Monsieur le ministre, je vais commencer par vous faire un compliment, ce qui permettra de débuter cette soirée de manière fort civile : vous cherchez à résoudre un vrai problème. Il y a environ 10 000 notaires, un petit millier de salariés, sans compter les notaires assistants, et 400 installations par an pour 1 000 nouveaux diplômés. Il y a donc un goulet d’étranglement. Là où nous divergeons, c’est sur la solution que vous proposez.
Lors de la discussion d’un article précédent, je vous avais posé une question très simple : quand on baisse le chiffre d’affaires d’un office, comment être certain que cette baisse n’aura pas d’impact sur l’équilibre économique et que des salariés ne se retrouveront pas sans emploi ?
Comme je n’ai toujours pas eu de réponse à cette question, mais que j’ai bien compris que vous cherchiez le dialogue et que vous vouliez faire preuve d’honnêteté intellectuelle, je profite de l’occasion qui m’est donnée pour en ajouter une seconde : en appliquant aux professions réglementées le système de la carte des médecins, qui, comme on le sait, a eu pour conséquence la création de déserts médicaux en zone rurale, comment peut-on être sûr que les mêmes causes ne produiront pas les mêmes effets ?
L’article 13 bis se trouve à la jonction de ce problème des tarifs et de celui de la cartographie.
Permettez-moi, au passage, de vous faire remarquer que, pour une loi qui se voulait d’essence libérale et de déréglementation, commencer un article par un Gosplan et une cartographie très précise décidée par l’État pour permettre aux gens d’aller à tel ou tel endroit n’est pas forcément le meilleur signal que vous pouviez donner. Mais ce que je reproche à cet article, c’est ce qu’il prévoit.
En fait, il y a deux zones. Dans la première, on permet à des notaires, à des huissiers de justice ou à des commissaires-priseurs judiciaires de s’installer parce qu’il faut renforcer la proximité et l’offre de services. On pense en effet qu’il en manque. Dans la seconde, le ministre ne peut pas refuser une demande de création d’office de notaire, d’huissier de justice ou de commissaire-priseur judiciaire. Il y a donc une zone où le nombre de notaires peut augmenter parce que l’on pense qu’il en manque, et une seconde où, a priori, il n’en manque pas, mais où l’on peut tout de même s’installer.
À première vue, il sera compliqué d’expliquer aux citoyens français la différence entre la première et la seconde zone, puisque quelle que soit la zone, l’effet est le même, c’est-à-dire que, très concrètement, on crée des points d’implantation.
Nous en revenons à la question de l’impact. Pour conclure, au lieu de m’étendre sur l’effet ciseau entre la baisse du tarif et la libre installation, qui a déjà été évoqué par l’un de mes collègues, je vous citerai cet extrait du courriel que m’a adressé un jeune notaire assistant : « Pensez-vous que je devrais être satisfait de la liberté d’installation portée par le projet de loi ? Croyez-vous que j’ai envie de m’installer à mon compte, envie d’entreprendre, alors que l’on annonce une baisse de près de 40 % des revenus ? Pensez-vous que je vais vouloir exercer le métier de notaire, avec la charge de travail que cela représente, et l’énorme responsabilité professionnelle qui y est attachée, sans avoir l’espoir de gagner correctement ma vie ? Pardonnez-moi, mais j’aime autant changer de branche tout de suite et rester salarié. »
« Cette liberté d’installation ne m’était-elle pourtant pas destinée ? Admettons donc que je ne crée pas un nouvel office notarial, je devrais toutefois me réjouir. L’ouverture de la profession me permettra de racheter les parts de l’associé sortant à un moindre coût, sauf que, face à la grave menace que représente la baisse de revenus, les associés évoquent dorénavant le fait, certainement à raison, que l’étude ne sera plus rentable en présence de deux associés et que l’associé sortant ne sera certainement pas remplacé. Encore une fois, le projet de loi m’empêche d’investir et d’entreprendre. »
« Enfin, il me reste la solution de sécurité, rester salarié en tant que notaire assistant. Ce sera toujours ça de gagné dans la période actuelle, mais c’est sans compter sur la vague de licenciements colossale qui est annoncée, si le projet de loi était maintenu en l’état. En somme, monsieur le député, que reste-t-il de l’envie d’entreprendre qui était la mienne ? À vrai dire, plus grand-chose. Ne restent aujourd’hui que l’incompréhension et la déception. N’est-ce pas un paradoxe qu’une loi arborant fièrement la bannière de la croissance enterre l’envie et les possibilités d’entreprendre de ceux-là mêmes à qui elle est destinée ? »
Ce sont ceux qui sont concernés qui en parlent le mieux. Monsieur le ministre, je vous pose donc une question simple : quand on baisse le chiffre d’affaires et que, concomitamment, on accroît le nombre de participants à la concurrence, comment garantir que les effets pointés par ce jeune notaire assistant ne seront pas demain le futur des professions réglementées ?