Intervention de Jean-Pierre Decool

Séance en hémicycle du 5 février 2015 à 9h30
Gaspillage alimentaire — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Decool, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, aujourd’hui en France de nombreuses personnes connaissent encore la précarité. Dans le même temps, notre société produit beaucoup plus qu’elle ne consomme et gaspille des tonnes de nourriture saine tous les ans. Cette situation est intolérable, et produit des injustices : ainsi, que penser du fait que trois jeunes se trouvent aujourd’hui devant le tribunal pour – je cite – avoir « frauduleusement soustrait des denrées périssables avec date dépassée » ? Ils ont simplement récupéré, pour se nourrir, des sacs de nourriture jetés par un supermarché !

C’est parce que la situation est devenue insupportable que j’ai pris l’initiative de déposer la présente proposition de loi, cosignée par quatre-vingt-douze collègues issus de tous les bords politiques. J’ai en effet été alarmé sur l’ampleur du gaspillage alimentaire, à la fois dans ma circonscription, où j’ai participé à plusieurs opérations de collecte de nourriture, et par de nombreux acteurs de la société civile qui connaissent mon engagement sur le sujet.

Alors que de nombreuses associations, soutenues par des centaines de bénévoles, des collectivités territoriales, mais également des grandes surfaces et des entrepreneurs sociaux se mobilisent pour lutter au quotidien contre le gaspillage de la nourriture, l’État détonne par son faible activisme. Rien n’est fait pour atteindre l’objectif ambitieux qu’il s’était fixé : la réduction de moitié du gaspillage alimentaire en France à l’horizon 2025. C’est cette carence que la présente proposition de loi entend pallier.

Il est vrai que le texte a été considérablement appauvri en commission, à l’initiative du groupe socialiste, pour se limiter désormais à une simple demande de rapport : celui de la mission Garot, qui devra rendre ses conclusions au printemps. Les solutions concrètes tardent donc à venir, et je ne saurais me satisfaire de la promesse du groupe majoritaire de déposer une proposition de loi rapidement : c’est aujourd’hui qu’il faut agir ! C’est pourquoi je souhaite que le texte soit rétabli dans son esprit originel, grâce aux amendements que j’ai déposés.

La proposition de loi avait initialement deux objectifs. Il s’agissait, en premier lieu, de favoriser le renouveau de la politique publique de lutte contre le gaspillage, qui, quoiqu’insuffisant, constitue un incontestable pas en avant : toutes les personnes que j’ai rencontrées à l’occasion de la préparation du texte l’ont reconnu.

En second lieu, la proposition de loi visait à susciter le consensus. Consensus parmi les acteurs de la société civile, tout d’abord : j’avais rédigé, l’été dernier, une première version de ce texte, que j’ai fait évoluer dans un sens qui puisse satisfaire à la fois tous les acteurs – grandes enseignes, milieu associatif – et tous les citoyens, ceux-ci me transmettant quotidiennement leurs encouragements pour ce combat.

Consensus aussi parmi les groupes politiques : si je ne me fais plus guère d’illusions aujourd’hui, c’était dans un esprit transpartisan, lavé de toute considération politicienne, que j’avais travaillé pour aboutir à ma proposition originelle. J’avais l’intime espoir que mes propositions, de bon sens, feraient l’unanimité sur nos bancs – à tort, faut-il croire.

Et pourtant, l’enjeu que représente le gaspillage alimentaire est aujourd’hui considérable. Quelques chiffres pour illustrer ce constat : au plan mondial, la FAO – l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture – estime que le tiers de la nourriture produite, soit 1,3 milliard de tonnes par an, n’est pas consommé. Selon la Commission européenne, le gaspillage alimentaire dans l’Union européenne représente 89 millions de tonnes par an, soit près de 180 kilogrammes par habitant ; la Commission estime que si l’on ne prend pas de mesures efficaces, il atteindra 126 millions de tonnes par an en 2020. Enfin, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, chaque Français jette en moyenne 20 kilogrammes de nourriture saine par an, dont 7 kilogrammes encore sous emballage.

Ces chiffres sont connus, et repris largement par les médias, les associations et toutes les initiatives publiques ou privées qui souhaitent sensibiliser nos concitoyens à l’ampleur du phénomène.

Pourtant, si l’on veut mener une action publique efficace, il convient d’aller plus loin dans la connaissance du problème. Si ces chiffres ont au premier abord une utilité, celle de frapper l’opinion publique, ils sont trop agrégés, établis selon une méthodologie imparfaite et trop rarement mis à jour.

Combattre le gaspillage alimentaire réclame, au contraire, de savoir ce qu’il en est précisément à chaque stade de la chaîne alimentaire : au sein des filières agricoles et agroalimentaires ; au sein de la grande distribution et de la restauration collective ; au sein des ménages. À cette condition seulement, il sera possible de mener des politiques publiques ciblées, en se focalisant sur les grands gisements de gaspillage. Je souhaite ainsi que l’État prenne ses responsabilités, et autorise une mesure plus précise sur l’ensemble de la chaîne, de la production à la consommation, sans oublier les phases de transport, de transformation et de distribution, qu’une telle mesure soit effectivement mise en oeuvre, par la mobilisation des instituts statistiques comme l’INSEE, ou des agences comme l’ADEME.

Comment expliquer l’ampleur du gaspillage alimentaire en France ? Nos sociétés développées sont des sociétés de consommation, où la valeur attachée à la nourriture n’est pas aussi importante qu’avant. En outre, les pratiques commerciales, qui mettent l’accent sur la satisfaction du client, préfèrent écarter un produit dont la qualité esthétique n’est pas parfaite plutôt que de le proposer au consommateur. Enfin, le souci de vendre et de consommer des denrées qui ne présentent aucun risque sanitaire entraîne souvent des comportements excessivement prudents, comme le fait de jeter un produit dont la date de péremption vient à peine d’être dépassée.

