Réunion avec M. Elie Barnavi, historien, professeur à l'Université de Tel-Aviv, directeur du comité scientifique du Musée de l'Europe à Bruxelles et Mme Leïla Shahid, ambassadeur, chef de mission de la Palestine auprès de l'Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg, sur l'Europe et la question de Palestine
La séance est ouverte à seize heures trente.
Nous avons le grand plaisir d'accueillir cet après-midi deux personnalités que vous connaissez bien, mes chers collègues : Mme Leïla Shahid, ambassadeur, chef de mission de la Palestine auprès de l'Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg, et M. Élie Barnavi, historien, professeur à l'Université de Tel-Aviv, ancien ambassadeur d'Israël en France.
Alors que l'urgence d'un règlement négocié du conflit israélo-palestinien n'a jamais été aussi grande, les positions des deux parties sont plus que jamais antagonistes. La solution à deux États semble chaque jour davantage menacée. Nous avons constaté avec regret l'échec des tentatives américaines de reprise des pourparlers, en dépit de l'énergie et du temps que M. John Kerry y a consacrés. La guerre a sévi de nouveau à Gaza l'été dernier. Bref, nous avons l'impression d'assister à la fin d'un cycle historique ouvert avec les accords d'Olso.
Ceux qui doutaient du caractère central du conflit israélo-palestinien ont été démentis. Nous ne fondons guère d'espoirs sur l'ultime tentative de John Kerry de réunir les deux parties autour d'une même table. Notre sentiment est que, en l'état actuel des choses, il faut changer la méthode de négociation.
La France a proposé l'organisation d'une conférence internationale, qui peut produire une dynamique nouvelle à condition, comme il en a été discuté aux Nations unies récemment, que la méthode change et qu'une résolution du Conseil de sécurité fixe un cadre et un calendrier aux négociations de façon à éviter les écueils du processus d'Oslo. Vous nous direz ce que vous pensez de cette démarche et du rôle que l'Union européenne peut y jouer.
L'Europe s'est depuis des années dégagée de toute implication majeure dans le règlement politique du conflit, se cantonnant à un rôle humanitaire ou de bailleur de fonds. Ne prenant plus la parole, elle a pu apparaître comme complice d'un statu quo dont on sait à quel point il est mortifère : quand rien ne se passe sur le plan politique ou diplomatique, les violences prennent le dessus. Quant au bilan du Quartet, il est à mes yeux inexistant.
Quels leviers les Européens peuvent-ils actionner, aux côtés des Américains, pour remettre les deux parties dans une négociation qui suivrait, cette fois-ci, un calendrier ? Quelles garanties l'Union, probablement avec les États-Unis et peut-être avec l'OTAN, peut-elle offrir aux deux parties au plan sécuritaire et économique ?
J'aimerais enfin avoir votre sentiment sur les chances d'aboutissement d'un accord global, tel que l'initiative arabe de paix l'avait imaginé en 2002. Cette initiative est toujours invoquée dans les conclusions des Conseils européens. Si elle aboutissait, ce serait l'ensemble des pays arabes, et non seulement deux comme c'est le cas aujourd'hui, qui reconnaîtraient le droit d'Israël à la sécurité.
Par ailleurs, monsieur Barnavi, peut-on attendre des élections anticipées qui auront lieu le 17 mars en Israël une modification de la politique gouvernementale ?
Madame Shahid, pourriez-vous nous éclairer sur la poursuite de la diplomatie onusienne de M. Mahmoud Abbas ? Le rejet, fin décembre, de la résolution au Conseil de sécurité a été suivi d'une demande – depuis acceptée – d'adhésion au Statut de Rome, au risque d'enclencher un engrenage dangereux. Quelle appréciation portez-vous sur la possibilité d'une réconciliation palestinienne, condition indispensable à la paix mais qui semble aujourd'hui dans l'impasse ?
Je vous remercie de m'avoir invité ici, madame la présidente, avec une collègue qui n'est pas vraiment une inconnue. Bien que nous ne l'ayons pas répété depuis longtemps, je peux dire que le numéro que nous proposons est assez au point ! (Sourires.)
Je vous remercie d'autant plus que j'ai eu plusieurs fois l'occasion de m'exprimer devant la commission des affaires étrangères du Sénat, mais jamais devant celle de l'Assemblée nationale.
Mais ce sont des choses dures que j'ai à vous dire.
Pour avoir soutenu très utilement notre démarche, vous savez que nous avons lancé une pétition, signée par plus d'un millier de personnalités israéliennes, pour inviter les parlements nationaux de l'Union et le Parlement européen à reconnaître l'État palestinien. L'Assemblée nationale et le Sénat français nous ont entendus. Il faut désormais maintenir la pression pour éviter que cette initiative ne se perde dans le sable. Comme vous l'avez dit, madame la présidente, il s'agit bien de changer de méthode. Celle que nous suivons depuis Oslo – Israéliens et Palestiniens face-à-face avec un facilitateur qui ne facilite rien – a vécu. Il faut inventer autre chose et cette tâche revient à ce qu'on appelle, sans doute par antiphrase, « la communauté internationale » – en clair : les États-Unis et, je l'espère, l'Union européenne.
Je ne pense pas qu'il faille attendre grand-chose des élections israéliennes du 17 mars prochain. Les derniers sondages montrent que le Premier ministre Benjamin Netanyahou et son parti creusent l'écart avec les travaillistes. Le bloc de la droite, autour du Likoud, est donné nettement majoritaire. Si le Likoud arrive en première position, il n'aura aucun mal à constituer une coalition assez large.
Ce scénario est le plus probable mais rien n'est sûr en politique. Il n'est pas non plus impossible que les travaillistes d'Isaac Herzog l'emportent. Pour la question qui nous occupe, cela ne changerait pas grand-chose. En effet, dans l'état où elles sont sur le terrain, les parties au conflit ne parviendront pas seules à une solution.
Si vous nous enfermez, Mme Shahid et moi, dans une pièce, vous aurez un traité de paix en bonne et due forme en quelques jours. Car le modèle existe et nous le connaissons tous. Depuis vingt ans que nous négocions, nous avons fait le tour de tous les cas de figure possibles et imaginables. C'est simple : il suffit de tendre la main, de prendre sur l'étagère un des plans de paix, et l'affaire est faite !
En principe, les conditions sont idéales : il existe un consensus international absolu en faveur d'une solution raisonnable, les gouvernements se sont prononcés – toujours en principe – pour une telle solution et les opinions publiques, sur place, disent de manière récurrente qu'elles y sont prêtes.
Or rien ne se passe. On bute sur le mauvais vouloir et la faiblesse des gouvernements. Les Palestiniens sont gravement divisés. Le différend entre Gaza et Ramallah n'est pas simplement politique, il traduit une profonde divergence idéologique. Quant à la politique israélienne, elle est visiblement l'otage d'une minorité très idéologique et très bien organisée qui dicte l'ordre du jour national.
Si le centre-gauche l'emportait, il infléchirait le ton de cette politique mais n'aurait pas les moyens d'en modifier la substance, tant l'écart serait faible et la coalition branlante. Je ne le vois pas réussir là où Ehud Barak a échoué. En un sens, même, je me demande si ce ne serait pas un marché de dupes et s'il ne vaudrait pas mieux que Benjamin Netanyahou rempile. Un des drames du processus de paix du côté d'Israël est que les autorités ont toujours eu une « feuille de vigne » libérale : ce fut, pendant des années, Shimon Peres, qui a ensorcelé le monde entier – notamment la France, je peux en témoigner –, puis Tzipi Livni. Mon ami Isaac Herzog, qui est un gentleman, risque de jouer ce rôle à son tour. On dira alors qu'il y a un peu d'espoir, qu'il faut le laisser travailler… et il ne se passera rien ! Même si Netanyahou remporte les élections, il n'est pas exclu que Herzog et les siens acceptent d'être la « voix raisonnable » au sein d'une grande coalition qui, de toute manière, ne le sera pas.
