Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames les présidentes des commissions des affaires étrangères et des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de résolution est paradoxale. Elle revêt l'apparence d'une avancée démocratique, puisqu'elle tend à la création de la Conférence parlementaire prévue à l'article 13 du traité qui institue une « Conférence réunissant les représentants des commissions concernées du Parlement européen et les représentants des commissions concernées des Parlements nationaux afin de débattre des politiques budgétaires et d'autres questions régies par le présent traité ».
Cette disposition a le mérite de poser la question du contrôle démocratique du gouvernement économique européen. Toutefois, la réponse apportée est pour le moins insuffisante et artificielle. Elle consiste en effet à instiller une once de démocratie dans le dispositif foncièrement antidémocratique du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire. L'article 13 du traité n'est qu'un palliatif prenant la forme d'une Conférence interparlementaire, représentative certes, mais dont la fonction est purement délibérative et tribunitienne. Une fois de plus, les parlementaires sont invités en quelque sorte à jouer à un jeu de dupes, dans lequel ils n'exercent aucun pouvoir décisionnel !
Loin de créer un contrôle politique réel, la mise en place de la Conférence parlementaire n'est pas de nature à démocratiser la fameuse gouvernance économique européenne, véritable monstre technocratique et antidémocratique. Faut-il le rappeler : le contenu du traité ainsi que les modalités de sa ratification et de son entrée en vigueur sont empreints d'un déficit démocratique manifeste. Le traité prévoit le renforcement des mécanismes nationaux et supranationaux de contrôle de la discipline budgétaire des États.
Ce pacte budgétaire consacre une doctrine d'orthodoxie économique en renforçant la portée juridique de la règle d'or, qui pose le principe du retour à l'équilibre des comptes publics. Il complète, en les durcissant encore, les nouvelles dispositions de surveillance et les sanctions prévues par le pacte de stabilité récemment réformé. Ainsi, l'article 3 prévoit que les budgets des administrations publiques seront à l'équilibre ou en excédent, et que le déficit structurel annuel ne devra pas excéder 0,5 % du PIB nominal sur un cycle économique. En cas de dérapage, un mécanisme de correction sera déclenché automatiquement. Les projets de budgets nationaux se trouvent soumis à un contrôle européen au printemps de chaque année avant qu'ils ne soient présentés aux Parlements nationaux.
En pratique, des inspecteurs de la Commission pourront être dépêchés dans les États récalcitrants, comme c'est déjà le cas en Grèce, au Portugal et en Irlande. La crise offre une occasion historique à la technocratie de s'imposer à la démocratie et aux peuples souverains. Le spectre du gouvernement des juges européens se dessine également, puisqu'un contrôle juridictionnel supranational est prévu pour vérifier le respect des engagements des États. La Cour de justice européenne pourra être saisie par un État membre si celui-ci estime qu'un de ses partenaires n'a pas correctement transposé cette règle d'or dans sa Constitution.
La Cour pourra sanctionner financièrement le « contrevenant ». C'est pourquoi, faute d'avoir pu ou voulu renégocier ce pacte d'austérité budgétaire, il aurait été de bon aloi, au nom du respect de la démocratie et donc du peuple, de soumettre la ratification du pacte d'austérité budgétaire à un référendum populaire. Ni le Président ni la majorité ne l'ont voulu. Or, si vous souhaitiez véritablement apporter une réponse au déficit démocratique des institutions européennes, vous auriez dû organiser un débat démocratique sur les mesures préconisées par ce « pacte d'austérité » qui font payer la crise des marchés financiers aux salariés et aux peuples d'Europe. Cette Europe des marchés se construit loin des peuples et contre les peuples d'Europe qui, en dépit de tout, n'ont pas abdiqué. Ainsi, des manifestations contre les politiques d'austérité ont été organisées le 14 novembre dernier dans le cadre d'une journée européenne d'action et de solidarité pour l'emploi, la solidarité en Europe et contre l'austérité. Ce rassemblement des syndicats nationaux autour de slogans communs peut marquer – et je dis bien « peut marquer » – la naissance d'un syndicalisme européen puissant, susceptible de fédérer les revendications des salariés européens.
L'avenir de l'Union européenne doit passer, à l'évidence, par une prise de conscience de l'impératif social et démocratique, les deux aspects étant consubstantiels.
Se substituant à un grand débat démocratique, la proposition de résolution et l'article 13 du traité ne sont pas à la hauteur des enjeux politiques. Ce contraste révèle combien la démocratie est conçue comme un obstacle et non comme une solution à la crise. La représentation nationale a déjà eu l'occasion de l'apprécier. En atteste le débat relatif à la prise en compte des orientations budgétaires européennes par le projet de loi de finances dans le cadre du semestre européen, un débat qui s'est tenu en catimini, salle Lamartine, le 15 octobre dernier. Nous avons contesté son principe et ses modalités, lesquels portaient foncièrement atteinte à la dignité de la représentation nationale.
Sur le principe, d'abord, ce débat a confirmé le renforcement de la logique de contrôle budgétaire de notre pays par la Commission européenne. En ce sens, son existence même a porté atteinte à l'exercice de notre souveraineté budgétaire. Il a préfiguré, en effet, la mise en oeuvre du dispositif prévu par le projet de règlement, inclus dans le fameux two pack encore en discussion, qui entend harmoniser les procédures budgétaires des États membres afin de permettre un échange sur les projets de budget nationaux entre les États et la Commission. Ainsi, le semestre européen sera prolongé sur toute l'année avec toutes ses implications politiques en termes de souveraineté nationale.
Au-delà du principe même de ce débat, ses modalités ont conforté et confirmé l'abaissement de la représentation nationale. D'une part, l'ouverture du débat a été marquée par la prise de parole du représentant de la Commission, institution technocratique dont la légitimité démocratique reste à prouver. D'autre part, les députés se sont trouvés cantonnés dans une position purement passive. Pour ce qui concerne le groupe GDR, il n'a eu le droit de poser qu'une question de deux minutes, avant de devoir se satisfaire des réponses des « personnalités conviées » de Bruxelles...
Aussi, comprendrez-vous qu'à notre sens la volonté exprimée dans la présente proposition de résolution « sur la nécessité d'associer le Parlement, sans doute par le biais de l'organisation de débats aux dates opportunes, à ces procédures d'échanges entre les gouvernements et les institutions européennes », ne soit pas à la hauteur du déficit démocratique dont pâtit structurellement la construction européenne. La représentation nationale n'a pas à être « associée », elle doit décider ! Cette proposition de résolution conforte l'abaissement du Parlement au rôle de simple chambre d'enregistrement budgétaire des choix européens guidés par le dogmatisme libéral et l'orthodoxie budgétaire. Les modalités de cette simple « association » du Parlement à ces procédures d'élaboration du budget ne sont pas admissibles. Le fait même que les institutions européennes aient leur mot à dire avant même que les Parlements élus démocratiquement ne puissent se prononcer est de nature à fausser le débat national sur des orientations budgétaires préalablement fixées au niveau européen.
Nous sommes attachés à la reconstruction européenne et nous ne sommes pas pour une fermeture de la France, mais pour une société ouverte dans une Europe ouverte. Pour cela, un gouvernement économique européen chargé de réaliser une union non seulement monétaire, mais aussi budgétaire, bancaire et économique ne peut se concevoir sans un contrôle parlementaire effectif. Dans ces conditions, la création de la Conférence interparlementaire exigée par la proposition de résolution ne saurait cautionner les caractères iniques et antidémocratiques du traité.
C'est pourquoi le groupe GDR s'abstiendra sur ce texte.