Mais le gaspillage alimentaire n’est pas que le problème de nos sociétés développées. Il pose une question beaucoup plus large, une question écologique au sens propre : comment nourrir neuf milliards de personnes à l’horizon 2050 sans assécher la planète, sans épuiser nos ressources naturelles, sans engendrer de nouvelles guerres de la faim ? Aujourd’hui, 800 millions de personnes souffrent déjà de la faim dans le monde.

C’est pourquoi j’estime pertinent d’examiner la question du gaspillage alimentaire au travers de deux prismes : le prisme de l’écologie, puisque la lutte contre le gaspillage alimentaire doit permettre de rendre nos modes de production de nourriture soutenables à l’échelle planétaire, et le prisme de la générosité, dès lors que notre effort pour ne pas gaspiller permet souvent d’aider les personnes qui ne peuvent pas se nourrir à leur faim. Dans les deux cas, le gaspillage alimentaire est une dénaturation de la valeur attachée à la nourriture : en étant prêt à la jeter, on lui nie toute valeur. La valeur de la nourriture n’est pas uniquement sa valeur marchande ; si c’était le cas, ce qui coûte peu pourrait alors être aisément gaspillé. La nourriture a aussi une valeur propre – c’est le fruit d’un travail – et une valeur sociale – c’est pouvoir manger à sa faim.

Le gaspillage alimentaire est sans doute symptomatique d’une société de consommation qui n’est plus habituée à la pénurie. C’est pour lutter contre cette dérive que j’ai consacré ces derniers mois à l’élaboration de propositions concrètes.

Avant de les expliciter, je souhaite lever une objection qui m’a souvent été opposée : une loi ne serait pas nécessaire. Le don alimentaire, par exemple, se pratique déjà ; faut-il légiférer sur le sujet ? Je pense que oui, dès lors que la loi peut encourager le développement de comportements vertueux et conduire à développer des moeurs plus responsables. L’intervention publique est donc légitime, car elle permettra de faire bouger les lignes, d’adresser un signe d’encouragement à tous les acteurs qui se mobilisent au quotidien.

Il ne faut cependant pas penser qu’on pourra mettre fin au gaspillage alimentaire par décret. En particulier, il ne faut pas minimiser la part que jouent les obstacles culturels et sociologiques dans l’évolution des comportements de consommation vers plus de responsabilité. Un exemple, qui peut paraître anecdotique mais qui n’en est pas moins pertinent, est l’attitude des Français face aux assiettes non terminées dans les restaurants. Tandis que les pays anglo-saxons admettent bien volontiers le principe du doggy bag, on reste gêné, en France, à l’idée de demande au serveur de pouvoir emporter les restes de nourriture chez soi. Plusieurs initiatives locales visent aujourd’hui à encourager les consommateurs à franchir le pas.

Dans cette perspective, une initiative de nature législative se justifie à plusieurs titres. Elle permet de donner, sur plusieurs fronts, plusieurs impulsions dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.

En premier lieu, les actions de nature préventive demeurent prioritaires pour anticiper sur les comportements conduisant au gaspillage alimentaire. Il est possible d’intervenir en amont, dès l’école, pour que les futurs consommateurs que sont les enfants ne reproduisent pas les mauvaises habitudes et les mauvaises pratiques alimentaires qu’ils peuvent observer dans leur famille. C’était l’objet de l’article 1er de la proposition de loi, qui prévoyait d’organiser des actions de sensibilisation au gaspillage alimentaire dans les établissements scolaires. Je vous propose de rétablir cet article en adoptant mon amendement.

En second lieu, les actions de nature curative visent à donner une seconde vie aux denrées alimentaires qui risquent d’être gaspillées, notamment dans les commerces de détail. Il s’agit soit d’inciter les consommateurs à acheter des produits qui s’approchent de leur date limite de consommation – par des démarques, par exemple –, soit d’orienter ces denrées vers le don alimentaire, qui permettra, par le biais des associations caritatives, de soutenir les personnes en situation de précarité alimentaire. L’article 2 avait pour objet de prescrire un degré d’exigence minimal dans la lutte contre le gaspillage des commerces de détail : l’obligation de signer une convention de don des denrées invendues au profit d’associations caritatives. Par ailleurs, cet article gravait dans le marbre la doctrine fiscale qui autorise la défiscalisation du don alimentaire des grandes surfaces, pour mettre un terme aux tentatives continuelles de la remettre en cause. Je vous propose de rétablir cet article, avec les modifications qui m’ont été inspirées par les acteurs associatifs que j’ai rencontrés.

Enfin, c’est sur le cadre réglementaire que l’intervention législative se justifie. Il s’agit ici, en demandant un rapport au Gouvernement, d’inciter ce dernier à éclaircir les règles relatives aux dates limite de consommation et aux dates de durabilité minimale des produits alimentaires, dont la méconnaissance par le grand public encourage le gaspillage alimentaire. C’était l’objet de l’article 3.

Enfin, je me dois d’informer la représentation nationale de ce que je considère comme un incident dans le déroulement de nos travaux. La réunion de la commission au titre de l’article 88 du règlement de l’Assemblée nationale était programmée ce jeudi matin à dix heures. À dix heures vingt, soit vingt minutes après l’horaire annoncé, j’ai dû, en l’absence de présidence, présider moi-même cette séance… en l’absence aussi de députés.

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