Je le répète depuis des années, il ne faut rien attendre des protagonistes sur le terrain. Ce n'est pas d'eux que viendra la paix, sinon en ce sens qu'il faudra bien qu'ils signent et appliquent un traité. La paix sera imposée ou ne sera pas. Nous avons désespérément besoin d'un tiers qui fasse vraiment le travail là où les Américains ont échoué à le faire. Lorsque John Kerry est arrivé dans la région, j'ai dit et écrit que sa démarche n'aboutirait à rien. Il est condamné à un va-et-vient pathétique entre Jérusalem et Ramallah dès lors qu'il n'apporte pas un plan de paix américain en disant aux uns et aux autres : c'est à prendre ou à laisser ; si vous laissez – ce que vous pouvez faire puisque vous êtes souverains –, il y aura un prix à cela. Les Américains ne se sont jamais véritablement résolus à tenir ce langage, sauf dans des temps plus anciens, notamment à l'époque de George Bush père et de la conférence de Madrid avant que les choses, pour des raisons diverses, ne s'effilochent.
Si les Américains n'ont pas fait le travail, qui pourra le faire ? Les Américains, évidemment, mais il faut les y contraindre ! Et il me semble que la situation est mûre : ils ne demandent pas mieux. Bien qu'il ait mis la question du Proche-Orient à l'ordre du jour dès le début de son premier mandat, Barack Obama n'a pas su s'y prendre. Vous connaissez les obstacles auxquels il a été confronté. Aujourd'hui, libéré des contraintes électorales, il a retrouvé son mordant, par exemple au sujet de Cuba ou de l'immigration. L'homme veut laisser une griffe sur le visage de l'Histoire et mériter enfin le prix Nobel qu'il a reçu par anticipation peu après son entrée en fonction. Je ne pense pas qu'il ait passé la question Proche-Orient par profits et pertes.
Il y a donc moyen d'agir avec les États-Unis. Pour cela, il faut que l'Europe s'organise. Malheureusement, l'Europe n'existe pas beaucoup – j'essaie d'être courtois – sur la scène internationale. Elle parle d'une seule voix dans un seul domaine, celui du commerce. Partout ailleurs, elle est en ordre dispersé. C'est particulièrement le cas au Proche-Orient : certains États membres sont plus audacieux que d'autre, mais l'Europe n'est pas présente en tant qu'entité. Il faut l'y pousser.
L'initiative que j'évoquais au début de mon propos s'inscrit dans ce contexte. Naturellement, les résolutions parlementaires européennes ne suffiront pas à faire émerger un État palestinien viable. Il faut cependant créer une masse critique pour mettre fin à cette sorte de jeu à somme nulle.
Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, l'alternative est en effet la violence, mais avec cette particularité que la terre où doit s'installer l'État palestinien souverain est grignotée presque quotidiennement. Si cette situation perdure, il n'y aura plus d'endroit où créer cet État. Alors – je parle en tant que patriote israélien et en tant que sioniste –, au-delà de la question de la justice à laquelle le peuple palestinien, comme tout peuple sur terre, a droit, il y va de la survie de l'État d'Israël. Si la solution à deux États n'est plus possible, la solution restante sera la solution à un seul État, laquelle débouchera soit sur la guerre civile, soit sur l'apartheid. Soit on donne les mêmes droits à chacun, et l'État d'Israël ne sera plus celui où le peuple juif a vocation à être une entité souveraine ; soit on ne donne pas les mêmes droits à chacun, et l'on établit un régime d'apartheid. L'accusation d'apartheid que l'on fait aujourd'hui à Israël est évidemment fantasmagorique, dépourvue de sens, mais cela nous pend au nez ! L'apartheid n'est pas quelque chose que les gens portent dans leur ADN. Rappelons que l'ancien régime sud-africain est issu de la société la plus tolérante de l'Occident. C'est la situation qui engendre ce genre d'évolution.
D'une certaine manière, nous demandons qu'il soit porté assistance à des peuples en péril. L'Europe, la France et les États-Unis ont une responsabilité historique. Ils doivent nous aider à nous sortir d'une situation inextricable qui ne peut apporter que du malheur pour tout le monde.
Encore que la situation ne soit pas tout à fait symétrique : si les Palestiniens souffrent davantage que les Israéliens, ils sont paradoxalement mieux lotis que nous car ils ont plus de temps. Ils ont pour eux l'Hinterland, la démographie. Si nous ne résolvons pas notre problème, nous sommes exposés à plus de risques qu'eux. De plus en plus de responsables palestiniens, y compris parmi les plus modérés, le savent. Sari Nusseibeh, par exemple, affirme ne plus croire à la solution à deux États et revendique les droits de citoyen pour les Palestiniens. Vous imaginez ce que cela signifierait pour l'État juif !
Je vous invite donc avec chaleur et insistance à poursuivre l'effort engagé. Je ne comprends pas les raisons de la pusillanimité européenne. Je ne comprends pas non plus nos amis allemands qui, sous le prétexte des relations spéciales que l'Histoire leur a imposées avec nous, travaillent contre nos intérêts. S'ils ont des devoirs particuliers envers l'État d'Israël, qu'ils le prouvent en l'aidant à se sortir de cette situation ! Même chose pour les Américains : les amis ne sont pas là où ils devraient être, les ennemis ne sont pas forcément ceux auquel on pense. Tout cela est d'une extrême confusion, alors que la situation est claire : nous avons tous désespérément besoin d'un État palestinien viable aux côtés de l'État d'Israël.
Un dernier mot sur l'initiative arabe de paix engagée il y a treize ans. Je suis arrivé à l'âge de raison politique dans un pays où l'on ne cessait de répéter que, le jour où le moindre leader arabe dirait la chose la plus vague sur l'éventualité d'une reconnaissance de l'État d'Israël, nous nous précipiterions pour saisir la main tendue. Et Dieu sait que la main était tendue en 2002, avec la perspective non seulement d'un traité de paix mais aussi d'une normalisation ! Non que tous les gouvernements arabes fussent devenus sionistes, mais parce qu'ils avaient compris qu'il fallait mettre fin à l'affrontement et faire la paix avec Israël pour faire face aux menaces surgissant de toute part dans la région. Or il n'y eut aucune réaction de votre part, comme si nous ne vous avions jamais rien proposé !
Je crois donc qu'il faut ressusciter l'initiative arabe. Une des fautes diplomatiques les plus graves du président Clinton a été de ne pas impliquer le monde arabe à Camp David et de laisser Arafat seul. Comment reprendre cette initiative, avec qui ? C'est un autre débat…
Je suis très heureuse de revenir, dix ans après, devant votre commission. Les Français ont toujours joué un rôle très important au Proche-Orient et doivent continuer à le jouer.
Je commencerai par vous remercier d'avoir pris l'initiative de cette résolution invitant la France à reconnaître l'État de Palestine. Il reste maintenant à votre pays à prendre une position officielle, à l'instar de la Suède.
Que pourrais-je vous dire que vous ne sachiez déjà ? En tout cas, je partage le diagnostic de mon ami Élie Barnavi concernant l'aspect diplomatique de la question : la solution, nous la connaissons tous ! Ce conflit existe depuis soixante-six ans, ses effets se font sentir jusqu'à Paris, Londres, Rome. Y a-t-il aucun autre conflit au monde dont on connaît aussi bien la solution sans avoir le courage de la mettre en oeuvre ?
Le pronostic d'Élie Barnavi pour les élections israéliennes m'inquiète un peu. Mais il en va ainsi de la démocratie et nous n'avons qu'à tenir compte de ce que la majorité israélienne souhaitera le 17 mars.
