Intervention de Pascal Cherki

Séance en hémicycle du 3 février 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 13

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Cherki :

Cet amendement devrait susciter l’intérêt du ministre, car il reprend l’une des conclusions de la commission Attali, dont il a été, si j’en crois ce que j’ai lu dans la presse, l’une des chevilles ouvrières.

Monsieur le ministre, vous nous dites depuis le début, et je vous crois, que vous voulez lutter contre les rentes. Il faut certes trouver un point d’équilibre entre les professions réglementées et le droit commun de la concurrence, mais votre volonté de lutter contre les rentes est louable. En effet, si nous sommes favorables aux monopoles publics, le sommes-nous pour autant aux monopoles privés ?

La respectable et estimable corporation des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, qui compte actuellement en France 107 membres, soit 60 charges, qui se partagent environ 30 000 dossiers devant la Cour de cassation et 10 000 devant le Conseil d’État, hors questions prioritaires de constitutionnalité, avec des bénéfices d’un montant assez conséquent, de l’ordre de 700 000 euros en moyenne par an pour un avocat au Conseil d’État exerçant seul, alors que le revenu moyen d’un avocat à la Cour, comme cela a été rappelé par plusieurs collègues, est de 39 000 euros.

La France est du reste l’un des seuls pays au monde – sinon le seul – à maintenir encore en 2015 un dispositif d’origine monarchique comportant un corps d’officiers ministériels qui jouissent du monopole de représentation devant le Conseil d’État et la Cour de cassation. Ce corps est constitué d’une centaine de professionnels nommés à vie par le garde des sceaux et ce barreau est encore régi à ce jour par une ordonnance royale de 1817 qui lui confère ce monopole de représentation. Nul ne peut donc exercer la profession s’il n’est titulaire d’un office ou membre d’une société civile professionnelle titulaire d’un tel office, autrement dénommé « charge », bien que ces avocats ne participent en aucune façon à l’exercice de l’autorité publique.

L’amendement tend donc à demander aux barreaux de constituer une spécialisation « Hautes juridictions » dont les titulaires pourraient représenter devant le Conseil d’État et la Cour de cassation.

Si je dis cela, c’est parce que l’on nous oppose deux objections pour préserver ce monopole, cette rente : d’une part, il faut que ces avocats soient des spécialistes – sur ce point, on peut avancer – et, d’autre part, on nous dit qu’il faut des gens très compétents. Mais je rappelle que certaines matières, devant le Conseil d’État, ne nécessitent pas le ministère d’un avocat : on peut dès lors se faire défendre par un avocat qui n’est pas membre de ce corps des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.

Prenons l’exemple, en droit administratif, du contentieux électoral : mes chers collègues, c’est une matière très importante pour nous ! Quand nous sommes attraits devant les juridictions administratives ou quand nous-mêmes sommes demandeurs, il est bien évident que nous nous entourons des conseils des meilleurs spécialistes. Or nous pouvons dans certains cas avoir affaire à des avocats qui ne sont pas avocats au Conseil d’État ou à la Cour de cassation. En matière de contentieux de l’excès de pouvoir, qui est aussi très important, il n’est pas non plus nécessaire de recourir aux avocats au Conseil d’État ou à la Cour de cassation.

Dès lors qu’il s’agit de casser les rentes et de fluidifier l’accès à ces professions, dans le même esprit que ce que vous avez fait pour les notaires, monsieur le ministre, en facilitant l’installation de nouveaux notaires, je pense que vous aurez à coeur d’élargir la possibilité d’accéder à cette activité. Je compte donc sur la cohérence de votre démarche intellectuelle, que je sais très grande, et sur votre esprit d’écoute pour donner une traduction législative concrète à cet aspect des conclusions de la commission Attali : vous aviez beaucoup oeuvré, lorsque vous y étiez, pour qu’elle aboutisse ; maintenant que vous êtes en responsabilité, vous avez la possibilité d’agir.

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