Intervention de Élisabeth Guigou

Séance en hémicycle du 27 novembre 2012 à 15h00
Ancrage démocratique du gouvernement économique européen — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, présidente et, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

Madame la présidente, monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, mes chers collègues, le 26 septembre dernier, la commission des affaires étrangères approuvait le traité budgétaire et, le même jour, adoptait la proposition de résolution sur l'ancrage démocratique du gouvernement économique européen dont nous débattons aujourd'hui.

Cette concomitance ne doit évidemment rien au hasard. Le déficit démocratique est un problème ancien. Il est même consubstantiel à la construction européenne. La méthode graduelle des pères fondateurs de l'Europe, qui a consisté, après l'échec de la Communauté européenne de défense, à créer des interdépendances dans des domaines économiques forcément très techniques, portait en germe le risque d'une Europe éloignée des peuples.

La perspective d'une monnaie unique a été voulue et obtenue de haute lutte par François Mitterrand et Jacques Delors en 1989 ; puis le traité sur l'Union européenne, conclu à Maastricht en 1990 et entré en vigueur en 1992, a réuni dans un même texte, selon la volonté du chancelier Kohl, l'union économique et monétaire et l'union politique. À cette époque, celle de la chute du mur de Berlin, les dirigeants européens ont porté l'ambition d'une Europe politique plus proche des peuples européens : la création de la citoyenneté européenne par l'article 8 du traité sur l'Union européenne n'avait pas qu'une portée symbolique.

Vingt ans après, force est de constater que l'union économique qui devait compléter l'union monétaire n'a jamais existé, que l'union politique est restée à l'état d'ébauche et que, malgré la dévolution de prérogatives plus larges au Parlement européen, le lien entre les citoyens et l'Europe n'a cessé de s'affaiblir. Le déficit démocratique est devenu récurrent et inquiétant.

La crise que l'Europe traverse depuis trois ans impose un sursaut. Bien sûr, la zone euro va mieux depuis l'été dernier, mais pour parvenir à une consolidation durable, il faut créer une véritable union économique et sociale. La coordination budgétaire est indispensable, mais elle ne peut suffire. Le pacte de croissance négocié par le Président de la République lors du conseil européen des 28 et 29 juin derniers complète et légitime les règles fixées par le traité budgétaire, qui lui-même conditionne l'accès au mécanisme européen de stabilité. Ce conseil européen a aussi jeté les bases d'une union bancaire et d'une plus grande solidarité européenne en actant la création d'une taxe européenne sur les transactions financières.

Mais l'intégration accrue qui commence à se mettre en place en matière budgétaire et bancaire risque de ne pas remédier au déficit démocratique si elle ne porte pas en elle l'espoir d'un renouveau européen. Un gouvernement économique européen qui serait chargé de réaliser une union monétaire mais aussi budgétaire, bancaire, économique et sociale devra s'accompagner d'un contrôle parlementaire accru : une union économique et monétaire renforcée, stable et prospère doit intégrer la perspective d'une union politique dont les objectifs seraient connus et compris par les citoyens européens.

La construction européenne est un objet politique original, nous le savons. Nous avons donc la responsabilité d'inventer une forme de démocratie originale qui devra se fonder sur une double légitimité démocratique : celle des institutions européennes, qui s'exprime au Parlement européen, mais aussi celle des États nations, qui s'exprime au sein des Parlements nationaux. C'est précisément dans ces deux directions que la proposition de résolution que nous examinons aujourd'hui apporte des améliorations.

Au niveau des institutions européennes, l'article 13 du traité budgétaire, inspiré par la proposition de certains de nos collègues sous la précédente législature, prévoit la création d'une Conférence interparlementaire, qui réunira les représentants des commissions concernées du Parlement européen et des Parlements nationaux pour débattre des propositions de la Commission européenne et du Conseil sur la coordination des politiques budgétaires des États membres. Cet article ne fait toutefois que dessiner le contour de la Conférence sans en définir les modalités. Tel est précisément le premier objet de la proposition de résolution. Il nous paraît d'abord indispensable que cette Conférence soit mise sur pied dans les plus brefs délais afin que les parlementaires puissent être informés, échanger, débattre et prendre position en amont des moments clés du semestre européen. Il faudra donc que la Conférence interparlementaire se réunisse au plus tard pour la première fois au printemps 2013, avant que le Conseil de l'Union européenne n'adopte ses recommandations sur les programmes de stabilité et de réformes. Elle devra évidemment pouvoir se saisir des enjeux relatifs à l'Union économique et monétaire au sens large, c'est-à-dire non seulement de la coordination des politiques budgétaires mais aussi des politiques économiques, fiscales et sociales. En effet, pour nous, l'Union économique et monétaire doit conjuguer les nécessaires disciplines budgétaires et les politiques de soutien de la croissance et de l'emploi. Pour que cette Conférence exerce une influence dans les processus européens, elle devra pouvoir soumettre aux institutions européennes des contributions qui devront être prises en compte. Ces trois exigences sont exprimées par la proposition de résolution.