Je voudrais pour ma part insister sur le changement radical du contexte régional depuis les années où j'étais en poste à Paris. Ce changement, seule une autruche pourrait refuser de voir ! Certes, le conflit israélo-arabe ne s'est jamais limité aux frontières de la région. Il ne s'agit pas d'un affrontement entre deux armées ou deux États à propos de kilomètres carrés ou de frontières, mais d'un conflit existentiel qui a un impact considérable sur les communautés qui s'identifient à l'un ou à l'autre des deux protagonistes. C'est un conflit qui intéresse toute la Méditerranée. À l'heure où vous prenez la présidence de la fondation Anna Lindh, madame la présidente, vous savez bien qu'il est impossible de faire avancer le magnifique projet de l'Union pour la Méditerranée s'il n'y a pas de paix entre Israéliens et Arabes, d'autant que les représentants palestiniens ne bénéficient pas d'une réelle équité au sein de cette instance.
Le grand changement, c'est que l'on a assisté depuis 2011 au réveil des sociétés civiles du monde arabe : Tunisie, Syrie, Yémen, Libye, Égypte… Ces révoltes citoyennes ont notamment mobilisé les jeunes et les femmes, ce que l'on n'avait pas vu depuis les mouvements d'indépendance. Dans la plupart des cas, elles ont échoué. Sauf peut-être en Tunisie, les personnes qui ont accédé aux responsabilités ne sont pas celles qui ont mené la révolte.
Ces échecs et ces frustrations ont alimenté la montée des mouvements islamistes les plus violents. Ces mouvements, il faut avoir le courage de le dire, sont le résultat de la politique désastreuse mené par les Américains en Afghanistan et en Irak. Ce sont bien les États-Unis qui ont fabriqué Ben Laden et Al-Qaïda pour combattre les communistes en Afghanistan. Ce sont eux qui ont mené la guerre contre l'Irak en prétextant l'existence d'armes de destruction massive. En dépeçant ce pays entre tribus kurdes, chiites et sunnites, ils ont ouvert une boîte de Pandore. La crise s'est étendue à la Syrie. Ce qui se passe dans cette région pourrait être qualifié d'« Erasmus » des militants islamistes violents. Ils viennent du monde entier, notamment de France et de Belgique, pour recevoir une formation militaire avant de revenir commettre des attentats qui contre un supermarché juif, qui contre un journal, qui contre un musée juif – et il est à craindre que cette liste ne s'allonge encore !
C'est un contexte qui donne le vertige tant il est inquiétant pour tout le monde. Des puissances régionales s'efforcent de tirer les ficelles dans tel ou tel sens, apportant des financements pour servir leurs intérêts qui, forcément, sont très restreints. Mais la question palestinienne, qu'on le veuille ou non, garde sa centralité. Elle n'a rien à voir avec le terrorisme islamiste ou avec l'antisémitisme de ceux qui ont perdu le nord, mais elle reste le coeur des relations géopolitiques, historiques et stratégiques de la région. L'État israélien est né de ce qui a été, dans votre Seconde Guerre mondiale, un terrible génocide poussant les gens à venir chercher une terre promise, et ce aux dépens des Palestiniens qui, comme les Syriens, les Libanais, les Marocains ou les Tunisiens, attendaient alors leur indépendance. Cette contradiction est profondément ancrée dans l'Europe et dans le sud de la Méditerranée.
La non-résolution de ce conflit, on ne peut l'ignorer, s'ajoute à toutes les violences que nous vivons. Personnellement, je crois que l'horreur des actes perpétrés par Daech, Al-Qaïda, Al-Nosra et autres n'a pas de racines profondes dans nos sociétés. Certes, ces organisations existent et continueront d'exister pendant quelque temps. Cependant, née Palestinienne au Liban, mariée à un citoyen marocain, ayant vécu dans tous ces pays, je ne pense pas que la déformation totale du rapport à l'islam et la violence prônées par de tels mouvements trouvent un écho ou une empathie dans la population. Pour autant, la réponse ne peut être que sécuritaire. Former une coalition militaire et bombarder les islamistes ne suffit pas. Il faut aussi apporter une réponse politique à la crise que traverse la région.
Or, comme le dit mon ami israélien, la réponse nous est servie sur un plateau : c'est la solution à deux États. Il ne s'agit même pas, pour nous, de demander 50-50. Nous revendiquons 22 % du territoire et avons reconnu Israël dans les 78 % qui restent. Mais voilà vingt-cinq ans que nous négocions sans succès ! Le tête-à-tête a échoué. Continuerez-vous à nous regarder échouer pendant vingt-cinq ans de plus ou essaierez-vous de faire quelque chose ?
Le temps n'est plus au politiquement correct et à la diplomatie qui arrondit les angles ! L'Europe, premier soutien des Palestiniens en matière d'infrastructures et d'aide au développement, premier partenaire commercial, technologique, scientifique et militaire d'Israël, a échoué en tant qu'acteur politique. Comme l'a dit Élie Barnavi, elle n'assure pas un avenir au peuple israélien. Aller tous les cinq ans à la guerre, ce n'est pas un avenir pour Israël ! Pour notre part, malgré tous nos efforts, malgré la renonciation à la violence et à la lutte armée, nous continuons de reculer.
Je joins donc ma voix à celle d'Élie Barnavi pour souligner cette urgence vitale, y compris pour vous. La tragédie de Charlie Hebdo et du supermarché casher, celle de Toulouse, celle du musée juif de Bruxelles, sonnent comment un tocsin. Elles doivent réveiller les esprits de ceux qui peuvent décider. Il nous est évidemment impossible de décider pour vous, mais la France a un rôle primordial à jouer au sein de cette Europe qui n'existe pas encore. En politique étrangère, l'Europe ne s'exprime pas d'une seule voix. Il suffit que le plus petit des États signifie son désaccord pour entraver toute action.
C'est dire toute l'importance de l'initiative française au Conseil de sécurité, de concert avec des États européens qui pèsent, pour engager un processus de paix qui, cette fois-ci, peut aboutir.
Le monde arabe est sur une ligne de crête. Il peut basculer dans la violence, le ressentiment et la haine. Toute l'horreur à laquelle nous avons assisté ces derniers mois, certains vont jusqu'à dire qu'elle est compréhensible parce qu'il y a deux poids deux mesures. Cette perte de repères n'affecte pas seulement vos banlieues, on l'observe aussi chez nous, où des gens sont descendus dans la rue, où l'on a critiqué mon président pour avoir participé à la manifestation de solidarité avec la France.
Nous ne pouvons pas attendre que les Européens se retrouvent par miracle d'accord à vingt-huit sur une même politique étrangère. Et les Américains sont loin, ils peuvent se permettre l'attentisme. Je ne sais pas si l'on doit encore espérer que Barack Obama, dans les deux années qui lui restent, fasse ce qu'il n'a pas fait en un mandat et demi. L'Europe, en revanche, le peut, et certains aux États-Unis aimeraient la voir travailler avec eux au Conseil de sécurité ou dans une diplomatie parallèle.
Quoi qu'il en soit, nous connaissons autant les paramètres que les solutions. Nous pouvons aussi compter sur beaucoup de gens parmi la société et les élus des deux côtés. Le secrétaire général de la Ligue arabe est un juriste qui serait très heureux de participer à un tel processus. J'espère que nous ne gâterons pas l'occasion. Après dix ans passés à Bruxelles, j'ai appris que l'Union européenne est aussi menée par ceux qui ont l'ambition d'avoir une politique étrangère. La France a toujours eu cette ambition. Puisse-t-elle prendre l'initiative, et permettre à d'autres pays européens d'y contribuer !
Ce que vous pouvez nous apprendre, cher Élie Barnavi, chère Leïla Shahid, c'est la façon dont vous sentez les choses, vous qui êtes au coeur de ce tragique conflit.
