Je répondrai tout de suite à M. Benoît Hamon, dont l'analyse est pertinente s'agissant de la Chine, pour souligner qu'il faut éviter l'écueil du tropisme chinois. Le rapport essaye justement de démontrer qu'il faut avoir une stratégie différenciée entre l'Asie du Sud Est et la Chine, parce que les problématiques ne sont pas les mêmes. Il faut arrêter de penser toute l'Asie comme on pense la Chine. Les flux sont faibles avec l'Asie du Sud-Est et cela tient d'abord au besoin de persuader le monde universitaire français de l'intérêt à collaborer avec les universités de pays émergents de cette zone.
Je vais essayer de répondre à la fois à la problématique sur la Mer de Chine et à M. Mariani – dont je partage le constat général d'un manque de moyens patent. Je donnerai même un autre exemple : la nouvelle ambassade à Jakarta est trop petite pour organiser une réception. Je souhaite qu'il y ait une suite à ce rapport, peut-être que nous organisions une séance de travail spécifique sur l'Asie du Sud-Est et qu'une nouvelle mission puisse continuer à explorer les moyens de renforcer nos relations avec la région. Le rapport avance des propositions très concrètes, mais je vous l'accorde, nous devons être en capacité de faire des inflexions budgétaires si nous souhaitons être à la hauteur des enjeux. Si nous ne le faisons pas, nos rapports resteront des voeux pieux et nous risquons d'être inexistants dans une dizaine d'années. Ce ne sera pas parce que les autres pays européens nous auront devancés – ils sont parfois dans une situation pire que la nôtre –, mais parce que la Chine aura pris toute la place et qu'un immense territoire de 2 milliards d'habitants se désintéressera de l'Europe.
Concernant la Mer de Chine, M. Paul Giacobbi a raison de préciser que c'est un des points les plus dangereux des prochaines années. Tous les analystes le soulignent. Les ventes d'armes y sont d'ailleurs en explosion. 40 % des projets mondiaux de sous-marins se concentrent dans la zone ainsi qu'un quart des constructions navales et militaires. Les budgets militaires pour l'armée de l'air sont en forte croissance. Il y a certes un effet de rattrapage très fort, mais lorsque l'on s'équipe d'une telle manière c'est qu'une menace est ressentie. La menace est accréditée par l'action « hard » ou « soft » menée par la Chine. Les Chinois sont dans une logique d'affirmation de leur capacité stratégique. Ils souhaitent pouvoir avoir le contrôle de l'entrée et de la sortie de leurs sous-marins nucléaires lanceurs d'engins. Les Américains sont en capacité de les encercler et ils essayent de desserrer l'étau. Ce jeu entre la Chine et les Etats-Unis risque de se prolonger longtemps. C'est pour cette raison que les acteurs de l'ASEAN veulent faire entrer des tiers dans le jeu, des tiers dont la présence a une fonction stabilisante. Ils ne veulent pas se retrouver au milieu d'une opposition frontale entre les Américains et les Chinois. Nous pouvons être un tiers utile. C'est ce que nos avons compris lors de nos entretiens à Singapour avec le Vice-ministre des affaires étrangères et en Indonésie avec le ministre des Affaires étrangères et l'Amiral Octavian. Ce dernier a proposé un certain nombre de collaborations, proposition que nous avons relayée au ministre de la Défense, pas uniquement car il était un ancien de l'école navale et francophone, mais parce que la présence de nos frégates dans la zone limite les risques d'aggravation des tensions.
Encore une fois, nous ne faisons pas que vendre des matériels de défense, nous intervenons comme producteurs de sécurité. Les ventes d'armes nous engagent et ces ventes incluent des coopérations avancées. Nous sommes liés à très long terme avec la région au travers de notre partenariat avec Singapour. Si nous faisons uniquement du commerce d'armes – en proposant des sous-marins et des frégates – sans en imaginer leur usage, nous risquons d'être entraînés malgré nous. Un des objets de ce rapport est de remettre en perspective les opportunités économiques et commerciales, y compris en matière d'armements, dans le contexte stratégique, pour développe une vision de long terme conforme à nos intérêts. Il nous faut clarifier notre réseau d'alliances et adapter notre politique militaire.
Le rapport préconise, hors diplomatie économique, de concentrer l'action extérieure de la France sur deux pays et en développant une diplomatie d'influence globale assise sur des coopérations structurantes : les relations culturelles et intellectuelles, la diplomatie climatique, la coopération en matière de défense et la diplomatie maritime, politique transversale à construire. Nous espérons que cette approche sera validée et que les propositions ne resteront pas lettre morte.
Enfin, pour répondre à Mme la Présidente, Singapour a engagé des réformes en faveur de la transparence de son système financier et qu'il y a des progrès incontestables. Cela explique que Singapour ne soit plus considérée comme une juridiction non coopérative et qu'un accord d'échange de renseignements ait été conclu avec la France. Il ne s'agit pas encore une procédure d'échange automatique, mais nos bonnes relations nous permettent de continuer à oeuvrer pour la transparence la plus complète.