…voilà une fois de plus le garde des sceaux dessaisi par Bercy, au profit de l’Autorité de la concurrence et des associations de consommateurs, de sa capacité à nommer les officiers publics ministériels exerçant des professions juridiques réglementées. C’est un mauvais signal. La sécurité juridique n’est pourtant pas une marchandise ! Les usagers du service public de la justice exercé dans les offices notariaux, pour ne citer qu’eux, ne sont pas de simples clients ! Quel dommage d’abîmer un système qui était devenu un modèle en Europe et l’un des plus fiables au monde !
Quant à l’argument économique mis en avant depuis la publication du rapport de l’inspection générale des finances – IGF – et figurant dans l’étude d’impact, selon lequel ces professions seraient trop rentables – c’est une critique – et leur réforme dégagerait 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat pour les Français, il ne tient pas, évidemment, face au coût des licenciements et à l’insécurité juridique que provoquerait une telle réforme.
Malgré de savants calculs, Bercy n’a pas pris en compte le coût, pour les notaires et les autres professions réglementées, de la mission de conseil juridique qu’ils assurent gracieusement, ni celui de tous les actes réalisés à perte. À Paris, on considère que les ventes n’atteignent un seuil de rentabilité qu’à partir de 269 000 euros, et l’augmentation des tarifs a reflété celle des taxes que les notaires collectent au nom de l’État.
N’a pas non plus été prise en compte la question de l’indemnisation des professionnels lésés par l’installation sauvage de concurrents dans un paysage non stabilisé, puisque la carte d’installation sera révisée tous les deux ans, provoquant autant de nouvelles demandes d’indemnisation et de noeuds de contentieux. La question dérange, semble-t-il, puisque la ministre de la justice a refusé d’y répondre lorsque je l’ai interrogée, avec d’autres collègues, lors des débats budgétaires de l’automne dernier, tant en commission des lois qu’en séance publique. On parle pourtant de la somme de 7 milliards d’euros pour les notaires et de 4 milliards d’euros pour les administrateurs et mandataires judiciaires – sans oublier les avocats, les greffes des tribunaux de commerce et les commissaires-priseurs judiciaires, entre autres.
II est vrai que la rédaction de l’article 13 bis tend habilement à exonérer l’État du versement des indemnités correspondantes aux professionnels, puisqu’il est fait référence à la notion de « préjudice anormal », et qu’il est prévu que ce soit le titulaire du nouvel office qui indemnise le professionnel lésé, avec – signature de l’administration fiscale – la possibilité d’étaler le paiement sur dix ans. Piètre tentative d’échapper à une responsabilité que la jurisprudence a déjà entérinée ! En 2011, en effet, le Conseil constitutionnel avait jugé que les avoués, dont la profession fusionnait à l’époque avec celle des avocats, devaient être indemnisés par l’État du préjudice subi par la perte du monopole sur les procédures devant les cours d’appel. Commissaires-priseurs judiciaires, courtiers-interprètes et conducteurs de navires avaient également été indemnisés par le passé pour ce même motif.
II m’a été rapporté que la Chancellerie aurait récemment fait signer à de nouveaux notaires une décharge par laquelle ils s’engageraient à ne pas mener d’action en indemnisation contre l’État si le cadre légal d’exercice de leur profession venait à être modifié. Cela paraît assez grave. Le confirmez-vous, monsieur le ministre ?
Enfin, l’article 13 bis continue d’agiter le chiffon rouge de la liberté d’installation des professions, en prévoyant que l’Autorité de la concurrence devra remettre un énième avis sur ce sujet, alors que le Conseil constitutionnel, en réponse à une question prioritaire de constitutionnalité, a jugé conforme le droit de présentation des notaires le 24 novembre dernier, et que la garde des sceaux a estimé le même jour, dans un communiqué, qu’il n’était « pas pertinent de remettre en cause le droit de présentation ».
Monsieur le ministre, en déstructurant la qualité des services réglementés, ce projet de loi prépare des lendemains qui déchantent. La sécurité juridique ne sera plus au rendez-vous. Comme plusieurs de mes collègues l’ont dit avant moi, les membres de ces professions, aujourd’hui encore désignées à la vindicte populaire comme étant trop rentables alors qu’elles ne reçoivent que la juste contrepartie qu’exige la déontologie, viendront grossir demain les rangs des chômeurs toujours plus nombreux.