La voix de l'Union européenne n'existe plus sur ce sujet. Il est question, à Bruxelles, de nommer un nouveau représentant spécial pour le conflit du Proche-Orient. J'espère que son profil se rapprochera davantage de celui de Miguel Ángel Moratinos que de celui d'autres personnalités qui n'ont pas laissé un souvenir impérissable dans ce rôle. Il faut quelqu'un qui s'y mette vraiment et qui, avec l'appui des États membres et de la haute représentante, fasse avancer les choses.
Je rappelle que Laurent Fabius a proposé une conférence internationale le jour où nous avons débattu de notre proposition de résolution invitant la France à reconnaître l'État de Palestine. Pour l'instant, la situation semble gelée en raison de la campagne électorale en Israël.
Nous avons été impressionnés par les mouvements et les appels de personnalités et d'intellectuels israéliens et palestiniens travaillant ensemble à une solution de paix durable à deux États. C'est la preuve qu'il existe de part et d'autre un nombre significatif de personnes qui veulent une issue pacifique.
Tel est aussi le sens de la résolution que l'Assemblée nationale et le Sénat ont votée. Il s'agit avant tout d'un appel à la paix et à la négociation pour arriver à une solution à deux États définie selon les critères de l'ONU. Nous n'entendons évidemment pas nous substituer à quiconque dans cette négociation.
Cela étant, on doit déplorer l'existence de thèses extrêmes en Israël comme en Palestine, chacun renvoyant à l'autre la responsabilité du conflit. Si l'on en reste à l'opposition Intifada contre Plomb durci, il est certain que l'on n'avancera pas !
Après les tragiques événements qui ont frappé la France en janvier, MM. Netanyahou et Abbas étaient présents à Paris pour défiler, sinon côte à côte, du moins ensemble. Mais des drapeaux français ont aussi été brûlés à Gaza.
Il faut donc bien clarifier les choses. D'un côté comme de l'autre, rien ne pourra se régler sans une reconnaissance réciproque totale et sans ambiguïté, ce qui n'est pas exactement le cas à l'heure actuelle.
L'inquiétant est que le temps est compté. Du fait des colonisations autour de Jérusalem, ce processus encore envisageable aujourd'hui ne le sera plus indéfiniment. Comme vous l'avez fort justement indiqué, monsieur Barnavi, on voit apparaître, au-delà de la solution à deux États sur laquelle se fondaient l'essentiel des revendications, l'hypothèse d'une solution à un seul État, avec tous les risques qu'elle entraîne.
Il est donc nécessaire d'exercer une pression. Qui le fera, et par quels moyens ? Est-ce seulement la responsabilité de l'Europe, que vous avez beaucoup citée, et de la Ligue arabe ? À l'évidence, l'Europe ne réglera pas tous les problèmes ! Quelle stratégie globale mettre en oeuvre pour faire avancer la cause de la paix ?
Selon vous, monsieur Barnavi, les protagonistes ne pourront régler le conflit par eux-mêmes sur le terrain. Ne pensez-vous pas cependant que ce conflit s'est trouvé en quelque sorte relayé par les deux diasporas, c'est-à-dire par des personnes qui se sont mobilisées sans être sur place ? N'est-il pas même arrivé que les deux diasporas fassent monter la pression en se montrant plus radicales encore que les acteurs directement concernés ?
Si je pose la question, c'est que l'on voit que le conflit israélo-palestinien divise non seulement le Proche-Orient, mais aussi, parfois, nos sociétés. Les extrémistes des deux camps, qui sont loin d'être tous sur le terrain, n'auraient-ils pas pris en otage ce conflit à des fins qui n'ont rien à voir avec son règlement ?
Si les deux diasporas prenaient un peu de recul – j'ignore si cela est possible –, le dialogue entre les deux parties ne se trouverait-il pas facilité ?
Il est émouvant, et un peu désespérant, de se rappeler qu'il y a quinze ans, alors que vous étiez tous deux en poste à Paris, je vous invitais et que nous tenions les mêmes débats, entretenions les mêmes espoirs.
Je partage vos analyses extrêmement pertinentes. S'agissant de la conférence internationale évoquée par notre ministre des affaires étrangères, qui, selon vous, pourrait en avoir l'initiative ? La France seule ne le peut pas. Faut-il se tourner vers les États-Unis ? Barack Obama dispose d'à peine deux ans pour passer d'une attitude velléitaire à une attitude volontariste. Bill Clinton, en son temps, avait tout fait pour aboutir, même s'il avait au bout du compte échoué. Faut-il se tourner vers l'Europe en dépit de son inexistence en matière de politique étrangère ? Des changements sont intervenus. La France et d'autres pays ont manifesté de nouvelles aspirations. Le nouveau haut représentant de l'Union pour les relations extérieures est une personne remarquable. Dans les pays arabes, enfin, avez-vous perçu une volonté de sortir de l'impasse ?
Comme François Loncle, je suis heureux de vous retrouver ici, madame et monsieur les ambassadeurs. Nos échanges, madame Shahid, remontent à une vingtaine d'années. La situation n'a malheureusement guère changé mais votre dynamisme est intact !
Il y a urgence, vous l'avez dit, à régler le conflit. Pourriez-vous à cet égard nous dire quelques mots sur la situation dans la bande de Gaza ? Le ministre des affaires étrangères Hervé de Charette, à l'époque où je m'y étais rendu, l'avait qualifiée de « prison à ciel ouvert ». Les images que nous voyons aujourd'hui ne peuvent que le confirmer.
Quant au mur de séparation, on pourrait le qualifier de « mur de la honte ». Sa construction se poursuit-elle ? Je me rappelle quelle joie fut pour moi la chute du mur de Berlin !
Quelle est votre sentiment, madame l'ambassadeur, sur l'extension des colonies ? À n'en pas douter, c'est un obstacle au règlement du conflit.
Certains imputent l'absence de règlement aux difficultés entre le Fatah et le Hamas. Quelles sont aujourd'hui les relations entre les deux mouvements ?
Je me réjouis que l'Assemblée nationale ait adopté une résolution invitant la France à reconnaître l'État de Palestine. Même si, au sein de mon propre groupe, il y a eu des divergences, je crois que nous avons accompli là un acte de paix.
Il est un peu inquiétant, monsieur l'ambassadeur, que vous n'attendiez rien du résultat des élections en Israël. Lorsque les électeurs peuvent s'exprimer, cela ne peut-il pas changer quelque chose à la situation ?
Vous affirmez aussi ne rien attendre des protagonistes sur le terrain. « La paix sera imposée ou ne sera pas », dites-vous. Il faudrait donc contraindre les Américains à le faire car, dites-vous encore, la situation est mûre. Si je vous entends bien, il incombe à l'Europe d'exercer cette contrainte.
Comment relancer un processus de paix ? La question est posée en vain depuis tellement longtemps que je renonce à la poser à mon tour.
Après vos interventions, mon sentiment est mitigé. Je ne crois guère qu'un dossier aussi sensible puisse avancer si les deux partenaires ne sont pas d'accord sur l'essentiel. Attendre une solution extérieure des États-Unis ou de l'Europe a quelque chose de blessant. Lorsque le général de Gaulle et le chancelier Adenauer décidèrent de rapprocher la France et l'Allemagne par le traité de l'Élysée, ils ne le firent pas sous la pression d'une puissance quelconque. Le général de Gaulle ne l'aurait évidemment pas accepté.
Le cas de figure que vous évoquez me semble donc assez artificiel, même si, nous en convenons tous, il y a derrière beaucoup de souffrance et de difficulté. Pour ma part, je forme le voeu qu'Israël et l'autorité palestinienne trouvent suffisamment de ressources en elles-mêmes pour mettre fin au conflit.
