Nous nous sommes intéressés, pour finir, à quatre défis que devront relever les armées dans les années qui viennent.
Le premier défi est de renforcer la mixité dans les grandes écoles militaires.
La féminisation des admissions dans les grandes écoles militaires a commencé en 1972 avec l'école polytechnique mais ne s'est achevée qu'en 1993 avec l'école navale. Les femmes représentent aujourd'hui un peu plus de 10 % des élèves à l'école spéciale militaire (ESM) de Saint-Cyr et 14 % à l'école de l'air. Ces taux sont à peu près stables depuis une dizaine d'années et semblent satisfaire les commandements de ces écoles alors que l'on considère le seuil de 30 % comme décisif pour l'acceptation de la mixité.
Le classement en sortie des femmes est dans la moyenne mais leur orientation les guide plus particulièrement dans certaines filières : elles représentent 46 % des effectifs totaux de la filière administration et gestion, 47 % de la filière santé mais seulement 4 % des unités de combat.
Vous le savez, le ministre de la Défense n'a pas attendu la parution de l'ouvrage La guerre invisible, en février 2014, pour saisir pleinement des problèmes rencontrés par les femmes, notamment les violences sexuelles, au sein des armées. Il s'est doté d'un plan d'action depuis un an à la suite de deux rapports confiés au contrôle général des armées et à l'inspection générale des armées.
Ces deux rapports soulignaient l'acuité du problème dans les écoles de formation initiale, en particulier dans les écoles d'officier.
Le rapport Chevalier évoque ainsi, dans le cas de l'ESM de Saint-Cyr, le comportement « d'une petite minorité affichant une vision dépassée de la place de la femme dans la société et se traduisant par des insultes inadmissibles, des incivilités ridicules » ou, au mieux une « indifférence courtoise ». Les jeunes femmes, analyse-t-il, semblent avoir « intégré que le fait d'être femme constituait un handicap, que leur carrière en serait « naturellement » plus difficile et que se faire traiter de « grosse » faisait en quelque sorte partie du paquetage… » Le terme de « grosse » est employé couramment pour désigner les élèves féminines à Saint-Cyr… Le rapport Debernardy-Bolleli constate pour sa part « à quel point un certain nombre de ces jeunes [garçons] sont fermés à la réalité contemporaine de la défense » et relève que les évolutions notées en cours de scolarité « ne suffisent pas à rendre normale la situation des jeunes filles qui restent discriminées. »
Si nous n'avons pas relevé de difficultés particulières au cours des entretiens que nous avons conduits – dont la plupart ont été faits en présence de la hiérarchie, ce qui ne facilite pas ce genre d'enquête – personne n'a nié l'existence de comportements inacceptables.
Nous proposons quelques mesures pour relever ce défi de la mixité.
Il semble que l'origine du problème ne vienne pas tant des écoles que des classes préparatoires des lycées militaires, qui fournissent chaque année plus de 80 % des admis à Saint-Cyr.
C'est pour cela que nous réaffirmons la nécessité de diversifier les filières de recrutement, en ouvrant plus de places aux titulaires de bac + 3 ou bac + 5, et d'augmenter la proportion d'élèves-officiers qui accomplissent un semestre de scolarité dans un autre établissement. J'ai trouvé, pour ma part, qu'il y avait beaucoup de consanguinité au sein de ces écoles. Il faut les aérer ! Aujourd'hui, le continuum classes prépas-école fait que les futurs officiers restent en milieu fermé pendant cinq à six ans, ce qui n'est pas bon ! Il faut aussi proposer, en cours de scolarité, plus de possibilités d'effectuer un semestre dans une autre université ou à l'étranger.
Nous proposons également, dans la lignée des différents rapports remis au ministre l'année dernière, de féminiser davantage l'encadrement des écoles, en particulier ceux qui sont « au contact » des élèves, pour affirmer le caractère irréversible de la présence des femmes parmi les officiers. Aujourd'hui, et cela reflète bien le fonctionnement général de l'armée, l'essentiel des cadres féminins de Saint-Cyr est chargé des fonctions d'administration et de gestion !
Des actions de sensibilisation à l'égalité doivent également être mises en place dans les différentes écoles de formation initiale. L'état-major est en train d'élaborer un plan d'action en ce sens.
Des correspondantes mixité doivent enfin être accessibles à tous, ce qui n'est pas encore le cas dans les différentes écoles que nous avons visitées.
L'armée a tout à gagner d'une mixité plus importante. Les élèves sous-officiers que j'ai rencontrées à Saint-Maixent disaient tout le bien qu'elles pensaient de la mixité. Mais il faut atteindre un seuil de 30 % pour que cela ne pose plus de problème.
Le ministre devra certainement avoir une action plus volontariste si nous voulons relever ce défi.