Monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, je me réjouis que l’Assemblée puisse débattre d’un sujet aussi important – je dirais même majeur – que celui du gaspillage alimentaire. On l’a tous constaté dans nos circonscriptions : les initiatives – en provenance des associations, des groupes locaux, des supermarchés et même des industriels – se multiplient pour lutter contre ce fléau.
Vous l’avez dit également, lorsque j’étais au Gouvernement, en charge de l’agroalimentaire, j’avais lancé le pacte national contre le gaspillage alimentaire en fixant un objectif très simple, reprenant ce qu’avait énoncé la Commission européenne : diviser de moitié le gaspillage d’ici à 2025. Je ne cache pas que j’ai fait fructifier certaines actions qu’avait, avant moi, engagées Bruno Le Maire, alors ministre de l’agriculture.
Mais, aujourd’hui, nous voyons bien que nous devons passer à une nouvelle étape de la lutte contre le gaspillage alimentaire. En effet, les bonnes volontés – qui ont le mérite d’exister et sont bien sûr nécessaires – ne suffisent plus. Le temps est venu d’inventer une politique publique contre le gaspillage alimentaire, car des verrous et des blocages demeurent sur le terrain. Aujourd’hui, il nous faut tout faire pour permettre à des initiatives de s’épanouir en France et pour atteindre les objectifs que nous avons fixés.
Cette politique publique contre le gaspillage, que j’appelle de mes voeux, a du sens, car elle s’inscrit dans le cadre d’un objectif fondamental, à savoir relever le défi alimentaire qui est devant nous. Comme cela a été rappelé, notamment par Jean-Pierre Decool, nous sommes aujourd’hui sept milliards d’êtres humains. En 2050, nous serons neuf milliards, et la FAO nous dit une chose très simple : pour nourrir deux milliards d’êtres humains supplémentaires, il faudrait que nous augmentions la production agricole de pas moins de 70 %. Or – faut-il le rappeler ? –, on n’a qu’une planète. Dans le même temps, la FAO nous dit que 30 % de la production agricole est aujourd’hui perdue, gâchée, parce que, en particulier dans les pays en voie de développement, on ne sait pas bien stocker, transporter, transformer sur place. Là réside le défi alimentaire. On voit bien, lorsqu’on met en relation ces deux chiffres, que la première chose à faire est d’éviter de gaspiller, de perdre l’alimentation. Tel est le sens ultime de la politique contre le gaspillage alimentaire que nous devons mener.
Nous sommes confrontés à un vrai choix de société, celui de produire autrement, de consommer autrement et, sans doute, de vivre ensemble autrement pour lutter contre la surconsommation, en particulier dans les pays développés. Sur ce terrain, la France a un rôle majeur à jouer. Je le sais d’expérience, nous sommes attendus ; la FAO, l’Union européenne nous attendent et nous demandent d’ouvrir le chemin d’une grande politique contre le gaspillage alimentaire, parce que, après nous, d’autres pays pourront suivre, mettant en oeuvre, dans leur espace, leurs propres politiques publiques. Nous avons donc une responsabilité à assumer.
La proposition de Jean-Pierre Decool a le mérite de s’inscrire dans le cadre de cette mobilisation que l’on voit partout en France et, à ce titre, il convient de la saluer.
Mais il faut reconnaître – cela a été dit par plusieurs orateurs – que ce texte souffre aussi d’insuffisances, que Jean-Pierre Decool a d’ailleurs reconnues à mi-mots.
D’abord, la proposition de loi initiale est incomplète, notamment s’agissant des conventions que M. Decool appelle de ses voeux entre les grandes surfaces et les associations de solidarité. En effet, ces dernières ont immédiatement réagi en disant qu’elles n’avaient pas à être les centres de tri des grandes surfaces ; il faut évidemment les entendre.