C'est, vous le voyez, une courte intervention désabusée que je voulais faire à ce moment.
Je me souviens avoir participé en tant qu'expert au congrès des maires de la bande de Gaza à l'époque où celle-ci risquait d'être détruite et évacuée. J'y avais entendu un langage très constructif qui ouvrait un grand espoir.
Je rencontrai plus tard Ariel Sharon peu de temps avant son accident cérébral et, à quelques jours d'intervalle, Mahmoud Abbas. Alors que j'avais des doutes sur la sincérité de Sharon – pour moi, c'était l'homme de Sabra et Chatila –, je fus subjugué par la sincérité de sa volonté d'aboutir. Abbas se montra également très volontariste mais il avait plus de doutes. Je rentrai en France avec une grande espérance.
Je me souviens aussi que vous m'aviez reçu lorsque vous étiez en poste à Paris, monsieur l'ambassadeur. De notre longue discussion, je sortis persuadé que l'on allait enfin aboutir, tant votre langage était crédible et sincère.
En juin dernier, enfin, notre commission recevait l'actuel ambassadeur d'Israël en France. Je lui dis ma déception, voire mon écoeurement. Son discours me donna l'impression que nous avions de reculer de vingt ans. Je terminai mon intervention en me référant à Voltaire : je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'à la mort pour que vous puissiez le dire.
Aujourd'hui, madame et monsieur les ambassadeurs, je ne vous poserai pas de question. Je veux simplement vous dire merci d'avoir tenu l'un et l'autre un langage d'espérance, un langage qui peut nous faire croire à une paix durable, même s'il y a aussi une forme de désespoir à ne pas voir les choses avancer aussi vite que vous le souhaitez, vous qui agissez depuis tant d'année.
Madame la présidente, faites venir Mme Shahid et M. Barnavi plus souvent !
Je crains d'apporter un peu de grisaille après les paroles très belles de mon ami Jean-Paul Bacquet.
Je ne suis pas optimiste, madame la présidente, mesdames et monsieur les ambassadeurs. Comment ne voyons-nous pas que ce conflit n'est pas territorial ? Israël, sous des gouvernements de droite comme de gauche, est sorti de la bande de Gaza, a évacué jusqu'au dernier centimètre carré envers et contre tout. On a détruit des cimetières et des synagogues, on a transféré des personnes alors que beaucoup ne le voulaient pas. Israël est sorti du Liban. Il est prêt encore à sortir d'une partie de la Judée et de la Samarie pour peu que la paix en dépende vraiment. Cependant, au moment où Rabin et Arafat devaient se serrer la main, Arafat a refusé, comme il a refusé à Barak.
Le conflit actuel est, hélas, un conflit global de religions : 250 000 morts en Syrie, des dizaines de milliers de morts en Irak, des morts aussi en Libye, au Liban ; les chrétiens sont en train de disparaître de cette région du monde dans l'indifférence la plus totale.
Israël est un État minuscule de 24 000 km2. Le peuple juif est un peuple minuscule : 13 millions de personnes à travers le monde, dont 6 millions en Israël. Il rêve de paix, il est prêt à des concessions. Mais ce peuple, je le connais bien : il n'est pas prêt à faire toutes les concessions pour aller au suicide !
Or le monde a une seule chose, une seule équation en tête : sortez des territoires et vous aurez la paix. Cette équation est fausse. Le fondement de ce conflit est religieux. Les quelque 1,8 milliard de musulmans à travers le monde disposent de millions de kilomètres carrés. Qui peut croire que quelques milliers de kilomètres carrés seraient la source de tous les conflits dans le monde ?
Israël est un État démocratique prêt à faire des concessions immenses mais ne veut en aucune manière aller au suicide. Il faut ouvrir les yeux !
Non, madame Shahid, vous n'avez pas le droit de donner des raisons au terrorisme en expliquant que les attentats en France vengeraient ce qui se passe dans la bande de Gaza. Lorsque l'on brûle vif un malheureux pilote jordanien dans une cage, lorsque l'on tue les Yézidis, les chrétiens, et bien sûr les musulmans qui sont les premières victimes de l'islamisme radical, cela n'a rien à voir avec le conflit israélo-palestinien.
D'ailleurs, toutes les élections organisées par l'autorité palestinienne se sont soldées par des victoires du Hamas. À chaque fois que le peuple s'est exprimé, il a donné un blanc-seing à un mouvement djihadiste semblable à Boko Haram, à Daech, au Hezbollah, qui tous veulent appliquer la charia. Je sais bien que ce n'est pas votre idéologie, mais le Hamas, hélas, a remporté toutes vos élections. Les Israéliens et leur minuscule État sont obligés de prendre cela en considération.
Non, madame Shahid, vous n'avez pas le droit de dire que l'État d'Israël existe à cause de l'Holocauste. Cela fait trois mille ans que Jérusalem est la capitale du peuple juif. Chaque mot de la Bible le rappelle. Le peuple juif a subi l'exil pendant deux mille ans. Le nouveau sionisme remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle. La Shoah a tout au plus accéléré un peu le processus. Quoi qu'il en soit, mon intime conviction est qu'elle ne se serait jamais produite si l'État d'Israël avait existé. Aujourd'hui, cet État est le certificat d'assurance de tout le peuple juif pour qu'il n'y ait jamais de seconde Shoah.
J'écoute bien sûr vos propos, monsieur Barnavi, mais je crois qu'il faut avant tout écouter la démocratie israélienne. La démocratie, pour moi, a toujours raison. Les résultats des élections, quels qu'ils soient, auront raison. On ne peut approuver ou condamner le résultat d'une élection selon que l'on est d'accord ou non. Ce n'est pas une bonne chose de venir dire aux Français, aux Européens, au monde, qu'ils doivent pousser votre pays à faire des concessions et à aller, le cas échéant, au suicide. C'est aller contre les intérêts de votre peuple et de la majorité des citoyens. Vous-mêmes appartenez à une frange qui est représentée à la Knesset. Vos positions sont peu ou prou celle du Meretz. Et la force d'un État démocratique, c'est que chacun a le droit de penser ce qu'il veut, y compris en ayant douze ou treize députés arabes au sein de la Knesset. En fin de compte, c'est la majorité qui décide, comme chez nous en France. Israël serait-il le seul État au monde où, quand la démocratie et la majorité décident, elles auraient tort ?
Vous pardonnerez ma passion. Ces mots, je les dis avec tout mon coeur.
Je croyais que le rapprochement annoncé entre le Hamas et le Fatah créerait une situation politique complètement nouvelle, à la fois au sein de l'organisation palestinienne et dans les négociations avec Israël. On sait bien que l'arrivée au pouvoir du général al-Sissi n'est pas étrangère à ce rapprochement et aux concessions que le Hamas a dû faire.
Depuis cette période, un gouvernement a été annoncé. On suppose que le Fatah reprend pied à Gaza. Que se passe-t-il exactement ? Où en est-on ? Je crois que ce point est fondamental pour faire évoluer la situation.
Le Hamas est toujours considéré comme une organisation terroriste. Essaie-t-il d'en sortir ? Quel est votre pronostic à ce sujet ?
Les djihadistes commencent, en certains endroits, à mettre la main sur le Sinaï. Quelles complications cela apporte-t-il à la situation régionale ?
Vous avez affirmé avec raison, monsieur Barnavi, que les deux peuples sont pris en otage par des idéologies, probablement minoritaires, qui ont la force de l'organisation, de la détermination et des armes pour imposer leur joug et leurs revendications à la fois territoriales, politiques et de pouvoir.
Pour vous, donc, c'est de l'extérieur que viendra la solution. Je crois en effet qu'un nombre encore plus important d'États doit reconnaître l'État de Palestine afin de créer un rapport de force en faveur du droit et de la reconnaissance du faible au fort. Sans doute faut-il aussi prendre des initiatives, comme Laurent Fabius et d'autres l'ont proposé, pour permettre un dialogue permanent par le biais de conférences internationales.