Mais il ne suffit pas que des représentants des Parlements nationaux participent à cette Conférence interparlementaire avec le Parlement européen. Il faut qu'auparavant chaque parlement national ait exercé son propre contrôle sur son gouvernement national. Il est particulièrement fondamental que notre parlement contrôle davantage un processus qui touche au coeur de ses pouvoirs. Il ne peut s'agir, bien entendu, de mettre en place un système de mandat impératif à l'allemande, qui provoquerait un blocage général de l'Union européenne, mais entre le mandat impératif, dont nous ne voulons pas, et l'absence actuelle de réel débat en amont sur les choix européens, une marge existe. C'est pourquoi la résolution propose que le Parlement français débatte non seulement de la coordination des budgets mais aussi de l'ensemble des enjeux relatifs à l'Union économique et monétaire. Elle invite à cette fin le Gouvernement à le consulter en amont des principales étapes du semestre européen, lequel est précisé dans le six-pack complété par le two-pack encore en cours de discussion. Il s'agit de renforcer l'harmonisation des procédures budgétaires nationales et la surveillance européenne. Ce sont les points 5 et 6 de la proposition de résolution.

Il est vrai qu'un premier pas a été fait dans le sens d'une meilleure association de notre assemblée aux choix du Gouvernement. En effet, la mise en oeuvre du semestre européen s'est accompagnée, dès cette année, d'un débat sur la prise en compte des orientations budgétaires européennes. Il a eu lieu le 15 octobre dernier à l'Assemblée nationale dans le cadre de la discussion budgétaire, dans des conditions de publicité identiques à celles de la séance publique et, pour la première fois, des représentants de la Commission et du Parlement européens y étaient conviés, aux côtés bien sûr des ministres. C'est un progrès, mais ce n'est pas encore tout à fait satisfaisant. À l'avenir, les modalités de l'association de notre parlement à ces procédures devront être précisées, formalisées et garanties. Il est en particulier indispensable, monsieur le ministre, que les calendriers budgétaires national et européen soient harmonisés de manière à rationaliser l'examen des textes et à garantir la cohérence entre les engagements européens et les décisions budgétaires nationales. C'est ce que la résolution propose dans son point 6. Le vote de la loi de programmation des finances publiques à l'automne quand les programmes de stabilité sont transmis au printemps ne peut à l'évidence suffire. J'ai demandé plusieurs fois des précisions sur cet important sujet qu'est l'articulation des calendriers, et je n'ai jusqu'ici reçu aucune réponse. Je sais, monsieur le ministre, que cette question ne relève pas de votre département ministériel, mais j'espère néanmoins que vous serez en mesure de m'indiquer, sinon aujourd'hui du moins sans tarder, quelles sont les propositions du Gouvernement à cet égard.

Enfin, je souhaite attirer l'attention sur un autre point de notre résolution : celui qui propose que la Conférence dispose en son sein d'une commission spéciale composée de représentants des Parlements des États de la zone euro. Celle-ci serait chargée d'examiner les questions propres à la gouvernance de la zone euro et à la mise en oeuvre des instruments européens de stabilité financière. L'existence d'une telle commission parlementaire propre à la zone euro me paraît indispensable.

La réponse à la crise de confiance qui ébranle la zone euro passe aussi par un approfondissement de l'Union économique et monétaire. Cette intégration plus forte débouchera nécessairement sur une nouvelle forme d'union politique. Remarquons d'ailleurs que l'union politique est déjà une réalité, incomplète certes, perfectible sûrement, puisque les États membres de l'Union européenne ont décidé de partager des compétences et ont mis en place des institutions communes. Il faut cependant aller plus loin pour donner toute son efficacité et toute sa légitimité démocratique à l'Union économique et monétaire dès lors que nous avons une intégration économique, monétaire et sociale plus forte. Concilier efficacité et légitimité nous impose, monsieur le ministre, d'admettre que l'architecture future de l'Union européenne soit fondée sur la différenciation. Les États membres ne veulent pas et ne peuvent pas tout faire ensemble au même moment. Certains ont d'ailleurs des objectifs différents et ne veulent pas adhérer à la monnaie unique. Nous devrons donc avancer en utilisant l'instrument des coopérations renforcées entre les États membres qui le souhaitent.

Il va être indispensable, dans les semaines et les mois qui viennent, d'esquisser la perspective d'une union politique plus étroite. Certes, les États membres ont des conceptions différentes de l'union politique. Pour nos amis allemands, depuis toujours, celle-ci passe essentiellement par les mécanismes institutionnels ; pour nous Français, et ceci depuis très longtemps, elle doit être fondée d'abord et avant tout sur des projets communs. C'est lorsque nous parvenons à concilier ces deux approches, comme ce fut le cas il y a vingt ans, que nous élaborons des compromis qui font avancer l'Union européenne. Je suis convaincue que ce n'est pas en rêvant d'un grand soir fédéral que nous réussirons à avancer.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion