Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 9 décembre 2014 à 17h45
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la Défense :

Je suis un des premiers à avoir dit, dans une interview donnée au Figaro en septembre, que la Libye était le risque majeur de demain. Je maintiens cette analyse qui est aujourd'hui plus largement partagée.

Quelle est la situation ?

Au Nord, le gouvernement réputé légal de M. al-Thani a été investi par le parlement élu et est reconnu par la communauté internationale, mais il ne peut siéger et reste à Tobrouk car le parlement issu de la révolution de 2011 refuse de se dissoudre, considérant qu'il est seul légitime. Des groupes de Misrata ont pris Tripoli et le groupe Ansar al-Charia a pris Benghazi. À la tête de quelques milices, le général Haftar essaie de reprendre cette ville. Il s'est placé récemment sous l'autorité du chef d'état-major des armées libyennes, lequel n'a quasiment aucun soldat sous ses ordres. Un seul groupe se réclame de Daech, celui de la ville de Derna, sans que l'on puisse affirmer qu'il y ait eu jonction opérationnelle effective. Les autres se réclament d'Al-Qaïda.

Au Sud, la situation est particulièrement complexe autour d'Ubari, où s'affrontent des groupes toubous et certains Touaregs. À l'évidence, les groupes terroristes qui agissent au Sahel viennent se ressourcer dans la région, et même y « faire leurs courses ». Des chefs comme Mokhtar Belmokhtar ou Iyad ag Ghali y sont fréquemment signalés. Des liens existent parfois avec des groupes du Nord, mais pas dans tous les cas. On se procure, qui du pétrole, qui des armes cachées de Kadhafi, etc. Bref, il s'agit d'un vaste chaos.

Que faire dans ces conditions ? Nous avons alerté nos partenaires à différents niveaux. Le secrétaire général des Nations unies a mandaté un envoyé spécial, M. Bernardino León, pour essayer de rapprocher les deux entités dans une dynamique qui permettrait de rétablir un minimum d'État, sans succès pour l'instant. Les Algériens protestent, s'inquiètent, mais ne bougent pas. Le président égyptien al-Sissi, que j'ai rencontré longuement lors de sa visite en France, est également inquiet mais affirme, à juste titre, qu'il a beaucoup de sujets à traiter. Vu la tension actuelle, nous allons au-devant de très mauvaises surprises si rien n'est fait.

Cela dit, le processus électoral vient de se stabiliser en Égypte, un autre est en cours en Tunisie. M. León poursuit ses consultations et fera sans doute des propositions. À la fin de sa mission, les Nations unies devront prendre des initiatives pour que les pays du voisinage et les pays qui, comme le nôtre, assument une responsabilité internationale, oeuvrent à un début de solution.

S'agissant des migrants, je sais, pour en avoir beaucoup parlé avec mon homologue italienne, que l'opération « Mare nostrum » est devenue une sorte d'élément de confort et un argument des passeurs pour faire monter leurs prix, dans la mesure où elle « sécurise » l'arrivée des réfugiés. L'initiative a certainement permis d'éviter des catastrophes humaines mais, dans la durée, il apparaît qu'elle se retourne contre ses auteurs. Une première démarche pourrait être d'empêcher les mouvements de navires sur les côtes libyennes, mais il faut attendre pour cela l'achèvement de la mission des Nations unies.

J'en viens aux processus politiques, monsieur Fromion.

Des incompréhensions demeurent dans les discussions d'Alger en raison des tensions qui opposent, dans le Nord, les pro-Bamako et les pro-Azawad. Ces derniers comprennent à la fois le MNLA (mouvement national de libération de l'Azawad) et le HCUA (haut conseil de l'unité de l'Azawad), tandis que le nouveau groupe d'Ag Gamou se range parmi les pro-Bamako mais n'est pas d'une grande aide dans le processus de paix. Alors que les autorités algériennes veulent parvenir à un résultat, le ministre malien des affaires étrangères refuse de bouger car les leaders auxquels il voudrait s'adresser directement se font représenter.

Les tensions s'expliquent aussi par la perspective du processus de « DDR » (démobilisation, désarmement, réintégration) : plus un groupe démontre qu'il a de troupes, plus il pourra espérer obtenir.

Il faut donc accélérer le processus.

Les parties prenantes continuent de se parler et de se rencontrer. Elles se retrouveront au début de janvier et la discussion pourra encore durer un certain temps. Mon point de vue personnel est que le président IBK pensait à une initiative forte lorsqu'il bénéficiait encore de l'« état de grâce » consécutif à son élection : mettre tout le monde autour de la table, faire et obtenir les compromis sans lesquels il n'y a pas d'avenir pour le Mali. Il ne l'a cependant pas fait. L'affaire de Kidal s'est révélée très négative pour lui et pour l'armée malienne. Elle a produit un effet boomerang et a conforté les adversaires du président, qui a engagé la négociation en mauvaise posture.

Quant au forum de Bangui, ce sera en quelque sorte celui de la dernière chance. Le président Sassou-Nguesso, mandaté par ses pairs de la zone pour réaliser la médiation, est à la manoeuvre et se montre très actif, même si le début des discussions a été repoussé à février. L'objectif reste la tenue d'élections durant l'été. La population, je l'ai dit, est extrêmement lasse et se détourne des actions de brigandage. Les gens s'organisent pour être à même de contribuer à la vie politique qui va se rétablir, ce qui est une bonne chose. Il faudra que Mme Samba-Panza, qui, aux termes de l'accord, ne doit pas être candidate à l'élection présidentielle, y mette du sien. Par ailleurs, le fonctionnement de ce qui reste de l'État est encore très marqué par la corruption.

J'en viens à votre question sur les milices chiites d'Irak, madame Gosselin-Fleury.

Tout d'abord, il y a bien eu une intervention de l'armée de l'air iranienne dans le Sud-Est de l'Irak et des éléments iraniens sont présents en petit nombre près de Bassora, l'objectif affiché pour frapper Daech étant d'assurer la sécurité des frontières.

Les FSI avaient été vidées de leur composante sunnite. Il importe donc que l'armée irakienne retrouve des forces sunnites, qu'elles soient issues des tribus ou qu'elles proviennent de l'ancienne armée de Saddam Hussein. Le gouvernement de M. Al-Abadi devra y veiller et empêcher les milices chiites de poursuivre leurs exactions. La situation est très loin d'être stabilisée, mais je suis plutôt optimiste au regard de la feuille de route que se donnent à la fois le gouvernement irakien et la coalition. À Bahreïn, le ministre irakien des Affaires étrangères s'est même montré étonnamment confiant !

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