Cela étant, les sociétés civiles de Palestine et d'Israël existent. Elles se parlent entre elles. Des mouvements de la paix se sont formés. Au-delà, beaucoup de citoyens palestiniens et israéliens sont parfaitement conscients des enjeux, y compris pour leur propre survie, et sont très lucides sur le jeu politique qui se joue à leur détriment et les prend en otage. Leurs revendications portent non seulement sur la paix, mais aussi sur l'accès à l'eau ou à la propriété, c'est-à-dire sur des enjeux de dignité.
Bref, j'ai le sentiment que ces sociétés civiles s'organisent de plus en plus en Israël comme en Palestine. Sans doute ne les entendons-nous pas assez. Les médias, marqués par une vision et par des mots inchangés depuis vingt-cinq ans, sont un filtre déformant. Leur discours lasse. La nouvelle donne régionale mériterait d'être beaucoup mieux mise en avant. Les jeunes générations ne placent pas leur avenir sous le sceau du désespoir dans lequel elles ont pourtant grandi. Les jeunes acteurs de la société civile que j'ai rencontrés m'ont semblé au contraire pleins d'espoir. Peut-être les autorités israéliennes et palestiniennes ne les mettent-elles pas assez en valeur. Pour notre part, nous devrions faire un effort pour leur tendre la main et pour montrer – comme des fondations actives dans ce domaine ne manqueront pas de le faire – ces visages d'hommes et de femmes qui, j'en suis persuadé, peuvent beaucoup contribuer à faire bouger les lignes, tout autant que les États et les conférences internationales.
Une mission de vingt-trois parlementaires s'est rendue au début de 2013 en Israël et sur les territoires palestiniens. Nous avons rencontré les protagonistes mais, au-delà, nous avons voulu écouter les habitants, c'est-à-dire les Israéliens et les Palestiniens.
Nous avons ainsi visité la ville de Sderot, proche de Gaza et soumise à des bombardements constants. La crèche, par exemple, était protégée contre les missiles par un couvercle de béton. Nous avons néanmoins rencontré une association de mères israéliennes et palestiniennes qui se réunissaient pour demander l'arrêt des tirs palestiniens et des répliques de l'armée israélienne qu'ils provoquaient.
À Bethléem, les réponses des Palestiniens au sujet du mur nous ont étonnés. Depuis que ce mur existe, nous ont-ils affirmé, ils peuvent aller travailler en Israël.
Vous ne pouvez pas dire cela, monsieur le député. Ils ne peuvent pas passer !
Ils nous disaient au contraire qu'ils pouvaient travailler en Israël, ce qui leur permettait de faire vivre leurs familles.
Nous avons été aussi à l'hôpital Hadassah, un hôpital israélien qui soigne aussi bien les Israéliens que les Palestiniens, notamment les enfants.
À l'université Technion de Haïfa, nous avons vu bon nombre de jeunes Palestiniens qui étaient étudiants.
Il s'agissait de citoyens israéliens !
Devant notre étonnement à voir les jeunes Israéliens et les jeunes Palestiniens s'entendre ainsi, notre interlocuteur nous a dit par plaisanterie : « Il y a pire : il leur arrive de se marier ! »
Je le répète, ce sont des citoyens israéliens.
Nous avons également vu des populations israéliennes arabes vivre en bonne entente avec la population juive, par exemple à Yaffo.
Vous confondez les citoyens israéliens arabes et la population qui vit sous l'occupation. Il faut savoir de quoi on parle !
En ce début de 2013, il y avait un espoir. Puis est survenu l'assassinat de trois jeunes adolescents, avec les mêmes méthodes que celles que nous venons de voir à l'oeuvre en France.
Entretemps, il y a eu une guerre à Gaza. Vous l'omettez !
À l'occasion de ces assassinats odieux, on a découvert une soixantaine de tunnels, et à quoi ils servaient.
Vous qui êtes entrée au Fatah en 1968, madame Shahid, vous n'ignorez pas la division entre le Fatah et le Hamas. Ne pensez-vous pas que l'on pourrait conclure la paix entre Israéliens et Palestiniens s'il n'y avait pas le Hamas ?
Je respecte énormément votre commission. Je connais beaucoup de ses membres et de ses anciens présidents. Il ne m'est pas possible d'entrer dans une polémique. M. Bénisti refait l'histoire du conflit en choisissant ce qui l'arrange, en mélangeant les citoyens israéliens et les Palestiniens qui vivent sous l'occupation. Chacun a le droit d'avoir sa sensibilité, mais je ne veux pas répondre à tout cela.
Vous disiez tout à l'heure, monsieur Myard, que les diasporas font de la surenchère par rapport aux personnes qui sont sur place. En effet, certains ne parlent pas seulement à la Palestine et à Israël, ils parlent aussi à leurs électeurs !
Élie Barnavi et moi-même avons beaucoup à faire. Si nous sommes venus vous voir, ce n'est pas pour enregistrer une réunion de plus à notre compteur. C'est parce que nous pensons que vous, Français, Européens, que vous le vouliez ou non, vous avez un rôle à jouer. Nous ne vous avons pas attendus : nous faisons partie des gens qui ont eu le courage de parler entre eux avant même que les gouvernements ne se parlent.
Nous avons sans doute failli, monsieur Amirshahi, à mieux mettre en valeur les ONG, les citoyens, les intellectuels, les parlementaires israéliens et palestiniens qui encouragent la poursuite du dialogue. Il n'empêche : ceux-ci ne pourront apporter de solution. Pourquoi tourner autour du pot ? Vous qui êtes des hommes et des femmes politiques, pouvez-vous donner un exemple de conflit aussi grave dans le monde – en Afrique, en Amérique latine, ou bien chez vous, dans le Balkans – qui ait trouvé sa solution dans un tête-à-tête entre l'agresseur et l'agressé, entre l'occupant et l'occupé, et avec un tel déséquilibre entre les forces ? Dans les Balkans, vous avez envoyé vos armées. Lorsque Poutine annexe la Crimée, vous mobilisez tous vos moyens diplomatiques, vous adoptez des sanctions économiques. Et lorsqu'il s'agit d'Israël et de la Palestine, vous nous dites de nous débrouiller tout seuls, comme si ce n'était pas votre affaire !
Si ce n'est pas votre affaire, vous en subirez les conséquences ! Ce conflit ne disparaîtra pas tout seul. Les Palestiniens ne vont pas s'évaporer gentiment. Les Israéliens ne vont pas se mettre à élire des gens qui veulent la paix.
Que vous le vouliez ou non, l'Europe, dont vous êtes partie intégrante, a pour frontière un espace méditerranéen dont tout l'est est occupé par ce conflit. Vous ne pourrez imaginer d'autres frontières ou construire des murs pour empêcher ce conflit de déborder. Cela ne concerne pas seulement les diasporas : cela concerne aussi ceux qui ne sont ni juifs ni Arabes.
Je ne vous ai pas interrompu, monsieur Habib, alors ne m'interrompez pas ! La polémique ne m'intéresse pas !
Si les mouvements israéliens ont demandé aux parlements nationaux et au Parlement européen de reconnaître l'État palestinien, monsieur Amirshahi, c'est parce qu'ils savent, Élie Barnavi l'a dit, que c'est seul moyen d'assurer la vie d'un État d'Israël démocratique et juif. Ils ne le font pas pour nous : ils le font pour leur avenir et pour celui de leurs enfants.
