMAC.
Nous sommes les seuls à être présents en permanence dans la région : mon but est de ne pas perdre notre capacité d'influence et surtout d'aider les pays africains à faire régner l'ordre dans leur zone – ce qui est dans notre propre intérêt.
Les clés sont de deux ordres : que ces pays poursuivent cette prise de conscience et qu'ils échangent entre eux. Nous devons continuer à les aider et à faire en sorte que l'Afrique centrale et l'Afrique de l'Ouest se parlent, le golfe de Guinée étant situé entre les deux. Je suis optimiste et nous avons d'ailleurs l'intention d'organiser le premier colloque prévu par les accords de Yaoundé à Brest.
Deuxième clé : il faudra aider ces pays à établir leur situation de sécurité maritime, car ils manquent de moyens.
S'agissant des Falcon 50, il s'agit d'excellents avions de surveillance maritime – et non de patrouille maritime. Nous appliquons là aussi strictement le principe de différenciation prévu par le Livre blanc, ce qui nous aide bien car l'aviation de patrouille maritime est très sollicitée et plus souvent au-dessus des terres que de la mer. L'arrivée des trois Falcon 50 gouvernementaux nous a été très utile. Nous avons à cet égard un accord de recherche et de sauvetage avec le Sénégal, qui nous conduit à positionner un Falcon 50 à Dakar pour libérer du potentiel d'Atlantique 2, très sollicité par les opérations.
Il nous reste encore à équiper de soutes de largage de canots de survie certains appareils qui viennent d'arriver, mais je suis très optimiste à cet égard. Ce sera en tout cas une bouffée d'oxygène pour l'aviation de surveillance maritime.