Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous propose notre collègue Jean- Decool a le mérite de nous permettre d’évoquer le dispositif de l’aide alimentaire en France, même si c’est uniquement sous l’angle du gaspillage alimentaire.
Ce texte part d’une intention que je reconnais généreuse, relayée par des initiatives citoyennes et médiatiques, puisqu’il propose une solution à une situation que nous trouvons moralement intolérable.
La volonté de lutter contre le gaspillage est largement partagée, à juste titre, par l’ensemble de nos collègues et l’assurance d’un texte plus complet, fondé sur les propositions du prochain rapport de notre collègue Guillaume Garot, devrait nous permettre de dégager un certain consensus.
Mais l’article 2 de la proposition initiale, destiné à renforcer les sources d’approvisionnement des associations caritatives oeuvrant pour l’aide alimentaire, ne me semble pas approprié, et ce pour plusieurs raisons.
Je pense, étant pragmatique, que tout dispositif, pour qu’il soit efficace, doit avant tout être préparé en concertation avec les acteurs concernés. Or, les associations d’aide alimentaire ont fait part de leur inquiétude face aux difficultés qu’engendrerait une telle mesure fondée sur l’obligation. Elle nécessiterait en effet une disponibilité des bénévoles, une logistique matérielle et un devoir de traçabilité qui n’est pas envisageable, en l’état actuel des choses, sur l’ensemble du territoire, et ce même avec la participation et la coopération active des grandes surfaces.
Je citerai à titre d’exemple mon département, qui est une illustration des difficultés que je viens d’évoquer. Le conseil général du Gers est en train de mettre en place une plate-forme innovante d’aide alimentaire qui regroupe l’ensemble des associations dans le but d’une mutualisation de leurs moyens d’actions. Les raisons en sont multiples : un manque important de locaux pour le stockage des denrées, un manque de bénévoles et un maillage insuffisant du territoire.
Dans le dispositif proposé par notre collègue Decool, l’essentiel de l’effort pèse sur l’État, via la défiscalisation, ce qui représente un coût réel. Ne pourrait-on réfléchir à une articulation entre défiscalisation et modulation de la taxe sur les déchets en fonction du volume jeté ? Cela permettrait de responsabiliser tout autant les grandes surfaces.
De même, qui dit obligation de don ne saurait éviter le gaspillage, car je m’interroge sur notre capacité à contrôler l’application effective des termes des consentions signées.
D’autres pistes sont à envisager si l’on veut pérenniser l’aide alimentaire sur le long terme tout en luttant contre le gaspillage.
Le combat majeur des associations, depuis plusieurs années, est la défiscalisation des dons agricoles. Elles l’ont rappelé en décembre dernier en saluant la défiscalisation des dons d’oeufs mis en place par le Gouvernement.
Cela permettrait une diversification non seulement en quantité, mais aussi en qualité car la réponse que nous devons apporter à l’insécurité alimentaire doit s’inscrire également dans une politique sanitaire, économique et sociale plus globale, visant notamment à réduire les inégalités sociales de santé.
La dernière étude ABENA –Alimentation et état nutritionnel des bénéficiaires de l’aide alimentaire – de l’Institut de veille sanitaire, présente des résultats qui restent très préoccupants puisqu’elle fait état de la prévalence particulièrement élevée de pathologies telles que l’obésité, l’hypertension artérielle, le diabète et certains déficits vitaminiques.
La mauvaise nutrition a des effets directs sur la santé, qui induisent in fine des coûts pour notre système de protection sociale.
C’est pourquoi nous devons également faire attention à ne pas nuire au travail accompli par les associations autour de l’accès à l’alimentation. Car l’aide alimentaire, si elle répond à une urgence évidente, est aussi un vecteur d’inclusion sociale dans la mesure où, par le biais de l’accompagnement, on permet à ces personnes de se réapproprier l’alimentation dans le cadre d’ateliers de cuisine qui sont de plus en plus nombreux. Nous savons en effet qu’un système conduisant à favoriser la récupération régulière de produits élaborés contribue à déstructurer l’acte de faire à manger.
Ce lien entre l’aide alimentaire et les parcours d’insertion sociale est l’une des préconisations de François Cherèque dans le rapport de la mission d’évaluation de la deuxième année de mise en oeuvre du Plan pluriannuel contre la pauvreté qu’il a remis au Gouvernement en janvier dernier.
L’année 2014 a vu le sauvetage du dispositif d’aide alimentaire européen grâce à l’action du Gouvernement français, soutenu par les associations.
Je rappelle que le budget s’élevait, en 2015, à 32,64 millions d’euros pour 3,5 millions de bénéficiaires, somme à laquelle il faut ajouter les crédits alloués aux épiceries sociales d’un montant de 7,91 millions d’euros. Face au défi de l’aide alimentaire et par-delà la lutte contre le gaspillage, nous devons continuer à réfléchir à l’amélioration du dispositif en prenant d’abord en considération la dignité des personnes en situation de précarité.