Par ailleurs, comme je l’ai également dit à Jean-Pierre Decool, qui l’a reconnu, cette proposition de loi, en tout cas dans sa version initiale, est incomplète en ce qu’elle ne traite pas certains sujets. La lutte contre le gaspillage ne peut en effet se réduire au don alimentaire, à ces invendus qui seraient ensuite récupérés par les associations de solidarité. La proposition de Jean-Pierre Decool fait l’impasse sur des pans entiers de la réalité du gaspillage alimentaire, aujourd’hui, dans notre pays. On sait bien, j’y insiste, que le gaspillage ne se résume pas aux invendus des supermarchés. Comme Barbara Pompili le disait avec beaucoup de justesse, il concerne aussi le producteur, qui laisse des récoltes dépérir dans le champ ou le verger, faute de prix rémunérateur.
Le gaspillage, comme le disait Hervé Pellois, se trouve aussi chez les industriels, qui voient des lots refusés par la grande distribution alors qu’ils sont consommables. Le gaspillage, enfin, est le fait de chacun de nous, quand nous oublions un pot de yaourt ou une tranche de jambon au fond du frigo. C’est tout cela, le gaspillage, et cela représente des volumes considérables.
Par conséquent, si l’on veut être efficace dans la lutte contre le gaspillage, il faut agir en même temps sur chacun des maillons de la chaîne alimentaire – il faut voir large. Je vous propose de poser des principes afin de structurer cette future politique que nous pourrions imaginer ensemble.
Le premier principe consiste à responsabiliser chaque acteur face au gaspillage alimentaire. Je considère, comme vous sans doute, que chacun a des droits mais aussi des devoirs. Pour que nous avancions ensemble et que nous soyons efficaces, chaque acteur doit s’engager et, donc, disposer de l’information adéquate. Il faut que nous en venions à une logique du donnant-donnant, surtout lorsqu’il y a des réductions fiscales à la clé.
Le deuxième principe est de redonner de la valeur à l’alimentation, comme Jean-Paul Tuaiva le disait tout à l’heure avec beaucoup de justesse. Rien ne sera possible tant qu’on considérera que l’alimentation a une faible valeur. Cette valeur est non seulement économique, mais aussi patrimoniale, culturelle. Quand on respecte l’alimentation, on respecte aussi le travail de celui qui la produit.
Or, le respect de l’alimentation ne va pas de soi : cela s’apprend. Cela renvoie à la question de l’éducation à l’alimentation, à la fois pour bien se nourrir et pour moins jeter. Ces préceptes doivent être transmis dès l’école. C’est à l’évidence un pan très important d’une future politique de lutte contre le gaspillage.
Le troisième principe que j’aimerais évoquer devant vous, c’est l’idée de faire émerger un nouveau modèle de développement pour produire autrement et consommer autrement. Partout en France, on l’a vu, des initiatives sont prises, des expérimentations sont menées qui créent de l’activité, une nouvelle richesse, et même des emplois. De nouveaux besoins sont en effet apparus, comme celui de mettre en relation différents acteurs. Des jeunes entreprises ont ainsi pu créer de la richesse, de la solvabilité en s’appuyant sur les nouvelles technologies. De la même façon, les marchés de gros sont un vivier pour les emplois d’insertion, comme l’indiquait tout à l’heure Gisèle Biémouret avec beaucoup de conviction. En d’autres termes, un nouveau modèle économique est en train d’émerger, et notre responsabilité en tant que législateur est de lui permettre de s’épanouir, de se développer.
Tels me paraissent devoir être les principes sur lesquels fonder une future politique de lutte contre le gaspillage. À présent, j’en viens aux sujets de fond qu’il faut aborder.
Le premier est la mesure du gaspillage alimentaire. Certains d’entre vous ont avancé des chiffres, et j’en ai moi-même mentionné quelques-uns, mais ils ne sont fondés que sur des estimations, des évaluations. Il n’y a à ce jour aucune donnée consolidée sur le sujet.