Et si les Palestiniens vous l'ont demandé aussi, ce n'est pas parce qu'ils croient que vous mettrez fin à l'occupation militaire d'un claquement de doigts. Nous savons bien que la reconnaissance ne suffira pas. Mais elle protège l'espace que l'actuel gouvernement israélien est en train de grignoter par la colonisation. Si l'on regarde bien la carte, on voit qu'il n'y a plus d'espoir pour installer cet État palestinien. Jérusalem est annexée. On a complètement séparé la bande de Gaza de la Cisjordanie pour en faire – M. Rochebloine a mentionné l'expression – une prison à ciel ouvert, et même pire puisque le territoire est désormais assiégé.
La reconnaissance de l'État palestinien est une manière d'améliorer les paramètres de la solution en compensant un tant soit peu le déséquilibre des forces. Rappelons qu'Israël est la quatrième puissance militaire au monde, une puissance nucléaire de surcroît, et qu'elle possède une économie très forte – d'où la réticence de l'Union européenne à prendre des décisions courageuses à l'égard de son gouvernement –, tandis que, de l'autre côté, un territoire est en train de disparaître.
Si nous voulions rejoindre Daech, nous ne vous attendrions pas, nous le déclarerions ! Mais mon président a le courage de continuer à chercher des méthodes non-violentes après que nous eûmes renoncé à la lutte armée en 1993. Notre objectif était la négociation et nous avions trouvé en Rabin un partenaire. Malheureusement, nous avons eu depuis huit premiers ministres israéliens, dont cinq ou six ne voulaient ni mettre en oeuvre les accords d'Oslo ni trouver une solution à deux États.
Le conflit qui a frappé Gaza pendant cinquante jours a ramené ce territoire vingt ans en arrière. Malgré votre mobilisation, vos communiqués, rien n'a changé. La situation a même empiré. Plus de 100 000 personnes n'ont plus de logements. Les écoles sont occupées par les personnes déplacées. Il n'y a plus d'argent, plus d'électricité, plus d'essence pour faire fonctionner les groupes électrogènes des hôpitaux. N'allez pas me dire que cela ne peut pas exploser ! Si vous ne voulez pas regarder la réalité en face, cela relève de votre responsabilité d'élus. Mais il est de mon devoir de vous dire que c'est une bombe à retardement et que, dans le nouveau contexte que je vous ai décrit, la violence n'a pas de frontières. Le soldat jordanien brûlé vif par Daech était musulman et Arabe. Ce sont d'autres musulmans et Arabes qui l'ont tué.
Les événements qui se produisent dans la région nourrissent la violence. Voulez-vous désamorcer cette violence par une initiative politique fondée sur la coexistence ou voulez-vous continuer à considérer que cela ne regarde que les Israéliens et les Palestiniens ? Il n'est pas contestable que vous avez une responsabilité ! Les parties tierces ont des obligations. Ou alors, arrêtez de nous parler de démocratie, de communauté internationale, de valeurs françaises, européennes ou onusiennes, et laissez parler le droit du plus fort ! Si, au contraire, il existe un droit international, des droits de l'homme et un système politique pour les faire respecter, nous devons y avoir accès.
Depuis vingt-cinq ans qu'elle négocie, on ne peut pas reprocher à l'OLP, que je représente ici, de ne pas faire de son mieux. Mais ce serait mentir que d'affirmer que nous avons avancé. Le découpage de la Palestine en zones A, B et C est bien pire que l'occupation militaire. Le mur n'existait pas lorsque nous avons commencé à négocier. Aujourd'hui, il est long de 700 km. Dans la zone C – celle que M. Bennett, qui, malheureusement, gagnera peut-être les élections, veut annexer –, on détruit l'accès à l'eau et les moyens de survie.
Dans le contexte régional que l'on sait, il faut la regarder en face cette situation très grave. Le monde arabe souhaite aujourd'hui vous aider. L'initiative de M. Fabius, qui associait les pays arabes, les pays européens vraiment désireux de jouer un rôle et les États-Unis, était excellente. Si elle s'est interrompue, c'est uniquement en raison de l'annonce d'élections anticipées en Israël. Je précise que ce sont les huitièmes élections anticipées. Aucun Premier ministre n'a jamais été au bout d'une législature. L'instabilité est totale.
Pour autant, monsieur le président Poniatowski, nous devons faire notre mea culpa. Nous avons failli à une réconciliation pourtant très demandée par la population palestinienne. Des pays, pour des raisons qui leur sont propres, encouragent le Hamas à ne pas se réconcilier. Certains ont peur d'avoir à faire des concessions. Il est de notre devoir d'avancer. Ce serait plus facile, avouons-le, si la situation de la région pesait moins sur nous. L'Iran, la Turquie, les pays du golfe Persique sont des puissances qui jouent leur jeu. C'est bien pourquoi nous attachons tant d'importance à notre relation avec l'Europe : nous avons un intérêt commun à la sécurité, à la stabilité et à la souveraineté qui nous permettront de vivre en égaux avec les Israéliens et les Arabes.
Je crois que nous y arriverons, pour peu que vous preniez part avec nous à la construction de cet avenir.
Je commencerai par m'adresser à mon bon ami Meyer, qui a fait un discours très passionné et idéologique.
Ce discours, sache-le, je le partage. Je n'aime pas moins mon pays que toi. Je l'ai défendu avec mon sang, avec ma plume, et je continue à le faire. Il faut que tu t'y fasses : on peut aimer ce pays d'une façon différente de celle du Likoud.
Tu dis que la démocratie a toujours raison. Malheureusement, c'est faux. Il faut certes la respecter, car nous n'avons pas d'autre moyen de vivre ensemble. Lorsque le prochain Premier ministre sera élu, je respecterai son pouvoir exactement comme je respecte le pouvoir de celui qui est en place aujourd'hui. Je n'ai pas d'autre choix que de l'accepter : il est le Premier ministre de tous les Israéliens. Suis-je pour autant obligé de marcher au pas cadencé, de croire tout ce qu'il dit et d'accepter tout ce qu'il fait ? Certainement pas !
Si, entre amis, je dis ce que j'ai à dire, c'est que je trouve qu'il y a péril en la demeure et que cet homme et sa majorité nous conduisent dans le mur. Cela me fait peur, pour moi-même et pour mes enfants. J'ai un fils qui sert depuis six mois dans une unité d'élite de l'armée. Je crains que la prochaine fois, à Gaza ou ailleurs, ce ne soit son tour. Je crains de voir sa photo en première page du journal.
Tout cela pour te dire que le lyrisme, je peux aussi en faire !
Mais je suis ici pour parler politique à une assemblée d'hommes et de femmes politiques.
L'équation selon laquelle il suffirait qu'Israël sorte des territoires pour avoir la paix est fausse, dis-tu. C'est possible. Mais que proposes-tu ? Même en admettant que ton pessimisme soit justifié, il faut agir politiquement avec les voisins que nous avons. Il y en a quand même avec qui nous pouvons faire un bout de chemin. Pourtant, nous n'essayons pas.
Certes, nous avons échoué plusieurs fois. Les torts sont-ils tous israéliens ? Certainement pas : ils sont largement partagés. Même Leïla Shahid en conviendra !
Pourquoi M. Terrot nous traite-t-il par le mépris ? Le général de Gaulle, dit-il, ne serait pas, lui, allé chercher l'appui de l'étranger pour signer le traité de l'Élysée. Quelle comparaison ! L'Allemagne était écrasée, le vainqueur lui offrait magnanimement de le rejoindre pour bâtir un autre ordre. Quel rapport avec la situation du Proche-Orient ?
Quel rapport, aussi, entre le mur de Berlin et ce mur que l'on qualifie de « mur de la honte » ? Le mur de Berlin visait à empêcher les gens de partir de chez eux. Le mur de séparation, dont je suis loin d'être un fervent partisan, vise à empêcher les gens de venir de l'autre côté pour commettre des attentats.
Il y a là matière à tout un séminaire. Le mur est une invention de la gauche israélienne.
