Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, cela fait aujourd'hui une trentaine d'années que le terrorisme frappe notre pays sur fond d'instabilité croissante du monde. Ce premier constat, qui ne pousse pas à l'optimisme, se double d'un autre : les modifications de l'économie et de la société, loin de constituer un frein, semblent plutôt aujourd'hui alimenter les voies et moyens par lesquels la menace terroriste se manifeste. On pense bien sûr à la démultiplication et à l'instantanéité de la communication via internet. Mais on ne saurait oublier ce que la communautarisation, l'exaltation des différences, les soubresauts de certaines zones du monde, en particulier le monde oriental, nourrissent de confusion et de perte de repères, créant ainsi un terreau d'autant plus dangereux qu'il s'autoalimente tant de l'intérieur que de l'extérieur.
Face à la menace terroriste, notre pays s'est doté, depuis 1986, d'un dispositif qui a été ensuite amélioré par des dispositions législatives nombreuses – j'en ai dénombré une quinzaine. De l'avis général, ce dispositif, en tant qu'il est centré autour d'une incrimination qui est celle de l'association de malfaiteurs en vue de préparer un acte terroriste, est juridiquement à la fois solide et suffisant. Au demeurant, il a été largement repris depuis 2001 par la législation européenne.
Il n'en reste pas moins que l'expérience révèle des besoins qu'il ne faut pas sous-évaluer et qui doivent donc conduire, dans la mesure nécessaire, à adapter le dispositif à une certaine multiplication des menaces. C'est moins la quantité, chose difficile à évaluer, qui est ici en cause que, si j'ose dire, la qualité, en raison des comportements nouveaux que j'évoquais en commençant mon propos. La société numérique offre ainsi des possibilités, sciemment et même systématiquement utilisées, et ce qui n'est après tout qu'un instrument ne serait pas si nocif s'il ne venait à l'appui de dévoiements individuels, parfois de croisades plus collectives, et s'il ne permettait souvent à des groupes éclatés, caractéristique du terrorisme en ce début de xxie siècle, de recruter, former et encadrer.
La réflexion qui accompagne ces évolutions, parfois brusquée par des faits particulièrement graves tels ceux qui ont donné lieu à l'affaire Merah, a donc conduit le Gouvernement à saisir le Parlement d'un projet dont je dirai qu'il répond à un double équilibre : un équilibre interne entre la prévention et la répression. C'est ce qui a fait le succès de notre système et c'est cet équilibre qui, aux yeux de votre rapporteure, doit guider le législateur. Il doit être préservé. Ainsi, des dispositions qui viseraient à sanctionner trop tôt des comportements ou des actes sans avoir suffisamment réfléchi aux besoins des services risquent de se retourner contre la volonté de leurs auteurs. Pour afficher en effet une répression immédiate et accrue, de telles dispositions pourraient nuire à l'efficacité même de la lutte contre le terrorisme en substituant trop tôt la répression judiciaire à l'intervention des services de renseignement.
La tentation de saisir directement par la répression ce qui n'est qu'un stade de la menace terroriste doit donc être pondérée. Nous retrouverons ce dilemme à l'occasion de l'examen de certains amendements.
Le second équilibre est celui qui doit être recherché entre le souci de l'État de droit qui nous anime tous et le besoin de ne pas gommer la spécificité du dispositif antiterroriste.
Ce dispositif, on le sait, avait conduit le législateur à rechercher, par exception au droit commun, une centralisation dès le stade de l'enquête judiciaire et jusqu'au jugement. Une particularité autre résulte de la possibilité donnée aux services d'accéder aux informations contenues dans des fichiers administratifs, bien que, en réalité, cet accès se fasse largement sur habilitation du juge judiciaire, comme en d'autres matières. Mais il est vrai qu'il s'agit d'un accès large, justifié par le fait qu'il y a souvent lieu d'aller – si on me passe l'expression – « à la pêche ». L'idée est que la recherche doit être large et le dispositif de prévention-répression étroit, de manière à bien cibler les individus ou les groupes les plus dangereux.
Un système spécifique, donc, mais qui ne peut en aucune manière se comparer à un dispositif d'exception.
Cette spécificité reste aujourd'hui justifiée. De même qu'il n'est pas d'État de droit sans que la sûreté soit garantie à tous – c'est ce que dit notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen –, de même il n'est pas non plus d'État de droit sans que sa sécurité externe soit également assurée. À plus forte raison lorsque cette sécurité externe est directement liée à des menaces sur le sol national. C'est ce qui justifie, là encore, les particularités d'un droit du terrorisme qui ne s'assimile pas à la lutte contre la délinquance ou la criminalité organisée, même s'il en revêt parfois certains traits ou peut en prendre la forme.
Un droit spécifique est donc nécessaire et doit être adapté lorsque les circonstances l'exigent. Quant à l'idée selon laquelle frapper le terrorisme risquerait de conduire à des moyens qui pourraient être dévoyés par la lutte contre des mouvements de résistance légitime, cette idée qui n'est pas en elle-même une vue de l'esprit – notre propre histoire en témoigne – doit être apaisée par la considération suivante : la définition même du terrorisme dans notre pays, telle que trente ans de pratique judiciaire la font ressortir à travers l'association de malfaiteurs, n'a jamais porté sur des actes qui pourraient se revendiquer, fût-ce théoriquement, de la libération contre un ordre oppressif tel qu'il résulterait de l'occupation d'un pays soumis à un régime dictatorial. C'est la définition de la résistance légitime. Ainsi, toute personne ou tout mouvement qui serait en France mis en cause du chef de terrorisme ne le serait et ne continuerait à l'être qu'à raison d'actes qui ne peuvent se réclamer de la libération contre une oppression objective, démontrable en termes de droit et d'institutions. En d'autres termes, est terroriste une action qui vise, comme le dit une doctrine aujourd'hui assez répandue, à l'intimidation collective. Je le dirai d'une autre manière : qui met en péril la population sans que les victimes soient pré-désignées. C'est ce qui distingue le terrorisme de la délinquance meurtrière, même si cette dernière, comme l'illustre une triste actualité, peut avoir aussi des retombées de hasard.
C'est ce double équilibre du dispositif antiterroriste que votre rapporteure s'est pour sa part attachée à maintenir et préserver, comme l'a fait le Sénat, même si le texte voté au Palais du Luxembourg présente certaines différences – mais elles ne me semblent pas majeures – avec celui qui a été adopté par votre commission des lois.
Je le résumerai en disant que la lutte contre le terrorisme doit se donner tous les moyens nécessaires, mais rien que les moyens nécessaires. C'est selon ce critère que je vous invite, mes chers collègues, à examiner le texte qui est soumis à votre vote, car il me semble que nous sommes tous attachés tant à l'efficacité de notre droit qu'à son caractère exemplaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Le 02/12/2012 à 23:31, chb17 a dit :
"Son caractère exemplaire" ? Il y a encore du boulot pour éviter la terreur infligée par exemple à la Libye, sous prétexte humanitaire. Celle-ci n'avait-elle pas été entérinée par l'hémicycle ?
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