Intervention de élie Barnavi

Réunion du 4 février 2015 à 16h00
Commission des affaires étrangères

élie Barnavi, historien, professeur à l'Université de Tel-Aviv, directeur du comité scientifique du Musée de l'Europe à Bruxelles :

C'est la droite qui n'en voulait pas, afin de ne pas fixer sur le terrain la distinction entre les territoires occupés et les autres. Sharon s'est emparé de la question sous la pression populaire, parce que des terroristes se faisaient sauter dans les rues de nos villes. Puis il s'est servi du mur comme outil d'annexion.

Quoi qu'il en soit, le mur est là pour être démoli un jour. Il ne durera pas jusqu'à la fin des temps !

Je crains, monsieur Bacquet, que Voltaire n'ait pas prononcé les mots que vous citez. Mais il aurait pu assurément les dire, cela lui ressemblait assez !

Les sociétés civiles, monsieur Amirshahi, ont fait et continuent de faire le travail qui était nécessaire. Mais elles en sont lasses. Je n'ai pas besoin de venir en France pour rencontrer des amis palestiniens. J'ai enseigné pendant trois ans à l'université al-Qods, où j'ai été reçu magnifiquement. Tout ce que voulaient les étudiants, c'était aller à la plage de Tel-Aviv. Ceux qui avaient une carte d'identité israélienne le pouvaient, les autres non. Le territoire est constellé de barrages. Ce n'est pas un caprice israélien : le problème sécuritaire est réel. Mais la situation crée le problème sécuritaire. Comment faire pour en sortir ?

Nous traiter en grands enfants qui devraient enfin se débrouiller tout seuls, c'est oublier qu'il n'y a plus aujourd'hui dans le monde que des conflits asymétriques, et que de tels conflits ne sont jamais réglés par leurs seuls protagonistes. Leïla Shahid l'a rappelé : c'est pour cela que la communauté internationale et l'ONU ont été inventées. Si vous laissez la situation pourrir, nous y serons encore dans cinquante ans ! Que dis-je ? Dans cinquante ans, nous aurons un État mono-national et unitaire, un État où des gens comme moi ne pourront pas vivre.

C'est pour cette raison que je parle de sauvetage. Nous vous demandons d'aider des peuples en péril. Si on ne comprend pas cela, on n'a rien compris à la situation au Proche-Orient.

On parle d'une conférence internationale. Que pourrait-elle faire de plus ? Nous connaissons déjà la solution ! Ce dont j'ai peur, c'est que l'on recommence à négocier des choses que nous avons déjà négociées, c'est que l'on ouvre à nouveau les mêmes dossiers ad nauseam. Cela dit, mieux vaut une conférence plutôt que rien, probablement !

Ne serait-il pas néanmoins plus utile que la France, si possible avec des partenaires européens importants, prépare un projet de résolution raisonnable à porter devant l'ONU ? Il faut obliger les Américains à se découvrir. La dernière fois, vous avez très mal joué la partie. Il suffisait d'attendre trois jours pour avoir une majorité de neuf au Conseil de sécurité et pour contraindre les Américains à faire ce qu'ils n'ont pas envie de faire.

Ne nous y trompons pas : depuis 1967, la position des États-Unis est plus proche de celle des Arabes que de la nôtre ; depuis 1967, ils votent et agissent contre leur propre position de principe. Cette contradiction éclate aujourd'hui. Il n'est pas du tout sûr que la prochaine résolution, si elle ne vient pas des Palestiniens, si elle n'est pas extrême, si elle est pesée avec soin, si elle émane d'alliés importants des États-Unis en Europe, fasse l'objet d'un veto américain. Ce serait, pour le coup, une sorte de révolution diplomatique.

Qu'Abou Mazen adhère à la Cour pénale internationale, je ne sais pas si c'est une bonne affaire. Symboliquement, sans doute ; pratiquement, c'est une autre paire de manches. Le sujet mériterait bien des développements. Ce que je suggère, c'est de donner la priorité au Conseil de sécurité et de laisser la conférence internationale en deuxième position.

Pour ce qui est du Conseil de sécurité, la France est très bien placée. J'ai eu l'occasion d'observer l'action du formidable diplomate qu'est Gérard Araud quand il était représentant permanent de la France auprès des Nations unies. Le Conseil de sécurité est ce qu'il est, nous n'avons pas d'autre outil. Il n'est pas impossible qu'une action se révèle efficace si elle est préparée avec soin. En revanche, ce qui s'est passé à l'ONU il y a quelques semaines est du grand n'importe quoi. Je ne comprends toujours pas pourquoi la France, qui avait sa propre résolution, a voté pour la résolution palestinienne. C'était un bien inutile pataquès diplomatique !

Au-delà de ces questions tactiques, je pense que la stratégie que j'indique est la bonne. Il faut préparer un arsenal de carottes et de bâtons pour les deux protagonistes, de manière à préparer les esprits. En dépit des apparences, l'opinion publique et le gouvernement actuel d'Israël son extrêmement sensibles aux positions européennes. Personne n'a envie de se retrouver sans alliés. Il ne dépend que de vous de créer le cadre diplomatique, politique et psychologique pour faire bouger les lignes. L'action doit être continue. Sinon, résolution après résolution, une année passe, puis deux ; on fait d'autres constructions dans les territoires ; une nouvelle opération est menée ; quand les gens tirent, on ne parle pas ; quand les gens votent, on ne parle pas non plus ; le temps passe à toute allure et, quand on se réveille, rien n'a changé !

Il faut donc maintenir une pression permanente, et le faire de manière intelligente, c'est-à-dire en empathie avec ce qui se passe sur place. Les preuves d'amitié pour le peuple d'Israël sont importantes. Les gens ne doivent pas avoir l'impression que l'on fait pression sur eux parce que le monde entier est contre eux. Oui, on peut être à la fois pro-israélien et pro-palestinien : c'est mon cas, et je sais que c'est le cas de la plupart d'entre vous. Il y a assez de place dans le coeur d'un homme ou d'une femme pour deux nations maltraitées par l'Histoire. Si vous ne rattrapez pas ces deux nations par les cheveux, elles finiront par se noyer ensemble. En 1982, dans la première histoire d'Israël que j'ai écrite, je disais déjà qu'il s'agissait de frères siamois : ils se sauveront ensemble ou ils couleront ensemble.

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