Intervention de Patrick Devedjian

Réunion du 3 février 2015 à 16h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Devedjian :

Je me suis réjoui d'entendre le secrétaire d'État souligner que le Gouvernement a changé d'avis sur les départements : ceux-ci sont devenus, selon le mot du Premier ministre, des structures « intermédiaires ». C'est un grand changement ! En effet, il n'y a pas si longtemps encore, le Gouvernement avait annoncé, dans un premier temps, et de manière paradoxale, la suppression des départements tout en organisant un nouveau mode de scrutin départemental, avant de se prononcer, faute de pouvoir les supprimer pour des raisons constitutionnelles, pour leur « dévitalisation » – le mot est de vous, monsieur le secrétaire d'État –, une dévitalisation permise par le transfert à la région des collèges et de la voirie.

Le Gouvernement a renoncé au transfert des collèges : c'est raisonnable non seulement parce que l'ensemble du corps de l'éducation nationale y était opposé mais également parce que la décision de Gaston Defferre de transférer les lycéens aux régions et les collèges aux départements a donné lieu, trente ans durant, à une politique aussi coûteuse que laborieuse de séparation des cités scolaires. Alors que beaucoup d'argent a été dépensé à leur séparation, à peine est-elle achevée qu'un nouveau gouvernement de gauche voulait procéder à leur réunification !

En revanche, en dépit de l'opposition du Sénat, le Gouvernement n'a, semble-t-il, pas renoncé à transférer la voirie à la région, ce qui, là encore, n'est pas du tout raisonnable. Les régions, qui ont doublé de taille, auront en effet à gérer des milliers de kilomètres de routes alors qu'elles n'ont aucune expérience en la matière. Je me rappelle avoir conduit l'acte II de la décentralisation : nous commettions, dans le projet initial, l'erreur de transférer les routes nationales aux régions. Nous avons, à l'époque, essuyé de leur part un véritable tollé, les régions argumentant qu'elles n'avaient aucune expérience en matière de voirie alors que les départements construisent des routes depuis deux siècles et connaissent le maillage de leur territoire avec une grande finesse. Si la France a l'un des meilleurs réseaux routiers, notamment secondaire, du monde, elle le doit aux départements qui ont toujours su l'entretenir et le développer. Or, le présent texte va encore plus loin que le nôtre puisque ce sont les routes départementales qu'il veut transférer aux régions, ce qui représente un nombre de kilomètres bien plus important que les routes nationales.

Après le transfert des nationales aux départements, il a fallu cinq ans au service de la voirie des Hauts-de-Seine, pourtant expérimenté, pour absorber les compétences en la matière de la direction départementale de l'équipement et devenir opérationnel : et vous voulez transférer les départementales à des régions en pleine recomposition et qui ne sont dotées d'aucun service de voirie ! Le temps qu'elles mettront à acquérir l'expérience des départements en la matière sera perdu pour l'investissement et l'entretien. Un tel transfert se révélera pernicieux en termes de durabilité des équipements et donc coûteux.

D'autant que, pour prendre un exemple, la région Île-de-France, qui a déjà la compétence routière sur les grands équipements, notamment l'autoroute A 86, n'a pas réalisé ni même subventionné un mètre de voirie depuis 2006, sa majorité composite lui interdisant de prendre des décisions en la matière. Il serait paradoxal que la loi, en transférant la compétence routière des départements aux régions, double l'obstacle technique d'un éventuel obstacle politique !

De plus, monsieur Vallini, la dévitalisation n'est pas constitutionnelle. En effet, la jurisprudence du Conseil constitutionnel considère que ce qu'il est impossible de faire en bloc, à savoir supprimer les départements sans passer par une réforme de la Constitution, il est également impossible de le réaliser en détail, surtout lorsqu'on a eu l'imprudence de l'annoncer, le projet devenant de ce fait un moyen explicite de contourner la Constitution. Le Gouvernement serait donc bienvenu d'accepter les dispositions adoptées au Sénat et de laisser la voirie aux départements, qui s'en acquittent à la satisfaction générale.

