Intervention de Jean-Jacques Guillet

Réunion du 4 février 2015 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Guillet :

S'il y a une place, encore faut-il savoir comment la prendre. Je ne pourrai pas en quelques minutes résumer l'analyse et les propositions du rapport. Mais je vais essayer de développer quelques points essentiels.

D'abord, il y a une dimension de fantasme lorsque l'on parle d l'Asie du Sud-Est, surtout un fantasme vietnamien d'ailleurs, mais il y a aussi une réalité historique de notre proximité avec l'Asie du Sud-Est qui remonte à des temps bien antérieurs à la colonisation. S'il y a eu les grandes découvertes à la fin du XVème siècle, c'est pour aller chercher du poivre aux Moluques. La présence portugaise jusqu'à il y a peu, à Timor et Macao, n'est pas un hasard. Il y a une relation étroite entre l'Europe et l'Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, la présence de la France et de l'Europe en général est beaucoup moins grande qu'elle n'a jamais été dans cette zone. Cette zone est pourtant en très fort développement : c'est le plus fort développement à l'exception de la Chine, à la différence près qu'il n'y a pas de ralentissement en Asie du Sud-Est. La classe moyenne s'accroît fortement.

Il ne faut pas oublier à quel point la zone est variée et c'est d'ailleurs toute la difficulté qui se pose pour savoir comment y entrer. C'est une véritable mosaïque. La question n'est pas tant celle des langues, car on peut trouver une certaine unité avec le malais, langue véhiculaire au sud, et des familles linguistiques apparentées au nord. En revanche, les Etats diffèrent. L'Indonésie, (près de 250 millions d'habitants) côtoie la cité-Etat de Singapour (50 millions), il y a des Etats avec une unité territoriale, quand les Philippines et l'Indonésie sont des Etats archipélagiques de plusieurs milliers d'îles, avec des réalités climatiques, ethnologiques, culturelles et sociales différentes. La diversité religieuse est une caractéristique notable. L'Indonésie est le plus grand pays musulman du monde, encore que certaines parties de son territoire soit majoritairement chrétiennes et hindouistes. Les Philippines sont une terre chrétienne. Les deux écoles du bouddhisme dominent les pays continentaux. Le confucianisme est très important. Les influences chinoise et indienne sont toutes deux fondamentales, même si la présence politique indienne est moins forte. Enfin, on trouve toutes sortes de régimes politiques : il y a des démocraties, certes jeunes mais en consolidation comme l'Indonésie, qui a connu des élections en 2014, et les Philippines, des Etats autoritaires ou dictatoriaux comme le Laos et le Vietnam communistes et la Birmanie.

Comment entrer dans cette zone ? On est arrivé à la conclusion assez rapidement, au bout de trois ou quatre mois de travaux, qu'il ne fallait pas se démultiplier et faire attention à ne pas trop épouser la variété de la région. On a une mise en réseau de nos ambassades et services qui fonctionne assez bien, mouvement qui doit être conforté sans doute depuis la base que constitue Singapour. Mais au-delà de cette approche à l'échelle régionale, il faut se concentrer sur deux acteurs stratégiques-clé : l'Indonésie et Singapour.

Ce sont deux acteurs très différents, presque opposés, qui se complètent.

Singapour est un petit pays à l'économie avancée et à forte valeur ajoutée, où sont établis les sièges sociaux, 4è place financière au monde, et qui a vocation à héberger une grande partie des structures régionales ; l'autre est un pays immense porté par sa consommation intérieure et confronté à de grands défis en termes d'infrastructures. Mais Singapour n'est pas qu'une place économique et financière, c'est aussi une plate-forme de recherches exceptionnelle, et nous avons pu visiter le centre de Thalès et l'antenne du CNRS qui s'est d'ailleurs déplacée d'Hanoï à Singapour, et c'est le territoire des think tanks asiatiques.

