Intervention de Philippe Houillon

Séance en hémicycle du 3 février 2015 à 21h30
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 13

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Houillon :

Avec cet article 13 bis, nous arrivons au coeur de l’usine à gaz, dans les entrailles de la machine, puisqu’il porte sur la liberté d’installation.

D’un côté, le Gouvernement semble vouloir défendre l’impératif de l’affirmation du principe de la liberté d’installation. De l’autre, l’impératif de la lucidité, c’est-à-dire du droit, est rappelé par le Conseil d’État, dont l’avis vient prohiber un certain nombre de choses. En résumé, la contorsion se retrouve à chaque ligne.

Vous commencez par affirmer le principe que l’on peut s’installer librement, là où c’est utile pour renforcer la proximité et l’offre de services. Ce n’est donc pas une véritable liberté d’installation, puisque son champ est restreint. Pour y parvenir, on dressera une carte confiée à la diligence du ministre de la justice et du ministre de l’économie. En cela, vous ne suivez pas l’avis du Conseil d’État, qui conseille au contraire que cette compétence soit dévolue au ministre de la justice.

Cette carte établie, un certain nombre d’exceptions au principe sont posées. Autrement dit, on affirme alternativement une chose et son contraire ; on fait une carte afin de remplir de manière progressive les cases manquantes, sans limite. Or il y a forcément une limite à un moment donné, puisque lorsqu’il n’y a plus d’utilité à cette recherche de proximité et à l’amélioration des services, il faut bien arrêter de remplir les cases, ce que le texte ne prévoit pas. Au contraire, il est écrit que l’on garantit une augmentation progressive du nombre de créations d’offices ou d’associations.

Un autre principe est ensuite affirmé, selon lequel le ministre de la justice ne peut pas refuser les créations d’offices ou les associations lorsque les conditions sont remplies, sauf – car une exception est immédiatement prévue – dans les cas où l’on peut refuser, c’est-à-dire dans les cas où cela ne paraîtrait pas utile.

Nous sommes donc dans la contorsion permanente, et cela constituera naturellement une source de contentieux pour les impétrants, ceux qui veulent créer un office ou s’associer. On ne sait d’ailleurs pas très bien comment ils vont s’associer, parce que le texte renvoie tout cela à un décret. Une création, on comprend comment cela peut se faire, mais dans une association, il faut que les associés soient d’accord pour accepter un nouvel associé. En général, dans les formes sociales, il y a une clause d’agrément. Il faut donc nous expliquer comment cette question sera réglée.

Par ailleurs, le texte prévoit que la carte est pensée de manière à ne pas causer de préjudice anormal, c’est-à-dire de préjudice aux offices qui existent déjà – ce qui, a contrario, laisse penser que l’on pourrait créer un préjudice « normal ». Mais si l’on se trompe, et que l’on crée quand même un préjudice, un système d’indemnisation est mis en place. Il est à la charge des jeunes, c’est-à-dire de ceux qui vont s’installer, qui seront donc exposés, pendant un délai de six ans, à une éventuelle demande de la part d’offices déjà installés qui subiraient un préjudice. Pendant six ans, le cas échéant, on va empêcher le dynamisme et mettre à la charge de nouveaux officiers publics et ministériels une indemnisation qui devrait être à la charge de l’État. L’avis du Conseil d’État explique parfaitement que c’est une responsabilité de l’État du fait de la loi, qui ne permet pas qu’une indemnisation soit mise à la charge des jeunes officiers publics et ministériels.

Il serait tellement plus simple d’écrire autrement les choses. Nous pourrions, comme nous l’avons suggéré dans le cadre de la mission de la commission des lois, établir une cartographie, regarder où se trouvent des zones carencées et, à due concurrence seulement – ce qui n’est pas la liberté d’installation – remplir les cases où il y a des carences, de façon à augmenter le nombre de professionnels quand c’est nécessaire, mais pas au-delà de ce qui est nécessaire, pour ne pas prendre le risque de la paupérisation de cette profession. Voilà ce qui aurait été raisonnable.

On peut dire les choses simplement, mais décidément, ce n’est pas le cas dans ce projet de loi. Nous proposerons un amendement finalement assez voisin de votre système, d’une certaine manière. Mais vous voulez tellement affirmer ce principe de la liberté d’installation, et vous savez tellement qu’il n’est pas possible de l’appliquer en l’état, que cela devient illisible. Alors, monsieur le ministre, pourquoi ne pas vous ranger au bon sens ? Établissons une cartographie, regardons là où il y a des manques, et installons-y les professionnels, sans poser le principe de la liberté d’installation, car une fois que les manques sont comblés, nous ne pouvons plus être régis par ce principe.

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