C'est la droite qui n'en voulait pas, afin de ne pas fixer sur le terrain la distinction entre les territoires occupés et les autres. Sharon s'est emparé de la question sous la pression populaire, parce que des terroristes se faisaient sauter dans les rues de nos villes. Puis il s'est servi du mur comme outil d'annexion.
Quoi qu'il en soit, le mur est là pour être démoli un jour. Il ne durera pas jusqu'à la fin des temps !
Je crains, monsieur Bacquet, que Voltaire n'ait pas prononcé les mots que vous citez. Mais il aurait pu assurément les dire, cela lui ressemblait assez !
Les sociétés civiles, monsieur Amirshahi, ont fait et continuent de faire le travail qui était nécessaire. Mais elles en sont lasses. Je n'ai pas besoin de venir en France pour rencontrer des amis palestiniens. J'ai enseigné pendant trois ans à l'université al-Qods, où j'ai été reçu magnifiquement. Tout ce que voulaient les étudiants, c'était aller à la plage de Tel-Aviv. Ceux qui avaient une carte d'identité israélienne le pouvaient, les autres non. Le territoire est constellé de barrages. Ce n'est pas un caprice israélien : le problème sécuritaire est réel. Mais la situation crée le problème sécuritaire. Comment faire pour en sortir ?
Nous traiter en grands enfants qui devraient enfin se débrouiller tout seuls, c'est oublier qu'il n'y a plus aujourd'hui dans le monde que des conflits asymétriques, et que de tels conflits ne sont jamais réglés par leurs seuls protagonistes. Leïla Shahid l'a rappelé : c'est pour cela que la communauté internationale et l'ONU ont été inventées. Si vous laissez la situation pourrir, nous y serons encore dans cinquante ans ! Que dis-je ? Dans cinquante ans, nous aurons un État mono-national et unitaire, un État où des gens comme moi ne pourront pas vivre.
C'est pour cette raison que je parle de sauvetage. Nous vous demandons d'aider des peuples en péril. Si on ne comprend pas cela, on n'a rien compris à la situation au Proche-Orient.
On parle d'une conférence internationale. Que pourrait-elle faire de plus ? Nous connaissons déjà la solution ! Ce dont j'ai peur, c'est que l'on recommence à négocier des choses que nous avons déjà négociées, c'est que l'on ouvre à nouveau les mêmes dossiers ad nauseam. Cela dit, mieux vaut une conférence plutôt que rien, probablement !
Ne serait-il pas néanmoins plus utile que la France, si possible avec des partenaires européens importants, prépare un projet de résolution raisonnable à porter devant l'ONU ? Il faut obliger les Américains à se découvrir. La dernière fois, vous avez très mal joué la partie. Il suffisait d'attendre trois jours pour avoir une majorité de neuf au Conseil de sécurité et pour contraindre les Américains à faire ce qu'ils n'ont pas envie de faire.
Ne nous y trompons pas : depuis 1967, la position des États-Unis est plus proche de celle des Arabes que de la nôtre ; depuis 1967, ils votent et agissent contre leur propre position de principe. Cette contradiction éclate aujourd'hui. Il n'est pas du tout sûr que la prochaine résolution, si elle ne vient pas des Palestiniens, si elle n'est pas extrême, si elle est pesée avec soin, si elle émane d'alliés importants des États-Unis en Europe, fasse l'objet d'un veto américain. Ce serait, pour le coup, une sorte de révolution diplomatique.
Qu'Abou Mazen adhère à la Cour pénale internationale, je ne sais pas si c'est une bonne affaire. Symboliquement, sans doute ; pratiquement, c'est une autre paire de manches. Le sujet mériterait bien des développements. Ce que je suggère, c'est de donner la priorité au Conseil de sécurité et de laisser la conférence internationale en deuxième position.
Pour ce qui est du Conseil de sécurité, la France est très bien placée. J'ai eu l'occasion d'observer l'action du formidable diplomate qu'est Gérard Araud quand il était représentant permanent de la France auprès des Nations unies. Le Conseil de sécurité est ce qu'il est, nous n'avons pas d'autre outil. Il n'est pas impossible qu'une action se révèle efficace si elle est préparée avec soin. En revanche, ce qui s'est passé à l'ONU il y a quelques semaines est du grand n'importe quoi. Je ne comprends toujours pas pourquoi la France, qui avait sa propre résolution, a voté pour la résolution palestinienne. C'était un bien inutile pataquès diplomatique !
Au-delà de ces questions tactiques, je pense que la stratégie que j'indique est la bonne. Il faut préparer un arsenal de carottes et de bâtons pour les deux protagonistes, de manière à préparer les esprits. En dépit des apparences, l'opinion publique et le gouvernement actuel d'Israël son extrêmement sensibles aux positions européennes. Personne n'a envie de se retrouver sans alliés. Il ne dépend que de vous de créer le cadre diplomatique, politique et psychologique pour faire bouger les lignes. L'action doit être continue. Sinon, résolution après résolution, une année passe, puis deux ; on fait d'autres constructions dans les territoires ; une nouvelle opération est menée ; quand les gens tirent, on ne parle pas ; quand les gens votent, on ne parle pas non plus ; le temps passe à toute allure et, quand on se réveille, rien n'a changé !
Il faut donc maintenir une pression permanente, et le faire de manière intelligente, c'est-à-dire en empathie avec ce qui se passe sur place. Les preuves d'amitié pour le peuple d'Israël sont importantes. Les gens ne doivent pas avoir l'impression que l'on fait pression sur eux parce que le monde entier est contre eux. Oui, on peut être à la fois pro-israélien et pro-palestinien : c'est mon cas, et je sais que c'est le cas de la plupart d'entre vous. Il y a assez de place dans le coeur d'un homme ou d'une femme pour deux nations maltraitées par l'Histoire. Si vous ne rattrapez pas ces deux nations par les cheveux, elles finiront par se noyer ensemble. En 1982, dans la première histoire d'Israël que j'ai écrite, je disais déjà qu'il s'agissait de frères siamois : ils se sauveront ensemble ou ils couleront ensemble.
Très attachée à la France, j'ai suivi les événements des derniers mois avec une inquiétude redoublée par l'écho qu'ils ont eus. Tous les jours se produisent de nouveaux et graves incidents. Il est irresponsable de dire qu'il s'agit d'une guerre de religions, monsieur Meyer Habib.
Cette thèse aggravera ce que vit la France. En affirmant cela alors que ce n'est absolument pas le cas, vous reprenez les arguments de Daech.
Vous incitez les musulmans de France à se considérer comme parties prenantes légitimes à cette guerre. Il faut savoir peser ses mots, surtout si l'on a à coeur de ne pas attiser des affrontements qui mènent aux horreurs que nous avons vues dans votre pays et ailleurs. Revenons-en à un conflit qui a toujours été ancré dans une histoire coloniale et dont la dimension territoriale est à la fois l'origine et la solution.
Je remercie chaleureusement nos deux invités pour leurs interventions très émouvantes.
Nous avons bien entendu votre appel. L'initiative que nous avons prise a été votée par l'Assemblée nationale. La diplomatie parlementaire, nous en sommes conscients, a ses limites. Quoi qu'il en soit, soyez assurés que nous sommes nombreux ici à avoir reçu votre message. Nous ne pouvons rester les bras croisés, nous ne pouvons nous résigner à un conflit sans fin. La France et l'Europe ont une responsabilité particulière, même si l'Europe seule ne peut garantir la sécurité de la région et, le cas échéant, l'application d'un accord. Nous aurons besoin des Américains. J'espère comme vous, cher Élie Barnavi, que Barack Obama mettra une part du crédit politique qui lui reste dans une initiative commune avec les Européens. Pour notre part, nous nous emploierons à convaincre les autres États membres qu'il faut agir davantage.
La séance est levée à dix-huit heures quinze.