La coopération en matière de défense que nous avons avec Singapour est remarquable et nous hébergeons effectivement leur armée de l'air, Singapour n'ayant pas d'espace aérien, ce qui est symptomatique de la coopération avancée que nous avons établie, tout comme le sont les coopérations dans la région en matière de sécurité maritime, sujet hautement sensible, notamment de surveillance du détroit de Malacca avec un officier de liaison français présent de manière permanente dans le centre de surveillance basé à Singapour. Singapour est une porte, mais pas forcément une clé car Singapour n'est pas toute l'Asie du Sud-Est, loin de là. Nous ne pouvons limiter notre diplomatie à ce pays.

L'autre acteur-clé c'est l'Indonésie. Je n'ai pas besoin de rappeler le poids de ce pays de 250 millions d'habitants, sauf pour souligner que l'aura de l'Indonésie est palpable et que, notamment, le rôle qu'il a joué avec la conférence de Bandung, la politique de Sukarno, avec Nasser et Toto, est dans les mémoires. L'influence diplomatique a évidemment été atténuée, édulcorée, dans l'intervalle, non pas par la dictature de Suharto, avec laquelle nous entretenions d'ailleurs d'excellentes relations, mais par les évènements qui ont suivi sa chute. Les soubresauts politiques, la crise économique de 1997 qui a frappé de plein fouet toute la région mais d'abord l'Indonésie, ont distendu nos liens.

L'Indonésie est un acteur-clé à de nombreux égards.

C'est d'abord un acteur-clé dans le domaine des matières premières. Il ne s'agit pas seulement de l'énergie, des hydrocarbures et du charbon, mais de toutes les richesses agricoles et marines. Nous avons un rôle en matière de recherche qui est insuffisamment valorisé. La recherche est embryonnaire en Indonésie, il n'y a par exemple pas de vulcanologue indonésien alors que c'est le pays qui a le plus de volcan actifs au monde. Nous pouvons donc vraiment apporter quelque chose dans ce domaine.

C'est particulièrement vrai en ce qui concerne les sciences marines. La France dispose d'un domaine maritime de onze millions de kilomètres carrés ; deuxième territoire maritime mondial. Il pourrait atteindre 13 millions de kilomètres carrés si les processus d'extension des plateaux continentaux aboutissent. Par ces territoires, à 97 % en outre-mer, la France est confrontée aux mêmes enjeux que l'Asie du Sud-Est et sa proximité géographique pourrait en faire un partenaire naturel pour la maîtrise et la mise en valeur d'espaces maritimes adjacents.

La France peut apporter une expertise complète avec une industrie maritime de premier plan ; c'est un partenaire de défense marine, notre pays dispose d'acteur dont le savoir-faire est reconnu dans les sciences et technologies marines (gestion des ressources halieutiques et aquacoles, préservation de la qualité environnementale des milieux littoraux, lagonaires et marins, surveillance maritime, développements des satellites, des capteurs, des plates-formes d'observation sous-marine, des centres de données, des engins d'exploration, exploration des milieux profonds et exploitation des ressources biologiques et minières).

L'expertise française en matière de transport est également un atout fort : aériens certes, mais aussi terrestres et la France a engagé des efforts à Bandung et Jakarta à conforter. C'est d'autant plus important que ce projets d'inscrivent dans une action de promotion du développement durable, avec l'appui de l'AFD.

Or, l'Indonésie est un acteur-clé dans le domaine climatique, ce qui n'est pas négligeable quand la France veut faire de la lutte contre le changement climatique un axe fort de sa diplomatie. Toute l'Asie du Sud-Est est sujette aux catastrophes naturelles et toute la région est confrontée à la nécessité de maîtriser les effets de la croissance. L'Indonésie s'est démarquée des autres grands pays émergents en acceptant, au sommet de Copenhague, l'objectif d'une limitation de ses émissions de gaz à effet de serre : réduction chiffré de 26 % d'ici 2020, pouvant être porté à 41 % en cas d'aide financière.

Le nouveau président Joko Widodo a fait de la mer d'abord, érigée en priorité, mais aussi du climat deux grands axes de sa politique intérieure comme étrangère. Si la France devait choisir des pays avec lesquels renforcer son partenariat pour conforter sa diplomatie d'influence globale, elle ferait un bon choix avec l'Indonésie. Voilà, très brièvement, ce que je souhaitais dire avant de répondre aux questions que vous me poserez.

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