Par ailleurs, les schémas prescriptifs sont-ils bien constitutionnels ? La Constitution, en effet, ne permet pas à une collectivité locale d'exercer sa tutelle sur une autre ?

Je suis également lassé d'entendre dénoncer le millefeuille territorial : si millefeuille il y a, il est non pas territorial mais administratif, ce qui n'est pas la même chose. C'est ainsi qu'un rapport de 2010 de l'IGF a dénoncé la prolifération des agences de l'État – le Gouvernement en a encore créé deux dans les six derniers mois –, lesquelles sont bien plus génératrices de doublons et donc de dépenses improductives que les différentes strates territoriales. Celles-ci sont, dans les autres pays européens, quasiment aussi nombreuses qu'en France. En revanche, elles sont spécialisées. Le Gouvernement a eu la bonne idée de revenir sur la compétence générale qu'il avait réintroduite à son arrivée, en se ralliant au principe de la compétence spéciale. Cette décision sera génératrice d'économies. Laissez l'expérience se dérouler avant de supprimer des strates.

M. Vallini a déclaré que le département a la compétence essentielle en matière sociale – je reconnais là le point de vue, que je partage, d'un ancien président de conseil général : si vous voulez vraiment simplifier le millefeuille, pourquoi n'engagez-vous aucune réflexion sur les caisses d'allocations familiales qui cogèrent, avec les départements, notamment le RSA et doublonnent, de fait, l'action sociale des départements à hauteur de 75 milliards d'euros ? N'y aurait-il pas là un motif de simplification administrative ?

Les évolutions futures devraient guider la réflexion, d'autant qu'elles se dessinent d'ores et déjà. C'est ainsi que les EPCI seront un jour ou l'autre élus au suffrage universel direct. Ce progrès de la démocratie est dans la nature des choses. La tendance est également à une extension du non-cumul des mandats, notamment entre les fonctions de maire et de membre de l'exécutif des EPCI, ce qui ne sera pas sans poser de problèmes.

Enfin, je rappelle que 94 % des élus de la métropole du Grand Paris (MGP), donc toutes tendances confondues, avaient rejeté, via une résolution, l'article 12 de la loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, qui définissait les modalités de la création de la métropole parisienne. Or le Premier ministre a souligné à la suite de l'examen du présent texte au Sénat que le débat parlementaire, avec ses quatre lectures, est un chemin de consensus. Il a donc reconnu que le Sénat avait fait une part du chemin. C'est pourquoi il convient d'espérer que l'Assemblée nationale respecte l'arbitrage du Premier ministre et, en dépit de certains amendements que j'ai pu lire, fasse aussi sa part du chemin.

Alors même que la métropole du Grand Paris sera une très grosse machine absorbant des ressources fiscales importantes, est-il normal que ses compétences se résument à des schémas directeurs et des actes de planification, des droits et obligations en matière de péréquation et un peu d'urbanisme ? Et encore, comme l'a annoncé le Premier ministre, les compétences de la métropole en matière d'urbanisme seront obérées par vingt opérations d'intérêt national (OIN), ce qui représente un véritable acte de recentralisation forcenée. Or, pour exercer ces compétences, sommes toutes assez maigres en l'état actuel des textes, la MGP se voit doter de 348 élus, alors que la région Île-de-France, dont le territoire est deux fois plus vaste et les compétences infiniment plus nombreuses, n'en a que 209. Seuls les hémicycles de l'Assemblée nationale ou du Sénat pourraient recevoir ces 348 élus ! N'est-ce pas prendre le risque d'une impopularité générale, englobant la gauche et la droite, qui seront accusées d'avoir, ensemble et à leur seul profit, monté une nouvelle usine à gaz ? Dans sa grande sagesse, le Gouvernement n'a d'ailleurs toujours pas doté cette future MGP d'une adresse. Il sera difficile, dans ces conditions, d'être prêts au 1er janvier 2016. C'est pourquoi je suis inquiet.

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